AA.VV.: Amic, Sylvain - Bakhuÿs, Diederik - Cathelineau, Anne-Charlotte. Scènes de la vie impressionniste - Manet, Renoir, Monet, Morisot..., 304 p., 189 ill., 25,4 × 29,9 × 2,5 cm, EAN : 9782711863136, 35 €
(Les éditions Rmn-Grand Palais, Paris 2016)
 
Recensione di Brice Ameille, Université Paris-Sorbonne
 
Numero di parole: 1558 parole
Pubblicato on line il 2017-01-31
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2879
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          Initié en 2010 par Laurent Fabius, le festival « Normandie impressionniste » en est aujourd’hui à sa troisième édition. Sa dernière exposition, Scènes de la vie impressionniste, s’est tenue du 16 avril au 26 septembre 2016 au musée des Beaux-Arts de Rouen, comme les précédentes manifestations (Une ville pour l’impressionnisme en 2010, Éblouissants reflets en 2013) qui avaient rencontré un grand succès populaire.

 

         Souhaitant renouveler l’approche d’une peinture si souvent célébrée, Sylvain Amic, directeur du musée de Rouen, a décidé d’explorer cette fois des aspects moins connus ou moins immédiatement associés au mouvement impressionniste en retenant la thématique du portrait. Une centaine de tableaux a été réunie pour l’occasion, dont de très nombreux prêts provenant d’institutions prestigieuses. Des sculptures, des dessins, des photographies et des lettres complétaient ce panorama.

 

         Le catalogue ne comprend qu’un seul essai, écrit par Sylvain Amic et Ségolène Le Men : « Le portrait impressionniste, un genre personnel » (p. 22-45). Les sections de l’exposition sont présentées par de courts textes rédigés par divers contributeurs (Anne-Charlotte Cathelineau, Diederik Bakhuÿs, Pauline Madinier-Duée, Sylvie Patry, Frédéric Bigo, Cédric Pannevel et Florence Hudowicz).

 

         Dans leur essai, Sylvain Amic et Ségolène Le Men refusent de voir le portrait impressionniste comme le dernier avatar moribond d’un genre en voie d’extinction (car concurrencé par la photographie) : la lecture qui associe dissolution du portrait et crise de l’individu manque en effet l’enjeu du portrait dans l’impressionnisme, puisque ses membres se sont moins souciés de l’individu que de la personne, et qu’ils ont cherché, par leur pratique et leurs échanges à affirmer une identité « interpersonnelle » et « dialogale » (p. 23).

 

         Le portrait est alors partout, que ce soit en peinture (l’avènement de la bourgeoisie contribue à son essor) ou en photographie (avec la photo-carte de visite, notamment). La conception contemporaine de l’histoire ne fait qu’accentuer cette présence : les « grands hommes » se doivent d’avoir leur effigie. Un exemple qui résume bien cette fascination pour le portrait est donné avec l’immense toile de Jules-Alexandre Grün, Un vendredi au Salon des artistes français (1911, cat. 1) : les quatre-vingt-treize personnages représentés sont tous identifiés, dans une démarche qui était celle des visiteurs un demi-siècle plus tôt, puisque, au Salon de 1867, un certain Hippolyte Babou regrettait ironiquement de ne pas avoir réussi à distinguer, dans La Musique aux Tuileries de Manet, la « tache-Zola ».

 

         Confrontés à cette « efflorescence d’un genre dont ils contestent la “fabrique” » (p. 25), les impressionnistes se démarquent d’emblée : leurs premiers essais sont des caricatures ou des tableaux qui résistent aux catégorisations génériques. Ainsi de Monet, dont les portraits-charges font les bonnes heures de l’encadreur Gravier au Havre, et dont la première toile qu’il expose, Méditation (1864, cat. 28), est un portrait, sans en être un, de sa femme Camille. De même, Renoir envoie au Salon de 1869 un portrait de sa maîtresse Lise Tréhot sous le titre L’Été ; étude (Berlin, Nationalgalerie).

 

         Plus généralement, la pratique des « petits portraits entre amis » est décisive dans la « constitution du “nous” des impressionnistes » (p. 34), le groupe assurant ainsi sa cohésion. Manet peint Berthe Morisot, Renoir peint Monet, ou la femme et le fils de celui-ci… Les scènes de la vie familiale, les portraits privés des épouses ou des enfants se multiplient (en particulier lorsqu’ils sont situés à la campagne) et, les possibilités picturales précédant celles de la photographie qui ne sait pas encore rendre compte de l’instantané, procurent de la sorte un « album de famille » avant l’heure. Les auteurs rappellent d’ailleurs que c’est souvent un portrait de famille qui procure un début de reconnaissance aux impressionnistes : c’est le cas pour Bazille, qui est accepté au Salon en 1868 avec La Réunion de famille (musée d’Orsay), ou pour Renoir, qui remporte un succès avec Madame Charpentier et ses enfants (Metropolitan Museum, 1879). On est moins convaincu toutefois lorsqu’ils affirment que les impressionnistes seraient les premiers à vraiment laisser deviner les relations entre les différents membres d’une famille représentée, car si l’exemple donné, La Famille Bellelli de Degas (musée d’Orsay), est probant, y en a-t-il beaucoup d’autres ?

 

         La singularité impressionniste réside encore dans les nombreux portraits d’écrivains (Zola ou Mallarmé par Manet), de critiques (Gustave Geffroy par Cézanne, ou Diego Martelli par Federico Zandomeneghi, cat. 24), ou encore de collectionneurs (Victor Chocquet par Cézanne, cat. 21) ou de marchands (Ambroise Vollard par Renoir, cat. 25). Cette pratique s’insère dans le nouveau « système marchand-critique » (C. et H. White), où les peintres sont souvent redevables des articles que l’on écrit sur eux, et dépendent de leur bonne représentation en galerie. Tous ces portraits croisés, qui dessinent le visage d’une communauté artistique, participent donc d’une stratégie visant à faire émerger la « nouvelle peinture ». En ce sens, Un atelier aux Batignolles (1870, musée d’Orsay) de Fantin-Latour apparaît comme un véritable manifeste pictural – le premier du genre.

 

         Le reste du catalogue, nous l’avons dit, est constitué d’introductions aux grandes sections de l’exposition. Pour être brefs, ces textes n’en délivrent pas moins des informations utiles.

 

         Après une première partie, « Identités artistiques », consacrée pour l’essentiel aux autoportraits et aux portraits d’artistes, une deuxième section, « Muses et modèles », insiste sur la place prépondérante occupée par la femme dans l’impressionnisme. Très représentée et – ce qui est plus remarquable – clairement identifiable, la femme peinte peut être l’épouse, la maîtresse, l’amie, ou encore la fille. Si les modèles professionnels posent aussi (Victorine Meurent pour Manet, Ellen Andrée pour Degas, Nini Lopez pour Renoir), cette pratique reste rare en comparaison de ce qui se fait à l’époque dans la peinture de figure. La possibilité d’identifier les personnages représentés a conduit plusieurs spécialistes à retracer les parcours de chacun (ce catalogue s’en fait largement l’écho), ce qui est assez paradoxal étant donné que les impressionnistes se sont toujours efforcés d’échapper à l’anecdote : « il ne faut donc pas se méprendre sur la nature du réalisme associé à l’impressionnisme » (p. 100).

 

         L’enfant aussi fascine les « nouveaux peintres », qui voient s’incarner en lui le changement et la spontanéité qui les préoccupent tant. Son portrait intègre malgré tout certains codes de l’époque, tels ceux véhiculés par les poupées, ou peut faire référence à des précédents illustres (Jean Monet sur son cheval mécanique, cat. 44, emprunte ainsi au Prince Balthasar Carlos de Velázquez). Le « naturel » recherché par les peintres, et auquel ils nous font croire, est donc souvent le fruit d’un travail réfléchi, parfois réalisé en plusieurs séances, avec des dessins préparatoires et une reprise en atelier (Félix Pissarro, cat. 50, ou Jean Renoir, cat. 53). L’adolescence les intéresse également, d’autant qu’ils sont contemporains de sa « découverte » : passant, pour reprendre les termes d’Agnès Thiercé (p. 149), d’un « âge de classe », lorsqu’elle était encore perçue comme une catégorie masculine et bourgeoise, à une « classe d’âge » distincte et universelle, elle est désormais perçue comme un moment charnière. Là encore, les portraits évoquent plus d’une fois la peinture ancienne, telle celle du Siècle d’or néerlandais ou du XVIIIe siècle français.

 

         Les sections qui suivent – « Intimités », « Lettres et liseuses », « En société » – ouvrent grand la définition du portrait, puisqu’elles se concentrent moins sur l’individu qu’elles ne le montrent dans son environnement : dans son appartement, au café ou au théâtre. Le titre de l’exposition, Scènes de la vie impressionniste, prend alors tout son sens. Mais, de manière plus surprenante, c’est aussi la définition de l’impressionnisme qui est élargie : le Nabi Édouard Vuillard est ainsi largement représenté (pas moins de sept œuvres).

 

         L’exposition s’achève avec plusieurs sculptures, certaines attendues – comme les femmes à leur toilette de Degas –, d’autres plus méconnues – comme ces bustes que Paul Paulin réalise dans les années 1900 pour rendre hommage aux figures de l’impressionnisme  (cat. 101 à 105).

 

         Précisons enfin qu’entre l’essai et les textes de présentation se trouvent reproduites et retranscrites plusieurs lettres (également montrées lors de l’exposition) de Manet, Berthe Morisot, Caillebotte, Degas, Monet, etc., qui rappellent opportunément les liens étroits et sincères qui unissaient cette avant-garde picturale.

 

         En définitive, à travers un biais a priori assez restreint – le portrait –, les commissaires ont réussi à brosser un riche panorama de l’impressionnisme. Ce catalogue ne bouleverse certes pas notre appréhension du mouvement, et il faut reconnaître que le propos laisse parfois sur sa faim (on aurait par exemple bien aimé que le rapport à la peinture ancienne soit davantage approfondi), mais il restitue bien l’insigne mérite de l’exposition qui était d’offrir à notre regard des œuvres magnifiques et parfois méconnues, même d’un public connaisseur. Reste à savoir si une nouvelle exposition sera encore possible dans trois ans dans le cadre du festival « Normandie impressionniste », ou plutôt – car la possibilité d’attirer le public avec un tel sujet ne fait guère de doute – si cette nouvelle exposition sera en mesure d’apporter de véritables avancées sur cet art tant apprécié.

 

 

 

Sommaire

 

- Ségolène Le Men et Sylvain Amic, « Le portrait impressionniste, un genre personnel », p. 22-45

- Sélection de photographies et de lettres, p. 48-73

- Anne-Charlotte Cathelineau, « Identités artistiques », p. 75-76

- Diederik Bakhuÿs, « Muses et modèles », p. 99-100

- Pauline Madinier-Duée, « Enfance », p. 127-128

- Sylvie Patry, « Jeune et Julie », p. 149-150

- Frédéric Bigo, « Intimités », p. 167-168

- Cédric Pannevel, « Lettres et liseuses », p. 185-186

- Florence Hudowicz, « En société », p. 195-196

- Anne-Charlotte Cathelineau, « Les impressionnistes et la sculpture », p.

211-212

- Bibliographie, p. 225-233

- Index, p. 234-237