Mann, Christian - Remijsen, Sofie - Scharff, Sebastian (Hrsg.): Athletics in the Hellenistic World, 366 p., 16 b/w ill, 10 b/w tables, 38 b/w photos, ISBN : 978-3-515-11571-1, 62 €
(Franz Steiner Verlag, Stuttgart 2016)
 
Compte rendu par Franck Wojan, Université de Rouen
 
Nombre de mots : 2220 mots
Publié en ligne le 2018-07-11
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3116
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          L’époque classique a longtemps été au cœur des études portant sur les athlètes et le sport dans l’Antiquité grecque. En juin 2015 s’est tenue à l’université de Mannheim une conférence internationale originale intitulée « The self-presentation of athletes in the Hellenistic Period : social identities, political identities, ethnic identities ».

 

         Sponsorisée par le German Research Council (Deutsche Forschungsgemeinschaft – DFG en allemand), elle présentait pas moins de trois centres d’intérêts : 1) elle mettait tout d’abord l’accent sur l’époque hellénistique, une période de l’histoire grecque souvent délaissée, à tout le moins jugée moins glorieuse ; 2) elle insistait ensuite, comme l’indiquait son intitulé, sur “les caractéristiques qui permettent de définir les athlètes” ; je traduis ainsi cette notion d’“identity”, qui est suffisamment floue et vaste pour permettre d’aborder une pléiade de thématiques ; 3) elle réunissait enfin une équipe internationale de chercheurs venus essentiellement “des quatre coins de l’Europe”, (Allemagne, Danemark, Grèce, Italie, Pays-Bas et Suisse) ainsi que des États-Unis.

 

         Un an plus tard, il revient à la célèbre maison d’édition allemande Franz Steiner de publier dans ce volume à la fois élégant et austère les actes de cette conférence. Seize articles rédigés en anglais (9) et en allemand (7) ont été retenus, mais on notera d’emblée que le titre choisi pour cette publication est plus sobre et semble moins ambitieux que celui de la conférence proprement dite. Cette impression est cependant trompeuse, car ces seize contributions abordent différents aspects de la question tout en étant d’une haute tenue scientifique. La notion d’“identity” semble néanmoins reléguée au second plan et le lecteur aurait apprécié que les éditeurs se justifient davantage ou, à tout le moins, en explicitent dans la (modeste) Préface les attendus à l’époque de la conférence. En fait, c’est au lecteur de se faire une idée de la question en fonction des thématiques abordées dans les différents articles.

 

         Le premier texte [1], rédigé par l’un des co-organisateurs et coéditeurs, Christian Mann, esquisse toutefois des éléments de réponse en proposant une synthèse qui présente à la fois les différentes contributions (avec un classement thématique : I. Les sources à la disposition de l’historien ; II. La nouvelle organisation des Concours ; III. L’origine sociale et les distinctions entre amateurs et professionnels du sport ; IV. Le sport et l’origine géographique des athlètes ; V. L’évolution politique du monde hellénistique et ses conséquences sur les Concours sportifs ; VI. Bilan), ainsi qu’un état de la recherche et une vision d’ensemble du monde des agônes à l’époque étudiée.

 

         La table des matières se présentant apparemment dans un “joyeux désordre” (les articles ne sont classés ni par thème, ni par ordre géographique, ni par ordre alphabétique des auteurs – à la différence des résumés), j’ai choisi de numéroter les articles selon leur ordre d’apparition dans l’ouvrage (cf. ci-dessous) tout en proposant un classement qui reste purement personnel, mais qui permettra au lecteur potentiel, je l’espère, de découvrir à la fois la richesse scientifique et les limites de cet ouvrage.

 

         Le premier thème pourrait être les « tentatives de synthèse » dont l’objectif serait d’embrasser l’ensemble de la période et des régions du monde grec. Thomas H. Nielsen [2] remonte le temps et s’interroge sur la phrase de Louis Robert qui parlait d’ « explosion agonistique » pour décrire l’inflation du nombre de concours sportifs entre l’époque archaïque et l’époque hellénistique. L’auteur insiste sur l’aspect festif et populaire de ces manifestations, tout en établissant un lien avec la commémoration d’événements militaires ou funéraires. Naturellement, la dimension religieuse n’est pas oubliée et Nielsen suggère implicitement que l’ensemble du monde grec concevait ces manifestations de la même manière. L’auteur recense in fine environ 155 festivals athlétiques dans le monde grec, qui présentent des points communs mais aussi nombre de différences.

 

         Onno M. van Nifj et Christina G. Williamson [3] s’intéressent à l’idée de connexions, de réseaux (« the network theory ») qui s’établissent (s’établiraient) entre les Grecs à l’époque hellénistique par l’intermédiaire et dans le cadre de ces festivals. Pour cela, les auteurs partent de trois exemples précis : 1) les fêtes d’Artémis Leukophryéné à Magnésie du Méandre à la fin du IIIe s. av. J.C. ; 2) le sanctuaire d’Hécate de Lagina, près de Stratonicée de Carie, quand la cité est alliée aux Romains ; 3) les Amphiaraia d’Europos en Béotie au Ier s. av. J.C. , à l’époque de Sylla. Ces festivals, à la fois sportifs, culturels et cultuels, dépassent alors leur caractère local pour connaître une assise que l’on pourrait qualifier d’“internationale”, à l’instar de ce qui se passe dans les sanctuaires communs de la Période et ce depuis très longtemps. 

 

         L’institution de l’agonothésie à l’époque hellénistique est au cœur de la contribution de Zinon Papakonstantinou [5]. Après une présentation d’ensemble valable pour l’ensemble du monde grec, l’auteur s’intéresse plus précisément au cas – toujours exceptionnel – athénien, puis au coût de cette liturgie, apparue dans la cité des Athéniens à la fin du IVe s. av. J.C., à l’époque de la domination macédonienne.

 

         Bram Fauconnier [4] porte son attention sur la période troublée que fut le Ier s. av. J.C. et sur l’avènement d’un nouveau monde agonistique, issu des traditions héritées de l’époque hellénistique et de la domination romaine. À travers la carrière de l’athlète Philippus Glykon de Pergame, surnommé “la gloire de l’Asie”, l’auteur tente de montrer que la mobilité des athlètes entraîne une “globalisation” qui s’est accentuée à l’époque hellénistique. L’unification romaine de la Méditerranée, après les guerres civiles, a parachevé cette tendance, avec la création de nouveaux festivals, notamment en Asie. Les fédérations d’athlètes, fondées à l’image des fédérations d’artistes de l’époque hellénistique, ont permis aux athlètes d’institutionnaliser leur existence et de jouer un rôle dans la diffusion du mode de vie grec.

 

         La deuxième rubrique porterait davantage sur « l’univers des athlètes ». Le gymnase de Pergame et ses athlètes sont étudiés par Marianne Mathys [7]. C’est un lieu commun d’affirmer que le gymnase est un, sinon le, lieu de la sociabilité masculine dans les cités grecques de l’époque hellénistique. Celui de Pergame ne fait pas exception à la règle et l’auteure nous propose ici une description qui associe les sources archéologiques, épigraphiques et iconographiques et qui se consacre à la basse époque hellénistique (IIe-Ier s. av. J.C.) et aux deux premiers siècles du Principat.

 

         Antiopi Argyriou-Casmeridis [8] part de la documentation épigraphique pour tenter de définir l’arétè des athlètes de l’époque hellénistique, c’est-à-dire leur mérite, leur idéal, leur valeur. Tenter de définir, car l’auteure remarque le silence presque assourdissant des décrets d’époque hellénistique célébrant des athlètes victorieux. Ces documents parlent surtout des gymnasiarchoi, élevés au rang de modèles pour les plus jeunes. On connaît pourtant des statues et des inscriptions relatives à des athlètes, mais il s’agit davantage d’initiatives privées que publiques (s.e de la cité).

 

         L’article de Kathrin Weber [9] porte sur les représentations d’athlètes (bas-reliefs surtout) sur les stèles funéraires d’époque hellénistique. Géographiquement, l’auteure s’est limitée à certaines îles (Délos, Rhodes, Samos) et à quelques cités asiatiques (Smyrne, Éphèse et Cyzique). Elle tente de montrer les particularités stylistiques propres à cette époque et à ces régions.

 

         Barbara Dimde [13] s’intéresse à l’architecture générale des stades depuis les époques les plus anciennes et la manière dont les athlètes sont finalement “mis en scène”, quels que soient les époques et les lieux. Quelques pages sont ainsi consacrées au tunnel d’accès (la kryptè), aux graffiti d’athlètes, aux déplacements des athlètes dans les sanctuaires agonistiques et à la ligne de départ (le système de l’hysplex).

 

         Quant à Florian Klauser [14], il nous entraîne à Athènes, sur les traces des monuments érigés à la mémoire des athlètes, notamment sur l’Agora et en donne une liste complète sous forme de tableaux récapitulatifs bien pratiques.

 

         La troisième rubrique est celle des « exemples régionaux », avec un intérêt certain pour l’Égypte lagide. L’article d’Elena Franchi [6] porte sur les liens entre le sport et la guerre à Sparte à l’époque hellénistique. L’auteur s’appuie sur des épigrammes tirées de l’Anthologie Palatine et sur le récit d’Hérodote (I. 82) décrivant la “bataille des Champions”, qui opposa Sparte et Argos à l’époque archaïque, ainsi que les poèmes de Tyrtée. Elle en vient ensuite aux témoignages de Xénophon et de Platon pour le IVe s. av. J.C. et l’utilisation du terme ἆθλον. Curieusement, l’époque hellénistique n’est réellement (et brièvement) abordée que dans les deux dernières pages.

 

         Avec Sebastian Scharff [10], le lecteur fait un détour en Thessalie. En s’appuyant sur les Hippika de Poseidippos, l’auteur montre une tendance à associer le vainqueur à une course hippique, son cheval et sa “patrie”, pour mieux se glorifier. Très nette au IIIe s. av. J.C., cette tendance n’est pourtant pas une exclusivité thessalienne.

 

         Frank Daubner [11] propose une synthèse régionale sur les agônes dans le nord de la Grèce. L’état des lieux qu’il dresse montre que – s’il fallait encore le prouver – la Grèce du Nord ne se distingue en rien du reste du monde grec.

 

         Stephen Samson [12] s’intéresse à l’Égypte lagide et à la notion d’agôn figurant sur des papyri. Chacun des quatre textes retenus est donné in extenso avec une traduction (en anglais). Le premier (P. Genova III 107 ; c. 237-236 avant J.-C.) est une demande adressée au roi Ptolémée (Ptolémée III Évergète) par un athlète suite au vol de son himation pour le retrouver ou être dédommagé (!) ; le deuxième (PSI IV 364 ; 29 septembre 251 av.) est une simple requête pour un manteau ; le troisième (PSI IX 1011 ; c. 244-243 av.), fragmentaire, évoque le traitement d’un vêtement, tandis que le quatrième (BGU VI 1256 ; c. 147-136 av.) est une requête pour être dispensé de la course aux flambeaux (lampadédromie).

 

         Leonardo Cazzadori [15] porte son regard sur l’œuvre de Callimaque de Cyrène, plus précisément sur les remarques de cet auteur à propos des concours sportifs et des athlètes, en liaison avec le règne des Ptolémées. Les Aitia de Callimaque s’interrogent sur les “causes”, les “origines” : les concours du vieux monde grec sont d’abord évoqués (notamment Olympie), puis quelques athlètes. Au service des Ptolémées, Callimaque glorifie la dynastie à travers le prisme des concours sportifs du monde grec ; il s’agit aussi de justifier l’existence des Ptolemaia, qui ont obtenu le statut envié de concours isolympiques. Tous les athlètes célébrés par Callimaque ont un je-ne-sais-quoi d’exceptionnel, voire d’héroïque ou de divin. Il reste une place à part, celle de la femme victorieuse à la course de chars à Némée et que l’on identifie généralement (trop facilement ?) à Bérénice II.

 

         Lukas Kainz [16] s’interroge sur l’intérêt bien connu des Ptolémées vis-à-vis des concours sportifs du monde hellénistique ainsi que sur celui, plus méconnu, des Antigonides et des Séleucides. L’auteur s’intéresse plus particulièrement au règne de Ptolémée II, fondateur dans l’utilisation des agônes à des fins dynastiques et de propagande politique.

 

         On referme cet ouvrage avec un sentiment janiforme : d’une part, celui d’avoir entre les mains un ouvrage particulièrement intéressant, qui porte sur une période si souvent négligée et qui ouvre de nouvelles perspectives de recherches ; d’autre part, celui de disposer d’un volume peu commode à utiliser pour ses propres recherches, car, outre l’absence de mots-clés associés à chaque résumé, l’index se révèle nettement insuffisant (il ne comporte, par exemple, aucune rubrique « noms de lieux » et « noms d’athlètes »). Deux regrets, également, pour finir : le premier sur le peu de lisibilité de certains documents iconographiques (p. 201, fig. 8 ; p. 207, fig. 30) et de certaines cartes (p. 47, 57, 234) ; le second, un peu teinté de chauvinisme, pour souligner l’absence de chercheurs français à la conférence comme dans cette publication.

 

 

Table générale des matières 

 

(N.B : les articles ont été numérotés, mais la table des matières ne comporte ni numérotation ni organisation des articles par thème)

 

Résumés, p. 9-16

 

  1. Christian MANN, Sport in Hellenismus : Forschungsstand und Forschungperspektiven, p. 17-29
  2. Thomas Heine NIELSEN, Reflections on the Number of Athletic Festivals in the Pre-hellenistic World, p. 31-41
  3. Onno M. van NIFJ, Christina G. WILLIAMSON, Connecting the Greeks : Festival Networks in the Hellenistic World, p. 43-71
  4. Bram FAUCONNIER, Athletes and Artists in an Expanding World. The Development of Ecumenical Associations of Competitors in the First Century BC, p. 73-93
  5. Zinon PAPAKONSTANTINOU, The Hellenistic Agonothesia : Finances, Ideology, Identities, p. 95-112
  6. Elena FRANCHI, Sport and War in Hellenistic Sparta, p. 113-130
  7. Marianne MATHYS, Athleten im Gymnasion von Pergamon, p. 131-152
  8. Antiopi ARGYRIOU-CASMERIDIS, Victories and Virtues : the Epigraphic Evidence for Hellenistic Athletes as Models of arete, p. 153-178
  9. Kathrin WEBER, Athletendarstellungen in der hellenistischen Grabkunst – Überlegungen zum Stellenwert der Athletenrolle in der Polisgesellscheft, p. 179-207
  10.  Sebastian SCHARFF, Das Pferd Aithon, die Skopaden und die πατρὶς Θεσσαλία. Zur Selbstdarstellung hippischer Sieger aus Thessalien im Hellenismus, p. 209-229
  11.  Frank DAUBNER, Agone im hellenistischen Nordgriechenland, p. 231-245
  12.  Stephen SANSOM, Contests and Clothing in Four Agonistic Papyri from Hellenistic Egypt, p. 247-262
  13.  Barbara DIMDE, Inszenierung von Läufern oder laufende Inszenierung – Stadien und Startvorrichtungen in hellenistischer Zeit, p. 263-287
  14.  Florian KLAUSER, Zur Aufstellungspraxis von Standbildern siegreicher Athleten in Athen in hellenistischer Zeit, p. 289-314
  15.  Leonardo CAZZADORI, Callimachus on Agones and Athletes, p. 315-330
  16.  Lukas KAINZ, “We are the Best, We are One, and We are Greeks !” Reflections on the Ptolemies’ Participation in the Agones, p. 331-353

 

Index locorum, p. 357-366 :

  • « Authors », p. 357-360
  • « Inscriptions », p. 360-365
  • « Papyri », p. 365-366