Faÿ-Hallé, Antoinette: Comment reconnaître une porcelaine de Saxe, 15x18,5 cm, 64 pages, 57 ill. en couleurs, 15 euros, ISBN 9782711854301
(Réunion des musées nationaux, Paris 2008)
 
Compte rendu par Fabrice Rubiella, École du Louvre, Paris.
 
Nombre de mots : 1348 mots
Publié en ligne le 2008-09-19
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=289
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Les Éditions de la Réunion des musées nationaux publient, depuis 2006, la collection « Comment reconnaître », dédiée aux grandes productions de porcelaine et de faïence. Le volume Comment reconnaître une porcelaine de Saxe du XVIIIe siècle, écrit par Antoinette Faÿ-Hallé, est consacré à la manufacture de Meissen, fondée vers 1710. Cet établissement a changé « le cours de l’histoire de la céramique en Europe » (p. 16) en découvrant la recette de la porcelaine dure extrême-orientale, à une époque où la Chine était l’unique détentrice de l’arcane de cette matière blanche et translucide.

 

Le sommaire reflète un parti original et différent de celui des autres volumes de la collection. Au lieu d’aborder brièvement l’histoire de la production puis de se consacrer aux grandes caractéristiques – matière, formes et décors – dans des chapitres distincts, l’auteur privilégie une approche purement chronologique. Ce choix est pleinement justifié par l’histoire de Meissen : chaque période est aisément identifiable, caractérisée par la mise au point d’un élément « formel », caractéristique de la production. De 1710 à 1719, Johann Friedrich Böttger met au point la matière porcelaine ; de 1720 à 1731, Johann Gregorius Höroldt se consacre à la mise au point de la palette de petit feu ; de 1730 à 1756, le sculpteur Johann Joachim Kaendler renouvelle les formes des objets. Matière, décor et forme, caractéristiques de la porcelaine de Meissen, apparaissent donc successivement et font chacun l’objet d’un chapitre.

 

Le premier chapitre est consacré aux débuts de la production de porcelaine en Saxe. C’est à Johann Friedrich Böttger que l’on doit la découverte de l’arcane de la porcelaine dure, dans la première décennie du XVIIIe siècle. Ce soi-disant alchimiste (p. 7), emprisonné par l’électeur de Saxe et roi de Pologne Auguste le Fort, qui était désireux de mettre la main sur son précieux talent de « faiseur d’or » (p. 8), est à l’origine de la manufacture de porcelaine de Meissen, créée en 1710, dans la forteresse même où il est alors détenu. Ce jeune établissement, voué à une grande célébrité, a besoin d’une assise financière solide. C’est pourquoi de la « porcelaine rouge » (p. 8) – c’est-à-dire du grès – côtoie  la production de porcelaine dure. Étant une technique maîtrisée en Allemagne dès le XVe siècle, sa production, à Meissen, est aisée et les bénéfices économiques sont réels. Les objets sont moulés d’après des formes chinoises ou allemandes et frappent par l’originalité des traitements de surface – polissage, facettes, zones mates, pastillage, glaçure noire à décor de laque. Pour la « porcelaine blanche » (p. 13), c’est-à-dire la véritable porcelaine dure, la composition de la pâte kaolinique est similaire à celle fabriquée en Chine. Selon A. Faÿ-Hallé, la cuisson à 1400°C, nécessaire pour la vitrification du matériau, a sans doute été rendue possible grâce à l’aide de métallurgistes (p. 13). Tout comme les grès, les formes des premières porcelaines de Meissen puisent dans un vocabulaire extrême-oriental ou allemand.

 

Dès le deuxième chapitre, l’auteur précise les éléments caractéristiques d’une évolution qui ne touche pas la matière même de la porcelaine, ni la forme des objets, mais qui porte sur le décor peint. C’est à Johann Grogorius Höroldt que l’on doit l’invention du principe de peinture de petit feu : les couleurs sont appliquées après une première cuisson de la pâte et cuites lors d’un second passage au four. Le fondant universel permet de ramollir la couverte à des températures assez basses ; les couleurs peuvent alors s’y fixer et ce quelle que soit la température de cuisson des oxydes métalliques qui les composent (de 700 à 1400°C) (p. 17). Le décor de petit feu est ensuite adopté dans les autres manufactures : la première à s’y essayer en France est la manufacture de Strasbourg à la fin des années 1740. Cette invention permet à la manufacture de Meissen de mettre au point des fonds colorés variés. Stylistiquement, les couleurs de petit feu se prêtent également à des décors nouveaux fortement marqués par l’Extrême-Orient, sans doute sous l’influence des collections voisines de porcelaines chinoises et japonaises d’Auguste le Fort.. Ainsi apparaissent, sous le pinceau des peintres œuvrant sous l’autorité de Höroldt,  les chinoiseries (p. 21-27) ou bien les décors d’inspiration japonaise (p. 27-29), puisant dans le répertoire des pièces « Imari » ou de celles de la famille Kakiemon. La peinture de petit feu se prête surtout à des motifs typiquement européens. Ainsi les peintres développent un langage décoratif où se côtoient entre autres, scènes galantes, paysages, marines et motifs floraux. D’ailleurs, ces derniers connaissent une évolution (p. 36-38) qui les mène des compositions imaginaires (« fleurs des Indes ») à des motifs plus proches de la nature, inspirés des gravures des ouvrages de botaniques (« fleurs séchées de gravure de bois », « fleurs allemandes » et « fleurs maniéristes »). A. Faÿ-Hallé ne manque pas de rappeler que ces motifs floraux ont alors une influence considérable sur les productions de céramiques européennes, faïences et porcelaines confondues : à Vincennes l’imitation de Meissen, voulue par le Conseil du Roi (p. 38), se fit par la peinture de fleurs.

 

Après le développement des décors peints d’Höroldt, le troisième chapitre narre le succès d’un jeune sculpteur, Johann Joachim Kaendler, qui a développé les formes et la statuaire de porcelaine, à partir des années 1730. Ayant fait ses preuves pour le projet de décor sculptural animalier en porcelaine du Palais Japonais d’Auguste le Fort, il est recruté par la manufacture de Meissen. Kaendler crée divers modèles de sculptures et statuettes. Les animaux sont fréquents, mais les statuettes restent à jamais attachées à son nom. Tantôt elles représentent l’aristocratie du XVIIIe siècle sur le mode de la scène galante (p. 44-45) ou des saints, tantôt elles illustrent le répertoire de la commedia dell’arte (p. 46) ou reprennent et adaptent des représentations exotiques (p. 48) – Turcs, Chinois. Il renouvelle également la production des grands services avec le « service aux Cygnes » (p. 53), commandé par le comte von Brühl, dont le décor n’est plus peint mais en véritable bas-relief. Les pièces de forme sont désormais ornées d’éléments plastiques – de véritables statuettes – noyés dans des lignes sinueuses extravagantes. L’ornementation des porcelaines de Saxe côtoie ainsi le langage formel de la sculpture.

 

Le quatrième et dernier chapitre est consacré à la période 1763 à 1814, qui ne voit plus advenir d’innovations majeures ; le chapitre sert en quelque sorte de conclusion à l’ouvrage. A. Faÿ-Hallé y explique que la production souffre jusqu’en 1770 de la concurrence de la manufacture française de Vincennes-Sèvres. À partir de cette date, sous la direction de Camille Marcolini, l’imitation des productions de Sèvres s’affirme, aussi bien pour les services (p. 59-61) que pour les statuettes en biscuit de porcelaine, adoptées en même temps que le goût néoclassique (p. 62). La prédominance de la manufacture de Meissen s’épuise en cette fin du XVIIIe siècle, bien que sa production continue encore jusqu’à nos jours.

 

Tout comme les autres volumes de la collection, ce petit ouvrage synthétique est clair et facile d’accès. Le choix des illustrations – nombreuses et en couleurs – permet au lecteur de se familiariser avec la production de porcelaine de Saxe. Notons également que leur majorité reproduit des objets du musée national de Céramique de Sèvres, permettant ainsi de faire découvrir – ou redécouvrir – les richesses de cette collection publique française. Les légendes précisent à chaque fois la forme de la marque de la manufacture. Les six dernières photographies illustrent six marques peintes, permettant d’en retracer l’évolution – certes lente – tout au long du XVIIIe siècle. Les dimensions sont également précisées, bien qu’elles soient le plus souvent incomplètes, car ne sont mentionnés que le diamètre ou la hauteur. Cette documentation est un outil de base nécessaire pour l’amateur, le conservateur ou l’antiquaire, une qualité que l’on retrouve assez rarement dans ce type de petit ouvrage synthétique : nous ne pouvons ainsi qu’en féliciter l’auteur et l’éditeur de cet ouvrage.

 

Au regard des autres volumes de la collection, Comment reconnaître une porcelaine de Saxe fait preuve d’originalités, que nous avons citées plus haut. Il nous livre une bonne synthèse de l’histoire de la manufacture de Meissen – qui n’oublie pas de mettre en valeur les aspects formels essentiels – mais n’est pas un guide pour l’identification d’une production de porcelaine.