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Compte rendu par Mathilde Carrive, Université de Poitiers Nombre de mots : 1212 mots Publié en ligne le 2018-11-30 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2894 Lien pour commander ce livre
Comme l’indique son titre, ce petit livre est conçu comme un manuel à destination des archéologues de terrain. Il s’agit à la fois de proposer une méthode d’analyse simple, applicable sur tout chantier de fouilles, afin de réaliser de premières observations sur la composition des mortiers, et de donner aux archéologues les moyens de choisir, en fonction de leur problématique et des vestiges mis au jour, les analyses physico-chimiques adéquates.
Ces analyses sont donc présentées comme un outil au service de l’archéologie, dont les apports viennent contribuer à l’écriture de l’histoire des civilisations anciennes. Cette hiérarchisation des objectifs, utilement rappelée dans la préface de Vincent Rondot, place ce livre sous le signe du dialogue : il s’agit, pour les trois auteurs respectivement docteurs en physique, chimie et science des matériaux, d’expliquer aux archéologues ce que peuvent leur apporter les analyses physico-chimiques des matériaux.
Le livre est organisé en cinq chapitres. Le premier propose tout d’abord une classification des mortiers anciens en fonction de leur liant : mortiers de terres argileuses, de plâtre, de chaux et de chaux-plâtre. Hors de cette classification, la dernière sous-partie est consacrée à un type de granulat spécifique, les ajouts pouzzolaniques, qui occupe une place importante dans la construction gréco-romaine. Les autres types de granulat, essentiellement les sables naturels, ne sont présentés que très rapidement dans l’introduction de cette partie : on peut le regretter car l’identification de la composition chimique et de la provenance de ces matériaux constituent un point intéressant, en mesure d’éclairer les circuits d’approvisionnement, et il aurait été utile d’en avoir des définitions précises. Sont ensuite rappelées les méthodes de datation que l’on peut utiliser pour dater les mortiers : par le contexte archéologique, par le carbone 14, par la luminescence du quartz. Les limites de chaque méthode et la nécessité de les croiser sont mises en lumière.
Le deuxième chapitre apporte une mise au point méthodologique pour l’interprétation des résultats. Les auteurs commencent par un rappel utile : des erreurs et incertitudes, liées aussi bien à l’appareillage, à l’opérateur, qu’à l’environnement et/ou à la nature de l’échantillon, sont inévitables et influent sur la précision d’une mesure. Il existe néanmoins un certain nombre d’outils pour limiter leurs conséquences, notamment le traitement statistique des résultats et leur étalonnage, présentés dans des sous-parties dont la lecture est parfois rendue difficile, pour le non-initié, par l’accumulation des formules. Les auteurs insistent enfin sur l’importance de l’échantillonnage et la prudence à adopter dans les cas, fréquents, où l’archéologue n’a pas la possibilité de réaliser un échantillon représentatif.
Le troisième chapitre présente un protocole d’étude des mortiers de nature à pouvoir être appliqué sur tout chantier de fouilles. Un certain nombre de caractéristiques peuvent déjà être identifiées à l’œil nu ou à la loupe de diamantaire. Certains granulats comme le tuileau se reconnaissent facilement ; pour les enduits, on peut caractériser le nombre et la cohérence des couches de mortier ou identifier des traces de lissage. Soulignons néanmoins que la caractérisation pétrographique du granulat ne peut se faire, comme le reconnaissent d’ailleurs les auteurs, qu’avec de solides connaissances en géologie. Les auteurs présentent ensuite des tests aisément réalisables sur le terrain pour identifier certaines caractéristiques du mortier comme la nature du liant, la granulométrie ou encore la porosité. Pour ne prendre qu’un exemple, on peut aisément identifier le liant d’un mortier, avec un tube à essai, du vinaigre blanc et un briquet : la chaux réagit en effet à l’acide, et donc au vinaigre, par un bouillonnement tandis que le plâtre se déshydrate et génère un jet de vapeur même faiblement chauffé. Si aucune des deux réactions ne se produit, on peut supposer que le liant est une argile.
Le quatrième chapitre est consacré aux observations et analyses en laboratoire, aussi bien les analyses d’images (en microscopie optique ou en microscopie optique par balayage) que la caractérisation physique, chimique et minéralogique des mortiers. Les auteurs présentent le fonctionnement, les intérêts et les limites de chaque type d’analyses.
Enfin, le dernier chapitre, de loin le plus rapide, propose des pistes de réflexion sur les apports de ces analyses à l’archéologie. Ceux-ci concernent essentiellement la composition des mortiers et l’identification des matières premières.
Ce petit manuel apparaît comme un outil utile à de nombreux égards. Nous n’avons pas les compétences pour juger de la pertinence du protocole proposé mais sommes sensible à l’idée de présenter une petite batterie d’analyses, réalisables de manière artisanale sur tout chantier de fouille, qui permettent une première approche de ce matériau souvent trop peu exploité. Sans prétendre remplacer des analyses en laboratoire, de telles possibilités prennent tout leur sens dans des contextes socio-économiques et/ou géopolitiques difficiles, où il n’est envisageable ni de faire réaliser les analyses sur place, ni de faire voyager des échantillons pour les faire analyser ailleurs. La partie consacrée à ce protocole est par ailleurs très claire et constitue à notre sens l’apport principal de ce livre.
Le chapitre consacré aux analyses en laboratoire a l’intérêt de présenter les avantages et les inconvénients des différents types d’analyse et sera certainement utile aux chercheurs qui disposent de données ainsi que d’une problématique précises tout en étant à la recherche des analyses adaptées. Néanmoins, à l’image du chapitre corollaire sur l’interprétation des mesures, il est parfois de lecture difficile : si l’on ne dispose pas du bagage nécessaire pour les lire, la succession des formules et des chaînes de molécules n’éclaire guère les procédures. Ainsi, bien que la finalité de chaque analyse soit bien mise en lumière, leur fonctionnement aurait pu être exposé en s’adaptant davantage au public visé, c’est-à-dire des archéologues qui n’ont pas nécessairement reçu de formation en physique et en chimie.
À cet égard, on regrette qu’un archéologue n’ait pas été associé à la rédaction de ce manuel. Cela aurait peut-être permis de rendre plus accessibles certaines parties et de donner plus de corps et de précision aux parties plus proprement archéologiques. Par exemple, le classement des mortiers par rapport à leur fonction est expédié en une simple liste (p. 14), alors qu’il s’agit d’une donnée fondamentale pour l’exploitation de ce matériel. De même, la description des enduits (p. 49) reste très vague alors que les spécialistes de la peinture murale antique ont mis au point un vocabulaire précis, tant pour la description de la surface picturale que pour celle des couches de mortiers – qui, en France, ont fait l’objet d’un examen assez poussé dès les années 1970-80.
Ce livre doit donc être associé, pour la compréhension des enjeux archéologiques, à des ouvrages plus intrinsèquement pluridisciplinaires comme celui d’A. Coutelas – au sujet certes plus restreint – sur le mortier de chaux[1]. Il a néanmoins le mérite de présenter aux archéologues toute une gamme de possibilités pour mieux exploiter ce matériau souvent délaissé qu’est le mortier, quelles que soient les conditions de la fouille et les moyens financiers à disposition, en restant toujours très clair sur le primat du questionnement archéologique et les précautions nécessaires à adopter face aux résultats apportés par les sciences dites « dures ».
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |