Pothou, Vassiliki (hrsg.) - Powell, Anton (hrsg.): Das antike Sparta, 319 S., ISBN : 978-3-515-11371-7, 60 €
(Franz Steiner Verlag, Stuttgart 2017)
 
Compte rendu par Isabelle Warin, Université de Zürich
 
Nombre de mots : 2070 mots
Publié en ligne le 2020-05-18
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3123
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          Dédié à l’historien français Pierre Carlier (1949-2011), professeur d’histoire grecque à l’Université Paris X – Nanterre, cet ouvrage est le résultat d’un colloque international organisé à Ratisbonne (24-26.09.2009) par l’International Sparta Seminar. Depuis sa création en 1987 par Anton Powell (Swansea), co-éditeur de ce volume, et Stephen Hodkinson (Nottingham), qui sont aussi tous deux co-organisateurs de ce colloque, ce groupe de recherche vise à promouvoir les études sur l’histoire de Sparte. Bien que l’érudition allemande ait largement contribué à l’avancée des recherches sur l’histoire de Sparte, c’était la première fois que ces rencontres se tenaient en Allemagne et ce grâce à l’hospitalité de Georg Rechenauer, titulaire de la chaire de philologie grecque à l’Université de Ratisbonne.

 

         Ce présent volume rassemble les contributions – en allemand (9), en français (2) et en anglais (1) – de jeunes chercheurs comme de chercheurs confirmés. L’ouvrage ne reprend cependant pas exactement le programme du colloque, dont un compte rendu a été mis en ligne en 2010 par Vassiliki Pothou, qui a co-organisé cette rencontre et co-édité ce volume (https://www.hsozkult.de/conferencereport/id/tagungsberichte-3016).

 

         Dans le prologue (p. 13-18), Vassiliki Pothou revient brièvement sur la rencontre qui s’est tenue à Ratisbonne tout en résumant chacune des contributions de ce volume qui se présente comme un recueil de textes, qui n’ont en commun que leur intérêt pour Sparte. Les auteurs évoquent d’une part l’histoire de la cité antique sous l’angle unique de la philologie antique et se penchent d’autre part sur la réception de l’histoire spartiate aux XIXe et XXe siècles. À la fin de l’ouvrage, le lecteur trouvera un apparat savant composé d’un index locorum, d’un index rerum et nominum et d’un index verborum graecorum potiorum.

 

         Dans sa contribution, Georg Rechenauer examine le corps masculin et féminin à Sparte dans l’Antiquité. En s’appuyant surtout sur les élégies de Tyrtée et les fragments de l’œuvre du poète lyrique Alcman, il s’interroge sur la manière dont les Spartiates associaient la corporéité au pouvoir politique de la cité et à son organisation sociale. Il s’intéresse également aux critères sur lesquels les Spartiates s’appuyaient pour caractériser le corps humain. À Sparte, le corps masculin semble être volontiers tourné vers les affaires extérieures de l’État, tandis que le corps féminin concerne plutôt les questions de politique intérieure. Il s’agissait en effet pour les femmes d’assurer la reproduction des futurs combattants de l’armée spartiate. Dès l’Antiquité, le corps des femmes spartiates a suscité un vif intérêt chez les philosophes qui ne s’est jamais démenti jusqu’à aujourd’hui.

 

         Les contributions suivantes abordent deux épisodes bien connus de l’histoire de Sparte. Anton Powell revient sur un long passage de Thucydide consacré à Sparte, qui culmine avec la bataille de Mantinée en 418 av. J.-C. Dans le livre V de son Histoire de la Guerre du Péloponnèse, Thucydide consacre un récit détaillé aux événements qui précédèrent l’affrontement avec l’armée argienne et ses alliés à Mantinée. C’est le roi Agis II, fils d’Archidamos II, qui prend la tête de l’armée spartiate, mais son autorité est bientôt remise en cause et ses choix contestés. Ce passage met en jeu la royauté spartiate et sa légitimité, mais aussi les intentions de Thucydide. D’après l’auteur, Thucydide exprimerait ici son hostilité à Agis II et d’une manière générale à la royauté, peut-être sous l’influence des opposants au roi Agis II.

 

         La contribution de Stephen Hodkinson, qui est une version retravaillée d’un article publié en 2007 (« The Episode of Sphodrias as a Source for Spartan Social History », dans N. Sekunda -éd.-, Corolla Cosmo Rodewald, Gdansk, p. 43-65), examine l’épisode de Sphodrias (Xénophon, Les Helléniques, V, 4, 24-34), qu’il conçoit comme un paradigme de l’histoire sociale de Sparte. En 379/78, l’harmoste Sphodrias reçoit l’ordre de Cléombrotos de protéger la garnison de Thespies, cité traditionnellement hostile à Thèbes. Il en profite pour lancer une attaque contre Athènes rompant dès lors la paix du Roi signée en 387/6 et précipitant Sparte et Athènes dans la guerre. Après cet échec, Sphodrias est désavoué, puis condamné, avant d’être acquitté. Ce sont les implications historiques et sociales de cet épisode qui intéressent ici Stephen Hodkinson, parce qu’elles apportent un éclairage sur le fonctionnement interne de Sparte. L’auteur revient sur plusieurs aspects, par exemple les rapports avec les étrangers, le travail non-libre, l’éducation, la pédérastie, les modalités des relations entre pères et fils, le corps d’élite des hippeis – ces hoplites qui formaient la garde royale – et la notion de « belle mort », si chère aux Spartiates.

 

         Dans l’Antiquité, Sparte cultivait volontiers le goût du secret. C’est pourquoi l’étude suivante pourra étonner le lecteur. Nicolas Richer évoque en effet les « bruits » au sens de phénomène acoustique, comme au sens de la rumeur qui fait et défait le sort d’un individu. L’auteur brosse le portrait de la multiplicité de sons qui résonnaient dans la cité, allant de l’acclamation employée lors des procédures électorales à la musique qui occupait une place importante dans la société spartiate. 

 

         Dans sa contribution, dont le titre évoque la parabole des outres neuves (Matthieu 9, 17), Stefan Rebenich explore l’image de Sparte dans les ouvrages d’histoire de l’Allemagne après 1945. L’auteur débute par le portrait de l’historien allemand Helmut Berve (1896-1979), professeur puis doyen de l’Université de Leipzig. En 1937, son ouvrage sur Sparte (Sparta, Meyers kleine Handbücher 7, Leipzig) a façonné une image de la cité antique destinée à servir de modèle au Troisième Reich. L’historien suisse se penche ensuite sur les travaux des élèves de H. Berve, Konrad Wickert et Franz Kiechle (1931-1991), puis sur les manuels de Hermann Bengtson (1909-1989) et Alfred Heuß (1909-1995). En Allemagne, les ouvrages scolaires ont longtemps ignoré la dynamique de la recherche sur l’histoire spartiate et ce n’est que dans les années 1990 qu’une nouvelle génération d’historiens allemands a redécouvert l’histoire de Sparte comme objet d’étude.

 

         Dans la contribution suivante, Fritz-Gregor Herrmann s’intéresse à l’Athénien Critias, homme fort du régime oligarchique des Trente chargé par les Spartiates de mettre fin à la démocratie à Athènes. Dans la deuxième moitié du IIe s. ap. J.-C., Philostrate le présente comme le pire des criminels de guerre et le plus dépravé des hommes. Fritz-Gregor Herrmann cherche à identifier l’influence de Sparte dans les discours de Critias. Il se penche sur le vocabulaire relatif à la sophrosyne et au kosmos spartiates, loués par l’Athénien dans ses élégies. Il revient également sur la pratique de l’aulos, que pratiquait personnellement Critias et qui fut associé au cours du Ve s. aux opposants à la démocratie.        

 

         Helen Roche aborde la diffusion et l’adoption des valeurs spartiates dans le corps des écoles de formation des cadets de l’armée prussienne au XIXe s. et au début du XXe s. Sparte constitue alors « le paradigme ultime de la vertu militaire et du sacrifice patriotique » (p. 157). Cette contribution reprend une partie de son travail de thèse publié en 2013 (Sparta’s German Children. The Ideal of Ancient Sparta in the Royal Prussian Cadet-Corps, 1818–1920, and in National-Socialist Elite Schools (the Napolas), 1933–1945, Swansea, 2013). Helen Roche s’appuie ici sur les manuels rédigés pour les écoles de formation des cadets. Leurs auteurs ont directement puisé dans les sources écrites antiques pour écrire leurs ouvrages. Elle dresse par ailleurs le tableau des valeurs spartiates diffusées auprès des recrues et s’interroge sur l’influence de ces valeurs sur les officiers  de l’armée allemande qui jouèrent un rôle décisif dans la première moitié du XXe siècle. 

 

         Thomas Blank propose ensuite une nouvelle lecture de l’Archidamos de l’orateur athénien Isocrate à travers l’image de Sparte véhiculée par ce discours, qui n’a jamais été prononcé, faut-il le rappeler. Isocrate fait parler le futur roi spartiate Archidamos III, fils d’Agésilas II, devant l’Assemblée spartiate, alors que Sparte fait face aux attaques répétées de Thèbes et de ses alliés. Archidamos conseille l’évacuation de la Laconie afin qu’une armée de mercenaires se concentre sur les Thébains pour les affronter. L’auteur souligne la dualité de l’image de Sparte dans ce discours isocratique : d’une part l’orateur athénien livre ici une vision idéalisée de l’ancienne aristocratie spartiate et de l’autre le personnage d’Archidamos rompt clairement avec les vertus spartiates traditionnelles encourageant la poursuite de la guerre. C’est une lecture dense et à plusieurs niveaux que défend ici Thomas Blank.  

 

         Nancy Bouidghaghen propose une relecture du passage d’Hérodote consacré à la campagne militaire spartiate qui s’achève dans un véritable bain de sang aux Thermopyles (VII, 204-228). Elle souligne les différences de cette campagne avec les précédentes expéditions militaires et revient sur le sacrifice de Léonidas et de ses hommes, tout en soulignant le rôle d’Hérodote dans la diffusion.

 

         Philip Davies se penche sur la fameuse conspiration de Cinadon qui a alimenté une bibliographie abondante. Spartiate déchu de ses droits, Cinadon a été accusé d’avoir fomenté une tentative de coup d’État dans les premières années du règne d’Agésilas II (398-358), ce qui lui valut d’être mis à mort. Le caractère isolé de ce passage dans les Helléniques de Xénophon (III, 3, 4-11) a suscité bien des interrogations sur sa véracité historique. Philipp Davies se concentre sur la place occupée par ce récit dans l’œuvre de Xénophon, qui aurait tenté de brosser un portrait plutôt sympathique d’Agésilas et/ou de Sparte.

 

         De son côté, Dorothea Rohde examine la question des finances publiques à Sparte à l’époque classique. Le sujet n’a guère été étudié jusque-là en raison de la disparité des sources. L’auteur considère que les besoins spartiates en termes d’équipements militaires durant la guerre du Péloponnèse auraient été l’élément déclencheur pour une meilleure organisation de leurs finances publiques.

 

         Dans la dernière contribution, la co-éditrice Vassiliki Pothou aborde les emprunts éventuels à Sparte par deux sectes du judaïsme, d’un côté les Esséniens et de l’autre les Thérapeutes d’Alexandrie. Elles auraient ainsi instrumentalisé le modèle spartiate ou plus largement dorien.

 

         Parvenu au terme de cet ouvrage, on pourra formuler trois observations. La première concerne l’absence de parties qui auraient permis de structurer l’ouvrage et d’organiser les contributions. La deuxième concerne le travail d’édition qui semble avoir été fait d’une manière un peu hâtive – par exemple, les bibliographies n’ont pas été uniformisées –  et c’est dommage. La troisième concerne la seule image du livre qui orne la couverture. Il s’agit de la coupe dite « coupe d’Arcésilas », découverte à Vulci et conservée au Département des Monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France (BnF) à Paris. Cette coupe laconienne, célèbre pour sa fameuse scène de la pesée du silphium en présence du roi de Cyrène Arcésilas II, a été produite par un atelier de céramique laconien. Les productions laconiennes se caractérisaient notamment par la couleur beige clair de leur argile qui les distinguait de la production attique. Sur la couverture de l’ouvrage, la coupe a une couleur franchement orangée. On pourra comparer avec la photographie accessible sur le site de la BnF, http://medaillesetantiques.bnf.fr/ws/catalogue/app/collection/record/ark:/12148/c33gbhc8h. Le vase prend ainsi ses distances avec son contexte de création. Ces remarques somme toute anodines ne doivent cependant pas dissimuler la richesse et surtout la grande qualité des contributions réunies dans ce volume qui s’adresse à un public de spécialistes – philologues et historiens – et d’étudiants. Cet ouvrage a l’immense mérite de montrer l’avancée et le dynamisme des recherches portant sur l’histoire de Sparte.

 

 

Table des matières

 

Georg Rechenauer, Körper und Macht: Zur Konzeption der Körperlichkeit im antiken Sparta, p. 19-36

Anton Powell, Die Könige Spartas im Licht einer Krise und einer außergewöhnlichen Quelle, p. 37-55

Stephen Hodkinson, Die Episode von Sphodrias als Quelle für die Sozialgeschichte von Sparta, p. 57-86

Nicolas Richer, Rumeur, acclamations et musique (Phèmè, boè et mousikè) à Sparte, p. 87-110

Stefan Rebenich, Alter Wein in neuen Schläuchen? Das Spartabild in der deutschen Geschichtsschreibung nach 1945, p. 111-132

Fritz-Georg Herrmann, Hat Kritias nach Spartas Pfeife getanzt?, p. 133-155

Helen Roche, Spartanische Pädagogik deutscher Art : The Influence of Sparta on the Royal Prussian Cadet-Schools (1818-1920), p. 157-180

Thomas Blank, Archidamos Rhetor : Spartas Bruch mit der Tradition in Isokrates’Archidamos, p. 181-206

Nancy Bouidghaghen, «Ceux dont j’ai appris le nom» : Hérodote et les Thermopyles, p. 207-220

Philip Davies, The Cinadon Conspiracy as Literary Narrative and Historical Source, p. 221-243

Dorothea Rohde, „Weder haben wir in der gemeinsamen Kasse Geld, noch zahlen wir mit Leichtigkeit aus unseren eigenen Mitteln“ - Die öffentlichen Finanzen Spartas in klassischer Zeit, p. 245-267

Vassiliki Pothou, Sparta, Qumran und Alexandria: so nah, so fern, p. 271-296