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Compte rendu par Delphine Morana Burlot, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Nombre de mots : 2386 mots Publié en ligne le 2017-08-25 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2966 Lien pour commander ce livre
Ce livre est une nouvelle publication du somptueux ouvrage Case e Monumenti di Pompei publié en 4 volumes par Fausto (1812-1886) et Felice Niccolini (1816-1886) entre 1854 et 1896. Ce projet éditorial ambitieux, destiné à faire mieux connaître au public les découvertes de Pompéi, contenait à l’origine près de 500 planches et plusieurs centaines de pages de texte. La présente réédition reproduit l’intégralité des planches de l’ouvrage initial, en suivant l’ordre des volumes, précédée de deux essais introductifs sur son contexte de réalisation et la réception de l’art pompéien à l’époque moderne et contemporaine. Les planches sont accompagnées d’un commentaire critique. Le texte allemand a été traduit intégralement en anglais et en français, permettant ainsi un accès à un plus grand nombre de lecteurs qu’aux seuls germanophones.
Le premier des deux essais, signé Valentin Kockel et intitulé « La redécouverte et la visualisation de Pompéi », replace l’œuvre des frères Niccolini dans son contexte de réalisation. Il débute par une brève histoire des fouilles, depuis les premières découvertes au xviiie siècle, et mentionne la poursuite des recherches durant la décennie française, les déblaiements effectués, notamment au Forum, pendant la période de la restauration de la monarchie des Bourbons et enfin la politique archéologique sous Garibaldi. Giuseppe Fiorelli (1823-1896), personnalité majeure de l’archéologie pompéienne au xixe siècle, est nommé ispettore des fouilles de Pompéi en 1860. Il va grandement contribuer à l’accroissement de la rigueur des méthodes de fouilles. Il divise Pompéi en régions (Regio) et îlots, sur la base de documents historiques, et cette division est encore en vigueur aujourd’hui. Il va également systématiser le déblaiement intégral des maisons et installer un système d’évacuation des gravats. Enfin il va avoir l’idée de couler du plâtre dans les creux laissés dans la terre volcanique par les corps des victimes de l’éruption de 79 ap. J.-C. Ces moulages en plâtre des corps des malheureux Pompéiens, rapidement diffusés par la photographie, vont émouvoir toute l’Europe. Après le départ de Fiorelli, ses disciples poursuivront sa politique en restaurant les maisons rapidement après leur déblaiement et en y plaçant des objets afin de recréer un contexte domestique.
L’essai de Valentin Kockel se poursuit par une étude historique de la documentation et de la conservation du site. Dès le début des fouilles, les découvertes étaient copiées. Au xixe siècle, on reproduisait le décor des parois peintes avant d’en déposer des fragments et certains motifs, considérés comme particulièrement plaisants, étaient reproduits in situ à l’aquarelle. A partir de 1820, le musée réalise des maquettes au 1/48e en bois et en liège de l’ensemble de la ville. De 1822 à 1857 sont édités les 16 volumes du Reale Museo Borbonico, publication officielle des découvertes dans la lignée des Antichità di Ercolano (1757-1792), avec néanmoins une plus grande place donnée à l’instrumentum. Le Reale Museo Borbonico est critiqué pour le fait que les objets sont, soit présentés hors contexte, soit commentés trop longuement. Lorsque les Niccolini publient les Case e Monumenti, ils sont en concurrence avec d’autres ouvrages édités antérieurement : le livre de Wilhelm Zahn présente de nombreuses reproductions de décors pompéiens récemment découverts, en plusieurs lithographies couleurs, technique dont il s’attribue l’invention. D’autres auteurs ont publié de magnifiques ouvrages illustrés, Wilhelm Ternite, Désiré Raoul-Rochette, ou Roux et Barré. D’autres ouvrages voient le jour, plus contemporains de celui des Niccolini, guides touristiques ou livres plus érudits. Valentin Kockel retrace ensuite la vie des Niccolini, détaillant leur formation et la genèse de l’ouvrage présenté ici, qui, par son grand format et par la qualité de ses reproductions, se place dans les éditions luxueuses de l’époque. Il a d’abord paru sous forme de fascicules contenant plusieurs planches, destinés à être reliés. Les livraisons, pas toujours très régulières, atteignirent le nombre de 137 en 1896. Relativement chers et nombreux, ces fascicules ne pouvaient être achetés par de simples particuliers ce qui explique leur faible diffusion : seules les grandes bibliothèques pouvaient se permettre d’acquérir la série complète. L’ensemble constitue quatre volumes, qui se distribuent de la manière suivante : le vol. I contient 17 chapitres sur des maisons, tombeaux ou édifices publics. Les textes sont très approfondis, témoignent de bonnes connaissances sur l’état des recherches, et constituent un résumé des rapports de fouilles. Le contexte archéologique est pris en compte dans les commentaires, ce qui montre une conception très moderne des fouilles. Le vol. II contient la Descrizione generale, qui aurait dû se trouver au premier volume, et présente une description topographique du site. Sous le chapitre intitulé Topografia di Pompei, le vol. III donne une histoire de la ville et des fouilles. Enfin, appelé Supplemento, le vol. IV a été réalisé par Antonio Niccolini le Jeune, fils de Felice. Celui-ci adopte un nouveau mode de classement, en présentant « l’Artisanat et les petites industries de Pompéi », « les moulages en plâtre » (des victimes du Vésuve), ou « l’Art à Pompéi », qui s’apparente au parti pris d’autres ouvrages contemporains, comme celui de Johannes Overbeck ou d’Ernest Breton. Enfin ce dernier volume montre une série de reconstitutions, très critiquée par les contemporains d’Antonio Niccolini car il s’agit de la reprise de dessins de William Gell ou de François Mazois. D’autres planches, regroupant différents objets, représentant les détails d’une peinture ou des motifs ornementaux répétitifs étaient destinées à fournir des modèles aux artistes, comme les planches de Zahn ou d’Owen Jones.
Les sources utilisées par les Niccolini sont vastes car ils avaient accès aux archives du musée de Naples. Les dessinateurs qui ont travaillé pour l’ouvrage sont difficiles à identifier. On sait néanmoins que Giuseppe Abbate a réalisé 62 planches pour les deux premiers volumes et que Geremia Discanno y a contribué également. Les Niccolini n’ont pas hésité à utiliser le nouveau médium photographique. Il fut employé pour les fouilles à partir de 1847 mais il ne reste rien des épreuves réalisées spécifiquement pour documenter les excavations avant 1860. Plusieurs photographes se rendent ensuite sur le site, et parmi eux Giorgio Sommer, le plus célèbre d’entre eux, qui vendait sa production dans sa boutique à Naples. Fiorelli collectionnait ces photographies dont il envoyait une partie au ministère. Les peintres, comme Alma-Tadema, collectaient également ces documents pour s’en servir de modèles pour leurs œuvres. Les Niccolini ont su utiliser ce médium, en témoignent de nombreuses planches réalisées d’après photographie.
Les Case e Monumenti di Pompei est un ouvrage de luxe qui surpassait toutes les publications contemporaines et plaçait Pompéi dans une lumière plus vive. L’approche de la ville dans sa totalité, influencée par les recherches de Fiorelli, était résolument moderne. De plus, la possibilité de reproduire les décors dans de grandes planches couleurs a été mise à profit par les Niccolini. Si aujourd’hui les textes accompagnant les planches sont critiqués par les archéologues, Case e Monumenti n’en reste pas moins un document majeur pour notre connaissance de la peinture pompéienne et constitue le monument imposant d’une époque qui a transformé en profondeur l’approche artistique et scientifique des ruines de Pompéi.
Le second essai, de Sebastian Schütze, est intitulé « Rome n’est qu’un vaste musée ; Pompéi est une antiquité vivante ». Il porte sur l’art des villes du Vésuve et leur appropriation et réinterprétation depuis leur découverte. Après avoir rappelé l’influence sur les artistes du xixe siècle de grands ouvrages illustrés sur Pompéi, l’auteur mentionne les décors de style pompéien. Ainsi le Pompejanum d’Aschaffenburg et la Maison Pompéienne à Paris sont deux exemples emblématiques de ce type de réalisations. Ces constructions ne sont pas propres au xixe siècle puisque d’autre copies de maisons pompéiennes virent le jour en Amérique du Nord au xxe siècle, comme la villa Getty à Malibu. L’auteur évoque ensuite la nouveauté qu’a apportée la découverte des peintures de la basilique d’Herculanum, qu’il qualifie de peinture d’histoire. Avec les sculptures et les vases antiques, elle a vraisemblablement inspiré les peintres néoclassiques, tout autant que les peintures de Raphaël ou les œuvres de Flaxman. La peinture pompéienne a notamment influencé les reconstitutions de Pausanias réalisées par les frères Riepenhausen, éditées en 1829. Les vestiges des villes vésuviennes étaient également regardés comme des éléments témoignant de la vie quotidienne dans l’Antiquité et utilisés par les peintres comme gage d’authenticité historique dans leurs œuvres. Les peintres Jean-Léon Gérôme ou Théodore Chasseriau s’en servirent comme cadre pour des scènes lascives, fantasmes du xixe siècle, mais elles inspirèrent également les écrivains, et Théophile Gautier écrivit sa nouvelle Arria Marcella après avoir vu au musée de Naples l’empreinte dans la lave d’un buste féminin. Parmi les peintres néo-pompéiens, celui qui connut le plus grand succès fut Lawrence Alma-Tadema, qui ressuscita les villes du Vésuve dans de nombreuses compositions. Au début du xxe siècle, la peinture pompéienne éveille à nouveau l’intérêt des artistes, notamment de Picasso (la Flûte de Pan) et de Giorgio de Chirico. Ensuite, plusieurs grands peintres italiens du Novecento signent un manifeste de la peinture murale qui prône un retour à la tradition antique. Achille Funi a incarné cette ligne dans ses décors pour le Palazzo dei Ricevimenti a Rome. Enfin, les visiteurs de Pompéi sont profondément marqués par la tragédie de l’éruption, matérialisée par les moulages des victimes. Si l’éruption elle-même a inspiré de nombreux artistes, les moulages, témoins muets de la catastrophe, ont eu eux aussi un impact durable sur l’imaginaire collectif et ils ont fini par éclipser les grands bronzes Pompéien. Plusieurs artistes s’en sont servis dans leurs œuvres, Rodin, Arturo Martini, Henry Moore, et plus récemment Duane Hanson ou George Segal.
L’ouvrage se poursuit par la reproduction des planches des volumes des Niccolini. Chacune des parties est introduite par un commentaire critique de Valentin Kockel, plus ou moins long, résumant le contenu du texte d’origine et apportant un certain nombre d’informations supplémentaires très intéressantes sur les bâtiments ou les objets représentés, en mettant l’accent sur leur histoire, leur réception et leur restauration. Ces textes, assez courts, sont complétés à la fin de l’ouvrage dans l’annexe intitulée « Documentation ». Cette partie propose au lecteur une identification plus fine des objets présentés sur les planches (numéros d’inventaire, dimensions) et une plus ample bibliographie. Elle donne aussi les modèles utilisés par les Niccoloni pour la réalisation de certaines planches.
Ensuite se trouve la bibliographie, avec une liste de publications anciennes sur Pompéi et une liste de sources secondaires présentant un grand nombre de références récentes sur la réception des découvertes et leur publication. Elle est suivie d’un index topographique des maisons citées, d’un index des musées permettant de localiser les œuvres mentionnées, et d’une chronologie de la livraison des fascicules, qui ne correspond pas à leur ordre dans les volumes. Enfin l’ouvrage se termine par un glossaire.
La grande qualité de reproduction des planches fait de ce livre un ouvrage très plaisant à lire, mais elle n’en est pas l’unique intérêt puisque les commentaires sont d’une grande richesse d’informations sur l’histoire des fouilles, l’histoire de la publication des découvertes et l’histoire de leur réception. L’essai de Valentin Kockel permet au lecteur de comprendre le contexte de réalisation de l’ouvrage des Niccolini ainsi que les raisons et les moyens mis en œuvre pour une publication de cette envergure. L’auteur campe particulièrement bien le contexte politique et scientifique qui, dans les années 1860, a été un tournant majeur dans l’approche des sites vésuviens, avec notamment l’arrivée de Fiorelli. Cet essai synthétise un certain nombre d’éléments mentionnés dans les commentaires des planches, mais dont la répétition est bienvenue, tant l’ouvrage est riche. Dans son essai, Sebastian Schütze dresse un bel inventaire de la réception par les artistes des découvertes vésuviennes. Par quelques exemples bien choisis et bien illustrés, il nous offre un panorama de la production inspirée de modèles pompéiens, de Lady Hamilton à Pablo Picasso. Il faut d’ailleurs souligner que d’une manière générale, les reproductions, et en particulier celles illustrant les deux essais introductifs, concernent des documents assez rarement représentés dans les ouvrages sur Pompéi. Enfin les annexes sont un bon complément au texte des planches et permettent au lecteur qui souhaite aller plus loin d’obtenir des informations encore plus précises. Les seuls bémols quant à l’appréciation générale du livre sont tout d’abord le renvoi des notes à la fin de l’ouvrage, car celui-ci n’est pas de manipulation aisée. En second lieu, on peut déplorer la qualité de la traduction française du texte, qui contient quelques erreurs et contresens, que le lecteur peut corriger en se reportant aux textes allemand et anglais. Ces deux légers défauts n’entachent pas le plaisir que l’on a à parcourir ce très bel ouvrage et on ne peut que saluer l’initiative de sa réédition et qui plus est d’une réédition de cette qualité.
Table des matières :
· p. 8 La redécouverte et la Visualisation de Pompéi. L’œuvre des frères Niccolini et son contexte. (Valentin Kockel)
· p. 66 « Rome n’est qu’un vaste musée ; Pompéi est une antiquité vivante ». L’art des villes du Vésuve entre appropriation et réinterprétation. (Sebastian Schütze)
· p. 104 Planches et commentaires
Vol. I · p. 106 Maison du poète tragique · p. 116 Maison des Dioscures · p. 126 Maison de la petite Fontaine · p. 132 Temple de la Fortune Auguste · p. 136 La maison du Faune · p. 148 Maison de Siricus (/ Casa n° 57) · p. 154 Macellum · p. 162 Tombes de Umbricius Scaurus et de Naevoleia Tyche · p. 166 Temple de Vespasien (ou temple de Mercure) · p. 168 Maison des chapiteaux colorés · p. 174 Maison de Marcus Lucretius · p. 184 Thermes de Stabies · p. 194 La caserne des gladiateurs · p. 200 Les théâtres · p. 204 Le temple d'Isis
Vol. II · p. 222 La villa de Diomède · p. 232 La maison des chapiteaux figurés. · p. 236 Le tombeau de Calventius Quietus · p. 238 Description générale
Vol. III · p. 358 Topographie de Pompéi · p. 366 Amphithéâtre · p. 370 Les thermes du Forum · p. 374 Temple dorique du forum triangulaire · p. 376 Maison de Lucius Caecilius Jucundus et maison du centenaire · p. 384 Casa della Fortuna · p. 390 Maison de Salluste · p. 394 Artisanat et petites industries des Pompéiens · p. 404 Victimes de l'éruption moulées en plâtre. · p. 410 Les arts à Pompéi · p. 468 Graffiti et inscriptions peintes
Vol. IV · p. 478 Supplément · p. 534 Reconstitutions · p. 578 Nuovi scavi / Nouvelles fouilles
Annexes · p. 623 Notes · p. 625 Documentation · p. 634 Bibliographie · p. 638 Index · p. 644 Glossaire
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |