Stol, Marten: Women in the Ancient Near East, 23.0 x 15.5 cm,
x-696 p., ISBN : 978-1-61451-323-0, 99,95 €
(De Gruyter, Berlin 2016)
 
Compte rendu par Laura Battini, CNRS
 
Nombre de mots : 2512 mots
Publié en ligne le 2020-05-26
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2961
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          Les études du genre gagnent de plus en plus de place parmi les spécialistes d’histoire ancienne. Parfois, pourtant, on a affaire à des ouvrages partisans, tendancieux et orientés, de manière totalement anachronique, vers une revanche moderne sur le passé. Le livre de Marten Stol, au contraire, est un ouvrage honnête et bien documenté, qui comble un vide dans la littérature proche-orientale et qui, au moment où il a été rédigé, était très novateur. Ce livre de presque 700 pages est composé d’une introduction de 5 pages, de 32 chapitres, d’une bibliographie qui au vu de sa taille – presque une page – montre à quel point la question au Proche-Orient ancien doit mieux se développer, et d’un index de 4 pages. Les 32 chapitres se succèdent sans une division en parties qui aurait facilité la lecture et aurait permis une organisation plus rationnelle de l’ouvrage. La question de la femme y est traitée en partie de manière chronologique et en partie du point de vue social : les 22 premiers chapitres sont réservés aux femmes ordinaires suivant un ordre essentiellement chronologique, les six suivants aux femmes de statut social élevé et les quatre derniers de nouveau aux femmes ordinaires. Il reste l’impression d’un livre un peu décousu mais toujours intéressant.

 

         Les 22 premiers chapitres forment une partie plus homogène. 17 d'entre eux traitent le sujet de manière chronologique et 5 de manière sémantique, c'est-à-dire en considérant parmi les femmes ordinaires celles qui s’en distinguaient pour plusieurs raisons. Les phases de la vie humaine y sont toutes traitées, de l’enfance au mariage, mais force est de constater que la naissance et l’enfance n’ont pas attiré beaucoup l’attention des anciens, dans la documentation textuelle autant que dans l’iconographie. Le livre s’ouvre en effet avec une discussion sur les phases de la vie humaine, qui au Proche-Orient ne sont pas aussi détaillées qu’en Grèce et sur les noms qui distinguent les femmes selon leur âge. Au contraire de celle des garçons, de l’enfance des petites filles nous ne savons rien. Elles ne semblent pas avoir intéressé jusqu’au moment de l'adolescence et surtout au moment du mariage, le seul événement qui transforme la jeune fille en femme et en mère. D’ailleurs la femme à marier est appelée muštenû (« changée ») et aussi batūltu, terme difficile à traduire (« adolescente » ou « vierge »). La virginité de l'épouse est plus une exigence morale que légale. Selon Stol, en effet, si au Proche-Orient ancien la virginité a eu une grande importance, cela n’est jamais explicitement dit dans les textes.

 

         Suivent quelques paragraphes dédiés à l’apparence extérieure de la femme où sont passés en revue l’habillement, le voile, le maquillage, la coiffure, les bijoux. On peut relever à ce propos la force de certains préjugés, puisque cet éminent collègue hollandais se laisse prendre au jeu de la masculinité et continue toujours à voir la femme du point de vue esthétique, donc par la fascination qu’elle exerce sur les mâles. Il y a fort à parier qu’il n’aurait pas traité ces aspects s’il avait écrit un ouvrage sur les « hommes » de Mésopotamie, bien que coiffure, maquillage et bijoux fussent aussi importants pour les hommes, surtout ceux des classes sociales plus aisées. Dans cette partie plutôt contestable, Stol discute pourtant un thème d’une vive actualité, celui du voile : il trace une progression de son utilisation dans les trois millénaires d’histoire mésopotamienne. Utilisé au IIIe millénaire avant notre ère pour la cérémonie du mariage, le voile semble devenir vers 1500 av. J-C un attribut nécessaire à la femme qui sort de chez elle et au même moment le signe de son honorabilité : c’est seulement la prostituée qui ne doit pas le porter.

 

         Avec le mariage, la femme change de maison et de famille, elle fait désormais partie de la famille de son mari. C’est le changement majeur de la vie des femmes, matériel, social, physique et psychologique. Stol montre très bien que la position de ces femmes était vraiment subordonnée à la capacité d’enfanter et donc aussi au hasard. En effet, pour pratiquement toutes les périodes de l’Antiquité (et je dirais même beaucoup plus tard), l’enfantement et la sphère familiale étaient les domaines de principal intérêt féminin. Les exceptions étaient rares et, malheureusement, celles-ci sont parfois utilisées par des historiennes peu scrupuleuses qui règlent des comptes présents sur le passé.

 

         Toute une série de problèmes dépendant de la sexualité sont liés à la vie de couple et à la sphère familiale. Les problèmes majeurs pour une femme de Mésopotamie étaient la stérilité, l’arrivée d’une deuxième épouse ou concubine, le divorce, les transgressions sexuelles – viol, inceste, adultère –, le veuvage et la possibilité de l’esclavage. Le nombre des chapitres (13 en tout) réservés aux problèmes de la sexualité montre comment, en Mésopotamie, le corps féminin était dépossédé et réifié. On peut regretter que Stol n’ait pas tenté de lui rendre une âme en recherchant plus du côté de la femme que de ce que les textes des hommes disent d’elle. Ainsi, par exemple, la sexualité n’est traitée que du point de vue légal : ce qui arrive à une femme adultère ou à une femme qui doit subir l’arrivée d'une nouvelle épouse... Les traces du désir féminin et de la manière qu’avaient les femmes de Mésopotamie de ressentir et vivre la sexualité – que S. Budin a esquissé il y a quatre ans dans un article très intéressant (« Female Sexuality in Mesopotamia », in S. Budin et J. McI Turfa eds, Women in Antiquity: Real Women across the Ancient World, London/New York: Routledge, 2016) – ne sont pas analysées par Stol. Mais l’auteur a au moins deux excuses : d’une part la complexité et la largeur du problème affronté dans son livre et de l’autre l’absence de littérature sur le sujet au moment de sa rédaction (à l’époque, cet article n’avait pas encore été publié).

 

         Aussi la question de la maternité est traitée du point de vue légal sans tenir compte des aspects sentimentaux et psychologiques (les aspects médicaux avaient été déjà traités par l’auteur dans un livre paru en 2000 : Birth in Babylonia and the Bible, Groningen, Styx/Brill). Et plus que la sexualité, c’est la maternité qui change et pour toujours une femme (cf. l’article d'E. Couto-Ferreira, “Being Mother or Acting like Mothers”, in S. Budin et J. McI Turfa eds, Women in Antiquity: Real Women across the Ancient World, London/New York, Routledge, 2016). Stol, en revanche, analyse seulement les cas des femmes qui ne pouvaient pas avoir d’enfant, ce qui leur ouvrait grande la porte à la répudiation, mais il ne s’intéresse ni aux joies et souffrances de la gestation, ni au stress et aux dangers de l’accouchement qui est resté longtemps – jusqu’à il y a un siècle – la cause principale de la mortalité féminine. Et pourtant, entre les incantations et les rituels magiques, sans parler des figurines en terre cuite, il y avait un matériel important à traiter.

 

         À l’intérieur de cette première partie, et plus précisément entre les chapitres qui traitent des problèmes sexuels et celui qui traite de la vieillesse et de la fin de vie (veuvage et mort), cinq chapitres sont dédiés aux femmes « différentes ». Stol analyse ici les prostituées, les prostituées sacrées, les sorcières et les différentes catégories des femmes travailleuses : tisseuses, musiciennes, chanteuses, aubergistes, scribes, médecins, pleureuses, accoucheuses.

 

         Le choix d’insérer les femmes « différentes » dans cette première partie trouve une explication chronologique : elles sont toutes des femmes adultes. Pourtant, on a du mal à comprendre pourquoi les chapitres concernant les prêtresses et les femmes du harem sont mis à la fin du livre (chapitres 23-28) et non ici avec les autres femmes « différentes ». Cette organisation de l’ouvrage engendre par ailleurs un déséquilibre entre les différents parties : à un total de 453 pages vouées à l’analyse des femmes ordinaires, en ordre chronologique de l’enfance à la mort, suit ce qui s’apparente à une deuxième partie composée de seulement 232 pages en 10 chapitres. Ces chapitres sont plus disparates, une moitié traite des femmes différentes et une moitié de thèmes hétéroclites. D’abord Stol traite des femmes qui, par leur statut, ont un comportement dissemblable des autres femmes : deux chapitres concernent les femmes de la cour, considérées dans l’ordre chronologique (le harem avant 1500 av. J-C. et le harem après 1500 av. J-C). Il s’agit de chapitres thématiques, qui donnent une large place aux cas bien connus (Ebla, Mari, édits médio-assyriens sur le harem, Nuzi, Ugarit, cour néo-assyrienne). Suivent quatre chapitres sur les prêtresses et les prophétesses, surtout centrés sur l’époque paléo-babylonienne et en partie sur le Ier millénaire av. J.-C. Ici, Stol revient sur la question du rôle de la qadištu : prostituée sacrée – comme dans la Bible – ou prêtresse ?

 

         Puisque l’auteur vient de traiter un sujet religieux, il en profite pour analyser le rapport des femmes avec le culte (2 chapitres). Ici on repasse donc aux femmes ordinaires et on ne comprend plus pourquoi ces chapitres ne sont pas dans la première partie, tout comme les deux qui concluent le livre. Le chapitre sur les lois médio-assyriennes et celui très court (8 pages seulement) sur la valeur des femmes selon les textes cunéiformes sont à nouveau réservés aux femmes communes.

 

         Les problèmes d’organisation des chapitres affaiblissent la présentation, qui semble issue d’une série de cours plus que d’un traitement autonome et bien réfléchi. Et malgré sa bonne documentation, le livre est limité par l’absence de recours aux sources iconographiques, qui depuis le cercle de Warburg et les études de Panofsky ont enfin obtenu leur reconnaissance comme sources pleines de signification. Cela est d'autant plus surprenant au regard de la bibliographie disponible sur le sujet à l’époque de la rédaction : de Claudia Suter (« Between Human and Divin: High Priestesses in Images from Akkad to the Isin-Larsa Period », in M. Feldman et J. Cheng, Ancient Near Eastern Art in Context. Studies I. Winter, Boston/ Brill, 2007, p. 315-359) et Zainab Bahrani (Women of Babylon. Gender and Representation in Mesopotamia, London/New York, Routledge, 2001) à A. Gansell (Women in Ancient Mesopotamia, Oxford, Blackwell publishing, 2012). C’est peut-être le thème si vaste qui a empêché l’utilisation de toutes les données disponibles. Mais ici encore, pour renouveler nos connaissances, il me semble plus judicieux de ne pas exclure a priori une source plutôt qu’une autre. L’histoire, en effet, se construit et s’est toujours construite aussi par les images. 

 

         Malgré ces quelques défauts, le livre de Marten Stol reste une base solide pour connaître les droits et devoirs des femmes mésopotamiennes et pour saisir le regard masculin sur elles. L’auteur doit être remercié pour avoir affronté seul un sujet aussi vaste. Mais en tant que femme et historienne, il me manque dans ce livre le regard des femmes, qui seul aurait permis de passer de la femme comme objet à la femme comme sujet.

 

 

 

Table des matières

 

Introduction 1

Map 5

 

1 Her outward appearance 7

Phases of life 7

 The girl 10

The virgin 13

Women’s clothing 17

Cosmetics and beauty 47

The language of women 56

Women’s names 58

 

2 Marriage 60

Preparations 62

Age for marrying 66

Regulations 67

The betrothal 72

The wedding 93

Marriage and magic 110

 

3 The marriage gifts 112

General remarks 112

The bride-price 117

The dowry 134

Gifts from the man 145

 

4 The family 147

Impotence 148

 Children 152

The mother 155 

Bereavement 159

Childlessness 160

 Repudiation of a childless wife 163

 

5 A second wife 165

A slave-girl 168

Initiating the transaction 170

The second wife in the Old Assyrian period 182

The second wife in later periods 188

The position of the second wife when the first wife is ill 191

 

6  Concubines 193

 

7  Marriage between equals 200

 

8  Marriage to a slave 205

 

9  Divorce 209

In Babylonia 210

In Assyria 216

In the Neo-Babylonian period 220

In Syria 223

Motives for divorce 223

Predictions 230

Reconciliation 232

 

10 Adultery 234

Women who initiate adultery 235

Were both lovers treated equally? 239

Caught in the act 243

Punishment 244

Accusations of adultery 245

The Mother of Sin 250

An adulterous princess? 250

 

11 Rape 254

Slave-girl 255

Unmarried girl 258

Married woman 261

The locations 263

In myths 264

The right of the first night 265

 

12 Incest 268

Promiscuity 268

Incest 270 

 

13 The widow 275

Poor widows 278

Arrangements made for widows in wills 282

Powerful widows 284

Remarrying 288

Cohabiting 290

Widows with children 292

 

14  Levirate marriage 296

 

15  Women’s rights of inheritance 300

 

16  Women-trafficking under the guise of adoption 304

 The Old Babylonian period 304

Nuzi 306

 

17  Women robbed of their freedom 311

Security for a man’s debts 311

The woman as guarantor 319

Imprisoned for murder 323

The sale of children in time of need 324

Dedicated to a temple 326

Prisoners of war 331

 

18  Women and work 339

Working outside the home 341

Weavers 344

Grinding flour 350

Women as musicians and singers 353

The female innkeeper 363

Scribes 367

The female doctor 371

Wailing women 372

Women involved in childbirth 375

Business women 381

Women’s seals 387

 Women as witnesses 389

 

19 The witch 391

 

20 Prostitution 399

Where she worked 399

Dressed for work 405

Slave-girls 409

The risk of pregnancy 410

Forced into prostitution 413

Marriage 414

Social esteem 416

 

21 Temple prostitution 419

 Internal evidence 419

The kezertu 422

 Devaluing old titles 426

Income 426

Goddess and whore 427

A wild celebration 435

 

22 Her physical life 436

Physiology 436 

Menstruation 438

Diseases 441

The old woman 451

Dead and buried 456

 

23 The court and the harem before 1500 BC 459

The Sumerians 461

Ebla 464

Funerals 471

The Old Akkadian period 475

The kingdom of Ur III 476

The Old Babylonian period 487

 

24 The court and the harem after 1500 BC   512

Babylonia 512

Assyria 514

Nuzi 518

The Hittites and Egypt 519

Ugarit 526

The Neo-Assyrian period 529

The Neo-Babylonian period 548

The Persian period and later 552

Arab queens 554

 

25 Priestesses 555
The high priestesses 555
Priestesses in Mari 578
Priestesses in the Old Assyrian period 580

Priestesses after the Old Babylonian period 581

 

26 Old Babylonian convents 584

Words for a ‘nun’ 586

The nadîtu 587

Inauguration 590
High status  594
Duties 597
Care in old age 600
The demise of the convent 601

 

27 Married holy women 605
The nadîtu of Marduk the god of Babylon 605

The holy woman, the qadištu 608
The kulmašītu 615

 

28 Soothsaying 617
Dreams, prophecy and ecstasy in Mari 620

Prophecy in Assyria 623

 

29 Women and worship 627
Offerings for the dead 628

Making intercession 631
The woman and her goddess 638

The mourning for Tammuz 640

 

30 The Sacred Marriage 645

Poetry 647

The reality of the situation 650

The function of the ritual 652
The Assyrian period and later 655

The demise of goddesses 657

 

31 The Middle Assyrian law-book about women 662

 

32 The value placed on women 683

Positive views 683
Negative views 685
Women compared with men 690

 

Bibliography 692

 

Indexes 693