De Franceschini, Marina : Villa Adriana. Accademia. Hadrian’s Secret Garden. I. History of Excavations, Ancient Sources and Antiquarian Studies from the XVth to the XVIIth Centuries, (Studies on Hadrian’s villa, 1), pp. 240 integralmente stampate a cinque colori, con 261 figure n.t. e cinque piante pieghevoli di grande formato, Cm 22 x 32,2, ISBN-10: 978-88-6227-827-0, 180 €
(Fabrizio Serra editore, Pisa-Roma 2016)
 
Compte rendu par Sarah Andrès, Sorbonne Universités
 
Nombre de mots : 2359 mots
Publié en ligne le 2018-10-29
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3024
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         Ce volume est le premier des trois que Marina De Franceschini prévoit de consacrer à une zone peu étudiée de Villa d’Hadrien, celle de l’Académie. Localisée au Sud du vaste complexe impérial, sur la terrasse la plus haute et reculée de la villa, cette grande esplanade qui se développe entre la tour Roccabruna et l’Odéon est constituée d’un pavillon d’entrée monumental, le Belvédère, et de ce fameux « jardin secret » de l’empereur, un quadriportique desservant un bâtiment de plan circulaire baptisé Temple d’Apollon. L’A. a choisi de mener une étude complète de l’ensemble, alliant enquête de terrain et plongée dans les archives. Ainsi les deux premiers volets s’attacheront à décrire les documents et sources anciennes encore conservés (le présent volume s’intéresse aux XVe-XVIIe siècles, le deuxième poursuivra l’effort du XVIIIe siècle à nos jours), quand le dernier sera dédié à l’architecture à proprement parler, depuis les techniques de construction jusqu’aux décors. Elle compte pour cela recourir aux technologies numériques et au scanner laser pour dresser un nouveau plan et modèle 3D des bâtiments. Seul le volume inaugural de cet « Accademia Project » a actuellement vu le jour mais l’A. travaille depuis plus de vingt-cinq ans sur le site de la Villa d’Hadrien, sur ses mosaïques et ses pavements ainsi que sur l’orientation astronomique des bâtiments de Tivoli. L’archéo-astronomie participe en effet à nourrir le nouveau plan de la Villa élaboré dans le cadre du Digital Hadrian’s Villa Project dirigé par B. Frischer et qui présente notamment la carte céleste de 130 ap. J.-C. Cette approche pluridisciplinaire, conjuguant données de terrain, archives et nouvelles technologies, évoque celle qu’une équipe du British Museum emmenée par Thorsten Opper adopte pour son étude de la zone de Pantanello. À l’instar de ces marais situés à l’autre extrémité de la Villa, au nord du site, les ruines de l’Académie sont encore aujourd’hui en mains privées. Les Bulgarini, famille dont il est abondamment question dans cet ouvrage et qui possède le terrain depuis le XVIIe siècle, délivrent eux-mêmes les permis aux chercheurs. L’A. a bénéficié pour ses travaux d’une bourse de l’Archaeological Institute of America, ce qui l’a conduite à adopter l’anglais pour cette publication. Ce choix contribue sans doute à une plus grande diffusion des données, auprès du public comme des équipes internationales qui collaborent à Tivoli, diffusion qui semble au cœur des préoccupations de l’A. à l’origine d’un riche site internet (www.villa-adriana.net) disponible en version bilingue. On peut louer cet effort qui compense le prix élevé de l’ouvrage.

 

         Du point de vue formel, celui-ci est constitué de seize chapitres, en général très courts, qui présentent soit par siècle, soit par l’entremise d’une personnalité de l’époque, la documentation consacrée à la Villa d’Hadrien. Les biographies de ces personnages qui ont étudié le complexe ou qui y ont commandé des fouilles entraînent parfois l’A. vers le hors-sujet, même si les rappels du contexte culturel de ces trois siècles n’est pas inutile. En revanche, le plan chronologique adopté comme le découpage en nombreux petits chapitres encouragent bien souvent la répétition. L’ouvrage possède les défauts de ses qualités : clair et facile à consulter avec ses nombreuses entrées, son propos toujours précis et développé, ses conclusions qui terminent presque chaque chapitre et son chapitre conclusif, il est plus d’une fois redondant (jusqu’à proposer entre parenthèse les dates de vie et de mort d’un personnage dans une phrase donnant lesdites dates ; même si l’on se doute qu’il s’agit là d’une inattention, cela illustre le caractère très descriptif du discours). Le chapitre consacré aux Bulgarini (chap. 11) surprend par la présence d’un catalogue très détaillé des trois œuvres découvertes à l’Académie au XVIIe siècle. Si le dossier passionnant et traité avec rigueur dans la description et l’analyse offre une mise au point très complète sur ces objets (sur leur état de conservation et leurs restaurations successives notamment), il paraît toutefois peu à sa place dans ce volume et aurait sans doute pu être réservé à l’ouvrage de la série destiné à revenir sur l’architecture et le décor de l’Académie. Ce volume dispose d’une abondante iconographie en couleur et de plusieurs plans dépliables qui présentent la Villa dans son entier, l’Académie, ainsi qu’une copie du plan de Contini de 1668 (voir infra). L’A. s’est procuré des reproductions en haute définition de nombreux documents d’archives, au point de pouvoir en proposer des vues de détails. Néanmoins et même si l’on imagine que les questions de droit des images n’ont pas été négligées par l’éditeur, on aurait aimé des légendes qui précisent le lieu de conservation des œuvres au lieu d’une mention « from Internet » ou « from Wikipedia » pour plusieurs d’entre elles. On doit souligner le gros travail réalisé sur les sources qui ont toutes été traduites vers l’anglais, mais dont on peut toujours retrouver le texte original dans les appendices. L’ouvrage est complété par un index général, un index des noms propres et des œuvres, ainsi que par une bibliographie dans laquelle on constate que beaucoup d’éléments biographiques ou du contexte historique sont empruntés à l’encyclopédie Treccani.

 

         L’A. revient en effet abondamment sur le contexte culturel de ces trois siècles, depuis la redécouverte de Vitruve au XVe siècle jusqu’aux lents progrès des recherches scientifiques et le début du Grand Tour dans la seconde moitié du XVIIe siècle. À l’origine de l’intérêt que suscite Tivoli se trouve un passage de l’Histoire Auguste maintes fois commenté depuis la Renaissance (qui rapporte qu’Hadrien nomma les différentes parties de sa Villa d’après des provinces visitées ou des lieux fameux) et les premières tentatives d’identification sur le terrain à l’instigation du pape Pie II au milieu du XVe siècle. Comme le rappelle l’A., peu d’informations sont disponibles sur la Villa après le IIe siècle. Si des portraits des Sévères ont été retrouvés sur le site, il sert dès le règne de Caracalla de carrière de marbre. La dernière mention disponible dans les sources anciennes concernerait l’emprisonnement de Zénobie à Tivoli. Peu de choses sont connues des destructions du haut Moyen Âge ; P. Ligorio (voir infra) évoque des destructions iconoclastes et la progressive transformation de Tiboli vecchio en carrière et zone de terrasses cultivées. Les visites de Raphael, De Vinci, Philibert de l’Orme et d’autres sont rapidement évoquées, ainsi que les études de Palladio (qui a laissé plusieurs dessins) ou de Borromini qui, au siècle suivant, s’intéresse à l’organisation des voûtes qu’il observe sur le site.  

 

         Les premières fouilles enregistrées sont commandées à la fin du XVe siècle par le pape Alexandre VI. On exhume de la zone de l’Odéon neuf statues de Muses qui, après être passées par de nombreuses collections (des Médicis aux Farnèse puis à Christine de Suède, elles tombent ensuite entre les mains de plusieurs grandes familles comme les Odescalchi avant d’être vendues à Philippe V d’Espagne), sont aujourd’hui exposées au Prado. Très peu de détails sont rapportés dans les documents conservés et ils concernent bien plus le mobilier que l’architecture du site. La redécouverte de la Villa ne devait cesser d’aller de pair avec les destructions et déprédations. Les excavations se multiplient au XVIe siècle et papes et cardinaux, s’imaginant en descendants des sénateurs romains, restent à l’affût de tout antique en provenance de Tivoli (en tout, ce sont quelques deux cent soixante et onze œuvres exhumées et éparpillées en Europe selon Lanciani). La première fouille d’importance est celle organisée dans la seconde moitié du XVIe siècle par Pirro Ligorio, antiquaire napolitain au service d’Hippolyte d’Este, gouverneur de Tivoli. Sa villa voisine s’enrichit des marbres et sculptures que Ligorio, peu soucieux de la propriété privée, récupère même dans les églises environnantes. Les fouilles se poursuivent au XVIIe siècle, même s’il est aujourd’hui délicat d’en retrouver les commanditaires, celles-ci prenant bien souvent le nom des acheteurs prestigieux, Farnèse ou Carafa, qui se bousculent pour acquérir les pièces sorties de terre. Quelques trouvailles peuvent toutefois être attribuées, leur lieu d’exhumation connu avec plus ou moins de précisions comme cet escalier d’albâtre aux murs en marbre précieux et métal doré mis au jour par Baratta pour Innocent X, les statues égyptisantes en marbre noir découvertes près des Cento Celle par les pères jésuites au milieu du XVIIe siècle, ou celles que J.-C. Grenier attribuent au Serapeum et qui viendraient en réalité de la zone de la palestre (fouilles de Cappuccini et Biscanti au milieu du XVIe siècle).

 

         Une bonne partie de l’ouvrage concerne donc la Villa d’Hadrien en général. À propos de l’Académie en particulier, on apprend qu’elle sert de mine aux trésors aux premiers possesseurs du terrain identifiés au XVIe siècle, les Altoviti. Malheureusement, si ces derniers ont certainement fouillé la zone, leurs recherches n’ont pas laissé de traces écrites. Les Altoviti possédant bien d’autres terrains, il est aujourd’hui impossible de savoir ce qui provient effectivement de l’Académie. L’A. évoque tout de même ces hermès trouvés quelque part dans la Villa et vendus par la famille au pape Jules II ; elle en propose des identifications erronées dans les collections contemporaines, ce qui laisse penser qu’elle n’est pas familière des études que B. Palma Venetucci et ses équipes ont menées sur les hermès de Tivoli (Pirro Ligorio e le erme tiburtine et Le erme tiburtine e gli scavi del Settecento, Rome, 1992). Les premières fouilles documentées à l’Académie ont lieu alors que le terrain est passé aux mains de Giovanni Giacomo Bulgarini, agent papal à Tivoli sous Paul V et Urbain VIII. C’est à cette époque que le gouverneur de Tivoli Francesco Barberini charge l’architecte Francesco Contini de fouiller le site de la Villa dans son intégralité. La zone de l’Académie livre les candélabres Barberini, l’une des premières acquisitions du musée Pio Clementino au siècle suivant. Il s’agit des trouvailles les plus anciennes de la Villa correctement documentées, car Contini en marque le lieu de découverte précis sur son plan.

 

         Le cœur de l’ouvrage est constitué par le commentaire des plans de l’Académie successivement dressés. Chaque fois que la chose est possible, l’A. propose une comparaison poussée entre ses propres relevés et les dessins anciens. L’excellente numérisation des documents d’archive lui permet de superposer ou de juxtaposer les cartes, sur des pages entières qu’elle annote parfois. Les descriptions des siècles passés sont rapportées à l’état actuel des bâtiments, photographies récentes à l’appui, et même reconstruction 3D dans le cas du pavillon du Belvédère (un avant-goût de ce que promet le troisième volume de l’étude).

 

         Les plus vieux dessins de la Villa et de l’Académie datent de la seconde moitié du XVe siècle. Ils sont dus à Fra’Giocondo et Francesco di Giorgio Martini. Il ne s’agit pas d’un plan général mais du relevé de plusieurs bâtiments. Cependant, les mesures prises ne correspondent pas à la réalité du terrain et les bâtiments sont reconstruits par symétrie, comme il est fréquent à cette époque. Les feuillets se focalisent encore sur des détails bien étudiés mais non replacés sur les vues générales et souvent même supprimés de la mise au propre. On retrouve en revanche des mesures exactes sur les dessins de Palladio. À la recherche des proportions parfaites, ce dernier propose un plan presque complet de l’Académie (malgré quelques erreurs et le fait qu’il ne détaille pas les différentes salles du portique), qui atteste qu’au XVIe siècle, une bonne partie du bâtiment est déjà effondrée. Ces relevés, bien que précis, ne sont malheureusement pas accompagnés de notes ou de descriptions.

 

         Les deux personnages centraux de ces trois premiers siècles de recherches à la Villa d’Hadrien ont déjà été évoqués, il s’agit de Pirro Ligorio et de Francesco Contini. Le premier est à l’origine des toponymes utilisés jusqu’à aujourd’hui (notamment du nom de l’Académie qui, pour lui, est inspiré du monument athénien éponyme) et, malgré sa réputation de faussaire, a laissé une documentation précieuse et abondante. Seuls les dessins préparatoires de son plan général de la Villa sont aujourd’hui conservés, sans qu’il soit possible de savoir si celui-ci a réellement vu le jour. Francesco Contini réalise, quant à lui, en 1634, une mise au propre du plan de Ligorio et un nouveau plan général de la Villa en 1668. Il rend compte dans une lettre à son commanditaire, le cardinal Barberini, de deux ans d’un travail laborieux en raison d’une végétation par trop envahissante. Il est également le premier à décrire le réseau de souterrains qui parcourt la Villa. Les mesures de Contini s’avèrent très précises et il complète ses descriptions de numéros et de lettres rapportés sur le plan (l’A. parle d’une innovation révolutionnaire). Contini n’est pas un antiquaire mais un architecte qui ne s’encombre pas des digressions érudites de la Renaissance que l’on retrouve chez Ligorio. Trois versions de son plan sont produites : la première est donc publiée en 1668 et compte dix planches sur lesquelles l’indication des différentes parcelles et le nom de leur propriétaire est rapportée. Athanasius Kircher reproduit le plan de Contini réduit à une seule planche en 1671 et une troisième réimpression a lieu en 1751 car la précédente version est devenue introuvable ; comme la précédente, elle est moins précise que le plan de 1668 et fait disparaître l’indication des propriétaires, devenue de toute façon obsolète.

 

         L’A. évoque enfin une série d’études historiques et de dessins anonymes reproduisant les stucs des plafonds de l’Académie (qu’elle compare aux fragments restants), dont les motifs sont copiés dans les décors des palais modernes. Ainsi, malgré des répétions et quelques passages qui perdent de vue l’Académie voire la Villa d’Hadrien toute entière, l’A. effectue un travail exemplaire du point de vue du traitement des sources historiques, sans manquer de faire à chaque fois le point sur les différents manuscrits autographes conservés et leurs copies. On espère que le reste du projet sera mené à bien car ce volume inaugural n’apporte finalement que peu d’informations quant au bâtiment en lui-même et à ses fonctions.

 


N.B. : Sarah Andrès prépare actuellement une thèse de doctorat intitulée "L'hermès à portrait dans l'Occident romain : fonctions, contextes et significations" sous la codirection de Gilles Sauron (Université Paris-Sorbonne) et Emmanuelle Rosso (Université Paris-Sorbonne).