AA.VV.: Guilaine, Jean - Carozza, Laurent - Garcia, Dominique - Gasco, Jean - Janin, Thierry - Mille, Benoît. Launac et le Launacien. Dépôts de bronzes protohistoriques du sud de la Gaule, (Mondes anciens), 21,5X27,5 cm, 388 p., ISBN : 978-2-36781-213-7, 32 €
(Presses universitaires de la Méditerranée, Montpellier 2017)
 
Compte rendu par Estelle Gauthier, Université de Franche-Comté
 
Nombre de mots : 2536 mots
Publié en ligne le 2018-07-12
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3110
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          L’ouvrage est composé d’un volume de 388 pages avec une couverture solide. Il est imprimé sur un papier de qualité et les illustrations sont en couleurs. Comme son titre le suggère, il poursuit deux objectifs : d’une part, la publication exhaustive du dépôt de Launac à Fabrègues (Hérault) et d’autre part une synthèse du phénomène launacien, principalement à travers une étude des dépôts terrestres. Il vise en particulier à présenter les nouvelles avancées sur l’origine des objets et les relations que le Languedoc entretenait à cette époque avec les régions voisines ou plus lointaines, en particulier le domaine méditerranéen.

 

         La parution de cet ouvrage voit l’aboutissement d’un travail entrepris de longue date. Un premier projet avait vu le jour dès les années 1980 mais n’avait pas pu aboutir. Un second projet a été engagé en 2002 par la même équipe, légèrement remaniée, et avec une "Aide à la préparation de publication" du Ministère de la Culture. Alors que l’essentiel de la rédaction était pratiquement achevé dès 2007, la publication a pris du retard en raison de l’arrivée lente des résultats d’analyses métalliques.

 

         Il s’agit du résultat du travail de plusieurs grands spécialistes de la Protohistoire méridionale, chacun ayant participé aux différentes parties de l’ouvrage selon sa spécialité. La démarche, la présentation des dépôts, l’étude des objets et la synthèse ont été réalisées conjointement par Jean Guilaine, Jean Gasco, Thierry Janin, Dominique Garcia et Laurent Carozza ; celui-ci a également constitué la base de données des dépôts et réalisé l’étude des produits bruts et des déchets métallurgiques ; les analyses des éléments chimiques ont été confiées au C2RMF et les analyses des isotopes du plomb au CRPG de Nancy ; les résultats ont été examinés par Benoît Mille et Gilberto Artioli. Stéphane Verger a également contribué à la rédaction des parties concernant les relations du phénomène launacien avec la Méditerranée.

 

         L’ouvrage est composé de huit parties bien distinctes. La première fait office de grosse introduction et présente tout d’abord le contexte dans lequel l’ouvrage a été rédigé et ses objectifs, puis décrit les conditions de mise au jour du dépôt de Launac avec un historique détaillé des découvertes de dépôts dans la région. Le second chapitre participe également à la bonne prise en main de l’ouvrage puisqu’il explique la démarche épistémologique. Les auteurs se sont fondés sur l’approche proposée par Guy Verron dans son article de 1973, qui a montré que les études de composition sont un atout pour la compréhension des ensembles métalliques car elles permettent de mettre en évidence des préférences, des sélections ou encore des schémas d’organisation au sein des dépôts. Dans cette courte partie, les auteurs détaillent la répartition en catégories, familles et types des objets métalliques concernés par cette étude. Ils soulignent les difficultés rencontrées pour classer certains objets dont la fonction n’est pas certaine ou multiple. La catégorie « divers » regroupe ainsi la vaisselle et les tôles plus ou moins identifiées, les talons launaciens dont la fonction n’est pas connue et les fragments indéterminés. Les haches ont, quant à elles, été placées parmi les outils, ce qui pourrait se discuter. Dans ce chapitre, sont également détaillés les différents éléments appartenant à la catégorie « métallurgie » ainsi que les parures annulaires.

 

         Le troisième chapitre est le plus important en taille. 79 pages sont dédiées à la description du contenu du dépôt de Launac à Fabrègues. Après une description générale de l’ensemble, les auteurs s’intéressent plus précisément aux lingots qui représentent plus de la moitié de la masse totale du dépôt, puis aux autres objets et fragments liés à la métallurgie. Vient ensuite la question de la fragmentation et des déformations subies par les pièces, puis l’inventaire à proprement parler du mobilier classé par catégories, familles et types. Chaque notice comporte la description, les dimensions, la masse des objets, ainsi que des remarques concernant leur état et éventuellement la technique de fabrication. Tous les objets sont illustrés par des dessins de qualité sur des planches en pleine page. Les dessins, sont approximativement à l’échelle ½ (avec une certaine variabilité). De belles photographies présentent certaines pièces en vue rapprochée ou des lots d’objets.

 

         Le chapitre suivant correspond à l’inventaire des autres dépôts launaciens. Cette partie est assez courte et se présente également sous la forme d’un catalogue. L’inventaire se trouve organisé par département. Chaque notice comprend la description de la découverte (localisation et circonstances), puis sa composition avec une brève description des objets connus, des remarques éventuelles et la bibliographie. Le « dépôt-épave » de Rochelongue (Cap d’Agde, Hérault) n’a pas été pris en compte ici, les auteurs ayant préféré limiter la publication aux dépôts terrestres. Il est assez dommage que très peu de dépôts soient illustrés ici. On retrouve néanmoins des dessins de certains objets plus loin dans l’ouvrage.

 

         Le cinquième chapitre, consacré aux analyses métalliques, représente également une part importante de l’ouvrage et sans doute celle qui apporte le plus grand nombre de données et de résultats nouveaux. Il est l’occasion d’examiner en détail les différents éléments de la chaîne opératoire de la métallurgie des alliages à base de cuivre dans la région. On trouve en effet au sein de 11 dépôts launaciens (parmi lesquels l’épave de Rochelongue) divers témoins des activités métallurgiques : une quantité importante de lingots mais aussi des résidus de production (déchets de fonte, chutes de découpe), des outils et des ébauches. L’étude des haches du dépôt de Bautarès, un bon nombre, brutes ou usées, présentant des accidents de coulée, a permis d’observer que la présence de défauts de fabrication n’était pas un motif de rejet.

 

         203 pièces (lingots plano-convexes, lingots-barres, objets) ont été échantillonnées pour les analyses élémentaires et, parmi celles-ci, 62 pour les isotopes du plomb. Les résultats sont commentés en trois temps : la distribution des éléments chimiques pris individuellement, une analyse multivariée des données élémentaires et enfin l’analyse isotopique du plomb. Tous les tableaux de données se trouvent livrés en annexe, à la suite du commentaire des analyses.

 

         Cette étude met en évidence un grand nombre de résultats fort intéressants : des compositions différentes selon la fonction des pièces, la présence de produits exogènes mais aussi d’imitations locales, le fait que le système de recyclage ne devait concerner pratiquement que les produits locaux. Les auteurs reconnaissent plusieurs groupes d’objets spécifiquement launaciens présentant différentes « recettes d’alliage » avec globalement une faible teneur en plomb. Certains types ont une composition particulièrement contrôlée (haches de type Rochelongue).

 

         Les analyses élémentaires du plomb sont l’occasion de poser la question du recyclage et de son impact sur la composition des objets : le plomb était-il ajouté délibérément au cuivre ou bien le recyclage a-t-il compris quelques pièces riches en plomb, entraînant une « pollution » au plomb ?

 

         L’analyse des lingots amène à discuter de l’origine de la matière première et de la possible utilisation de ces pièces pour la production locale. Les lingots barres ne seraient pas un produit de la refonte d’objets ; ils auraient par ailleurs été systématiquement alliés au plomb et/ou à l’étain mais ne seraient pas des ébauches prêtes à l’emploi. Les lingots plano-convexes, provenant de fahlerz mais aussi de chalcopyrites, n’ont, quant à eux, pas été alliés, leur composition reflète donc directement l’atelier de réduction. Cette partie soulève la question intéressante des stratégies d’approvisionnement à partir de différentes sources. Si les auteurs concluent, à l’issue des analyses élémentaires et isotopiques, à la forte probabilité d’une fabrication locale pour la grande majorité des objets déposés, avec du minerai issu de la bordure méridionale du Massif central (notamment le secteur de Cabrières mais pas celui de la Montagne Noire comme supposé auparavant), l’origine du cuivre composant les lingots plano-convexes reste en revanche problématique puisque la seule compatibilité qui ressort des analyses isotopiques les met en concordance avec des gisements de la Mer Egée. Une origine locale n’est pourtant pas exclue ; des études complémentaires pourraient aider à répondre à cette question.

 

         Le chapitre suivant est dédié à la place des dépôts dans la métallurgie du sud de la Gaule. Reprenant par catégories fonctionnelles, familles et types, les auteurs examinent les objets rencontrés dans les dépôts launaciens et les autres contextes. De nombreuses planches de dessins et des photographies viennent illustrer cette vue d’ensemble très utile de la typologie régionale. C’est aussi ici que se placent les discussions sur l’identification et la fonction des objets. On y trouve en particulier un point très intéressant sur l’interprétation des talons launaciens dont l’usage reste malheureusement indéterminé, un grand nombre d’hypothèses étant possibles.

 

         Le septième chapitre replace le Launacien dans son contexte européen à travers 33 cartes en pleine page. Chaque carte présente la répartition d’un type figurant dans une vignette en haut de la planche. En face, une liste identifie les sites pointés et donne leurs références bibliographiques. La cartographie en couleurs est homogène, sobre et élégante (bien qu’il manque échelles et orientations). Si le cadrage s’avère resserré sur la France, des miniatures à l’échelle de l’Europe ont été ajoutées chaque fois que nécessaire.

 

         Enfin, l’ouvrage comporte une dernière partie de synthèse d’une vingtaine de pages seulement mais extrêmement riche en informations et en idées. Les auteurs traitent tour à tour sept grands points qui participent à une meilleure compréhension du phénomène launacien. Ils discutent tout d’abord de l’interprétation des dépôts launaciens qui, comme les dépôts de l’âge du Bronze, ont une finalité difficile à identifier. Ils énumèrent ici, sans vraiment prendre position, les différentes hypothèses possibles, sous un angle assez original : tout d’abord les hypothèses d’ordre économique liées aux producteurs et aux marchands (cachettes, stocks, dépôts de fondeurs, réserves,…), et aux consommateurs (échantillonnage de productions locales, épargnes communautaires), puis les hypothèses touchant au domaine du social (équipements personnels, marqueurs territoriaux), du symbolique (attributs familiaux) et enfin du magico-religieux (offrandes, dépôts votifs, etc.). Ils s’intéressent ensuite à la composition des dépôts. Il semble difficile d’établir une composition type. Les auteurs concluent à une grande variabilité des assemblages mais ils observent pourtant des constantes dans la sélection des objets launaciens.

 

         Concernant la localisation du phénomène, le noyau dur de l’implantation des dépôts launaciens coïncide avec les secteurs cuprifères, le système hydrographique ainsi que les zones littorales. On distingue ici les deux dépôts de l’Ariège, différents par leur composition des dépôts launaciens centrés sur l’Aude et l’Hérault. Les auteurs s’attèlent ensuite à un bilan des aspects chronologiques. La datation des dépôts launaciens a toujours été très compliquée du fait de l’hétérogénéité des pièces qui les composent, certaines étant plus anciennes, d’autres ayant des durées d’utilisation très longues. Cette partie propose un historique des différentes tentatives de datation des dépôts launaciens qui ont été placés sur une large fourchette allant de la fin du Bronze final à la première moitié du Ve siècle. Les auteurs de l’ouvrage apportent alors des éléments de datation type par type. Ils examinent les objets connus à la fois dans les dépôts et d’autres contextes, ceux connus uniquement dans les dépôts et les types absents des dépôts launaciens. Leur argumentation les amène à conclure à une datation comprise entre le milieu du VIIe et le milieu du VIe s avant notre ère.

 

         C’est ensuite l’origine des pièces, également très hétéroclite, qui est examinée. Outre les productions launaciennes, la typologie indique des contacts et des affinités avec plusieurs autres régions : le sud du Massif central, les Grands Causses, les Pyrénées, le domaine atlantique, le domaine continental (Bourgogne, Jura, Suisse occidentale) mais aussi avec l’Italie, en particulier le milieu étrusque. Les auteurs proposent l’existence d’un phénomène culturel liant le centre de la France et le Midi, avec une ouverture méditerranéenne, continentale et atlantique. Cette proposition d’interprétation est très clairement modélisée sur la figure 1 p. 354.

 

         Si, dans l’ensemble, les analyses métalliques ont confirmé l’exploitation des gisements de la bordure méridionale du Massif central, des contradictions sont également apparues avec les études archéologiques concernant les exploitations de la Montagne Noire peu probables d’après les analyses des matériaux, et également concernant l’origine de certains objets appartenant à des types « externes » qui pourraient plutôt être des copies locales.

 

         Enfin, une remise en contexte culturel et chronologique rapproche les dépôts launaciens des faciès Grand Bassin I et Grand Bassin II dans le bas Languedoc occidental, qui correspondrait au territoire des Élisyques, connus pour s’être impliqués dans les relations avec la Méditerranée. Les auteurs soulignent en effet le rôle d’intermédiaire du phénomène launacien entre la Gaule (notamment pour la diffusion de parures féminines venues de différentes régions) et l’Étrurie, la Sicile et la Mer Égée. Dans ce contexte, certains des auteurs semblent retenir l’idée que les dépôts seraient des réserves de productions métalliques à proposer en contrepartie d’une production de luxe méditerranéenne et qu’ils sont surtout considérés pour leur masse de métal. Ayant un autre point de vue, Stéphane Verger se tourne plutôt vers une interprétation sociale : les objets gaulois parvenus jusqu’aux sanctuaires de Grèce, du Latium, de Sicile seraient plutôt des parures féminines ayant emprunté des courants de circulation transitant par le complexe launacien. Ayant obtenu un caractère exotique voire magique (amulettes), ces objets, parmi lesquels des pièces launaciennes, étaient déposés comme offrandes dans les sanctuaires de Méditerranée.

 

         Pour conclure, cet ouvrage est d’une grande qualité. Il s’agit d’une référence incontournable pour la connaissance de la Protohistoire du Midi de la Gaule et du phénomène launacien en particulier. D’une lecture agréable, il est également organisé de façon efficace. On aurait pu penser que la segmentation des différents aspects étudiés en autant de parties distinctes et autonomes rendrait l’ensemble difficile à utiliser mais, en réalité, cette organisation limite les répétitions et permet de retrouver facilement toutes les informations souhaitées. Le dépôt de Launac est publié de façon très exhaustive. On aurait souhaité que le catalogue des autres dépôts soit davantage mis en valeur et illustré mais l’ouvrage synthétise bien tous les aspects du phénomène launacien. Intégrant les résultats des récentes analyses effectuées sur les objets, les auteurs ont obtenu de nombreux résultats nouveaux et proposé des réflexions très intéressantes sur le recyclage, la circulation des bronzes et l’approvisionnement en métal « neuf ». Malgré les délais de la publication, cela valait largement la peine d’attendre l’arrivée des résultats des analyses métalliques. Associant les travaux de spécialistes aux points de vue parfois différents, la somme des connaissances obtenues et la synthèse qui en est faite apportent une vision stimulante du phénomène des dépôts launaciens. Cet ouvrage est d’une grande utilité pour qui veut connaître la production métallique du sud de la Gaule mais il permet également de replacer le Launacien dans son contexte européen, aussi bien dans ses rapports avec le reste de la Gaule qu’avec le monde méditerranéen.

 

 

Table des matières

 

Auteurs : p. 8

Avant-propos : p. 9-10

Remerciements : p. 11

Préliminaires : p. 13-25

La démarche épistémologique : p. 27-32

Le dépôt de Launac : p. 33-109

Inventaire des dépôts launaciens du sud de la Gaule : p. 111-122

La métallurgie launacienne : p. 123-177

Le Launacien et les productions métalliques du sud de la Gaule. Comparaisons entre les pièces des dépôts et les bronzes des autres sites méridionaux : p. 179-254

Le « Launacien » dans le contexte de l’Europe de l’Ouest. Etude comparative : p. 255-341

Aperçus synthétiques : p. 343-361

Pour conclure : p. 363-365

Bibliographie : p. 367-382