Meslin-Perrier, Chantal: Album du musée national Adrien Dubouché, Limoges, 22x28 cm, 128 pages, 70 ill., 20 euros, ISBN 9782711854332
(Rmn, Paris 2008)
 
Compte rendu par Fabrice Rubiella, Ecole du Louvre
 
Nombre de mots : 1663 mots
Publié en ligne le 2009-09-28
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
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La collection « Album » des éditions de la Réunion des musées nationaux présente l’histoire et les collections des musées français. En 2008 est paru le volume consacré au musée national de porcelaine Adrien Dubouché de Limoges. L’ouvrage s’organise en deux parties : une introduction (p. 5 à 15) et l’album (p. 16 à 125) constitué de notices d’œuvres et de reproductions photographiques.

L’introduction, écrite par Chantal Meslin-Perrier, nous plonge dans l’histoire de la création du musée Adrien Dubouché. L’auteur insiste sur l’identité régionale du musée : à sa création en 1845 par la Société d’Archéologie et d’Histoire du Limousin, il dépendait du département. Son existence devait permettre la collecte du patrimoine local mais son succès fut relatif selon les périodes. Adrien Dubouché est le premier directeur, nommé en 1865 à titre de bénévole, qui a su lui donner de l’ampleur. Son « comportement d’entrepreneur » (p. 8) et son souci constant d’enrichissement des collections lui ont valu le privilège de voir son nom donné au musée, devenu municipal en 1869. Plus qu’un directeur, sachant solliciter les particuliers susceptibles de léguer des œuvres, Adrien Dubouché était aussi mécène de son musée. Ainsi, il fit de nombreux dons, parfois même des collections entières qu’il avait rachetées sur sa fortune et léguées au musée pour éviter leur dispersion (collection A. Jacquemart, 1875 ; collection P. Gasnault, 1881).

Adrien Dubouché donna au  musée son envergure. Il  souhaitait en faire un véritable répertoire de formes et de décors variés, où les nombreux porcelainiers limousins venaient chercher l’inspiration. Ce dévouement à l’industrie porcelainière limousine prit une autre ampleur lorsqu’il décida de créer, en 1868, une école d’art nécessaire à la formation du personnel des manufactures de porcelaine de Limoges. Ce projet devait permettre d’éviter que « l’industrialisation ne détruise l’art » (p. 9) en unissant une école et un musée.

La création de ce complexe école-musée ainsi que l’accroissement des collections rendaient nécessaire le déménagement du musée qui était alors abrité par la Préfecture, dans deux pièces trop petites. En 1869, Adrien Dubouché put les installer dans l’ancien hospice d’aliénés de Limoges. Les principes muséographiques appliqués faisaient preuve d’une grande modernité, mettant en valeur les objets dans des vitrines aux structures discrètes. L’intérêt porté par l’État, permettant au musée et à l’école de quitter le giron municipal pour devenir des établissements nationaux en 1881, rendit possible la construction, à l’emplacement de l’hospice d’aliénés, de nouveaux édifices attribués au musée et à l’école. L’architecte Henri Mayeux livra à l’État les deux bâtiments en 1900.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’État décida de garder uniquement les collections de céramique et de verre au musée Adrien Dubouché et de mettre le reste des collections en dépôt au musée municipal de l’Évêché. Ainsi, aujourd’hui, le musée présente des collections uniquement consacrées aux arts céramiques et vitriques, remarquables par leur variété. Tout d’abord, l’étendue chronologique est vaste : de l’âge du fer à l’époque contemporaine. Les centres producteurs représentés sont nombreux : Europe, Orient, Extrême-Orient, etc. Les temps forts de l’histoire de la céramique sont représentés, témoignant ainsi de la grande qualité des collections.

L’ouvrage se présente comme une visite virtuelle du musée où le lecteur peut admirer les chefs-d’œuvre dans la seconde partie de l’ouvrage. Ainsi, l’introduction se termine par un survol des différentes techniques de céramique (p. 12 à 15) : cette présentation est le reflet de la première salle du musée – une salle technique – qui accueille les visiteurs. L’auteur insiste sur les deux éléments indispensables à la fabrication d’une céramique : l’argile et la cuisson. Selon la cuisson, l’argile utilisée et les autres matériaux ajoutés, la céramique peut être classée dans quatre grandes catégories : poterie, faïence, grès et porcelaine. Sont ensuite présentées les quatre grandes étapes de fabrication d’une céramique. Tout d’abord, la préparation des argiles est essentielle : elles sont broyées et malaxées. Ensuite vient la mise en forme de l’objet avec ces argiles. La technique du colombin – superposition de boudins d’argiles – a été la première utilisée pour créer des récipients avant l’invention du tour de potier. Pour les formes complexes, on utilise des moules. Ensuite les objets sont décorés d’éléments en relief ou de motifs peints à l’aide d’oxydes métalliques. Selon les époques et les objets, on utilise deux modes d’application : le « grand feu », technique où les oxydes sont appliqués sur la pièce crue et cuisent à haute température, et le « petit feu », où les oxydes ne supportant pas les températures de cuisson de l’objet cru sont posés sur la céramique déjà glaçurée et cuite mais subissent plusieurs cuissons successives à basses températures décroissantes. L’étape de la cuisson permet à l’argile de devenir céramique. Selon le type de céramique, les températures recherchées sont différentes. La forme du four et les combustibles utilisés diffèrent également.

 

Après cette introduction débute l’album constitué de soixante notices d’œuvres, rédigées par Chantal Meslin-Perrier et Céline Paul. Elles sont accompagnées d’une photographie en couleur de l’objet et parfois d’une pièce de comparaison. Les commentaires situent l’œuvre dans son contexte socio-culturel. Les pièces sélectionnées font partie des chefs-d’œuvre du musée et reflètent la diversité des collections. Ainsi, les premières notices concernent la catégorie des « poteries », terres cuites poreuses. Les deux œuvres sélectionnées – vase de Texonneras, vers 700 av. J.-C. (p. 16) et amphore étrusque en bucchero, vers 650 av. J.-C. (p. 18) – sont parmi les plus anciennes pièces du musée et permettent de faire connaître les collections archéologiques.

La deuxième catégorie, la « faïence » – terre cuite poreuse recouverte d’un émail opaque stannifère assurant l’imperméabilité de l’objet – est illustrée par de nombreux objets reflétant le succès de cette technique au cours des siècles. Les œuvres sélectionnées montrent l’évolution stylistique de cette technique selon les époques et les centres producteurs. La pièce la plus ancienne illustrée, une buire espagnole du XVIe siècle à décor de lustre métallique (p. 24), montre l’influence de la vaisselle d’orfèvrerie. Ensuite, pris de fascination pour la porcelaine chinoise, les peintres peignent des motifs d’inspiration extrême-orientale soit en bleu et blanc (bouquetière de Delft, XVIIIe s, p. 40) soit polychromes (plat de Rouen, 1750-1760, p. 42 et statuettes de Lille, vers 1750, p. 50) ; mais en France un goût caractéristique s’installe avec des motifs de broderies en camaïeux de bleu (bouteille de pharmacie aux armes d’Orléans, Paris, vers 1725, p. 52) ou l’apparition du pourpre de Cassius dans les compositions florales strasbourgeoises de petit feu (assiette, Strasbourg, deuxième moitié du XVIIIe siècle, p. 54).

Les collections sont riches en porcelaine, céramique à base d’argile blanche – le kaolin – cuite à 1400°C et par conséquent non-poreuse et translucide. Son origine chinoise est bien représentée par les pièces dites « blanc de Chine » (statuette de temple, XVIIe siècle, p. 30), « bleu et blanc » (plat au baizi, vers 1345, p. 28) ou à décors polychromes (vase de la famille verte, XVIIe siècle, p. 32). Souhaitant rivaliser avec l’Extrême-Orient, les Européens mirent au point une porcelaine artificielle dite « tendre » (vase, Saint-Cloud, début XVIIIe siècle, p. 58), à défaut de posséder le kaolin indispensable pour faire de la porcelaine « dure ». La France connut une production remarquable et tout particulièrement avec la manufacture de Vincennes-Sèvres (pot à toilette, Vincennes, 1753, p. 64), concurrençant la manufacture de Meissen, capable de faire de la porcelaine dure dès 1710. La découverte de gisements de kaolin, en 1768, à Saint-Yrieix-la-Perche (Limousin), fut un véritable tournant pour l’histoire de la porcelaine française : la manufacture de Sèvres put faire de la porcelaine dure (chocolatière, 1786, p. 68) ; d’autres manufactures virent aussi le jour, à Paris (aiguière et bassin, Manufacture de la Reine, fin XVIIIe siècle, p. 72) et surtout à Limoges. C’est dans cette ville que l’industrie porcelainière fut très innovante au XIXe siècle, se servant des Expositions universelles comme émulation. Les techniques développées sont les mêmes qu’à Sèvres : ce savoir-faire a pu se transmettre dans le Limousin grâce au rachat par la manufacture royale de Sèvres, en 1784, de la première manufacture limousine (aiguière et bassin, Manufacture du comte d’Artois, 1784-1789, p. 102). Tout au long du XIXe siècle, des influences variées se sont succédé. Les manufactures limousines ont su s’adapter et répondre aux attentes de la clientèle. Ainsi, leurs productions sont tantôt marquées par la fougue romantique, tantôt par le pittoresque de l’exotisme (pendule au cavalier turc, Manufacture Aaron et Valin, 1837, p. 106) ou bien encore par le raffinement de l’Art nouveau qui clôture le siècle (vase de Chaplet, Manufacture Théodore Haviland, vers 1892, p. 98).

Les objets en céramique ont des fonctions variées : il serait erroné de les limiter au domaine des arts de la table. Plusieurs œuvres sélectionnées pour cet album montrent la relation étroite avec la sculpture : la céramique n’est pas réservée aux petits objets et toutes les techniques céramiques ont pu se confronter au domaine du monumental. Les Della Robbia, sculpteurs italiens, ont été les premiers à adapter la faïence stannifère à ce domaine pour créer des figures de dévotion en relief ou en ronde-bosse (Vierge, 1490-1500, p. 26). Mais le grès, technique utilisant une argile riche en silice, cuite vers 1250 °C pour façonner des objets à pâte vitrifiée, a été privilégié dans la création de sculptures monumentales dès la fin du XIXe siècle (Travailleur d’après Paul Richer, Manufacture de Sèvres, 1904, p. 84).

L’étendue et la variété des collections du musée sont également montrées par les œuvres modernes et contemporaines. Le XXe siècle a su transfigurer l’art de la céramique en généralisant les collaborations entre artistes contemporains et manufactures de céramique. Ainsi, les formes design apparaissent sur les services en porcelaine des années 1960-1970 (Service Ariès, Manufacture Bernardaud, Limoges, 1970, p. 120). Influencé par l’univers de la bande dessinée, Roy Lichtenstein travaille avec l’ancienne manufacture royale de Limoges pour renouveler l’aspect du surtout de table (Mobile, Ancienne Manufacture royale de Limoges, porcelaine dure, 1991, p. 122) élément incontournable des productions européennes aux siècles précédents : cet objet devient alors mobile coloré, laissant derrière lui son passé de statuettes blanches en biscuit de porcelaine.

L’album se termine par la présentation de deux œuvres en verre, rappelant ainsi les rapports étroits – techniques, formels, iconographiques, fonctions des objets, etc. – unissant céramique et verre.

 

Utile pour visiter le musée ou pour se remémorer sa visite, cet ouvrage dresse également un panorama général sur l’histoire de la céramique, simple et accessible pour le grand public. Il contribue à la diffusion des collections publiques de céramique, dans la lignée de l’album consacré au musée national de Céramique de Sèvres publié en 2002.

Toutes les illustrations sont en couleur et les photographies des œuvres faisant l’objet d’une notice sont majoritairement disposées sur une pleine page, ce qui est très appréciable. On regrettera l’éclairage contestable de certaines d’entre elles. La courte bibliographie est axée sur l’histoire de la céramique, rassemblant essentiellement des ouvrages récents, majoritairement d’auteurs français. On peut seulement regretter l’absence de références relatives à l’histoire du musée. On ne peut ainsi que féliciter les auteurs pour cette publication, qui permet de faire connaître ce musée national, trop souvent oublié du grand public.