Sérié, Pierre: Joseph Blanc (1846-1904). Peintre d’histoire et décorateur. Collection "Mémoires de recherche de l’Ecole du Louvre", 21x29,5 cm, ISBN 978-2-9041-8721-9. 305 pages. Illustrations en noir et blanc et en couleurs. 50 Euros.
(Ecole du Louvre - Rmn, Paris 2008)
 
Recensione di Alain Bonnet, Université de Nantes
 
Numero di parole: 1525 parole
Pubblicato on line il 2008-10-30
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=297
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À parcourir la liste des Prix de Rome de peinture, de 1863 (année d’une réforme importante des modalités du concours) à la fin du siècle, une constatation s’impose : les lauréats de la plus haute distinction académique n’ont laissé, au mieux, qu’une trace ténue dans l’histoire de l’art. Layraud, Maillard, Machard, Regnault, Blanc, Blanchard, Merson, Lematte, Toudouze, Ferrier, Morot, Besnard, Comerre, Wencker, Chartran, Schommer, Bramtot, Doucet, Fournier, Popelin, Baschet, Pinta, Axilette, Lebayle, Danger, Thys, Devambez, Lavalley, Lavergne, Mitrecey, Leroux, Larée, Moulin, Gibert, Laparra, Roger, Sabatté : ces noms n’évoquent certainement rien à l’honnête amateur d’art, et, si l’on excepte quelques personnalités (Regnault, Merson, Besnard, Devambez, Sabatté peut-être), les spécialistes de la peinture de la deuxième moitié du XIXe siècle seraient sans doute bien en peine s’ils devaient citer une œuvre ou un décor réalisés par ces artistes. Ces peintres ont cependant poursuivi, pour la plupart – Thys et Mitrecey moururent à Rome pendant le temps de leur pension -, une carrière respectable, sanctionnée par les marques d’honneur usuelles des artistes officiels, les croix, les médailles, les commandes, les succès au Salon… Pour les juger, il faudrait encore les connaître. Or, l’œuvre de ces artistes, sinon à quelques rares exceptions, est invisible. On peut heureusement s’en faire à présent une idée, bien incomplète il est vrai, grâce à la mise en ligne sur le site des Archives nationales des trente-quatre albums photographiques regroupant les achats de l’État au Salon, à partir de 1864 et jusqu’à la fin du siècle (http://archivesnationales.culture.gouv.fr/chan/index.html).

 

Le renouveau des études sur l’art du XIXe siècle, engagé il y a quelques décennies déjà, comble peu à peu les lacunes de nos connaissances. Il reste encore beaucoup de choses à faire, bien du terrain à débroussailler avant de remplir les vœux qu’énonçait Michel Laclotte il y a plus d’un quart de siècle. En préface du catalogue de l’exposition Le Musée du Luxembourg en 1874, le conservateur soulignait en effet la nécessité d’établir "des rapports précis entre l’art et l’État" afin d’éclairer "efficacement l’histoire du goût et de la société au XIXe siècle.". Un dictionnaire actualisé des sculpteurs de la période fait par exemple toujours défaut et le spécialiste ne peut que s’en remettre à l’ouvrage de Stanislas Lami, publié à la fin du XIXe siècle. Les répertoires et les synthèses, les catalogues raisonnés et les écrits de réflexion sont encore trop peu nombreux pour cerner l’immensité de la production artistique du siècle. Les travaux universitaires ont ouvert des voies qu’il convient de poursuivre. Nous sommes aujourd’hui mieux renseignés sur la production picturale religieuse (1), sur le système administratif des beaux-arts (2), sur les modalités de la formation (3) … Mais à côté de ces recherches qui ont su trouver un éditeur, combien de mémoires ou de thèses restent confinés dans les bibliothèques des départements universitaires et demeurent le plus souvent inaccessibles ?  Pour nous en tenir à la liste des Prix de Rome, où consulter les thèses et les mémoires sur Comerre, Fournier, Roger (4), etc. ?

 

Il faut donc saluer comme il se doit la publication du mémoire de recherche de l’École du Louvre que Pierre Sérié a consacré à Joseph Blanc (1846-1904) peintre d’histoire et décorateur. Cet ouvrage, couronné par le prix de l’Association de l’École du Louvre 2007, est le deuxième volume publié conjointement par la Réunion des Musées nationaux et l’École du Louvre dans une collection qui vise à diffuser les travaux des élèves de cette institution. Souhaitons donc à cette entreprise éditoriale courageuse de trouver son public et de poursuivre sa mission scientifique.

La fortune critique de Joseph Blanc est caractéristique des errements et des lacunes de l’historiographie de l’art. Sa carrière, commencée brillamment en 1867 par l’obtention du Prix de Rome à l’âge, remarquable au regard des traditions académiques, de vingt-et-un ans, a rapidement sombré dans l’anonymat, au point que son œuvre conservé se réduisait il n’y a pas longtemps à peu de choses. On ne connaissait du peintre, sans vraiment les regarder, que les décors pour le Panthéon ou le Grand Palais. Un des mérites du travail de Pierre Sérié est d’en avoir entrepris, malgré les difficultés, la reconstitution et d’en proposer un catalogue raisonné ; un des mérites de la publication est d’offrir au lecteur un cahier iconographique richement illustré qui sera, n’en doutons pas, un instrument indispensable pour la recherche savante. Mais l’intérêt de cet ouvrage ne se résume pas au catalogue des œuvres, préalable nécessaire à toute réflexion argumentée sur la production artistique. L’auteur met en perspective la carrière de Blanc, et l’inscrit dans son époque, grâce à un véritable travail de chercheur en histoire de l’art. Son mémoire prend la forme d’une biographie, tout en évitant d’ailleurs l’écueil de l’hagiographie, fréquent dans les tentatives d’exhumation ou de réhabilitation d’artistes oubliés. Il suit en trois sections la carrière de Joseph Blanc, de ses débuts (Jeunesse et formation – Paris-Rome) aux commandes officielles de la fin de carrière (Maturité : le décorateur, Paris). La section centrale (Le peintre d’histoire, Rome-Paris) est l’occasion d’une réflexion sur les conditions à la fois stratégiques, stylistiques et administratives de la peinture académique durant une génération, de 1870 à 1900. Chaque section permet ainsi des éclairages pertinents sur des points particuliers : la formation à l’École des beaux-arts de Paris et le statut des pensionnaires romains dans la deuxième moitié du XIXe siècle ; le renouveau de la peinture décorative pendant le directorat de Chennevières et les relations des artistes à l’administration des arts ; les mutations stylistiques de l’académisme et le système des Salons. Le texte permet ainsi de voir au plus près le déroulement de la carrière d’un peintre dans le dernier quart du XIXe siècle. Il démontre amplement, loin des simplifications des catégories stylistiques généralement retenues, la complexité des courants qui traversaient l’art officiel, abusivement regroupés sous la qualification péjorative d’art pompier. Blanc fut l’un des derniers représentants de la peinture d’histoire, et l’un des derniers pensionnaires romains dont l’Académie des Beaux-Arts pouvait, sans trop d’arrière-pensée, saluer les envois. Mais les modèles auxquels se réfère le peintre ne sont plus ceux qui étaient incessamment proposés par les professeurs, l’Antique et Raphaël. Les œuvres de Blanc témoignent d’un néo-maniérisme que partagèrent ses condisciples romains Luc-Olivier Merson et Édouard Toudouze et qui s’oppose au ténébrisme caravagesque de Bonnat, Comerre, Morot et du jeune Henri Martin, ou au colorisme de Regnault, Lévy et Thirion. En ce sens, Blanc est également le témoin de l’évolution de la peinture d’histoire à partir de la décennie 1870 et de sa transformation en peinture monumentale, encouragée par les programmes décoratifs de la IIIe République. La carrière du peintre se poursuivit ainsi loin du Salon et de ses fastes, tout entière soumise à la commande publique, certes honorifique, mais peu rémunératrice, d’abord dans les églises, ensuite dans les monuments civils : ministère de la Guerre, Hôtel de Ville, Opéra-Comique, Grand Palais, Panthéon. Ce choix le condamna à une demi-obscurité, les réputations se faisant essentiellement aux expositions annuelles. L’ouvrage de Pierre Sérié vient opportunément l’en tirer, et contribue donc à la redécouverte de cet autre XIXe siècle qui émerge peu à peu grâce aux travaux des érudits et à quelques expositions dans des musées de province (5).

 

Table des matières

Avant-propos par Jannic Durand : p. 7

Préface par Geneviève Lacambre : p. 9

Introduction : p. 11

Jeunesse et Formation, Paris-Rome

Filiations : p. 17

L’École des beaux-arts : p. 25

Rome, espace de maturation : p. 30

Le peintre d’histoire, Rome-Paris

Situation générale de la peinture d’histoire : p. 47

Le renouveau de la décennie 1870 : les œuvres : p. 53

Le pari de Blanc et de ses camarades : p. 77

L’abandon de l’histoire : Blanc au Salon entre 1879 et 1892 : p. 86

Maturité : le décorateur, Paris

Le grand œuvre, la commande du Panthéon : p. 95

Coïncidence de départ avec Puvis de Chavannes et évolutions divergentes : p. 99

L’homme de la situation : p. 107

Le jeu de commande publique, mise en forme : p. 114

Épilogue : de la filière administrative des beaux-arts aux travaux de second choix : p. 123

Conclusion : p. 126

Planches en couleurs : p. 129

Catalogue raisonné – Œuvre peint, dessiné et gravé : p. 147

Annexes

Éléments biographiques : p. 282

Bibliographie : p. 284

Index des noms propres : p. 295

Index des œuvres de Joseph Blanc : p. 301

 

Notes :

(1) Bruno Foucart, Le renouveau de la penture religieuse en France, 1800-1860, Paris, Arthéna, 1987 ; Emmanuelle Amiot, La peinture religieuse en France, 1873-1879, Paris, Musée d’Orsay, 2007.

(2) Pierre Vaisse, La Troisième République et les peintres, Paris, Flammarion, 1995 ; Marie-Claude Genet-Delacroix, Art et État sous la Troisième République – Le système des Beaux-Arts, 1870-1940, Paris, Publications de la Sorbonne, 1992.

(3) Claire Barbillon, Les canons du corps humain au XIXe siècle, Paris, Odile Jacob, 2004 ; Alain Bonnet, L’enseignement des arts au XIXe siècle, Rennes, PUR, 2006.

(4) Gwendoline Lorique, Léon Comerre (1850-1916), entre Paris et le Nord, Mémoire de Master II sous la direction de Christian Heck, Université de Lille-III, 2006 ; Laurence Font, Le décor des voussures de la salle des délibérations du Conseil général du Rhône par Louis-Edouard Fournier, Mémoire de D.E.A. sous la direction de François Fossier, Université de Lyon II, 2001 ; Sophie Audureau, Le peintre Louis Roger (1874-1953), Mémoire de maîtrise sous la direction d’Alain Bonnet, Université de Nantes, 2002.

(5) Pour ne citer que les plus récentes : Jean-Eugène Buland, 1852-1926. Aux limites du réalisme, Musée des Beaux-Arts de Carcassonne, Musée des Beaux-Arts de Chartres, Éditions du Panama, Paris, 2007 ; Alfred Roll, 1846-1919 – Le naturalisme en question, Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, Paris, Somogy, 2007.