Martinez, Jean-Luc (dir.): Corps en mouvement. La danse au musée, 156 p., EAN : 9782021306149, 29 €
(Le Seuil, Paris 2016)
 
Reviewed by Caroline Mounier-Vehier, Université de Caen Normandie - CESR, Tours
 
Number of words : 1827 words
Published online 2017-09-13
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3114
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          Depuis 2015, dans l'aile Richelieu du musée du Louvre, la Petite Galerie accueille des expositions pensées pour être accessibles à tous, quels que soient l'âge et les connaissances des visiteurs. Organisées pendant l'année scolaire, ces expositions ont pour but de contribuer au développement de l'éducation artistique et culturelle. Elles sont accompagnées d'une offre numérique, d'une programmation à l'Auditorium du Louvre et de publications. Après une première exposition, « Mythes fondateurs. D'Hercule à Dark Vador » (17 octobre 2015-4 juillet 2016)[1], la Petite Galerie proposait cette année une exposition consacrée à la représentation du mouvement dans les arts visuels : « Corps en mouvement. La danse au musée » (6 octobre 2016-3 juillet 2017)[2]. Deux ouvrages ont été publiés à cette occasion : un livre destiné à accompagner la découverte de l'exposition par les enfants[3] et un catalogue présentant les enjeux et les œuvres de l'exposition. C'est de ce dernier qu'il est ici question.

 

            Établi sous la direction de Jean-Luc Martinez (assisté de Florence Dinet), le catalogue Corps en mouvement. La danse au musée comporte trois textes inauguraux, suivis de la présentation des œuvres de l'exposition. Dans « La liberté du regard », Jean-Luc Martinez (dont les propos ont été recueillis par Valérie Coudin) présente la démarche associée à l'exposition. Dans la continuité de précédentes expositions, le musée a souhaité accueillir le spectacle vivant dans ses murs, en l'occurrence avec la participation du chorégraphe et danseur Benjamin Millepied, afin d'associer différentes approches artistiques, mais aussi différents regards sur les œuvres. L'exposition répond aussi à la volonté d'offrir des supports de cours aux enseignants, en choisissant des thèmes présents dans les programmes de l'Éducation Nationale. Sa visée pédagogique est cependant plus large : proposer une initiation aux outils et au lexique de l'histoire de l'art afin d'offrir aux visiteurs une relative autonomie, grâce à ce que Jean-Luc Martinez appelle la « liberté du regard ».

 

            « Des arts et de la danse » est un témoignage de Benjamin Millepied (dont les propos ont été recueillis par Matthieu Humery) sur le rapport qu'il entretient avec les arts visuels en tant que danseur. Il insiste sur l'importance de la technique, dont la maîtrise est nécessaire à toute pratique artistique. Il souligne également des points de convergence entre la danse et les arts visuels, qui ont en commun l'invention de codes pour représenter le mouvement, ainsi qu'une longue histoire de transmissions et d'échanges entre artistes, quelles que soient leur discipline privilégiée et leur époque.

 

            Dans « La figuration du mouvement : le défi d'une illusion », Georges Vigarello propose quant à lui une traversée de l'histoire de l'art de l'Antiquité à l'époque contemporaine, avec pour fil directeur la question du mouvement. L'historien, spécialiste de l'histoire du corps, commence par rappeler le défi paradoxal des arts visuels : représenter le mouvement dans des œuvres elles-mêmes statiques. À partir de ce constat, il retrace l'histoire de la représentation artistique du mouvement en Occident, des peintures des poteries de l'Antiquité au bouleversement de la photographie, en passant par la révolution de la perspective. La présentation de la découverte progressive de nouvelles techniques et l'évocation des changements culturels et sociaux au cours des siècles permettent de mieux comprendre l'évolution de la représentation du mouvement. Il ne s'agit cependant que d'une introduction, qui présente quelques pistes de réflexion sans prétendre épuiser un sujet si vaste et complexe.

 

            À la suite des trois textes inauguraux, l'organisation du catalogue reprend les quatre sections thématiques de l'exposition. Dans chaque section, quelques lignes de présentation générale précèdent les reproductions des œuvres, qui sont accompagnées des notices établies par Jean-Luc Martinez. « Animer la matière » (cat. 1 à 10) présente différentes techniques artistiques de représentation du mouvement, sur des surfaces planes ou en volume. Un dessin à la plume sur papier d'un anonyme flamand (Danse des trois Grâces, vers 1600, cat. 7) côtoie par exemple une huile sur toile de Rubens (La Kermesse ou Noce de village, 1635-1638, cat. 10) et une statuette en argile trouvée sur l'Acropole d'Athènes (Figurine de jeune fille dansant dite Danseuse Titeux, vers 350 av. J.C., cat. 1). Ces trois œuvres ont notamment en commun un travail sur le drapé, qui contribue à donner l'illusion d'un corps en mouvement.

 

            « Codifier le geste » (cat. 11 à 32) met en évidence plusieurs codes élaborés pour représenter des mouvements précis et le sens qui leur est associé. L'avancée de la jambe gauche d'un corps pourtant droit et immobile suffit à conférer l'attitude de la marche dite « apparente » à la statuette en bois de l'Homme marchant (Assiout, vers 1800 av. J.C., cat. 11). Ce même code est repris plus tard dans la statuaire grecque, ce dont témoigne un Couros en bronze (vers 575-570 av. J.C., cat. 13). On peut également mentionner l'attitude de la course agenouillée : les jambes sont pliées au niveau des genoux et les bras au niveau des coudes pour former des angles droits et figurer le mouvement de la course. Le catalogue en présente deux beaux exemples : l'effrayante Gorgone d'une amphore en terre cuite (Gorgone en course agenouillée, Athènes, vers 520-510 av. J.C., cat. 15) et une majestueuse Déesse de la Victoire (Niké) en course agenouillée en bronze (Magnésie du Sipyle, Ier ou IIe siècle ap. J.C., cat. 16). L'expression des passions est aussi évoquée, en particulier à propos du Crucifix aux anges de Charles Le Brun (1661, huile sur toile, cat. 26), mais le sujet n'est pas approfondi.

 

            « Séquencer le mouvement » (cat. 33 à 50) s'intéresse à la décomposition du mouvement : comment représenter non plus un seul instant d'un mouvement, comme un arrêt sur image, mais les différents moments d'un même mouvement ? Plusieurs scènes de poursuite, inspirées d'Ovide, sont réunies. La présentation conjointe d'œuvres différentes traitant d'un même sujet permet de confronter les techniques et les points de vue, en se demandant comment des artistes aussi différents que Francesco Albani, dit L'Albane (Apollon et Daphné, vers 1615-1620, huile sur cuivre, cat. 34), Ferdinando Tacca (Apollon et Daphné, seconde moitié du XVIIe siècle, bronze, cat. 35) ou Tiepolo (Apollon et Daphné, vers 1743-1744, huile sur toile, cat. 36) ont choisi de représenter la fuite éperdue de Daphné poursuivie par Apollon. D'autres artistes démultiplient les personnages pour représenter différents moments d'une même histoire, comme Filippino Lippi dans les Scènes de l'histoire de Virginie qui ornent un coffre de mariage (vers 1470-1480, huile sur bois, cat. 41). Cette troisième section s'attarde aussi sur la rupture introduite par la photographie et le cinéma, en présentant notamment trois séries de photographies d'Eadweard Muybridge, obtenues grâce au procédé de la chronophotographie (Cheval au galop, 1887, héliogravure, cat. 43 à 45). L'importance de cette rupture pour les pratiques artistiques du début du XXe siècle est mise en valeur avec un dessin futuriste de Félix Del Marle (Patineuses, 1913, fusain sur papier, cat. 47) et une huile sur toile de Larionov, emblématique du rayonnisme (Promenade. Vénus de boulevard, 1912-1913, cat. 48).

 

            Enfin, « Le corps dansant » (cat. 51 à 72) invite à se demander à quels procédés les arts visuels, statiques et silencieux, peuvent avoir recours pour représenter la danse, art du spectacle vivant (le plus souvent en musique) et en mouvement. On retrouve des techniques présentées dans les sections précédentes. Ainsi, la ronde des Trois Grâces en marbre blanc de Carpeaux (vers 1873, cat. 53) reprend certains codes de la sculpture classique dans une composition circulaire autour de laquelle on souhaiterait pouvoir se déplacer, à défaut de la voir tourner. On peut aussi mentionner le travail sur les drapés, qui contribue à animer les Danseuses cambodgiennes de Rodin (Danseuses cambodgiennes : de profil tenant une victoire, de face tenant une palme, de profil vers la gauche, 1906, graphite ou mine de plomb et aquarelle sur papier vélin, cat. 59 à 61). La danse apporte peut-être une forme de liberté supplémentaire en ce qu'elle autorise tous les mouvements, que ce soit la position de quatrième d'une petite danseuse en bronze de Degas (Danseuse, position de quatrième devant sur la jambe gauche, première étude, cat. 55) ou la torsion d'une Acrobate antique en terre cuite (Tarente, vers 300-275 av. J.C., cat. 72). Il faut cependant se méfier des distinctions trop strictes : bien des corps en mouvement rencontrés dans les pages précédentes du catalogue évoquent des corps dansants, tels ceux des deux statuettes en bronze représentant Hippomène et Atalante (vers 1715-1720, cat. 37).

 

            Dans les quatre sections, la confrontation d'œuvres de techniques, de sociétés et d'époques différentes permet de s'apercevoir de différences, mais aussi de certaines similitudes : au spectateur de faire des rapprochements qu'il pensera peut-être anachroniques ou incongrus, mais qui pourront stimuler sa réflexion. Par ailleurs, si l'exposition ne prétend pas être exhaustive, elle réunit un ensemble d'œuvres majeures de l'histoire de l'art, ce qui caractérise aussi la démarche de la Petite Galerie : donner des repères en exposant de grands artistes et des œuvres remarquables, principalement issues des collections du musée du Louvre, mais parfois aussi prêtées. En l'occurrence, l'exposition a bénéficié de prêts d'autres musées parisiens (le Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, le musée d'Orsay et le musée Rodin), de l'Institut Lumière de Lyon et de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé.

 

            Pour poursuivre la réflexion, on peut se reporter à la bibliographie proposée à la fin du catalogue. Cette bibliographie ne présente pas un état des lieux de la recherche scientifique sur le sujet, mais plutôt un ensemble d'ouvrages accessibles au plus grand nombre. Il faut cependant rappeler que l'objet du catalogue, comme de l'exposition qu'il accompagne, n'est pas de renouveler l'étude du mouvement dans les arts visuels, mais de proposer une initiation à l'histoire de l'art à partir d'une thématique stimulante. Ouvrage de vulgarisation scientifique adressé au grand public, Corps en mouvement. La danse au musée présente toutes les qualités requises pour atteindre son objectif : la richesse de la problématique, la qualité et la variété des œuvres reproduites et la pertinence de notices instructives sans être arides en font un ouvrage intéressant, accessible et aussi agréable à lire qu'à regarder.

 

 


[1] La visite virtuelle de l'exposition est encore disponible en ligne sur le site internet de la Petite Galerie : http://petitegalerie.louvre.fr/visite-virtuelle/saison1/index.html#/petite_galerie_1/

[2] Une visite virtuelle est aussi disponible en ligne pour cette exposition : http://petitegalerie.louvre.fr/visite-virtuelle/saison2/index.html

[3] Dinet, Florence, Le Grand Livre de la Petite Galerie du Louvre : Corps en mouvement. La danse au musée, Paris, Éditions Courtes et Longues / Musée du Louvre Éditions, 2016.


 

 

Sommaire

 

Jean-Luc Martinez, « La liberté du regard » – p. 10

Benjamin Millepied, « Des arts et de la danse » – p. 14

Georges Vigarello, « La figuration du mouvement : le défi d'une illusion » – p. 18

 

1 – Animer la matière – p. 36

2 – Codifier le geste – p. 58

3 – Séquencer le mouvement – p. 92

4 – Le corps dansant – p. 122

 

Bibliographie sélective – p. 154

 


N.B. : Caroline Mounier-Vehier prépare actuellement une thèse de doctorat sur la dramaturgie des premiers opéras vénitiens du XVIIe siècle (Monteverdi, Cavalli) et leur réception à l’époque contemporaine, sous la co-direction d'Anne Surgers (Université de Caen) et de Xavier Bisaro (CESR, Tours).