Chatenet, Monique - Gady, Alexandre : Toits d’Europe, (De Architectura), 21 x 27 cm, 248 p., 203 ill., ISBN : 2708410169, 52 €
(Picard, Paris 2016)
 
Rezension von Eva Renzulli
 
Anzahl Wörter : 2228 Wörter
Online publiziert am 2020-02-26
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3002
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          C’est suivant la tradition des colloques organisés à partir de 1973 par André Chastel et Jean Guillaume au CESR (Centre d’études supérieures de la Renaissance de l’Université de Tours), que la huitième édition des « Rencontres d’architecture européenne » (Paris, INHA, 12-14 juin 2013), s’est penchée sur un thème polymorphe et très peu étudié comme « Les toits d’Europe ». Ces parties constitutives de l’architecture qui, en tant qu’éléments structurels nécessaires, suivent les principes vitruviens d’utilitas et firmitas, mais peuvent également devenir l’occasion d’un geste créatif pour l’architecte et revêtir une fonction identitaire très forte, et sont donc aussi sujets au principe de la venustas. Des chercheurs de huit nationalités se sont confrontés sur cette typologie architecturale et les études qui en résultent, comme le soulignent Monique Chatenet et Alexandre Gady dans leur avant-propos, par la nature de leur sujet, se situent à la croisée « de l’histoire de l’architecture, de la forme urbaine, de l’archéologie du bâti, de l’histoire des techniques, enfin d’une histoire des modes et des goûts ».

 

         Le volume s’ouvre avec la situation en France à la fin du XVe siècle, alors que la norme est le toit à versants droits et qu’une nouvelle « famille » de toiture fait son apparition : le toit cintré. Jean Guillaume nous présente ses variations et un riche choix d’exemples qu’à partir de ce moment-là la haute aristocratie a fait bâtir, ressentant le besoin de se distinguer et un profond désir d’innovation. Sont à l’honneur les dômes à l’impériale dans le Val de Loire, les dômes circulaires de grande dimension dans le Berry, puis en Occitanie et Val de Loire, que l’on retrouve à couronner des tours d’escalier, de petits volumes cylindriques, de grandes tours rondes dans les châteaux ou, dans le cas des toits en carène, sur les ailes des châteaux.

 

         Pratiquement contemporains de ces premiers toits porteurs de nouveauté, les toits pyramidaux en bulbe érigés dans le Brabant – l' ancien nom des Pays-Bas – sont l’objet des réflexions de Krista de Jonge. Ces toitures couvrent tours d’escaliers et pavillons, comme dans le cas français, mais apparaissent aussi bien dans l’architecture religieuse pour couronner des flèches ou des baptistères. Inspirés, selon De Jonge, de l’imaginaire de la Terre Sainte et du « Dôme du Rocher », ces bulbes font référence à l’engagement des Habsbourg pour délivrer Jérusalem et deviennent un élément choisi par les commanditaires pour son prestige ainsi que pour l’affiliation qu’il exprime, attestant ainsi une forte connotation identitaire, surtout dans le cas de l’architecture civile.

 

         Xavier Pagazani se penche lui aussi sur les débuts de cette veine innovatrice, cette fois-ci en Normandie, en choisissant comme objets de sa contribution les demeures de la noblesse. Dans cette étude, deux types de toitures qui s’éloignent de la tradition autochtone sont abordés : les toits terrasse et les grands toits en fer de hache. Les premiers, selon Pagazani, font une entrée fugace sans réelle postérité – sinon dans l’architecture en papier, comme celle de Du Cerceau. Les seconds, au contraire, ont connu une certaine longévité. La forme, mais également la structure portante, c’est-à-dire la charpente des toits en fer de hache, font ici l’objet d’une étude minutieuse et l’auteur traite d’un point important, celui du rapport entre façade et toit.

 

         Omniprésent autour de la Méditerranée, le toit terrasse puise ses racines dans la tradition médiévale et persiste dans ses formes générales, s’habillant parfois à l’antique, mais restant toutefois souvent fidèle aux techniques ancestrales. Trois essais sont dédiés à ce type. Javier Ibáñez Fernández s’attache à illustrer les cas des miradores – (loggias sommitales ouvertes) qui, en terre aragonaise, couronnent les bâtiments. S’élevant sur les toits terrasse, et souvent ne s’intégrant pas du tout dans l’agencement de la façade, ils créent des espaces de vie et ont la fonction de protéger le bâtiment tout en assurant une régulation thermique.

 

         Les toits terrasses sont également l’objet de la réflexion de Marco Rosario Nobile et d’Arturo Zaragozá Catálan, l’un dans le contexte de la Sicile – et en particulier de Palerme aux XVe et XVIe siècles, l’autre dans le monde méditerranéen ibérique. Les exemples des bâtiments civils et religieux illustrés dans ces études étudient les contraintes pratiques et les réponses constructives qui contribuent conjointement à façonner ces toits : les voûtes sous-jacentes aux toits, leur extrados, leur protection et leur accessibilité, ou encore le système d’écoulement d’eau. Les toits plats siciliens, comme déjà les miradores et les toits terrasses considérés par Catálan, répondent à des coutumes sociales : profiter de ces espaces comme lieu de vie. Nobile, dans son étude, considère davantage les garde-corps et attribue leur forme autant à leur fonction pratique qu’à des paramètres esthétiques, tout comme il met l’accent sur l’emplacement des escaliers, qui est révélateur de l’utilisation de ces toits terrasses et devient un élément dynamique vertical dans la circulation générale du bâtiment.

 

         Cette même interaction entre toit, fonction et circulation est relevée par Gordon Higgot dans son essai sur les toitures en Angleterre (1550-c.1700). Il nous introduit aux toits plats, roof walk ou roof platforms, qui sont des lieux de promenade, belvédères le jour et plateformes astronomiques la nuit, mais qui s’inscrivent également dans la prolongation des enfilades des salons d’apparat situés aux niveaux inférieurs, grâce aux escaliers, comme, par exemple, la « Tulip stair » de la Queens House d’Inigo Jones d’inspiration palladienne.

 

         L’étude de Sabine Frommel examine le dialogue complexe entre façade, toit et balustrade en Italie et en France. L’autrice souligne que la balustrade ne possède pas de vrai précédent antique, surtout pas comme couronnement d’une façade ou cache-pente, et en trace la filiation à partir des dessins d’après l’antique de Giuliano da Sangallo et les œuvres de Bramante. En Italie, à la Renaissance, avec les façades articulées par les ordres, la balustrade est adoptée pour couronner et rehausser la façade. Si l’on peut estimer qu’en France, ces fonctions étaient déjà assurées dans l’architecture gothique par des garde-corps ajourés ou par des allèges en dentelle, la balustrade française peut de ce fait se considérer comme une variante du garde-corps flamboyant qui, au XVIe siècle, en même temps que les façades, s’habille « à l’antique » suivant un processus d’actualisation d’une tradition déjà existante.

 

         Se penchant sur le XVIIe siècle, Daniela del Pesco s’interroge sur la façon dont le modèle des toits terrasses italiens a été repris par l’architecture française, notamment l’exemple des toits terrasse des projets de Bernin par l’architecture royale française au Louvre et à Versailles.

 

         La résistance aux solutions à l’antique est l’axe autour duquel s’organise la communication de Claudia Conforti qui, analysant le cas florentin entre les XVe et XVIe siècles, fait ressortir le fait que le modèle de l’avant-toit chevronné, héritage de la tradition gothique, reste à l’honneur – avec quelques exceptions – jusqu’au XVIIIe siècle. Dans la lignée de cette réflexion, Catherine Chédeau se penche sur les toitures à tuiles glaçurées polychromes qui, étant à l’origine une décoration médiévale des toits à versants droits, ont presque entièrement disparu du territoire français à l’époque moderne. Toutefois, elle montre que dans certaines régions l’emploi des toits à motifs géométriques colorés résiste, parallèlement aux toits en ardoise (Bourgogne, Franche-Comté et Champagne méridionale).

 

         Barbara Arciszewska illustre ensuite le cas polonais. Ici, pour remplacer le toit à versants apparait une solution inédite : un toit à pentes inversées (en forme de V). Pour cacher cette toiture et couronner la façade, le parapet cette fois ne prend pas la forme d’une balustrade, mais d’un attique de grande taille décoré par des motifs classicisants. Cette solution, bien que peu pratique, devient au XVIe siècle la solution préférée et définit l’architecture de la Renaissance polonaise, par opposition aux modèles allemand et russe. De fait, dans ce cas, c’est l’innovation qui devient l’élément discriminant et assume la fonction identitaire.

 

         L’essai de Richard Biegel et Petr Macek analyse le cas de la Bohème, brossant un tableau qui, à l’aide des vues gravées des villes du royaume, illustre la richesse et l’originalité des toits civils ou sacrés du XVIe au XVIIe siècles tchèques, où l’innovation et la tradition cohabitent. Des toits à pignon triangulaire côtoient des toits en pavillons, des combles brisés mais aussi des faux toits « à l’italienne », avec des attiques très hauts masquant les pignons et dessinant des volumes purs.

 

         Revenant aux toits français, les deux derniers essais prennent en compte deux typologies qui connurent une importante postérité à l’âge moderne : le comble brisé et le dôme carré. Si l’on savait déjà que l’invention du comble brisé, dit ‘à la Mansart’, n’est pas une invention de Mansart, Claude Mignot se charge de mener l’enquête sur les raisons de l’appellation de toit « à la Mansart », étudiant les origines et nous guidant à travers la généalogie de ces combles brisés et de ses nombreuses variations – avec terrasson, avec faux comble, ou encore tronqués en terrasse –, donnant de ce fait au lecteur l’occasion de renouveler ses connaissances sur le sujet.

 

          À Alexandre Gady revient la tâche de clore le volume pour des raisons chronologiques, mais également car il reprend le fil des généalogies familières des toitures en France à la Renaissance, se penchant surtout sur le dôme carré – dont les prémices ont été analysées dans le premier essai par Jean Guillaume – pour en parcourir l’évolution jusqu’au XIXe siècle et en éclairer certains aspects, tels que le décor, la charge symbolique et son interaction avec les volumes qu’il couronne, ainsi que le rôle dans la composition des bâtiments.

 

         Ces essais mis en parallèle nous permettent de percevoir qu’il existe autant de principes universels que de singularités caractérisant les toits d’Europe. On peut suivre plusieurs fils rouges qui traversent les essais, se croisant à plusieurs occasions, pour ensuite prendre une autre direction. Comme il est indiqué dans l’avant-propos, les toitures ont certainement une fonction pratique, mais tous ces exemples montrent que cela n’empêche qu’elles puissent avoir également des fonctions symboliques : exprimer le désir d’innovation, de prestige, une affirmation identitaire d’appartenance, ou de prise de distance.

 

         Ces toits peuvent également devenir des lieux de vie (miradores, toits terrasses méditerranéens où profiter de l’air du soir, ou plateformes pour admirer les paysages verdoyants britanniques, ainsi que pour scruter les étoiles). Une fonction qui pousse à examiner le toit en lien avec la distribution intérieure, en particulier avec les escaliers qui assurent la communication verticale entre les étages et le toit. Pour revenir aux types et à leurs formes, ces études soulignent également la variété des éléments qui assurent la médiation entre façade et toit : les balustrades, les avant-toits, les consoles, les aleros, les arcades des miradores, les attiques polonais et bohémiens. L’intelligence des matériaux et la tradition artisanale sont aussi mis à l’honneur à travers l’analyse des éléments constructifs : les voûtes en pierre sous-jacentes, les enjarrados de bóvedas, le coccio pesto, ou encore les tabiques qui servent de support aux terrasses, ainsi que les charpentes en bois qui permettent les différentes formes, et enfin les tuiles glaçurées colorées, le plomb, la charpente.

 

         Le vocabulaire est si florissant et varié que parfois l’on pourrait regretter l’absence d’un glossaire ; à tout le moins une tentative d’homogénéisation, ou de mise en relation, des termes techniques. Toutefois, l’originalité du thème choisi, ainsi que la variété des points de vue et des approches compensent largement ce regret. Puisque l’apport essentiel du volume provient du fait que, si chaque essai contribue singulièrement à une compréhension de l’architecture européenne et à la connaissance du toit, l’ensemble offre une vue générale qui, même si elle n’est pas exhaustive, permet de mieux cerner les traditions autochtones, leur évolution, leur hybridation et pose par là même de nouvelles interrogations invitant à poursuivre la réflexion.

 

 

Table des matières

 

Table des matières, p.5-6

Monique CHATENET – Alexandre GADY, Avant-propos, p.7-8

 

 

Jean GUILLAUME, Architectures imaginaires et « nouvelles inventions » : l’apparition des toits cintrés en France au XVIe siècle, p.9-24

 

Krista DE JONGE, La toiture pyramidale à bulbe, signe identitaire de l’architecture Habsbourg d’origine brabançonne au XVIe siècle, p.25-46

 

Javier IBÁÑEZ FERNÁNDEZ, Miradores, aleros et toits colorés dans l’architecture aragonaise des Temps modernes, p.47-66

 

Marco Rosario NOBILE, « Sans bois, sans toits » 1. Le terrazze nel Mediterraneo : la Sicilia fra XV e XVI secolo, p.67-76

 

Arturo ZARAGOZÁ CATALÁN, « Sans bois, sans toits » 2. La cubiertas con terrazas en el Mediterráneo iberico, ss. XV-XVI, p.77-90

 

Claudia CONFORTI, Les toits des palais à Florence aux XVe et XVIe siècles : l’antique face à la tradition florentine, p.91-100

 

Sabine FROMMEL, Balustrade et toit en Italie et en France à la Renaissance : évolution d’un dialogue varié, p.101-120

 

Xavier PAGAZANI, Le couronnement des demeures de la noblesse normande : toits en fer de hache et toits en terrasse, p.121-136

 

Catherine CHÉDEAU, « De la couleurs sur les toits » : l’emploi des tuiles glaçurées en France à l’époque moderne, p.137-152

 

Barbara ARCISZEWSKA, The « Polish roof » and the « Polish attic » in architectural history of early modern Poland, p.153-172

 

Richard BIEGEL – Petr MACEK, Le toit, élément plastique de l’architecture des Temps modernes en Bohême, p.173-184

 

Gordon HIGGOT, Roof walks and roof platforms on English country houses, c. 1550 to c. 1700, p.185-198

 

Daniela DEL PESCO, Le palais « pour un roi d’aujourd’hui » du Bernin et les toits en terrasse du Louvre et de Versailles, p.199-212

 

Claude MIGNOT, L’invention des combles brisés : de la légende à l’histoire, p.213-228

 

Alexandre GADY, Le Dôme carré, un couvrement « à la française », p.229-242

 

Résumés, p.243-247