|
||
Compte rendu par Anne-Françoise Jaccottet, Université de Genève Nombre de mots : 3687 mots Publié en ligne le 2020-09-29 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2816 Lien pour commander ce livre Alexander Heinemann signe, avec son Dieu du banquet, un ouvrage de poids ; poids dans un sens très directement matériel (787 pages, dont 594 de texte) ; poids aussi dans l’importance du contenu, dans l’ampleur des questions soulevées et dans les nouvelles perspectives proposées par la lecture contextualisée – pratiquement et socialement – des images dionysiaques portées par la vaisselle de banquet du Ve s. à Athènes.
De la thèse, soutenue en 2003 à Heidelberg, le livre garde plusieurs marques caractéristiques qui expliquent d’ailleurs en grande partie la profusion de l’ouvrage : la prise en compte minutieuse de la critique moderne à travers laquelle l’auteur nous conduit sans lourdeur ; le souci d’explorer toutes les pistes, même secondaires, quitte à affaiblir quelque peu sa propre ligne par excès d’honnêteté scientifique, et surtout le courage de présenter et défendre d’un bout à l’autre une vraie thèse, celle de l’interaction à plusieurs niveaux entre le vase, dans son utilisation pratique et donc dans son contexte social, l’image qu’il porte et le regard de l’utilisateur/spectateur du vase et de son iconographie.
La démonstration se développe en huit volets déclinés en huit parties qui forment chacune un dossier en soi, pouvant d’ailleurs être lu indépendamment des autres : l’index général permet et favorise une lecture non linéaire, même si l’on gagne à lire le texte dans son déroulé pour saisir toutes les facettes de l’argumentation de l’auteur. En exergue à ces huit parties, l’introduction remet les vases de banquet (et accessoirement le lecteur) à leur place, en commençant par deux ensembles de vases trouvés dans un bordel du Céramique. En pointant du doigt la diffusion de la vaisselle à boire décorée dans les lieux les moins bien famés, l’auteur montre certes que la notion de production de luxe est totalement inadéquate mais il assied surtout implicitement sa lecture psycho-sociale des images dionysiaques en contexte de banquet comme un universel valable pour l’entier de la société athénienne. Nous reviendrons sur ce point et d’autres questions de fond en conclusion.
La première partie reprend la question des contextes d’utilisation des vases figurés attiques en faisant le point sur le cadre théorique et l’historiographie du sujet (Attisches Bildgeschirr : Kontexte der Verwendung und Betrachtung). La prise en compte de l’archéologie, des rares textes à disposition et des graffiti permet de dessiner la large diffusion géographique mais aussi et surtout sociale des vases, même si les manques et biais de la documentation antique mènent à des apories, notamment concernant la représentation des genres et la répartition des rôles entre hommes et femmes dans la société. Restreignant dans un deuxième temps l’analyse contextuelle au banquet, l’auteur définit la réflexivité entre les images portées sur les vases à boire et les convives rassemblés dans l’espace dédié comme Handlungsspielraum, au sens étymologique du terme : lieu dans lequel une action, voire un scénario, peut se dérouler, avec en filigrane son sens usuel de « marge de manœuvre ». Heinemann aime en effet à manier sans cesse le jeu de mot signifiant, la métaphore et les formules choc, dans une éloquence foisonnante. Dans cet Handlungsspielraum, qui est aussi un Spielfeld (terrain de jeu), les scènes figurées sur les vases utilisés en contexte offrent aux participants, au travers d’éléments performatifs et agonaux, une scène sur laquelle définir sa propre position dans le groupe comme son identité sociale, laquelle ne s’arrête pas à celle d’un groupe de privilégiés mais inclut la société dans son ensemble. Cela se manifeste par des contenus et discours au ton très varié. La vaisselle, avec ses images et ses inscriptions, agit dans une communication interactive avec les symposiastes et contribue en même temps à façonner le contexte pour lequel elle a été fabriquée. Il ne s’agit pas de rechercher un message directement concret mais de considérer l’iconographie et les inscriptions comme des « points d’accroche » (Anknüpfungspunkte) saisis au vol, ou non, par les convives.
La deuxième partie aborde les contours visuels des figures de Dionysos et des satyres et permet d’entrer de plain pied dans le monde des images (Gestalt als Zeichen : Die äussere Erscheinung des Dionysos und der Satyrn). Reprenant le clivage représentatif entre le dieu barbu et vêtu d’un long chiton du VIe s. jusque vers 420 av. n. è et le jeune dieu imberbe et pratiquement nu qui s’impose dès le dernier quart du Ve s., l’auteur s’appuie sur des textes de la fin de ce même siècle et le parallèle tacite, voire explicite, entre le dieu et Alcibiade pour insister sur l’érotisme ainsi que le mode de vie bouillonnant et séducteur exprimé par la formule visuelle choisie ; il exclut tout changement de fond dans la figure du dieu ou son culte. La féminisation qui a été retenue jusqu’ici par la critique moderne pour qualifier le dieu archaïque doit être lue, à la lumière des poèmes anacréontiques, elle aussi comme l’expression d’une séduction érotique et la marque d’une origine lydienne. Le changement figuratif de la fin du Ve s ne serait dès lors que l’expression sous une autre forme, plus directement sensuelle, du même motif : l’épisode perse aurait petit à petit fait perdre son aura à la barbe généreuse et aux habits longs, nécessitant le recours à un autre paradigme visuel pour dire la truphè ou habrosunè, qui renvoie à un style de vie voluptueux et cultivé. La date de parution de ce livre concordant avec celle de l’ouvrage central de B. Özen-Kleine [1] sur la question, n’a pas permis à l’auteur d’intégrer les résultats plus nuancés de cette étude qui montre les prémisses d’un dieu jeune bien avant 420 et surtout la permanence du dieu barbu après cette date.
Quant aux satyres, l’auteur en brosse les caractéristiques physiques et comportementales bien connues comme autant d’éléments les opposant, point à point et dans leur sens global, à la figure du dieu. Tout est absence de contrôle chez le satyre pour Heinemann, que ce soit au niveau des pulsions sexuelles comme des émotions en général ou du comportement exubérant et à côté des usages. Le satyre est également à comprendre comme un parallèle du symposiaste, par divers points de recoupement comportementaux qui les lient, parallèle dans lequel les traits sont certes grossis et exagérés pour marquer tout de même une différenciation. L’auteur remplace ainsi la notion d’altérité par celle d’écart tolérable (tolerable Abweichung, 151 : le chapitre consacré au satyre [p. 103-156] s’intitule justement « Abweichung ma non troppo ».). C’est la partie suivante qui permet de mieux comprendre le parallèle que l’auteur construit entre le satyre et le symposiaste.
Les relations érotiques forment la trame de la troisième partie comme réflexivité évidente, pour l’auteur, entre les représentations et l’ambiance érotique liée au cadre symposiaque (« Krachende Liebschaften » : Erotische Beziehungen in der Welt des Dionysos). Si les témoignages antiques ne nous permettent pas de déterminer la mesure dans laquelle les pratiques sexuelles des convives étaient à la hauteur des intentions représentées, la lecture des images en contexte devait au moins fonctionner comme des commentaires ou des projections. Pour asseoir cette universalité de conception, Heinemann reprend les scènes antérieures mettant aux prises satyres et gent féminine. Refusant toute distinction moderne entre nymphes dans les scènes archaïques et ménades classiques, il préfère voir dans les attitudes, accueillante face au satyre d’un côté et repoussante de l’autre, deux aspects différents de la femme que l’image met en jeu : la jeunesse et la beauté dans les images archaïques d’une part, contre la frénésie (Raserei) dionysiaque de l’autre. Le rejet systématique, et parfois violent, des satyres dans leur assiduité conquérante ne doit pas non plus être compris comme un échec du mâle dans ses désirs, mais bien plutôt comme l’expression figurée (Bildchiffre) a contrario des attitudes sexuelles désirées par la femme. De même, les scènes de poursuite ne seraient là que pour exprimer la violence, non celle de la scène mais celle du désir et des passions amoureuses. Ces scènes agiraient sur les symposiastes comme intensificateur du désir, tout en montrant ce qu’il ne faut pas faire. Dionysos, lui, représente l’antithèse de ce comportement inadéquat, en particulier dans la façon délicate dont on le montre relevant Ariane pour l’emmener et en faire son épouse. Les satyres et Dionysos représentent donc les deux pendants, négatif et positif, du code de comportement masculin envers les femmes, entre lesquels les symposiastes peuvent choisir.
La quatrième partie s’attaque aux images figurant des représentations de drame satyrique (Darstellungen von Darbietungen : Das Satyrspiel als Bildthema). Après un résumé de cette (vaste) thématique et de son historiographie, l’auteur se concentre sur les images qui présentent des artifices scéniques évidents, délaissant toute recherche de trame dramatique dans des scènes de type narratif incluant des satyres. Prenant en compte notamment les figurations de caleçon postiche (perizoma) ou d’éléments de tréteaux scéniques, Heinemann cherche la fonction de ces représentations dans le banquet et leur effet sur les symposiastes. C’est dans la thématisation du changement de rôle qu’il la trouve, voire dans l’incitation à ce changement de rôle, dans le sens à la fois performatif des extraits de drames repris dans les banquets, et psycho-social d’un sortir de soi.
On regrette ici, en particulier, que l’auteur ne se consacre pas davantage à la construction de l’image. Le fait de ne choisir que des scènes qui présentent clairement des artifices théâtraux, comme le caleçon postiche ou les tréteaux, a le mérite de délimiter clairement la matière et l’on ne saurait reprocher à l’auteur d’avoir épargné sa peine au vu de l’ampleur de l’ouvrage ; mais cette distinction des images par l’apparence du trucage ou du contexte scénique ne rend pas complètement justice au processus imagier et donc potentiellement à la réception des images par les contemporains, familiers de ces constructions. Dans les images, le masque, tout comme le caleçon-postiche, une fois portés, disparaissent en tant que tels pour ne plus laisser voir que le résultat de l’effet performatif des pièces du costume : la transformation effective et fonctionnelle de l’acteur ou de l’humain en satyre. Cela donne une coloration encore différente aux images qui montrent le processus de coulisse et rend floue, et en quelque sorte non opérationnelle, la limite placée entre scènes de théâtre et scènes satyriques. Mais ne prendre que celles-là comprend une prise de risque : celle de créer, depuis notre rivage moderne, un contexte de réflexivité sur des critères qui nous sont propres.
Comment comprendre les mythes autour de Dionysos sur la vaisselle de banquet ? Telle est la question centrale de la cinquième partie (Geschichten zum Gelage : Dionysische Mythen im Symposionskontext). Choisissant, parmi les mythes, ceux qui permettent une interprétation dans le cadre du banquet, l’auteur aborde successivement le retour d’Héphaïstos, le bébé Dionysos confié aux nymphes de Nysa, Marsyas, Amymone à la fontaine et Prométhée entouré de satyres : ces deux derniers thèmes sont sortis par Heinemann de la catégorie « images renvoyant à un drame satyrique ». Ce n’est pas directement dans la trame de l’histoire qu’il cherche le point d’accroche avec le cadre du banquet et les symposiastes ; tout élément susceptible d’induire du sens dans un processus actif de déchiffrement peut être pris en compte. Le retour d’Héphaïstos, centré selon l’auteur sur le handicap du dieu forgeron, met en scène un Dionysos qui dépasse les résistances matérielles et crée une atmosphère festive de connivence et de confiance par l’effet puissant du vin. Cette ambiance qui sublime les embûches quotidiennes est bien ce que recherchent les symposiastes au banquet. Le bébé Dionysos représente l’image idyllique de la maisonnée qui ronronne. Prométhée, par son usage du feu et du vin, fait allusion à un niveau de vie raffiné, alors que Marsyas renvoie à l’introduction de la musique dans le cadre du banquet.
L’argumentation de l’auteur n’est pas convaincante dans ce chapitre. Quelques questions suffiront à évoquer les problèmes soulevés par sa lecture de ces images narratives. Comment des images qui font tout pour atténuer et qui évacuent le plus souvent le pied malformé d’Héphaïstos peuvent-elles être considérées comme centrées sur le handicap du dieu artisan ? Les symposiastes avaient-ils véritablement au centre de leurs préoccupations en plein banquet la vision idyllique d’une maisonnée centrée sur un bébé, à l’identité masculine, qui plus est, non directement évidente ? Prométhée, en héros civilisateur, est-il suffisamment attesté à cette période pour servir d’expression immédiate de raffinement par le vin et le feu ? En un mot, le souci de l’auteur de trouver une explication sociale à ces récits ne le mène-t-il pas à faire feu de tout bois, pour rester dans la métaphore prométhéenne, et négliger l’analyse de l’image elle-même ?
Les satyres endossant un costume ou un rôle humain sont au centre de la sixième partie (« Neue Sitten lernen » : Dionysische Rollenspiele). Il est plus facile de suivre ici l’auteur dans sa réévaluation des concepts d’« humanisation » ou d’« embourgeoisement » des satyres que la critique moderne a employés jusqu’ici pour rendre compte de ces figures satyriques enrôlées dans la sphère de référence humaine. Heinemann propose de lire ces figures comme des modes d’expression ressortissant au travesti, à la parodie et au persifflage. Lire par exemple le satyre-peltaste qui présente une outre en guise de bouclier et une corne à boire en lieu et place de lance[2] comme un discours sur l’écart de la norme qui structure les pratiques sociales par l’échange significatif des armes semble naturel : au combat de la polis les satyres opposent le combat pour la jouissance, du vin et de l’amour. Est-ce pour autant un persifflage ? Cela ne le devient que si, comme le fait plus loin l’auteur, on inclut ce genre de représentations dans une critique générale de la société et de ses structures, sur le mode de la comédie. Dans ce « jeu de rôle dionysiaque », Heinemann analyse tour à tour les satyres engagés dans la préparation du banquet ou du kômos comme reflets directs au lieu d’utilisation des images, mais aussi les satyres-forgerons, qui seraient des expressions des éléments fondateurs de civilisation que sont le feu et le vin, ou encore les divers cas de figures dans lesquels les satyres remplacent un héros dans un épisode bien connu. Si les interprétations ne convainquent pas toujours, le remplacement du concept de satyre-citoyen, et donc d’un processus de socialisation et de civilisation du satyre, par une lecture parodique des scènes (qui n’est d’ailleurs pas nouvelle) vaut la peine d’être poursuivi et affiné, sans qu’il pour autant nécessaire de l’imposer à toutes les scènes.
La septième partie (Den Festgott feiern: Rituale für Dionysos auf attischer Keramik) accomplit le glissement vers les scènes rituelles que l’auteur va concevoir en deux volets distincts, que séparent la nature des critères déterminants, internes ou externes à l’image : les représentations de rituels sur la vaisselle de banquet tout d’abord, puis, sortant du cadre effectif de sa recherche, les images portées sur les vases destinés à un usage rituel, dans le cadre dionysiaque (notamment les choës). Reprenant en introduction les conclusions, usuelles depuis les travaux de F. Frontisi-Ducroux[3], sur la difficulté qu’il y a à lier les représentations dites « des Lénéennes » à une fête particulière, Heinemann se tourne vers les scènes figurées dans lesquelles les peintres ont résumé sémantiquement un rituel dionysiaque. Passent alors en revue les images que l’on peut rattacher, par la balançoire, à la fête de l’Aiôra, les scènes de hieros gamos du dieu et les possibles théoxénies, pour finir avec les honneurs rendus au dieu du vin. Le filtre mythologique est très souvent présent sur ces scènes rendant plus difficile, pour Dionysos plus que pour tout autre, la détermination d’un rituel en tant que tel. L’examen au cas par cas de la structure et la construction de l’image est nécessaire méthodologiquement pour essayer de déterminer les scènes renvoyant relativement directement à un rituel effectif. L’analyse de ces divers volets permet à l’auteur d’insister sur l’inefficacité de la dénomination des figures, notamment dans les noces de Dionysos : Ariane ? La Basilinna des Anthestéries ? La distinction entre le narratif et le rituel issu de la pratique usuelle ne fait pas sens dans le monde des images.
Des scènes de hieros gamos et de consommation potentiellement ritualisée du vin, l’auteur passe à l’iconographie des choës, par le lien implicite des Anthestéries, sans que pour autant ces vases fassent partie à proprement parler de la vaisselle du banquet, puisque leur usage strictement individuel, inscrit dans l’aition de la fête (Oreste), s’oppose directement à la communauté foncière qui se lie dans et par le banquet. Et c’est bien cette opposition que mettrait en scène la figuration de kômoi sur les choës. Quant aux choës miniatures, la représentation de jouets ou d’animaux liés aux enfants serait le pendant pragmatique des aspirations hédoniques des satyres sur les choës de grand format utilisés dans le rituel. Les enfants, dépeints avec les objets de leurs désirs enfantins, correspondraient aux satyres livrés à la démesure de leurs appétences guidées par le plaisir dans toutes ses déclinaisons. Cette exégèse laisse le lecteur sur sa faim, tant elle ne prend en compte qu’une petite partie de l’iconographie des choës et est surtout basée sur une lecture psychologisante que l’on a peine à voir ancrée dans la dynamique de l’image. Notons que le rapport pragmatique et performatif au banquet et à sa socialité est pratiquement absent de cette partie de l’ouvrage.
C’est en surfant sur cette adéquation construite entre les enfants et le monde de l’instinct, du désir et de la convoitise, que l’on en vient en huitième et dernière (très brève) partie aux enfants-satyres (Dulcis in fundo : Zu Darstellungen von Satyrkindern). Ceux-ci sont, à double titre, l’expression de l’instinct premier qui pousse à la convoitise et au plaisir : en tant qu’enfant et en tant que (jeunes) satyres.
Une conclusion permet de reprendre de manière synthétique la démarche en quatre points principaux et de donner un aperçu diachronique de la matière abordée.
Heinemann révèle dans cet ouvrage monumental sa très bonne connaissance du corpus iconographique attique tout comme de la littérature antique et de la mythologie. On ne peut que louer cette première contextualisation de la matière antique. La grille de lecture qu’il nous propose a le grand avantage d’ancrer de manière pragmatique, mais également conceptuelle et performative, les images dionysiaques dans le cadre du banquet pour lequel les vases pris en compte sont fonctionnellement conçus, du moins de façon primaire. C’est bien cette recherche continuelle de la fonction des images dans leur contexte pratique et social d’utilisation qui forme le fil rouge, le pont entre les diverses parties. C’est également ce fil rouge qui pousse parfois l’auteur à forcer – à notre goût – l’analyse et à imposer aux images une lecture réflexive dans un sens qui ne paraît pas toujours s’imposer ; c’est le cas en particulier des cinquième et septième parties, consacrées respectivement aux images de mythe et aux images rituelles, pour lesquelles plusieurs remarques ont déjà été faites plus haut.
C’est, à n’en pas douter, à l’origine doctorale de l’ouvrage que l’on doit ce souci d’exploration de tous les registres des images dionysiaques sur vaisselle de banquet, quelle que soit leur pertinence directe avec la thèse défendue, celle de leur fonctionnalité réflexive dans le cadre du banquet. Un tri des dossiers aurait peut-être évité ces quelques remarques plus retenues. Mais reconnaissons que, même dans les parties qui convainquent moins directement, le lecteur tire grand profit de la lecture grâce à la foule de remarques ponctuelles qui percutent, renouvellent l’approche et forcent à la réflexion.
Il convient également de souligner, outre les nombreux mérites du contenu, la qualité de la forme et en particulier de la langue. Si l’ouvrage est difficile à manier, par son poids et le malencontreux report des notes en fin d’ouvrage (heureusement en numérotation continue !), la structure de la pensée et de l’analyse sont servies par une expression très riche, une rhétorique florissante qui tiennent le lecteur en éveil de bout en bout par des formules chocs, des descriptions vivantes et enlevées, des néologismes féconds et des jeux de mots toujours porteurs de sens. On ne peut que se féliciter de voir une recherche scientifique de cette ampleur servie par toute la finesse et la maîtrise de la langue maternelle, tournant le dos à la sacro-sainte efficience d’une communication brève et directe dans une langue internationale qui y perd sa sève et contribue à faire perdre la sienne au contenu.
Choisir les images dionysiaques sur la vaisselle de banquet contient déjà en soi une double réflexivité : à celle de la vaisselle figurée utilisée dans et pour le banquet s’ajoute la présence du dieu de la socialité du vin, pour laquelle les vases en question sont faits. La lecture psycho-sociale proposée par l’auteur se laisserait-elle démontrer de la même manière si l’on analysait l’iconographie non dionysiaque de la vaisselle de banquet ? En d’autres termes, l’universalité de la lecture proposée se confirme-t-elle par l’analyse de dossiers similaires mais moins réflexifs ? Comment s’assurer méthodologiquement que la réflexivité que nous lisons dans les images remises dans les contextes que nous pouvons restituer n’est pas une création moderne ? Devrait-on contextualiser plus finement encore et analyser l’iconographie en fonction des supports individualisés : faire la distinction entre les images sur coupe, sur cratère, sur œnochoé, pour suivre notamment l’adaptation des schémas mais aussi des thèmes au gré de la fonction précise et matérielle de l’objet, et de la surface qu’il offre à la représentation ? Que devient cette réflexivité quand les vases de banquet sortent de leur contexte premier pour fonctionner dans un contexte autre, comme par exemple un sanctuaire, une tombe ? On ne peut qu’espérer qu’Alexander Heinemann poursuive sa brillante quête.
[1] B. Özen-Kleine, Das Phänomen der Verjüngerung. Zur Bedeutung der Altersstufen in der Bliderwelt des 6. und 5. Jhs v. Chr. Wiesbaden 2016, notamment p. 135-139. [2] Kothon d’Epiktetos vers 500-490 av. n. è. Paris, Louvre, Ca 4356 (326) ; fig. 242 p. 373. [3] Notamment sa synthèse, F. Frontisi Ducroux, Le Dieu-masque. Une figure du Dionysos d’Athènes, Paris, Rome 1991.
|
||
Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |