Delahaye, Elisabeth: La Dame à la licorne, Musée de Cluny, Musée National du Moyen Age. 21x28 cm, 95 pages, 100 ill. couleur, 18 euros, ISBN 978-2-7118-5034-1
(Paris, éditions de la Réunion des Musées Nationaux 2007)
 
Reseña de Françoise Robin, Université Paul-Valéry Montpellier III
 
Número de palabras : 1241 palabras
Publicado en línea el 2008-06-14
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=295
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Elisabeth Delahaye, directrice du Musée de Cluny, a voulu, dans ce petit volume admirablement illustré de vues générales mais aussi, et cela fait partie de son charme, d’un grand nombre de superbes détails classés par thèmes, mettre à la portée du grand public les dernières recherches et conclusions sur la si célèbre suite de tapisseries dites de la Dame à la licorne. La phrase d’introduction résume parfaitement le problème posé par ces tapisseries « familières et mystérieuses, significatives de leur époque et cependant exceptionnelles ». La cinquantaine d’ouvrages et d’articles cités en bibliographie disent assez combien elles ont excité l’imagination des historiens de l’art et fait l’objet de recherches et d’études au travers de visions variées.

 

L’auteur a repris l’histoire de ces tentures depuis leur redécouverte jusqu’à leur arrivée, en 1882, au Musée de Cluny où les accueillait Edmond du Sommerard. Décrites pour la première fois en 1814 au château de Boussac, propriété de la famille de Carbonnières, par un historien local, prises pour des tapisseries turques, elles étaient alors insérées dans des boiseries de deux salles du premier étage. En 1837, le château était vendu à la ville de Boussac et le département de la Creuse en faisait le siège de la sous-préfecture. Malgré l’admiration de Prosper Mérimée et de George Sand, il aura fallu plusieurs interventions et nombre de délibérations avant que les tapisseries, déménagées à l’hôtel de ville, laissées à l’abandon, soient acquises par l’Etat et finissent par être exposées dans la grande galerie du Musée de Cluny.

Plusieurs campagnes de restaurations leur ont rendu en grande partie leur éclat. Il a fallu, cependant, restituer les parties basses abîmées qui restent aujourd’hui bien visibles, d’un rose tirant sur le gris.

 

Le deuxième chapitre se veut une simple présentation des six tapisseries. Elisabeth Delahaye adopte la lecture généralement admise depuis 1921, (malgré d’autres hypothèses encore proposées récemment), de l’iconographie des cinq sens qu’elle présente dans l’ordre le plus habituellement retenu au Moyen Age, du plus proche au plus spirituel : le Toucher, le Goût, l’Odorat, l’Ouïe, la Vue, bien que, naturellement, la disposition primitive, voulue par le commanditaire, reste inconnue. Avec clarté, mettant en valeur les points essentiels, elle fait ressortir la parfaite unité de conception : une dame somptueusement parée, accompagnée d’une demoiselle, entre un lion et une licorne souvent porteur d’étendards, sur une terrasse à fond foncé plantée d’arbres ; autour, un semis de plantes et d’animaux sur fond rouge, sans profondeur. Dans le Toucher, la dame tient la corne de la charmante et blanche licorne qui lève son regard vers elle, dans le Goût, elle tend une friandise prise dans la coupe portée par la demoiselle, au perroquet posé sur son poing, dans l’Odorat, la demoiselle présente un plateau chargé d’œillets, dans l’Ouïe,la dame joue d’un petit orgue portatif, dans la Vue, enfin, elle tend un miroir dans lequel la licorne se mire complaisamment. Les compositions diffèrent légèrement d’une pièce à l’autre, attitudes du lion et de la licorne, compositions parfois plus resserrées, mais l’unité des pièces aux fonds semés des mêmes animaux familiers ou sauvages, des mêmes variétés de plantes, ne fait aucun doute. Reste le mystère de la sixième pièce, à la fois semblable et différente des autres : dans une mise en page plus solennelle, la dame, debout cette fois devant un large pavillon bleu à flammes d’or, choisit ou plutôt remet un bijou dans le coffret que lui présente la demoiselle. Renonce-t-elle à ces bijoux « dans un élan vers la simplicité marquant la prééminence de l’esprit sur les faciles plaisirs matériels » ? Cette dernière pièce servirait alors de conclusion morale à l’ensemble. L’inscription sur le pavillon : Mon seul désir, viendrait appuyer cette interprétation. Ce sixième sens serait l’Intelligence, si l’on s’appuie sur le commentaire du Banquet de Platon rédigé par Marsile Ficin vers 1468, traduit en français et publié à Lyon en 1503, ou le Cœur si l’on considère la hiérarchie des sens proposée par les sermons du chancelier de l’université de Paris Jean Gerson, dans la seconde moitié du XIVe siècle. Elisabeth Delahaye a judicieusement replacé ici, cette suite de tentures dans le contexte littéraire et moral de son époque et donne en annexe quelques extraits de la description des sens dans la littérature médiévale.

 

Dans le chapitre intitulé La création, du modèle au tissage, les tapisseries du musée de Cluny sont revues à la lumière de la production des ateliers de la fin du XVe et du début du XVIe siècle, celle de ces verdures, ainsi que les désignent les textes contemporains et que l’on qualifie maintenant de Mille-fleurs. Personnages religieux ou profanes se déploient sur des fonds fleuris dont la facile répétition, quelques variantes à l’appui, facilitaient la fabrication. Un goût porté dans ces décennies à son paroxysme mais qui vient de loin, aboutissement de ces décors peints ou tissés d’arbres, de fleurs, de scènes champêtres qui ont envahi depuis le milieu du XIVe siècle les salles des châteaux et des demeures de plaisance, décors que l’on connaît bien par les comptes et inventaires et dont quelques-uns restent encore visibles, à commencer par ceux de l’extraordinaire Chambre du cerf du palais papal d’Avignon.

Cette Dame à la licorne est replacée avec justesse dans le groupe des productions du milieu parisien des dernières années du XVe siècle et singulièrement dans l’important atelier du maître d’Anne de Bretagne, ainsi appelé d’après les Très petites Heures d’Anne de Bretagne de la BNF. Les historiens de l’art lui ont depuis longtemps attribué plusieurs manuscrits des années 1490-1508, des cartons de tapisseries (en particulier la Chasse à la licorne du Metropolitan Musem de New York ?) et des vitraux. Il a, sans doute, repris l’atelier du célèbre maître de Coêtivy qui exerçait à Paris dans les années 1460-1480, peut-être son père : Nicolas et Jean d’Ypres ? Si les cartons semblent bien parisiens, les tentures elles-mêmes ont sans doute été tissées dans une ville du Nord de la France ou des Pays-Bas du Sud.

Une longue étude, très joliment illustrée d’une douzaine de pages de détails, est consacrée à la faune et à la flore déjà esquissées dans les marges des manuscrits ou des bestiaires. Les espèces végétales appartiennent à la flore commune, fleurs sauvages des champs et des bois. Les animaux sont souvent familiers, la plupart liés à la chasse, ou exotiques évoquant la déjà très ancienne vogue des ménageries. Une présence animale étonnante et peu courante dans ces tapisseries et dont, pour certains, on peut chercher une interprétation symbolique. L’association du lion et de la licorne, loin d’être nouvelle, s’affirme à plusieurs reprises dans le langage héraldique et dans la littérature.

 

La famille du commanditaire a été depuis longtemps identifiée : les Le Viste de Lyon, famille d’origine italienne dont l’ascension sociale et les belles alliances matrimoniales ont été retracées avec précision - des juristes, des conseillers au parlement, des serviteurs des Bourbon et de la famille royale. Un milieu de gens de robe appelés à de hautes fonctions et amateurs d’art. Plus difficile est l’attribution de la commande à un membre particulier de la famille : un aîné sans doute puisque les armes sont pleines - peut-être Antoine II qui reprend les armes en 1500 et épouse Jacqueline Ragnier, ce qui expliquerait le A et le I qui commencent et finissent, d’après l’auteur, l’inscription du pavillon de la sixième tenture.

Une excellente étude, de lecture et d’approche faciles, dans laquelle tous les aspects sont abordés et parfaitement résumés avec une grande maîtrise de l’importante bibliographie déjà parue. Un sujet complexe présenté sous un éclairage fort séduisant.