Bellia , Angela - Marconi, Clemente (ed.): Musicians in Ancient Coroplastic Art. Iconography, Ritual Contexts, and Functions, pp. 224, ISBN: 978-88-8147-458-5, 48 €
(Fabrizio Serra editore, Pisa-Roma 2016)
 
Compte rendu par Estelle Galbois, Université de Toulouse II- Jean Jaurès
 
Nombre de mots : 2363 mots
Publié en ligne le 2021-08-26
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3130
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          Le présent volume constitue les actes d’une manifestation scientifique qui s’est tenue en mars 2015 à l’Institute of Fine Arts of New York University sur le thème de l’archéomusicologie. Il traite plus particulièrement de la coroplathie antique, médium de premier ordre pour appréhender la place de la musique et celle des musiciens dans les sociétés anciennes. L’enquête s’inscrit dans le temps long (du IIe millénaire à la fin de l’époque hellénistique) et s’appuie sur du matériel issu de zones géographiques diverses (Proche-Orient, monde punique, Asie Mineure, Étrurie et Grande-Grèce, etc.). Les 15 contributions rassemblées ici portent non seulement sur des questions d’iconographie, mais encore sur les usages, les significations et les différents contextes de ces images spécifiques, dans la mouvance des travaux récents consacrés à la contextualisation des terres cuites[1]. Chaque étude s’accompagne d’une bibliographie et d’illustrations présentées sous la forme de vignettes en noir et blanc, généralement lisibles – on regrettera néanmoins l’absence de clichés en couleur lorsqu’il est question de polychromie. L’ouvrage comporte un index des noms de lieu et un index thématique fort utiles pour guider le lecteur. L’originalité de ce livre réside dans la volonté de mettre en lumière la petite plastique de terre cuite, support longtemps négligé au profit de la céramique, pour notre connaissance de la pratique musicale et du statut des musiciens dans l’Antiquité.

 

         L’avant-propos énonce clairement l’ambition des éditeurs : mettre en valeur l’apport de la coroplathie pour l’étude de la musique dans les sociétés anciennes, et montrer l’ampleur de la pratique musicale dans les sphères rituelle et religieuse.

 

         Dans une courte introduction (p. 17-21), Clemente Marconi propose une historiographie de l’iconographie musicale[2] et insiste sur l’importance de la coroplathie, profondément ancrée dans les sociétés anciennes, pour renouveler les approches et la méthodologie des études musicales aujourd’hui en plein essor[3]. L’archéomusicologie, un champ de recherche interdisciplinaire, mobilise des spécialistes d’horizons divers (musicologie, ethnologie, histoire culturelle et histoire religieuse, archéologie et histoire de l’art)[4].

 

         Les deux premières contributions concernent le Proche-Orient. R. Pruzsinsky s’intéresse aux plaquettes en argile figurant exclusivement des musiciens accompagnés de singes ou de singes musiciens jouant de la harpe, du tambourin, du claquoir ou d’un instrument à vent. Les artefacts étudiés, qui s’inscrivent dans une longue tradition, sont datés de 2000 à 1600 avant J.-C. Leurs fonctions sont difficiles à cerner, car on ignore le plus souvent leur contexte archéologique. En outre, il est fort probable que ces objets aient été découverts dans un contexte secondaire (e.g. fosses ou dépotoirs). Après avoir rappelé les critères permettant d’identifier des singes, l’auteur convoque la documentation cunéiforme pour dégager les caractéristiques « morales » de ces animaux, perçus de manière extrêmement négative et renvoyant à une certaine sauvagerie. Selon l’auteur, ces images animalières désigneraient en fait les musiciens de moindre rang, vraisemblablement itinérants, engagés lors des cérémonies religieuses en lien avec la déesse Ishtar. Le recours à l’imagerie simiesque serait un moyen d’opposer ces musiciens, peu éduqués, à ceux plus raffinés officiant dans les palais et les temples. 

 

         La deuxième contribution, due à A. Caubet, porte sur des terres cuites provenant de Mésopotamie et du royaume de l’Élam. Son enquête débute vers 2000-1800 avant J.-C., au moment où les figurines modelées sont remplacées par des plaques moulées, produites en série. C’est dans ce contexte que les imagiers représentent des musiciens avec leurs instruments. Ces images permettent de connaître les instruments de musique de cette époque, notamment la harpe, qui indique le statut social supérieur des musiciens se produisant dans les temples et à la cour des rois. D’autres musiciens issus de couches sociales moins favorisées comme les danseurs, les acrobates, ou d’autres artistes prenant part à des réjouissances grivoises sont aussi représentés. Leurs costumes et leurs parures attestent leur haut rang dans l’échelle sociale. L’auteur commente aussi quelques terres cuites de musiciens jouant du luth, datées entre 1300 et 1200 avant J.-C. Ces personnages, nus, la plupart du temps barbus, se caractérisent par une attitude et une physionomie singulières qui peut les apparenter à des nains. Ils ont les jambes arquées, avec des cuisses trop courtes et grasses, et les genoux orientés vers l’extérieur de façon à exhiber leurs organes génitaux. Ces êtres différents, peut-être des eunuques, sont en train de danser. Leur attitude frontale et leur hypersexualité font dire à A. Caubet qu’il s’agit de personnages mythologiques ou de génies. 

 

         Viennent ensuite trois contributions qui portent sur le monde punique, Chypre et l’Asie Mineure. M. López-Bertran et A. Garcia-Ventura analysent un corpus de 68 figurines provenant d’Ibiza, d’Ibérie et de Carthage, toutes datées entre le VIIe et le IIe s. avant J.-C. Ces documents plastiques ont été la plupart du temps mis au jour dans des contextes funéraires, mais aussi dans des sanctuaires. Ils ont été façonnés selon la technique du moulage et figurent pour l’essentiel des musiciennes jouant d’un instrument à percussion. L’adoption de la technique du moulage et le renouvellement du répertoire iconographique sont révélateurs de l’influence grecque dans cette région. Quelques statuettes carthaginoises se distinguent néanmoins d’un point de vue technique (utilisation d’un tour de potier avec ajout d’éléments modelés pour le corps et moulage pour le visage) et iconographique (e.g. femme tenant une cithare et une phiale dans l’autre main, ou bien femme tenant (ou frappant ?) un tambourin – ce n’est pas très clair sur la fig. 4). Les auteurs, en se basant sur la statuette de femme tenant une cithare et une phiale dans la main droite, font un rapprochement entre la petite plastique de terre cuite, les stèles funéraires et les rites funéraires puniques.

 

         L’article de M. Mikraki concerne la performance musicale et la société protohistorique chypriote. C’est au « Late Cypriote IIIB » que l’on observe l’essor puis le développement des thèmes musicaux dans la coroplathie, en premier lieu les images de danseurs formant un cercle autour d’un musicien. Au début de l’âge du fer sont représentés des joueurs de lyre vêtus de longs vêtements ou des joueurs de lyre cavaliers qui appartiennent à l’élite guerrière. Au terme de son enquête, l’auteur conclut que la musique est étroitement associée aux pratiques de l’élite et qu’elle participe de sa valorisation. 

 

         E. Doğan Gürbüzer se consacre, quant à elle, à un ensemble de figurines de production principalement locale, découvertes dans le sanctuaire d’Apollon à Claros. Une centaine de terres cuites montre un personnage tenant une cithare dans la main gauche et parfois un plectre dans la main droite. D’autres images, beaucoup plus nombreuses (ca. 700), représentent des musiciens avec une lyre. Enfin, une petite quarantaine de statuettes mettent en scène des musiciens avec le barbitos. Ces ensembles ont fait l’objet d’une étude typo-chronologique. La plupart des figurines avec lyre et cithare, que l’on rattache d’ordinaire à Apollon, ont été retrouvées dans un espace qui pourrait être le naos du temple dédié à Létô. Ces données sont d’importance, car elles éclairent d’un jour nouveau la destination et la fonction de ces documents plastiques.

 

         Les deux contributions suivantes sont dédiées à des objets de collection. M. Chidiroglou centre son propos sur des figurines de la fin de l’époque classique à la fin de l’époque hellénistique, découvertes dans diverses régions de Grèce et d’Asie Mineure, conservées au Musée national archéologique d’Athènes. Après avoir inventorié les différents instruments de musique mentionnés dans la littérature et représentés dans la coroplathie, l’auteur s’intéresse aux images de musiciens, de chanteurs et de danseurs. Au terme de son enquête, elle insiste sur le rôle de la musique dans les rites, la vie quotidienne, l’éducation des élites, les concours ou encore les banquets.

 

         Dans son article, K. Karoglou se focalise sur trois terres cuites conservées au Metropolitan Museum of Art de New York qui mettent en scène Éros jouant du tympanon, de la lyre et de la cithare. Au-delà de l’étude iconographique de ces objets, l’auteur livre une synthèse très intéressante sur l’imagerie d’Éros musicien, tout en insistant sur la fonction funéraire de ces statuettes (cf. par exemple la tombe des Érotès d’Érétrie). Éros, associé à Thanatos, renvoie en effet à l’amour et à la mort, ainsi qu’au mariage et aux rites funéraires, et peuple les tombes de la fin de l’époque classique à l’époque hellénistique.

 

         Une autre section de l’ouvrage s’intéresse plus spécifiquement aux figurines découvertes en Étrurie et en Grande-Grèce. La première contribution, celle de M. de Cesare, porte sur des pinakes en terre cuite provenant du sanctuaire de Perséphone à Locres Épizéphyrienne (Calabre). Sur ces tablettes apparaît une paire de jeunes cavaliers suivis d’une femme voilée tenant un coffret et un coq. Les cavaliers tiennent l’un une phiale, l’autre un bouclier, ou l’un un canthare, l’autre une lyre à sept cordes. Ces personnages ont initialement été identifiés comme les Dioscures de Sparte, lesquels ont joué un rôle dans les mythes et les cultes de la colonie grecque. L’auteur propose de voir dans ces deux personnages les Dioscures de Thèbes, Zethus et Amphion – ce dernier passe pour être l’inventeur de la lyre à sept cordes. Si l’on retient cette interprétation, le personnage féminin pourrait être Hélène, Aphrodite, une mariée ou leur mère, Antiope, qui, après son union avec Zeus, avait trouvé refuge dans le sanctuaire d’Aphrodite à Sicyone. La présence de ces images vient souligner l’importance de la musique dans cette colonie. 

 

         Une série de plaques en terre cuite découvertes à Métaponte montre un couple, formé d’une femme (peut-être une nymphe) et de Pan, dansant dans une grotte. Le porche est orné de fruits, d’une syrinx et d’un tympanon. Ces documents datent de la seconde moitié du IVe – début du IIIe s. av J.-C. R. Miller Ammerman mentionne le contexte de découverte de ces objets et propose un développement approfondi sur la syrinx et le tympanon. L’auteur parvient à la conclusion que le décor de ces plaques est à mettre en relation avec les cultes dionysiaques et les rites nuptiaux. 

 

         A. Pagliari évoque les liens entre le théâtre, la musique et les pratiques funéraires à Lipari, aux IVe et IIIe s. av. J.-C.. Tout en s’inscrivant dans la lignée des travaux de B. Bréa, il rappelle l’importance tant numérique qu’iconographique des figurines d’acteurs et des masques de théâtre découverts dans ce lieu. Il défend l’idée que l’expression plus pathétique des masques de théâtre de cette époque serait influencée par la musique nouvelle qui voit le jour au même moment.

 

         Des terres cuites représentant des femmes avec un tambourin, découvertes en Grande Grèce, sont étudiées par A. Piccioni. Elles pourraient être associées à Cybèle, dont le culte a été introduit en Italie du Sud au VIIe s. av. J.-C.. Le tambourin occupait un rôle de premier plan lors des festivités dédiées à la déesse. Les terres cuites représenteraient les joueuses de tambourin qui prenaient part à ces fêtes, et offriraient une illustration de ce que nous apprennent les sources littéraires et épigraphiques.

 

         Enfin, D. F. Maras examine des statuettes de joueurs de lyre provenant de différents contextes votifs en Étrurie (du Ve au IIIe s. avant J.-C.). Ces terres cuites sont sans doute liées à Apollon et à son culte. Elles pourraient figurer le dieu lui-même (types iconographiques I-III) ou des dévots (en particulier types iconographiques XII-XIII).

 

         Une dernière enquête évoque l’artisanat des figurines de terre cuite du Pérou. S’appuyant sur un riche corpus de quelque 800 pièces issues de la culture Moche, D. La Chima Silvestre Villalva analyse les rôles politique et religieux des musiciens dans les cérémonies qui se sont déroulées entre 100 et 450 de notre ère. Deux études de cas révèlent que les joueurs d’antara (une petite flûte de Pan traditionnelle des Andes) occupaient une position très élevée dans la société de l’époque. De ce point de vue, les instruments de musique peuvent être considérés comme de véritables marqueurs sociaux. 

 

         L’ouvrage s’achève par une postface d’A. Bellia. Trois aspects y sont plus particulièrement développés : l’iconographie, les contextes rituels et les fonctions des terres cuites. L’auteur ouvre ici des pistes de réflexion stimulantes et montre, à juste titre, que la coroplathie doit être pleinement mobilisée dans les études d’archéomusicologie. 

 

         Au total, nous avons affaire ici à un volume dense, avec de riches synthèses, sur les représentations de musiciens dans la coroplathie antique. Cet ouvrage intéressera aussi bien les spécialistes de coroplathie que les historiens. On regrettera cependant, outre les problèmes liés à la couverture photographique, le manque de clarté dans la structure du volume (voir notamment le dernier article sur la culture Moche que l’on raccorde mal aux contributions précédentes). On relèvera aussi des coquilles çà et là dans les références bibliographiques. Ces quelques critiques ne sauraient toutefois remettre en cause la qualité scientifique de ce livre. 

 

 


[1] S. Huysecom, A. Muller dir., Figurines grecques en contexte. Présence muette dans le sanctuaire, la tombe et la maison, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, Archaiologia, 2015.  

[2] On mentionnera l’ouvrage, un peu ancien mais incontournable, de P. Paquette, L’instrument de musique dans la céramique de la Grèce antique : études d’organologie, Lyon, Bibliothèque Salomon Reinach 4, Paris, 1984.

[3] On signalera aussi les travaux de C. Vendries sur les figurines de musiciens dans l’Égypte gréco-romaine, « Questions d’iconographie musicale : l’apport des terres cuites à la connaissance de la musique dans l’Égypte hellénistique et romaine », Greek and Roman Musical Studies 1, 2013, p. 195-227.

[4] Voir à titre d’exemple S. Emerit éd., Le statut du musicien dans la Méditerranée ancienne : Égypte, Mésopotamie, Grèce, Rome, BdE 159, 2013.


 

 

Sommaire

 

Acknowledgments, p. 9

Abbreviations, p. 11

Contributors, p. 15

 

Clemente Marconi, Introduction, p. 17

 

Regine Pruzsinsky, Musicians and Monkeys: Ancient Near Eastern Clay Plaques Displaying Musicians and their Socio-Cultural Role, p. 23

 

Annie Caubet, Terracotta Figurines of Musicians from Mesopotamia and Elam, p. 35

 

Mireia López-Bertran, Agnès Garcia-Ventura, Performing Music in Punic Carthage: A Coroplastic Approach, p. 45

 

Manolis Mikrakis, Musical Performance and Society in Protohistoric Cyprus: Coroplastic and other Visual Evidence, p. 57

 

Elçin Doğan Gürbüzer, Terracotta Figurines with Stringed Instruments from Claros, p.73

 

Maria Chidiroglou, Terracotta Figurines of musicians in the National Archaeological museum in Athens, p. 85