Roeten, Leo : Chronological Developments in the Old Kingdom Tombs in the Necropoleis of Giza, Saqqara And Abusir : Toward an Economic Decline during the Early Dynastic Period and the Old Kingdom (Archaeopress Egyptology 15), xiv+144 p., ISBN : 9781784914608, 30 £
(Archaeopress, Oxford 2016)
 
Compte rendu par Rémi Legros, Mission archéologique française de Saqqâra
 
Nombre de mots : 2212 mots
Publié en ligne le 2017-04-14
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2994
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          Dans l’ouvrage qui fait l’objet de la présente recension, Leo Roeten poursuit son travail sur les mastabas de l’Ancien Empire, dans le prolongement de sa thèse de doctorat, soutenue en 2011 à Leyde et publiée en 2014 sous le titre The decoration on the Cult Chapel Walls of the Old Kingdom Tombs at Giza (Brill, 2014). Il reprend certaines considérations sur les chapelles, essentiellement leur taille et la présence de plusieurs fausses-portes et confronte ces données aux dimensions de la tombe elle-même.

 

          L’objectif est double. D’une part, il propose d’établir un schéma d’évolution pour les tombes de l’Ancien Empire dans la région memphite, sur la base de données architecturales et, d’autre part, d’interpréter cette évolution comme le témoignage d’une évolution économique qui tend vers le déclin, notamment pour des raisons climatiques.

 

         Le matériau utilisé est donné en fin d’ouvrage (p. 129, part. IV, catalogues and tables). L’auteur liste les tombes utilisées pour les sites de Giza, Saqqâra et Saqqâra-nord. Avec un classement chronologique, chaque tableau rappelle la référence au Porter & Moss, la date de la tombe, sa surface, la surface de la chapelle, sa largeur et sa longueur ainsi que le nombre de fausses-portes. C’est sur cet ensemble que l’auteur appuie son raisonnement en proposant une étude statistique de ces données chiffrées.

 

         On peut regretter que ces tableaux ne correspondent pas exactement à l’étude puisqu’ils ne donnent pas les données pour Abou Rawash ni Abousir, qui font pourtant partie intégrante des commentaires et analyses (respectivement p. 33-38 et chapitre X, p. 101-113). En outre, le découpage géographique est ambigu. Pourquoi séparer la zone nord de Saqqâra avec les tombes les plus anciennes ? Si l’on opère un découpage à valeur chronologique, autant séparer Saqqâra-sud avec ses tombes les plus tardives. En outre, Abousir constituait dans l’Antiquité la porte d’entrée principale du site de Saqqâra et faisait partie de cet ensemble, avec une continuité d’occupation (et l’auteur intègre d’ailleurs certaines données d’Abousir à ses diagrammes sur Saqqâra, cf. p. 106). Il aurait donc fallu être plus clair entre un choix large (incluant tout Saqqâra et Abousir) ou une division par secteur, mais avec un éclatement des données plus systématique.

 

         De manière globale, l’ouvrage peine à définir une méthodologie pertinente pour le traitement des problématiques géographiques. Le parti pris initial consiste à réaliser au départ une étude sur Giza (1ère partie) afin d’établir une méthode d’analyse et obtenir les premières réponses, pour ensuite confronter ces résultats aux autres sites (partie 2) et évaluer la pertinence de la méthode ainsi que les similitudes entre les sites. Ce choix méthodologique présente l’avantage de permettre une approche systématique qui est appliquée successivement à tous les sites, mais qui perd beaucoup sur la vision d’ensemble, en particulier si l’on souhaite évoquer une éventuelle concurrence entre les différents sites.

 

         L’étude statistique repose, pour chacun des sites ou secteurs étudiés, sur une série de trois principaux diagrammes : le rapport entre la surface de la chapelle et la surface de la tombe, le rapport entre la largeur et la longueur de la chapelle, le pourcentage de tombes ayant deux fausses-portes ou plus. À ce stade, il est important de signaler que la mise en œuvre de cette méthode présente des problèmes majeurs, qui remettent en cause les conclusions d’ensemble de l’ouvrage. Le premier et principal problème concerne l’existence d’un choix dans l’établissement des échantillons statistiques. Il a été dit que les données sont rassemblées dans des tableaux en fin de volume ; pourtant, en fonction des chapitres, ces données font l’objet d’une sélection qui les inclut ou les exclut de l’analyse. Ainsi, pour chaque période ou site qui fait l’objet d’un diagramme, l’auteur commence par expliquer pourquoi il exclut certaines tombes de son analyse (p. 41, 57, 93-95). Il s’agit le plus souvent de tombes de très grandes tailles, qui constituent selon lui des éléments d’exception qui faussent les données, notamment les moyennes. Certes, cette exclusion est argumentée, mais elle présente malgré tout un caractère problématique car une grande partie des conclusions finales repose sur les moyennes obtenues, qui sont donc générées par une sélection et non représentatives de la réalité des données.

 

         Ce principe d’une sélection des données est d’autant plus dérangeant qu’il n’est pas systématique, mais varie en fonction des circonstances et des besoins de l’auteur. Déjà sur la constitution du corpus initial : dans la définition des fausses-portes par exemples, celles qui ont une forme de serekh sont prises en compte, sauf s’il y a une autre fausse-porte à côté (p. 20). Les tombes de reines ne sont pas prises en considération, sauf la tombe de Giza G-1b, et encore, seulement pour certaines analyses choisies. Concernant les tombes les plus grandes précédemment évoquées, elles sont exclues du diagramme sur la taille, mais sont réintroduites dans l’analyse du nombre de fausses-portes sans quoi l’échantillon manquerait de représentativité (p. 63).

 

         Cette variabilité de l’échantillon statistique laisse une impression générale de sélection « à la carte », s’adaptant au gré des besoins de l’auteur. Elle ne repose pas sur un principe méthodologique argumenté et déforme la réalité du corpus initial. De fait, on ne sait plus de quelles données on parle comme par exemple sur la figure 81 (p. 73) qui donne 55 % de tombes à fausses-portes multiples en période V.L, alors que le graphique d’origine (fig. 38, p. 32) en donnait initialement 57, sans que l’on puisse comprendre d’où vient cette différence (une modification de la datation ?).

 

         En ce qui concerne la réalisation des graphiques et diagrammes, on peut regretter des choix inopportuns, pour la forme comme pour le fond. Pour ce qui touche à la forme, il s’agit par exemple d’un problème d’échelles. Pour l’étude de Giza notamment, les données sont séparées chronologiquement et chaque période successive donne lieu à six diagrammes spécifiques (fig. 45, 47, 54, 56, 60 et 63). Aucun de ces diagrammes n’a la même échelle et les comparaisons deviennent impossibles, ce qui est d’autant plus regrettable qu’une réflexion sur l’évolution chronologique a toute sa pertinence.Dans le même ordre d’idées, certains graphiques présentent en parallèle l’évolution de deux groupes de tombes dites « riches » et « pauvres ». Mais les données des tombes pauvres ont été « ajustées pour avoir les courbes plus proches dans le diagramme » (p. 67, n. 11). Nonobstant une absence de définition sur la nature de cet « ajustement », le résultat devient incompréhensible, avec des tombes pauvres qui deviennent plus importantes que les riches (fig. 78, p. 68). Sur le fond, les diagrammes qui confrontent la surface de la chapelle et celle de la tombe ne sont pas non plus d’une grande pertinence. Comme le remarque l’auteur à plusieurs reprises, c’est la surface de la tombe seule qui montre les évolutions les plus significatives et l’ajout de données sur la chapelle gêne la lisibilité et ajoute une complexité inutile. D’autres choix étaient possibles.

 

         L’interprétation statistique des diagrammes présente également des limites. Pour l’évolution de la surface des tombes, chaque diagramme, par période, montre, selon l’auteur, deux groupes distincts. Il établit, pour chacun de ces deux groupes, une moyenne des mesures et l’écart entre les extrêmes. Il mesure également la distance entre les deux groupes. Si l’on considère les six diagrammes évoqués ci-dessus, la séparation apparaît assez clairement dans les premiers, mais tend à s’amenuiser au cours de l’Ancien Empire. Elle devient douteuse à partir du milieu de la Ve dynastie (fig. 56) et nous semble artificielle pour les périodes suivantes (fig. 60 et 63). L’enjeu porte ici sur un point de méthode fondamental. L’auteur cherche à définir ces deux groupes de tombes afin, ensuite, de les traiter séparément et il semble donc chercher cette définition par tous les moyens. Il nous semble, quant à nous, que les diagrammes sont sur-interprétés et que le traitement séparé des données relève, pour la fin de l’Ancien Empire, d’une vision faussée. En outre, il faut garder à l’esprit que, dans cette définition des groupes de tombe en fonction de la taille, les éléments les plus grands ont été initialement retirés des diagrammes.

 

         La séparation en deux groupes est d’abord réalisée sur Giza, puis étendue aux sites de Saqqâra et Abousir, mais sans véritable approche critique. Par exemple, pour la période de la fin de la Ve dynastie, il définit une séparation entre les deux groupes entre 220 et 300 m2 à Giza (fig. 65, p. 57) et retrouve ensuite une séparation équivalente à Saqqâra (fig. 94, p. 87). Pourtant, si l’on regarde ce graphique sans a priori, il semble assez évident que la tombe de Sénédjémib, qui apparaît juste après la « partition », doit être rattachée au groupe de gauche et que l’idée d’une subdivision identique sur les deux sites n’est plus aussi pertinente, mais qu’il y a au contraire un décalage. De la même manière, l’analyse du diagramme de la VIe dynastie (fig. 100, p. 91) reproduit sur Saqqâra le découpage de Giza, sans tenir compte des spécificités de cet ensemble. L’auteur fait donc l’interprétation d’un intervalle entre 90 et 472 m2, alors que le diagramme montre bien 4 ou 5 tombes à l’intérieur même de cet intervalle. Inversement, le diagramme sur les proportions de la chapelle (fig. 99, p. 90) présente des nuages de points assez nets et distincts, mais qui ne sont pas identifiés en tant que tels.

 

         Le cas de la figure 112 (p. 99) semble porter ces imprécisions à leur paroxysme, avec une accumulation d’approximations méthodologiques. Ce diagramme est sensé représenter l’évolution de la surface des tombes à Saqqâra de la Ie à la VIe dynastie. Les données brutes donnent une évolution en dents de scie, avec une première remontée de la surface moyenne durant la IVe dynastie et une seconde remontée sous la VIe dynastie. Pourtant, la première de ces pointes est gommée par l’auteur car la faiblesse de l’échantillon sur la période la fait considérer comme non représentative et la deuxième est effacée également par l’exclusion des tombes à plusieurs chambres, considérées comme atypiques. Le résultat final est que la courbe initiale, en dents de scie, présente désormais un profil régulier et continu, mais entièrement artificiel et faux.

 

         Sur la base de ces nombreux diagrammes, l’auteur établit des interprétations historiques dont la valeur ne peut être que spéculative et discutable. L’auteur évoque notamment le déplacement de la nécropole royale et de son influence éventuelle sur les tombes de particuliers (p. 124-126). Il s’appuie ici sur un diagramme qui associe la surface des tombes dans les trois nécropoles de Giza, Saqqâra et Abousir (fig. 132) et affirme que l’impact du cimetière royal est sans doute nul car les trois courbes suivent exactement le même profil. On vient de voir pourtant comment la courbe de Saqqâra a été « travaillée » pour correspondre à ce résultat, alors que les données initiales pourrait justement aller dans le sens d’une interprétation inverse.

 

         Enfin, dans le chapitre final portant les conclusions, l’auteur annonce que la subdivision en deux lots qui structure toute sa réflexion relève sans doute plutôt d’une partition en trois groupes. Déjà l’emploi des termes « riches » et « pauvres », pour les deux ensembles principaux, nous semble impropre à qualifier la taille des tombes. Il n’est pas exclu que cette taille soit en rapport avec le statut des individus, mais la richesse d’une tombe ne saurait être considérée que sur la base de ce seul critère, car d’autres éléments comme la décoration ou l’équipement funéraire devraient être pris en compte. Cet abus de langage amène ainsi l’auteur à placer la tombe de Raouer dans les tombes pauvres alors qu’il avait tout de même le titre de vizir (p. 118). L’interprétation sociale de cette dichotomie, voire « trichotomie », nous semble pour le moins excessive. L’idée d’une catégorisation officielle des tombes en deux ou trois groupes bien distincts ne correspond pas à la réalité du terrain et le caractère souvent artificiel des séparations opérées entres ces groupes, à partir de la Ve dynastie au moins, rend les arguments caduques. L’évocation d’une troisième classe spéciale « qui ne serait soumise à aucunes règles sociales autres que celles du roi » (p. 124) ne semble correspondre à rien de ce que l’on connaît par ailleurs.

 

         Tout cet échafaudage amène l’auteur à la conclusion annoncée dans le sous-titre de son ouvrage : la taille des tombes est révélatrice d’un déclin économique qui ne peut être lié qu’aux perturbations climatiques de la deuxième moitié du IIIe millénaire. Certes, l’aridification du climat a indubitablement joué un rôle économique, avec des répercussions sur la population égyptienne et ses pratiques funéraires. La situation est cependant beaucoup plus complexe et des facteurs multiples sont à l’origine de ces évolutions. Le poids du facteur climatique dans le déclin de l’Ancien Empire ne saurait être résumé ainsi en quelques pages.

 

         Pour conclure, cet ouvrage passe malheureusement à côté d’un sujet d’étude important : l’évolution de la taille des tombes (et plus accessoirement l’évolution du nombre de fausses-portes). Une analyse fine des données disponibles, appuyée sur une méthodologie serrée permettrait sans doute de proposer des interprétations historiques des plus intéressantes. Cette étude reste à faire et les conclusions du présent volume ne sauraient être envisagées sans la plus grande prudence.