Groot, Maaike: Livestock for Sale. Animal Husbandry in a Roman Frontier Zone. (Amsterdam Archaeological Studies), 262 p., ISBN:9789462980808, 99 €
(Amsterdam University Press, Amsterdam 2016)
 
Compte rendu par Quentin Goffette, Institut royal des Sciences naturelles de Belgique
 
Nombre de mots : 1558 mots
Publié en ligne le 2018-03-29
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2898
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          Au travers de son ouvrage Livestock for sale: animal husbandry in a Roman frontier zone. The case study of the civitas Batavorum, Maaike Groot livre le fruit d’un travail de longue haleine. Pendant cinq ans, deux projets consécutifs lui ont permis de s’intéresser aux pratiques d’élevage et, plus largement, à la production de nourriture dans une province romaine située aux confins de l’Empire romain, la civitas Batavorum. L’approche est fondamentalement archéozoologique mais s’enrichit des apports d’autres disciplines.

 

         L’ouvrage débute par une introduction de 20 pages présentant différents aspects, comme les cadres géographique et chronologique de l’étude (chapitre 1). La zone géographique prise en compte est délimitée par le Rhin, au nord et s’étend dans la moitié sud des Pays-Bas actuels, bordant ainsi la frontière nord-ouest de l’Empire romain. La fourchette chronologique considérée s’étend de 12 avant J.-C. à 350 après J.-C. Trois grandes phases sont distinguées : 12 avant J.-C.-70 après J.-C., 70-270 après J.-C. et 270-350 après J.-C. Ensuite, le but et les problématiques de la recherche sont exposés, ainsi que les approches mises en œuvre pour y répondre. À ce propos, on saluera l’effort de présenter ici un résumé des aspects abordés par l’analyse archéozoologique et de leurs apports pour les questions posées, qui complète la description plus détaillée des techniques utilisées (chapitre 3). Nul doute que ce résumé soit apprécié par les lecteurs étrangers à la discipline. Ajoutons que les résultats des études archéobotaniques menées dans la région sont aussi intégrés. Au paragraphe suivant, on s’intéresse à la zone d’étude durant la période romaine, d’un point de vue paysager et pédologique mais aussi historique. Suit un paragraphe dédié aux réseaux d’échanges économiques et à l’approvisionnement en viande. Le chapitre se conclut par une présentation des pratiques agricoles dans le cadre d’une économie de marché.

 

         Le second chapitre, quant à lui, examine les matériels et méthodes, ainsi que le contexte archéologique des sites analysés. Au total, 72 assemblages fauniques sont pris en compte, qui ont livré 87.321 restes d’animaux identifiés jusqu’à l’espèce. Ce nombre considérable exclut les restes de poissons et d’oiseaux. Un tableau reprend l’ensemble des sites étudiés, le code qui leur est attribué, leur type, le nombre de restes fauniques total et identifiés ainsi que leur fourchette chronologique. La situation géographique des différents sites se trouve indiquée sur une carte précisant intelligemment le type de sol sur lequel ils s’implantent. Dans le cadre de l’étude, un site est identifié soit comme rural, rural-villa, urbain, urbain-militaire, militaire ou temple. Seuls les sites ruraux sont considérés comme producteurs, tandis que les autres sites sont regardés comme consommateurs. L’auteur reconnait qu’il n’est pas toujours aisé de classer chaque site dans ces catégories. La présentation du contexte archéologique des sites, groupés par type, occupe les 31 pages suivantes.

 

         En 12 pages, le chapitre 3 décrit de manière détaillée les aspects archéozoologiques abordés, tandis que le chapitre 4 précise les méthodes archéozoologiques utilisées pour le relevé des différentes données (proportions des espèces, âge et sexe, représentation squelettique, traces de boucherie, mesures, …) et pour l’élaboration, par exemple, des courbes d’abattage. Un seul assemblage a fait l’objet d’une étude archéozoologique spécifique en vue de cet ouvrage. La majorité des données provient de rapports ou de publications. Dès lors, différents spécialistes, dont Maaike Groot, ont participé à ces études ce qui implique l’utilisation de méthodes d’analyses différentes et complique le travail de synthèse. On mentionnera l’utilisation originale par l’auteur de 2 index destinés à évaluer la « qualité » des assemblages, l’un visant à déterminer l’influence de la taphonomie et de la fragmentation sur les ossements, l’autre la représentativité des échantillons. Au cours des pages suivantes, l’auteur se concentre principalement sur 4 espèces de mammifères domestiques : bœuf, porc, mouton/chèvre et cheval. Suit un paragraphe traitant des données archéobotaniques utilisées.

 

         Le chapitre 5, pour sa part, s’intéresse spécifiquement à l’élevage et à la consommation dans les sites ruraux. Maaike Groot dresse au préalable un état des lieux des connaissances sur les pratiques agricoles durant la fin de l’Âge du fer, tout en envisageant la production de surplus dès cette période. Les données archéozoologiques sont ensuite présentées par phase chronologique, en partant des données disponibles pour la fin de l’Âge du fer qui servent de point de comparaison par rapport au début de la période romaine. Après un paragraphe dédié à la taphonomie, les données relatives aux proportions des 4 espèces de mammifères domestiques concernées sont exposées par période. De manière plus concise, l’évolution de la proportion des espèces de mammifères et d’oiseaux sauvages est aussi présentée, de même que les tendances de la consommation du poulet, des poissons et des mollusques marins. C’est l’exploitation du bétail qui est ensuite considérée, dans le but de déterminer quelles étaient les finalités de l’élevage des différentes espèces : viande, produits fournis de leur vivant ou finalité mixte. Cette partie s’appuie principalement sur les données issues des analyses archéozoologiques (sex-ratio et courbes d’abattage). La représentation squelettique et les traces de découpe sont prises en compte afin de mettre en évidence, entre autres, l’exportation de peaux ou la production de viande fumée. L’analyse de l’occurrence au cours du temps de couperets, outils de bouchers de tradition romaine, au sein des établissements ruraux permet de compléter la partie strictement ostéologique. Différentes échelles d’analyses sont proposées. Les tendances au cours du temps sont ainsi observées pour l’ensemble des sites producteurs, mais les tendances entre les sites se trouvent également comparées. En fin de chapitre, 16 pages de discussion permettent de synthétiser les résultats, en incluant les données archéobotaniques.

 

         Dans le développement suivant, l’auteur s’intéresse aux sites consommateurs. Les aspects exposés sont sensiblement les mêmes que dans le chapitre précédent, sinon que les résultats sont présentés par type de site, à savoir les sites militaires, urbains, urbains-militaires et les temples. De nouveau, une discussion conséquente permet de synthétiser les résultats obtenus.

 

         Le pivot de l’ouvrage est constitué par le chapitre suivant : il confronte, en 30 pages, les données recueillies pour les sites producteurs et les sites consommateurs visant à mettre en évidence les interactions entre ces deux groupes. Une structure similaire aux deux chapitres précédents est adoptée pour cette synthèse, qui se conclut par une discussion diachronique.

 

         Enfin, le dernier chapitre se veut une synthèse générale discutant les problématiques énumérées en début d’ouvrage, à savoir l’approvisionnement en viande, les changements dans les pratiques agricoles, l’échelle de production, les relations entre les romains et les producteurs locaux et la transition d’une économie de subsistance vers une économie de marché.

 

         L’ouvrage, en anglais, est de lecture aussi facile qu’agréable et s’avère bien structuré, même si la multiplication des niveaux hiérarchiques dans le texte (jusqu’à quatre) peut parfois perturber le lecteur. D’autant plus que ces niveaux hiérarchiques ne sont pas tous repris dans la table des matières (deux niveaux), sans doute à des fins d’allègement. Cela n’est toutefois pas préjudiciable au fait de retrouver rapidement une information dans le texte, la recherche s’avèrant facilitée par un index. Les illustrations en couleur et les graphiques en noir et blanc sont nombreux et de bonne qualité. Afin de faciliter la lecture des graphiques, une silhouette de l’animal concerné y est adjointe. En revanche, les graphiques diachroniques ne reprennent que le code des sites, il est alors nécessaire de se reporter au tableau situé en début d’ouvrage pour retrouver la datation des assemblages. Une délimitation des périodes sur le graphique aurait aussi pu en faciliter la lecture. Les illustrations restituant certains sites sont très agréables, de même qu’une série de représentations ponctuant l’ouvrage et qui illustrent le propos des textes avec un certain humour. La structuration de cet ouvrage permettra à chacun d’y trouver son compte. Le spécialiste pourra lire les différents chapitres dans le détail et se référer aux documents électroniques, tandis que le lecteur désireux de ne pas entrer dans les détails archéozoologiques pourra, par exemple, se concentrer sur les synthèses consistantes des chapitres 7 et 8. En plus des 262 pages du volume papier, 66 pages complémentaires de tableaux et graphiques sont disponibles au format électronique sur internet, auxquelles le texte fait régulièrement référence.

 

         En définitive, l’ouvrage de Maaike Groot trouve parfaitement sa place au sein de la littérature archéozoologique, ajoutant une synthèse régionale importante pour le nord-ouest de l’Europe. Les problématiques d’échanges entre producteurs et consommateurs constituent un axe vivace de la recherche archéologique et archéozoologique actuelle, en particulier pour la période romaine. En partant de l’assemblage archéozoologique, cet ouvrage met en évidence des tendances diachroniques à l’échelle de la civitas Batavorum, tout en témoignant de la diversité des productions des différents sites. L’importance du corpus et sa qualité, en particulier la représentation de nombreux sites ruraux, doivent être soulignés. Parmi les tendances illustrées, on pointera une intensification de la production de chevaux dans la seconde moitié du 2e siècle après J.-C., afin de fournir l’armée. Les vétérans semblent avoir joué un rôle non négligeable dans ce commerce, que leurs contacts au sein de l’armée ont probablement favorisé. On notera également une originalité de la civitas Batavorum liée aux contraintes environnementales qui n’étaient pas favorables aux grandes exploitations, où le surplus de bétail destiné à nourrir l’armée et une population locale croissante a été produit par une multitude de petits établissements ruraux. On saluera enfin l’intégration des données archéobotaniques qui trouvent naturellement leur place dans une synthèse focalisée essentiellement sur l’alimentation et les productions agricoles. Un travail de qualité qui ravira le spécialiste comme le lecteur intéressé par la période romaine et les questions alimentaires.