AA. VV.: Martinez, J.-L. - Baralis, A. - Mathieux, N. - Stoyanov, T. & Tonkova, M. (dir.) : L’épopée des rois thraces des guerres médiques aux invasions celtes, 479-278 av. J.-C., découvertes en Bulgarie, Catalogue de l’exposition du Louvre 16/04 au 20/07 2015, 400 p., EAN : 9782757209325, 39 €
(Musée du Louvre/Somogy, Paris 2015)
 
Reviewed by Marion Muller-Dufeu, Université Lille 3
 
Number of words : 1106 words
Published online 2016-07-25
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2865
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          Ce riche catalogue accompagnait de façon magistrale l’exposition qui s’est tenue à Paris en 2015, en lui apportant un commentaire organisé suivant divers aspects de la vie des Thraces, qui nous a été révélée surtout par les trouvailles faites dans les nécropoles découvertes et fouillées durant les dernières années. L’introduction décrit utilement en quelques pages la Thrace, dans ses dimensions géographique, démographique et historique, depuis l’arrivée de ce peuple à l’âge du bronze dans le sillage des « invasions » indo-européennes, jusqu’à la période hellénistique.

 

          Le chapitre suivant s’intéresse à la réception des Thraces dans l’imaginaire antique et moderne, à travers des peintures de vase pour l’Antiquité et des enluminures et tableaux pour les périodes plus récentes. Cette réception retient surtout quelques personnages qui dessinent les caractères attribués traditionnellement aux Thraces, la richesse, l’habileté équestre, la musique, mais aussi la sauvagerie : Rhésos, Lycurgue, Diomède, Orphée, Borée ou Térée. Le texte d’introduction évoque alors les réseaux qui se tissent entre les héros thraces et la mythologie athénienne, réseaux qui servent à affirmer l’identité athénienne et sa puissance d’expansion, tout en accompagnant le rapprochement qui s’opère progressivement entre les deux régions, comme le montrent aussi les allusions faites par la littérature.

 

          Le catalogue se tourne ensuite plus précisément vers les Thraces eux-mêmes, et plus spécialement leur composante odryse ; il évoque comment son aristocratie émerge peu à peu, quels sont ses insignes et son armement, grâce à la description des trouvailles faites dans les nécropoles : bijoux, armes, vaisselle de terre cuite et de métal, instrumentum divers et monnaies. Tous ces objets témoignent de la prospérité qui règne dans la région et que s’approprient les nobles. Des textes synthétiques présentent diverses nécropoles avec leurs rites, leur architecture et leur peinture murale, qui séduisent par leur maîtrise, leur originalité et leur richesse.

 

          Les auteurs traitent ensuite de l’organisation et des institutions du royaume : l’introduction explore d’abord la langue et l’écriture thraces, qu’il nous faut débusquer à travers les informations éparses données par les auteurs grecs et latins et les rares vestiges épigraphiques de première main, auxquels s’ajoutent quelques éléments de toponymie ou d’anthroponymie. L’ouvrage présente ensuite l’urbanisation de la Thrace, à travers deux exemples, celui de la capitale Seuthopolis, calquée sur les modèles hellénistiques contemporains, et celui de l’emporion de Pistiros, dont l’organisation est similaire. C’est l’économie, incluant les nombreux échanges avec la Grèce, qui apparaît ici, à travers l’usage de la monnaie et des phiales inscrites, qui témoignent peut-être du versement de taxes, selon le modèle perse.

 

          Le chapitre suivant insiste sur le mode de vie aristocratique des élites thraces : architecture des vivants et des morts, arts de la table et du décor, objets de luxe et influence de la Perse montrent l’insertion de la Thrace dans des courants d’échange tournés aussi bien vers la Grèce que vers l’Asie Mineure. Ces œuvres d’art variées s’inspirent des modes des pays voisins, tout en gardant liberté et originalité dans le traitement des thèmes. On peut alors véritablement parler d’un art thrace, qui combine des influences extérieures à une tradition intérieure.

 

          La sixième section évoque la « Thrace plurielle », où se côtoient plusieurs populations, les Gètes, les Triballes, mais aussi, depuis le VIIe s., les Grecs de la colonisation. Le texte explore alors plusieurs sites indigènes ainsi que les colonies grecques de l’Égée et du Pont, avec leur architecture, leur urbanisme, leurs œuvres d’art et leur instrumentum : là encore, si l’architecture est conforme aux modèles grecs, les productions sont variées, sensibles aux traditions locales et aux influences extérieures qui se mêlent, comme en témoignent par exemple les plaques de sima en terre cuite découvertes à Mésambria ou les plaques de sarcophage en os gravées, qui proviennent de Varna.

 

          Le dernier chapitre est tout entier consacré à la religion : il évoque le panthéon thrace, ou ce qu’on en connaît (d’après les historiens antiques et les rares mentions autochtones), et insiste davantage sur les lieux de culte, assez bien documentés par la recherche sur le terrain : bois sacrés, sanctuaires de hauteur et sanctuaires à fosses, dans lesquels on peut trouver des animaux (chiens en particulier) ou des humains déposés dans des positions insolites, suggérant l’existence de sacrifices particuliers. Une carte met en lumière la densité de ces lieux de culte répartis sur tout le territoire. La mythologie thrace, parfois inspirée par celle de ses voisins grecs, est évoquée à travers les objets décorés de scènes plus ou moins explicites.

 

          Enfin une série d’annexes complète les chapitres précédents : « les apports de la thracologie » retrace l’apparition et l’évolution de cette discipline depuis le XIXe s. ; les auteurs présentent ensuite une revue rapide des expositions sur les Thraces à Paris ; les principaux sites archéologiques de la Thrace sont détaillés en courtes notices et une chronologie générale de la région vient préciser sa place dans l’histoire générale de l’Antiquité ; pour terminer, on trouvera un glossaire, une bibliographie très complète et un index, qui aideront à s’y retrouver dans ce livre foisonnant.

 

          L’utilité de ce livre saute aux yeux : par sa fonction de catalogue, il met à la disposition du public les objets trouvés dans la région et il apporte les éclaircissements nécessaires à leur sujet, identification pour ceux qui ne seraient pas reconnaissables immédiatement, contexte, usage, chronologie, etc. dans des notices précises. Au-delà, les textes de synthèse, clairs et complets, apportent de nombreuses informations sur un domaine encore mal connu. En effet, si les travaux sont nombreux dans la région, ils sont le plus souvent menés par la Bulgarie, et publiés dans des ouvrages qui ne sont pas toujours très accessibles. Les illustrations, nombreuses et de qualité, permettent d’imaginer concrètement la prospérité de la région et de ses élites, même si on peut penser que l’ensemble de la population n’y avait pas le même accès : il s’agit bien d’une exposition sur les élites thraces plus que sur la Thrace en général. La réalisation du livre répond ainsi à l’ambition exprimée par le titre et suscite l’envie de se plonger plus avant dans la découverte de cette région si attirante.

 

 

SOMMAIRE

 

INTRODUCTION : La Thrace Historique, Petar Delev, 22
La Thrace antique (présentation géographique, historique et archéologique jusqu’à la fin du Premier Age du Fer)

SECTION I: La Thrace dans l’imaginaire antique et moderne, Jean-Luc Martinez et Néguine Mathieux, 26

SECTION II : L’aristocratie odryse, Sozia H. Archibald, 52

SECTION III: Les contours d’un pouvoir/ L’organisation du royaume odryse, Lydia Domaradzka, 152

SECTION IV : Le mode de vie aristocratique et ses références, Alexandre Baralis, Jean-Luc Martinez et Néguine Mathieux, 204

SECTION V : La Thrace : un espace pluriel, 252

SECTION VI : La vie religieuse, Kostadin Rabadjiev, 332

ANNEXE

L'apport de la thracologie, Valeria Fol, 360

Les Thraces à Paris, Sofia Roumentcheva, 362

Les principaux sites archéologiques en Thrace, 364

Chronologie nord-balkanique, 378

Généalogie, 379

Glossaire, 380

Bibliographie, 382

Index, 397

Bibliographie