Bolle, Katharina - Machado, Carlos - Witschel, Christian (dir.): The Epigraphic Cultures of Late Antiquity, Heidelberger Althistorische Beiträge und Epigraphische Studien, 60), 615 p., 82 b/w ill, 11 color ill., 15 b/w tables, 10 col. and 7 b/w graph., 9 maps, ISBN : 978-3-515-11558-2, 84 €
(Franz Steiner Verlag, Stuttgart 2017)
 
Compte rendu par Stéphane Benoist, Université de Lille
 
Nombre de mots : 2066 mots
Publié en ligne le 2020-04-22
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3120
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        Le volume qui fait l’objet de cette recension est issu d’une conférence internationale organisée à l’Université de Heidelberg en juin 2009, avec la participation financière de la fondation Alexander von Humboldt. Il a également bénéficié du soutien d’un programme de recherche au sein de la même université dédié à cette thématique de l’écrit dans les sociétés antiques sur laquelle je reviendrai infra (« Materiale Textkulturen. Materialität und Präsenz des Geschriebenen in non-typographischen Gesellschaften »). L’essentiel des contributions a été mis en forme en 2010 et 2011, tandis que les éditeurs ont proposé ensuite à d’autres contributeurs de collaborer à cet ouvrage collectif dont le processus d’édition a été d’autant rallongé. C’est donc un volume conséquent de plus de 600 pages qui regroupe dix-sept chapitres, dont certains s’apparentent à de véritables petites monographies de près de cinquante à soixante pages chacune, souvent très bien illustrés (reproduction de documents, tableaux et cartes), qui se répartissent entre trois grandes sections, la première (« I. Regional Studies », p. 31-320) avec sept contributions qui présentent un état des lieux majoritairement occidental (cinq chapitres), la deuxième (« II. Genres and Practices », p. 321-500) abordant en six étapes des catégories bien définies de la pratique épigraphique tardo-antique, la troisième (« III. The [New] World of Christian Epigraphy », p. 501-593) traitant à nouveau frais l’épigraphie chrétienne en quatre temps. Des planches couleurs sont regroupées en fin de volume (p. 601-615). L’ensemble est bien édité, se lit agréablement (les contributions sont plurilingues : douze en anglais – y compris l’introduction générale –, quatre en allemand, une en français et une en italien) et fournit grâce à des inventaires exhaustifs et des études de cas judicieusement choisies des éléments substantiels d’approche de ce qui est ici dénommé « les cultures épigraphiques de l’Antiquité tardive ». Des bibliographies très complètes dans l’ensemble concluent chacune des contributions. On regrettera toutefois que l’absence d’une série d’indices (en particulier des sources et des noms propres, mais également des noms de lieux) ne puisse offrir à ce livre le statut d’ouvrage de référence qu’il aurait pleinement mérité.

 

         L’introduction des trois éditeurs du volume (« Introduction: Defining the Field – the Epigraphic Cultures of Late Antiquity », p. 15-30) a le grand mérite de préciser clairement les objectifs du programme de recherche et de la publication, et de dessiner ainsi les enjeux d’un renouvellement significatif de l’intérêt porté à ce que l’on présente volontiers comme un « paysage épigraphique » (Epigraphic Landscape). La bibliographie montre notamment la longue tradition, désormais de plus de trois décennies, des recherches en ce domaine de l’historiographie allemande avec notamment les contributions de Géza Alföldy (« Augustus und die Inschriften », Gymnasium 1991) et Werner Eck (Monument und Inschrift, 2010), auxquels on ajoutera bien volontiers Silvio Panciera (« What is an Inscription? », 2012) et son équipe (in Scienze dell’Antichità, 2006) en Italie. Il s’agit bien de ne plus se limiter à l’inscription en tant que texte et source historique, mais bien de prendre en compte son insertion dans un contexte particulier, et donc les aspects matériels et topographiques des monuments épigraphiques. La notion même de monumentum (et sa dimension d’avertissement public) est à cet égard tout à fait fondamentale. Il convient donc d’être attentif à la mise en scène « physique », matérielle de cette présence de l’écrit dans l’espace urbain, péri-urbain et sur les principales viae de l’empire romain, bien que les définitions publique et/ou privée des localisations impliquées puissent être discutées. Dès lors, les questionnements sont multiples : le support, l’aspect concret du lettrage, la rhétorique textuelle impliquée importent tout autant que le texte lui-même, les informations qu’il contient et leur apport au récit historique. La notion même d’une « épigraphie » de l’Antiquité tardive, qui implique de relever notamment sa composante rhétorique mais également l’aspect essentiel des représentations et identités sociales et religieuses, partie prenante du paysage urbain, permet de mesurer les variations successives d’une pratique épigraphique sur le long terme (plus d’un demi-millénaire), depuis les fondements augustéens d’une mise en place systématique de ce rapport d’identification au texte affiché jusqu’aux mutations des ve-vie siècles de notre ère. Dès lors, l’ensemble des contributions de ce volume dépasse de loin le strict cadre « tardif » de son objet premier, ce qui conduit tous les auteurs à inscrire le discours épigraphique, en des lieux donnés et des pratiques spécifiques, sur une longue durée, afin de relever les inflexions réelles tout autant que les continuités remarquables, ce que les quelques observations qui suivent – et qui n’ont pas la prétention d’épuiser, loin s’en faut, la riche matière de cet opus – permettront de souligner, en termes de formules épigraphiques, systèmes onomastiques, lettrages et lieux d’exposition, jusqu’à la mesure des conséquences de la christianisation en ces domaines (par exemple la spécificité des pavements mosaïqués des sols et murs des églises chrétiennes).

 

         La plupart des contributions, qu’elles soient regroupées dans la section des études régionales ou réparties dans les deux sections thématiques suivantes, offre aux lecteurs un état des lieux quantitatif et qualitatif tout à fait remarquable et s’apparente à des inventaires que la présence de nombreux documents figurés – cartes de diffusion, tableaux statistiques et graphiques de répartition des données – vient renforcer (une table finale de l’ensemble des figures eut été fort utile). Si la pars Occidentis s’avère mieux représentée, il n’en demeure pas moins que de nombreux exemples de la pars Orientis, repartis dans les trois volets de l’ouvrage, viennent compléter les inventaires synthétiques occidentaux (Gaule, Hispanie, Italie et Afrique). D’une présentation globale de l’Occident romain (Christian Witschel, « Spätantike Inschriftenkulturen in Westen des Imperium Romanum – Einige Anmerkungen », p. 33-53) à une étude de cas des épigrammes de la Grèce tardive (Erkki Sironen, « The Epigram Habit in Late Antique Greece », p. 449-471), l’essentiel des mises au point fournit des données quantifiées de grand intérêt et permet de mesurer les évolutions sensibles au cours d’une périodisation scandant les pratiques épigraphiques : du point de départ augustéen aux siècles de la christianisation de l’empire (ve-vie siècles), en passant par la phase d’approfondissement de l’Epigraphic Habit – cher à Ramsay MacMullen (AJPh 1982) – des ier-iie siècles de notre ère et du tournant du iiie siècle, de l’acmé sévérien à la mutation du 3e quart de ce siècle. Quelques dossiers méritent attention : il s’agit par exemple de Tarraco, Augusta Emerita (p. 87-97) et Myrtilis (p. 97-101) en péninsule Ibérique (in Judit Végh, « Inschriftenkultur und Christianisierung im spätantiken Hispanien: Ein Überblick », p. 55-110), ou bien de l’inventaire systématique des données africaines, notamment (p. 227-237) l’étude de Lepcis Magna (in Ignazio Tantillo, « La trasformazione del paesaggio epigrafico nelle città dell’Africa romana », p. 213-270), avec trois appendices qui recensent les inscriptions concernant des monuments honorant les empereurs (p. 240-257, 252 cas classés par princes en comptant les incerti), celles concernant des « fonctionnaires » classés par provinces (p. 258-261, 53 documents), et enfin celles des notables et autorités municipales (p. 262-265, avec 39 inscriptions). De même, signalons la liste des bases de statue réutilisées provenant d’Italie, à l’exclusion de Rome, p. 353-357, dressée dans le cadre de la synthèse de Carlos Machado, qui ouvre la deuxième section du volume (« Dedicated to Eternity? », p. 323-361), ou l’inventaire établi par Denis Feissel des 82 inscriptions mentionnant des curatores, defensores et patres civitatis (p. 489-497), à l’appui d’une synthèse exhaustive consacrée à ces « Trois fonctions municipales dans l’épigraphie protobyzantine » (p. 473-497), et finalement, en fermeture du volume (p. 580-584, le recensement des graffiti connus de Gaule, d’Italie et de péninsule Ibérique, proposé par Mark A. Handley in « Scratching as Devotion: Graffiti, Pilgrimage and Liturgy in the Late Antique and Early Medieval West », p. 555-593.

 

         L’ensemble des textes, quel que soit leur rattachement à l’une ou l’autre des trois grandes parties constitutives du volume, contribue à une meilleure compréhension globale des formes évolutives de l’Epigraphic Habit entre le Principat des trois premiers siècles de notre ère et la période proprement dite de l’Antiquité tardive, les spécificités de l’approche chrétienne, ou pour le dire comme les éditeurs « l’impact du christianisme » (p. 25) ne participant guère d’une césure radicale des pratiques entre données « païennes » ou « séculaires » et textes considérés comme chrétiens. C’est en ce sens qu’il convient de prendre en compte les réflexions méthodologiques de l’essai rédigé conjointement par Charlotte Roueché et Claire Sotinel (« Christian and Late Antique Epigraphies », p. 503-514) et plus particulièrement le bilan historiographique des approches des xixe et xxe siècles en cette matière (de Giovanni Battista De Rossi à Carlo Carletti, pour ne prendre que ces deux exemples significatifs). Le souhait conclusif, quant à une interrogation des sources plus nuancée et plus profitable, peut être partagé par tous les chercheurs qui s’interrogent de même sur les scansions du temps et leurs a priori dommageables, pièges d’une périodisation par trop contraignante. Il est toutefois une pratique qui permet de questionner à nouveau frais le sens de certaines évolutions, le remploi. Outre le chapitre déjà mentionné de Carlos Machado, plusieurs dossiers permettent d’insister sur cette culture des spolia qui conduit le paysage urbain à de nombreuses mutations par réutilisation de pierres inscrites, démantèlement de monumenta incorporés dans de nouvelles constructions (fondations de murs d’enceinte urbaine ou de maisons privées). Toutefois, ceci n’est nullement une pratique attestée de manière uniforme dans l’ensemble de l’empire où semblent perdurer des pans entiers du paysage épigraphique légué par le Haut-Empire (cf. le rapport dialectique entre maintien et déplacement évoqué par Tantillo). Le lien structurel entre statues et tituli offre un excellent observatoire des usages tardifs, comme le montre l’étude proposée par Ulrich Gehn (« Late Antique Togati and Related Inscriptions – a Thumbnail Sketch », p. 363-405), abondamment illustrée et qui s’appuie sur la remarquable banque de données The Last Statues of Antiquity (http://laststatues.classics.ox.ac.uk).

 

         Il en va de même des nouvelles formes de communication textuelle qu’il convient d’identifier, tant en prose qu’en vers – on ajoutera à l’étude déjà citée de Sironen concernant la Grèce, l’enquête romaine proposée par Lucy Grig à ce propos : « Cultural Capital and Christianization: the Metrical Inscriptions of Late Antique Rome », p. 427-447 –, participant d’une rhétorique, véritable discours sur pierre qui fait notamment l’objet du chapitre rédigé par Silvia Orlandi (« Orations in Stone », p. 407-425). Les études de cas privilégiées par Lennart Hildebrand (« Fragmentation and Unity: Elites and Inscriptions in Late Antique Southern Gaul », p. 111-146) viennent opportunément compléter les réflexions synthétiques plusieurs fois esquissées au long de l’ouvrage, par une mise en regard des inscriptions civiques, des milliaires et des inscriptions chrétiennes des provinces d’Aquitania I et II, de Narbonensis I et II, de Viennenesis et de Novempopulana. Les conclusions proposées pour le dernier type de textes peuvent être utilement confrontées aux données fournies par Rudolf Haensch (« Zwei unterschiedliche epigraphische Praktiken: Kirchenbauinschriften in Italien, und im Nahen Osten », p. 535-554) et Steven Mitchell (« The Christian Epigraphy of Asia Minor in Late Antiquity », p. 271-286). On ajoutera la synthèse des données des Îles égéennes qui, en abordant la question spécifique des hérésies, établit l’importance des renseignements fournis par les inscriptions (Georgios Deligiannakis, « Heresy and Late Antique Epigraphy in an Island Landscape: Exploring the Limits of the Evidence », p. 515-533). C’est enfin le riche dépouillement de Leah Di Segni (« Late Antique Inscriptions in the Provinces of Palaestina and Arabia: Realities and Change », p. 287-320), fournissant en annexe une liste exhaustive des monuments sacrés et publics datés trouvés en Israël, Jordanie et Syrie (p. 300-316), qui apporte un complément précieux.

 

 

Sommaire

 

Katharina Bolle, Carlos Machado & Christian Witschel : « Introduction: Defining the Field – the Epigraphic Cultures of Late Antiquity », p. 15-30

 

 « I. Regional Studies », p. 31-320

 

Christian Witschel, « Spätantike Inschriftenkulturen in Westen des Imperium Romanum – Einige Anmerkungen », p. 33-53

 

Judit Végh, « Inschriftenkultur und Christianisierung im spätantiken Hispanien: Ein Überblick », p. 55-110

 

Lennart Hildebrand, « Fragmentation and Unity: Elites and Inscriptions in Late Antique Southern Gaul », p. 111-146

 

Katharina Bolle, « Spätantike Inschriften in Tuscia et Umbria : Materialität und Präsenz », p. 147-203

 

Ignazio Tantillo, « La trasformazione del paesaggio epigrafico nelle città dell’Africa romana », p. 213-270

 

Steven Mitchell, « The Christian Epigraphy of Asia Minor in Late Antiquity », p. 271-286

 

Leah Di Segni, « Late Antique Inscriptions in the Provinces of Palaestina and Arabia: Realities and Change », p. 287-320

 

« II. Genres and Practices », p. 321-500

 

Carlos Machado, « Dedicated to Eternity? », p. 323-361

 

Ulrich Gehn, « Late Antique Togati and Related Inscriptions – a Thumbnail Sketch », p. 363-405

 

Silvia Orlandi, « Orations in Stone », p. 407-425

 

Lucy Grig, « Cultural Capital and Christianization: the Metrical Inscriptions of Late Antique Rome », p. 427-447

 

Erkki Sironen, « The Epigram Habit in Late Antique Greece », p. 449-471

 

Denis Feissel, « Trois fonctions municipales dans l’épigraphie protobyzantine », p. 473-500

 

« III. The (New) World of Christian Epigraphy », p. 501-593

 

Charlotte Roueché et Claire Sotinel, « Christian and Late Antique Epigraphies », p. 503-514

 

Georgios Deligiannakis, « Heresy and Late Antique Epigraphy in an Island Landscape: Exploring the Limits of the Evidence », p. 515-533

 

Rudolf Haensch, « Zwei unterschiedliche epigraphische Praktiken: Kirchenbauinschriften in Italien, und im Nahen Osten », p. 535-554

 

Mark A. Handley, « Scratching as Devotion: Graffiti, Pilgrimage and Liturgy in the Late Antique and Early Medieval West », p. 555-593