Muller, Béatrice: Maquettes antiques d’Orient. De l’image d’architecture au symbole (Antiqua), 296 p., 22 x 28 cm, ISBN : 9782708410121, 49,00 €
(Picard, Paris 2016)
 
Compte rendu par Christophe Nicolle, CNRS
 
Nombre de mots : 1088 mots
Publié en ligne le 2018-12-19
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2947
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          B. Muller, l’auteur de l’ouvrage, est une archéologue qui a longtemps travaillé sur le Moyen-Euphrate syrien (fouilles de Meskéné/Emar et de Tell Hariri/Mari). Ancienne chercheuse au CNRS, elle est une spécialiste depuis plus de vingt ans des maquettes du Proche-Orient ancien. Elle avait déjà consacré son travail de doctorat à ce thème. Soutenu en 1993, il a été publié en 2002 dans la collection de la BAH sous le titre Les maquettes architecturales du Proche-Orient ancien : Mésopotamie, Syrie, Palestine. Du 3e millénaire au milieu du 1er millénaire av. J.-C. (2 vol.). Depuis, parmi ses nombreux écrits sur l’archéologie, les peintures et l’iconographie ainsi que différentes contributions à des ouvrages, plusieurs de ses travaux d’édition témoignent de son intérêt pour les modèles architecturaux avec notamment la publication en 2001 d’un colloque qui s’est tenu à Strasbourg en 1998 et publié en 2001 : Muller B. (éd.), Maquettes architecturales de l'antiquité. Regards croisés (Proche-Orient, Égypte, Chypre, bassin égéen et Grèce, du Néolithique à l'époque hellénistique), Actes du Colloque de Strasbourg, 3-5 décembre 1998, Paris, 2001.

 

          Le livre qui vient de paraître dans la collection Antiqua dirigée par Gérard Nicolini (notamment auteur des Ors de Mari) aux éditions Picard est le témoignage le plus récent de cet intérêt. L’ouvrage est largement illustré avec 180 figures en noir et blanc et 24 figures en couleur. Six tableaux en annexe présentent 208 de ces maquettes étudiées à la même échelle comme des tabernacles, des maisons à fenêtres multiples, des maisons à plusieurs étages, etc. selon le lieu de découverte et la datation. Deux listes signalent les provenances de ces objets, qu’ils soient issus de fouilles archéologiques ou du marché des antiquités. Un glossaire, des cartes, un index et la liste des sources iconographiques complètent la publication.

 

          Dans son titre, l’a. évoque les « maquettes antiques d’Orient » abandonnant le terme de « maquette architecturale » jugé incorrect, car elles ne sont pas le fait d’architectes et qu’il ne s’agit pas de représentations miniaturisées exactes de bâtiments. Ces objets de tailles variables sont largement diffusés dans diverses cultures de par le monde et perdurent encore de nos jours notamment dans les magasins de souvenirs. Objets utilitaires, supports à des pratiques rituelles, maquettes architecturales, ils étaient dans le passé principalement fabriqués en terre cuite. L’ouvrage est une ambitieuse synthèse englobant la production de maquettes provenant de la Méditerranée orientale, de l’Égypte : le Proche-Orient ancien au sens large du terme selon une ampleur chronologique tout aussi vaste du 8e millénaire à la période classique. L’a. mobilise aussi bien les données archéologiques (contexte, stratigraphie, etc.) qu’une approche iconographique ou des études architecturales.

 

          Après une introduction méthodologique décrivant les cadres géographiques et chronologiques, l’ouvrage est organisé en sept chapitres regroupés en deux grandes parties. Dans la première partie est abordé le dossier de la conceptualisation des maquettes. Dans un premier chapitre est posée la démarche architecturale que l’on peut retrouver dans les différentes sociétés ayant produit des maquettes. Suit (chap. 2) une présentation des différents éléments permettant un classement typologique de ces objets, comme le volume global (plan circulaire ou carré, volume plein ou creux, ouvert ou fermé), l’ajout d’objets composites, etc. L’a. étudie alors (chap. 3) ces objets dans la double perspective de l’artisan et du commanditaire de la maquette. Les différents matériaux utilisés pour la construction de la maquette sont abordés : il s’agit principalement de terre cuite. On trouve quelquefois du bronze, de la pierre, de l’ivoire et du bois. Une rareté sans doute aussi liée à des problèmes de conservation et de réemploi. Le processus de fabrication des maquettes en terre est analysé. Il apparaît sans surprise assez proche de celui utilisé dans la fabrication de la vaisselle céramique. Dans le même chapitre est également examinée la question de l’esthétisme de l’objet, de ses proportions et de ses couleurs ainsi que les techniques de fabrication. Bien que l’on n’en sache pas grand-chose, il apparaît relativement fréquent d’avoir plusieurs artisans intervenant dans les différentes étapes de fabrication du même objet. Par ailleurs, on ne connaît pratiquement rien des commanditaires hormis quand il s’agissait de personnages royaux mésopotamiens, mais rien ne permet d’exclure pour les modèles les plus simples en terre cuite d’avoir des commanditaires provenant des couches sociales plus populaires comme cela est attesté dans la société égyptienne à partir de la XIIe dynastie.

 

          Dans la seconde partie, l’a. expose ses interprétations sur ce que sont ces maquettes tant symboliquement que fonctionnellement. Elle aborde (chap. 4) la dimension symbolique des maquettes notamment en analysant leur réalisme architectural. Le vocabulaire utilisé pour les décrire se réfère à des tours, des maisonnettes, greniers, etc. On note l’absence inexpliquée de certains éléments architecturaux comme les escaliers et parfois de portes et de fenêtres. Différents modèles de maquettes scéniques sont ensuite considérés : sanctuaires de plein air, sanctuaire tripartite, silos, greniers. Curieusement, certains bâtiments comme les palais ou les ziggourats mésopotamiennes ne sont jamais représentés. L’exposition de ce travail ne permet pas toujours de répondre à la question de la fonction des bâtiments en question du fait d’un système de représentation plus symbolique que descriptif. Dans quel contexte et selon quelle fonction ces objets sont-ils utilisés (chap. 5) ? Le contexte de découverte (dans le temple d’Assur...) peut parfois permettre de le déterminer. Il apparaît sans surprise que dans la majeure partie des cas, il s’agissait de contextes religieux et domestiques, servant de support d’offrande solide, liquide ou comme un symbole de protection de la divinité dans des contextes funéraires. Ces maquettes ne sont donc pas de simples reproductions de bâtiments (chap. 6) mais des ustensiles cultuels ou des objets purement symboliques, le résultat d’un assemblage en trois dimensions de décors (architecturaux, végétaux ou animaux), autant de symboles portés par l’artisan pour répondre à la demande de commanditaires. L’étude de l’a. (chap. 7) s’achève par une présentation synthétique des modèles généraux de ces objets dans différents contextes géographiques (Proche-Orient, Chypre, Égypte, Crète) et chronologiques en se concentrant sur la production allant du 3e millénaire à la première moitié du 1er millénaire avant notre ère, en notant le déclin et l’émergence de certains types et d’éventuelles filiations. Une brève conclusion termine cet exposé d’une vaste production dont les caractéristiques symboliques et l’abstraction sont en arrière-plan de représentations architecturales trompeuses par leur apparente simplicité.

 

          Il s’agit d’un ouvrage complet et fort savant, fruit d’un travail de nombreuses années dont les multiples annexes comme la bibliographie serviront au lecteur averti ou amateur à se faire une idée d’ensemble ou à entreprendre des recherches spécifiques sur une si riche et si vaste thématique.