Pochmarski, Erwin - Weber-Hiden, Ingrid: Die Grabstelen und Grabaltäre des Stadtgebietes von Flavia Solva (Corpus Signorum Imperii Romani, IV/3), 156 S., 61 SW- Tafeln, 29,7x21 cm, ISBN13: 978-3-7001-7902-3, 95 €
(Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, Wien 2016)
 
Compte rendu par Nicolas Laubry, École française de Rome
 
Nombre de mots : 1941 mots
Publié en ligne le 2021-02-23
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2877
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          Située à l’est de la province du Norique, dans le voisinage de la frontière avec la Pannonie supérieure, dans la région actuelle de la Styrie (Steiermark) en Autriche, la cité de Flauia Solua fut élevée à l’époque flavienne au rang de municipe de droit latin. Son chef-lieu, dans le voisinage de l’actuelle Leibnitz, était édifié sur les bords de la Mur. Sans avoir eu l’importance des cités voisines comme SauariaPoetouioCeleia ou Virunum, elle connut au IIe siècle de notre ère un véritable essor, dû notamment à sa position dans le réseau régional de circulations et d’échanges. Cet essor, auquel les incursions des Marcomans en 170 portèrent un coup sérieux, que l’on entrevoit par les traces archéologiques de destruction, est perceptible notamment grâce à la belle collection lapidaire et épigraphique parvenue jusqu’à nous. 

 

         Ce fascicule autrichien du Corpus signorum imperii Romani, préparé par l’un des grands spécialistes de la sculpture du Norique, Erwin Pochmarski, et par une experte de l’épigraphie du Norique et de la Pannonie, Ingrid Weber-Hiden, est ainsi le troisième pour la cité de Flauia Solua. Il fait suite à un premier, publié en 2008 par Erich Hudeczek, portant sur la sculpture en ronde bosse, et à un deuxième, confié à la direction du même E. Pochmarski, sur les médaillons et niches à portraits, caractéristiques de la production funéraire locale. 

 

         Le présent fascicule est consacré aux stèles et aux autels funéraires. Il regroupe 94 monuments provenant du chef-lieu et du territoire de la cité, dont les limites exactes demeurent discutées, notamment au nord, à l’est et au sud – mais, dans ce dernier cas, le cadre des pays modernes conventionnellement choisi pour le CSIR simplifie la tâche de la délimitation. L’introduction s’ouvre par conséquent sur une brève mise au point des choix qui ont été faits pour l’extension du territoire, en apportant quelques compléments par rapport aux positions de E. Hudeczek dans le fascicule 1 (cf. aussi ANRW, II, 6, 1977, p. 418-420). La synthèse introductive se poursuit par une présentation systématique de l’ensemble des monuments réunis : matériau, typologie, iconographie et épigraphie. 

 

         Dans la quasi-totalité des cas, le contexte originel de ces monuments reste inconnu ; seules quelques stèles pourraient être mises en relation avec des tertres funéraires, qui sont une forme fréquente de sépulture dans la région. Des analyses archéométriques, menées cependant sur un nombre restreint d’exemplaires, ont permis d’en préciser le matériau, qui s’avère assez fréquemment être un marbre régional. Même si les indices exacts de datation sont rares, le recours à des éléments ponctuels, de nature épigraphique (onomastique, formulaire) ou iconographique (port de la barbe chez les hommes ; costume féminin, la « toga contabulata »), permet d’assigner la grande majorité de ces monuments à une période comprise entre la fin du Ier siècle et le début du IIIe siècle de notre ère. 

 

         Le catalogue comprend en premier lieu 65 stèles, distribuées en trois catégories : des stèles à médaillon – apparentées aux « monuments à médaillon » portant les effigies des défunts –, peu nombreuses (3) ; des stèles avec un portrait des destinataires, en buste ou à mi-corps (20) ; des stèles privées de représentation du défunt, pour certaines très fragmentaires. L’ordonnancement typologique s’appuie sur les travaux antérieurs de E. Schober (Die römische Grabsteine von Noricum und Pannonien, Graz, 1923) et de H. Pflug (Römische Porträtstelen in Oberitalien, Mainz, 1989), ce dernier ouvrage ayant été choisi non seulement comme point de référence mais aussi parce que les modèles de ces monuments sont souvent à chercher en Italie septentrionale. 

 

         Les autels moins nombreux (29) : trois types sont distingués à partir de la caractérisation du corps du monument, puisque la base et le couronnement ont presque systématiquement disparu, ce qui rend peu opératoires les classifications élaborées pour d’autres régions, notamment pour Rome et l’Italie. À côté de quelques rares exemplaires présentant la particularité d’une partition horizontale de leur face antérieure en deux registres (champ épigraphique/espace iconographique) et de quelques autres pour lesquels le champ épigraphique est encadré par un rinceau, le type le plus représenté est celui présentant un simple cadre mouluré autour du champ épigraphique, avec des faces latérales ornées de reliefs sculptés (17 monuments). Enfin, trois couronnements viennent clore le catalogue. 

 

         Suivant les normes de la collection, stèles et autels sont systématiquement reproduits dans les 61 planches en fin de volume. On regrettera toutefois que certains clichés ne soient pas d’une qualité irréprochable, tout en signalant que tous les monuments sont recensés et consultables dans la base de données iconographique Vbi erat Lupa (lupa.at).

 

         L’un des intérêts de cette documentation est la possibilité de mener une étude croisée des formes monumentales et du statut de leurs commanditaires, grâce aux indications épigraphiques qui voient se côtoyer des citoyens romains et des pérégrins, des affranchis et quelques militaires ou magistrats municipaux. Les auteurs distinguent ainsi au sein de la cité trois ensembles territoriaux caractérisés par une corrélation entre le profil social, voire culturel, des destinataires d’une part et les types de pierres tombales d’autre part : les autels funéraires sont ainsi presque exclusivement attestés dans le chef-lieu de cité (ils proviennent en grand nombre d’un remploi dans une tour du Schloss Seggau), où sont représentés tous les types de populations : citoyens romains, pérégrins et affranchis (locaux ou, peut-être, de familles d’origine italienne). Les stèles funéraires semblent avoir été plus en usage dans la Styrie orientale, où les commanditaires furent des propriétaires terriens d’origine locale, citoyens romains ou pérégrins ; quant à la partie occidentale de la cité, les témoignages sont plus rares mais on possède des vestiges de tombeaux monumentaux (non étudiés dans le volume) et les pérégrins y sont peu attestés. 

 

         Sans reprendre l’intégralité des observations formulées dans l’introduction et au fil du commentaire du catalogue, il vaut la peine de signaler quelques spécificités de ce corpus, principalement sur le plan iconographique et épigraphique. Comme souvent dans l’art funéraire provincial, on observe, pour le choix des représentations, des tendances locales associées à des stéréotypes qui ont connu une ample diffusion dans l’ensemble de l’Empire. S’il n’est pas rare que les hommes soient figurés en toge, les femmes sont vêtues du costume local, notamment de la coiffe typique du Norique. La fidélité et la concorde conjugale sont signifiées par la dextrarum iunctio (4 cas) ou par le geste du mari posant sa main sur l’épaule de sa conjointe (7 cas), accentuant ainsi l’importance donnée aux valeurs familiales, qui trouve un écho dans les schémas de commémoration exprimés par le texte des épitaphes. Dans un cas seulement (n° 17, stèle de Nammonius Mussa, un probable orfèvre) le défunt est figuré avec des attributs professionnels. Il faut aussi mentionner quelques particularités dans les représentations iconographiques secondaires : ainsi, la présence d’une amazonomachie en modèle réduit – peu banale sur des stèles – pour la pierre tombale de Calameius Sabinus (n° 68). Frappant est également le recours au motif de la louve allaitant les jumeaux, qui est figurée dans le fronton ou le registre inférieur de trois stèles (n° 27, 49 et 51). L’interprétation donnée à ce motif est fluctuante dans le volume : origine romaine du commanditaire (mais celui de la stèle n° 49 est un pérégrin) ou « désir d’être romain ». Les auteurs auraient sans doute gagné à consulter les travaux de A. Dardenay, qui lui a consacré plusieurs pages (A. Dardenay, Les mythes fondateurs de Rome. Images et politique dans l’Occident romain, Paris, 2010 ; A. Dardenay, Images de fondateurs, d’Énée à Romulus, Bordeaux, 2012) : elle y voit le symbole d’un attachement générique à Rome, qui ferait sens à une époque où la promotion au rang municipal a pu générer, à Flauia Solua et plus largement dans la région, une dynamique d’adhésion à l’ordre romain et à ses symboles. L’aigle sculpté dans le fronton d’une quinzaine de stèles, qui renvoie lui aussi à une iconographie publique officielle du pouvoir incorporée au registre funéraire, pourrait s’inscrire dans cette même lecture. Un autre motif, commun dans l’art funéraire régional et récurrent sur la face latérale des autels, est la représentation, généralement appariée, d’un personnage pourvu d’instruments d’écriture que sa tunique paraît désigner comme subordonné et d’une femme en costume local munie d’un miroir. La valence de ces images ne fut peut-être pas constante : si la figure féminine renvoie au mundus muliebris, l’effigie du personnage parfois qualifié de librarius est moins univoque. On a pu l’attribuer à la possession de la ciuitas ou encore à l’ostentation d’une culture lettrée. Il est cependant plausible que, dans un certain nombre de cas, ce fut un marqueur de statut, désignant le destinataire comme possédant une capacité à ordonner et gérer des affaires, faisant de lui en quelque sorte un entrepreneur – que ce statut soit signifié par un subordonné figuré dans l’acte d’écrire demeure remarquable. 

 

         Bien que ce volume ne soit pas un corpus épigraphique et qu’il ne comporte pas d’inscription inédite, nombreuses sont les épitaphes qui présentent un véritable intérêt, tenant notamment à l’onomastique. Celle-ci possède les caractéristiques des usages d’une communauté latine. On y rencontre quelques hapax d’origine locale (n° 33 :Autoscutta ; n° 46 : Gaixu ; n° 51 : peut-être Lappus, même si ce n’est pas l’interprétation privilégiée par les auteurs). On relèvera aussi le choix du nom de Scipio, rarissime hors du contexte sénatorial, qui plus est pour le fils d’un affranchi et qui avait probablement conservé son statut servile (n° 87). L’usage des gentilices de formation patronymique, formé sur une racine celtique ou locale, est fréquent ; d’autres gentilices (AnniusCantiusCarminius,CuriatiusHostilius, etc.) laissent percevoir des liens établis avec l’Italie du Nord, même si l’on décèle dans le commentaire une tendance à rattacher un peu automatiquement les porteurs de ces gentilices à des affranchis ou des descendants d’affranchis de gentes provenant de ces régions. La prudence s’imposerait parfois dans les conclusions tirées en ce sens à partir de la seule dénomination, d’autant qu’un anthroponyme n’est pas forcément révélateur, dans ce cas, d’une origine géographique ou d’un horizon culturel. De manière générale, les inscriptions sont soigneusement transcrites (lire toutefois au n° 22 p[erpetuaes[ecuritatiet non s[ecuritatae] ; au n° 33 Tertulliano [annorum] II s[emis] et non s[eminis] II). Le commentaire qui en est donné est le plus souvent efficace et pertinent, mais à l’occasion laconique ou émaillé d’inexactitudes : ainsi, sur la stèle n° 66, dédiée par une Catulla à son auunculusQ. Carminius Latinus et à son fraterCarminius Cupitusoptio de la I Mineruia, les liens familiaux et l’onomastique auraient mérité quelques observations. Pour l’autel de M. Turbonius et Turbonia Seruanda (n° 79), l’absence de cognomen masculin est remarquée et les auteurs refusent pourtant une datation haute (disons julio-claudienne) au monument sur ce seul critère, sans doute à raison : mais doit-on considérer que cette omission résulte d’une « méconnaissance des usages romains » ? Sur l’autel de [- - -] M. f. Fidelis et de son épouse Turbonia Nigrina (n° 89), on lit de manière surprenante que le destinataire pourrait avoir une ascendance affranchie en raison de la fréquence du nom Fidelis en milieu servile, alors que la filiation ingénue est explicite. Je ne suis pas certain, en outre, que le syntagme « städtischer Funktionär » soit approprié pour désigner deux édiles du municipe (n° 80 et 82) et, pour les gentilices de formation patronymique, il est préférable d’éviter l’expression trompeuse de « pseudo-gentilice » (n° 86, à propos de Secundinia). Enfin, on peut s’interroger sur les raisons qui ont conduit à inclure dans le corpus, sous le n° 58, un monument très fragmentaire dont le texte, du moins tel qu’il est restitué par les auteurs, le placerait dans la catégorie des monuments votifs (cf. E. Weber, Die römerzeitlichen Inschriften der Steiermark, Graz, 1969, n° 425 et lupa.at/8501, qui ne proposent pas de restitutions) : à l’extrême rigueur, les hypothèses de reconstitutions des lacunes auraient pu figurer en commentaire et non dans le texte. Signalons que le volume est pourvu d’un index onomastique mais pas de concordances. 

 

         Tant par la synthèse introductive que par la description et le commentaire des monuments étudiés, ce volume fait donc honneur à la collection dans laquelle il prend place, et qui demeure un instrument de travail fondamental.