Boschung, Dietrich - Queyrel, François (Hg.): Bilder der Macht. Das griechische Porträt und seine Verwendung in der antiken Welt, (Morphomata, 34), 472 S., 19 farb. und 120 s/w Abb., ISBN : 978-3-7705-6126-1, 69 €
(Wilhelm Fink Verlag, Paderborn 2017)
 
Compte rendu par Estelle Galbois, Université Toulouse Jean-Jaurès
 
Nombre de mots : 1645 mots
Publié en ligne le 2018-03-26
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3150
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          Ce volume rassemble l’essentiel des communications présentées lors du colloque international Images du pouvoir. Le portrait grec et son utilisation dans le monde antique/Bilder der Macht. Das griechische Porträt und seine Verwendung in der antiken Welt, qui s’est tenu à Paris, les 2 et 3 octobre 2014. Il est composé d’une introduction générale suivie de seize contributions. 

 

         Les deux organisateurs et éditeurs du présent ouvrage, Dietrich Boschung et François Queyrel exposent, dans un essai introductif, l’objectif de la manifestation scientifique : explorer les formes et les potentialités (« Möglichkeiten ») du portrait adoptées hors de l’aire culturelle grecque et mises au service des besoins des élites locales. C’est une réelle réflexion sur le phénomène du transfert culturel par le biais du portrait qui est ici engagée. L’aire géographique retenue est large (de la péninsule ibérique à la Chine), de même que l’arc chronologique (de l’époque classique à la période impériale).

 

         Le livre s’articule autour de quatre parties : 1. Développement et fonction du portrait en Grèce / Entwicklung und Funktion des Porträts in Griechenland ; 2. Adaptation méditerranéenne du portrait grec / Mediterrane Adaptation des griechischen Porträts ; 3. Portrait en Asie Centrale et de la Chine / Porträt im hellenistischen Mittelasien und China et 4. Rome et l’Empire romain / Rom und römisches Kaiserreich. Les parties 2 et 3 constituent de fait par le nombre d’articles qu’elles réunissent, le cœur de l’ouvrage. Chaque étude est assortie d’une documentation iconographique (photographies en noir et blanc dans le corps du texte, parfois complétées par des illustrations couleurs dans le cahier photographique présenté en fin de volume) et d’une bibliographie.

 

         La première partie permet de montrer que l’essor du portrait en Grèce, au Ve s. avant J.-C., répond à des finalités religieuses, funéraires et politiques précises, comme le formule clairement Christiane Vorster, qui insiste aussi sur la pluralité des matériaux et des formats choisis pour les effigies. Dans son enquête, John Ma, croisant sources épigraphiques et documentation plastique, propose au lecteur des pistes d’analyse pour étudier et mieux comprendre les finalités des portraits d’époque hellénistique, chargés de représenter un individu en particulier (corps, caractère, identité).

 

         La contribution de Gabriele Erath-Koiner sur les portraits pré-hellénistiques chypriotes ouvre la deuxième partie de ce recueil. L’auteur s’appuie sur un corpus constitué principalement de documents votifs ou funéraires de divers matériaux, monétaires et plastiques (il ne reste des statues-portraits en bronze que les bases comportant des épigrammes). Retrouvées dans les sanctuaires, les nécropoles ou les palais (les statues honorifiques dressées sur les agoras, dans les gymnases ou les théâtres ne sont attestées qu’aux époques hellénistique, puis romaine), ces représentations témoignent d’influences assyrienne, achéménide et égyptienne (pour des éléments de costumes et les symboles de royauté), associées à des éléments grecs (vêtements, physionomies et coiffures). Olivier Henry s’intéresse aux portraits des Hékatomnides, issus d’une famille de dynastes locaux cariens dont le berceau se trouvait à Mylasa, au cœur de la Carie antique, dans le sud-ouest de la Turquie. Des statues-portraits de ces dynastes, imprégnés d’hellénisme et investis de l’autorité satrapale, il ne reste bien souvent que les bases inscrites. L’identification des fragments de statues retrouvés est délicate. L’auteur, qui étudie aussi l’iconographie monétaire et l’iconographie architecturale des Hékatomnides, constate l’omniprésence des représentations dans la plupart des grands centres urbains de Carie et des régions avoisinantes. La découverte récente de la statue-portrait du roi de Thrace, Seuthès III, mêlant influences grecques et proche-orientales, est le point de départ d’une réflexion de Vincenzo Saladino sur la question du réalisme dans les portraits des dirigeants de l’époque achéménide. Il parvient à la conclusion que les portraits monétaires de Seuthès III combinent éléments indigènes (au revers : présence d’une barbe longue et du costume traditionnel) et éléments grecs (introduction du profil réaliste au droit des monnaies). Les modèles iconographiques sont à chercher dans l’imagerie d’Alexandre le Grand et plus encore dans celle des Diadoques, qui lui sont contemporains. Massimiliano Papini propose quant à lui une analyse sur les portraits d’Italie centrale et d’Étrurie du IVe au Ier siècle avant J.-C., lesquels ont pu être inspirés par les codes de représentation du monde grec. Si l’influence grecque est indéniable, tout particulièrement à l’époque hellénistique, sur les sarcophages et les urnes cinéraires, l’auteur nuance son importance et rappelle qu’il est vain de vouloir chercher à toute force des correspondances entre les portraits d’Italie et d’Étrurie, et les portraits grecs. Dans son article, Carmen Marcks-Jacobs étudie précisément la statuaire votive du IVe au Ier s. avant J.-C. découverte dans le sanctuaire ibérique de Cerro de los Santos. Elle montre notamment comment les membres de l’élite masculine adoptent l’himation, lequel devient un élément de distinction sociale, et qu’ils l’associent à des éléments de parure traditionnels (colliers et bracelets).

 

         La troisième partie réunit des contributions sur les portraits confectionnés en Asie Mineure et, plus marginalement, en Chine. Le portrait royal en Bactriane à l’époque hellénistique fait l’objet d’une étude de Kazim Abdullaev. Ce dernier montre qu’en dépit d’un corpus limité, le genre du portrait s’est développé en Asie Centrale parallèlement au culte dédié à Alexandre le Grand dans cette région. L’influence du Macédonien est sensible sur les portraits monétaires de ces dirigeants. Cette étude est complétée par celle d’Osmund Bopearachchi, qui propose une synthèse sur les portraits monétaires des souverains indo-grecs. Il insiste aussi sur l’impact de l’imagerie d’Alexandre le Grand sur ce médium. Reprendre les formules iconographiques inventées pour figurer le conquérant macédonien était pour ces dynastes un moyen efficace de conforter leur légitimité. Antonio Invernizzi livre ensuite une analyse dense sur les portraits monétaires et plastiques des Parthes dont on peut suivre l’évolution iconographique sur près de cinq siècles. Puis, Frantz Grenet s’intéresse sur le temps long aux portraits façonnés après la chute des royaumes grecs qui s’amorce en Bactriane vers 145 avant J.-C. Ainsi, Héraos, l’ancêtre de la dynastie kouchane, introduit-il une nouvelle tendance, qualifiée par l’auteur de « réalisme ethnique de rupture », qui se poursuit, de manière plus ou moins linéaire, en Asie centrale jusqu’au VIe s. Les effigies se signalent par la structure singulière du visage marqué par une déformation crânienne, une grosse moustache et l’absence de barbe. Rubina Raja s’intéresse à un aspect particulier du portrait : le portrait funéraire palmyréen qui apparaît au cours du Ier siècle de notre ère. Ces images, tout en s’inspirant des représentations issues du répertoire grec, s’en distinguent par la présence de costumes, de couvre-chefs et d’éléments de parure locaux, et par une esthétique singulière.

         

         L’influence grecque dans la portraiture du sud de l’Arabie, l’actuel Yémen, s’observe, quoi que de façon marginale, dans le courant du Ier siècle avant J.-C., comme le souligne Iris Gerlach. En témoignent deux statues en bronze, plus grandes que nature, représentant le roi Damali et son fils. Destinées à être exposées dans un contexte palatial, elles s’inspirent de la statuaire grecque des époques classique et hellénistique. L’influence du portrait grec dans la culture chinoise est plus difficile à cerner car, comme l’explique Lothar von Falkenhausen, les effigies des ancêtres étaient matérialisées par des pierres dressées, dépourvues de traits spécifiques, parfois identifiées par la présence d’une inscription.

 

         La dernière partie du volume consacré à l’empire romain, comporte deux contributions. Dans la première, François Queyrel étudie comment les magistrats romains et les négociants italiens récupèrent, adaptent et transforment les schémas iconographiques des portraits grecs. Ils choisissent en effet de se faire représenter avec un corps héroïque et une expression personnelle, proposant ainsi une formule iconographique inédite. Enfin, Dietrich Boschung montre comment l’élite romaine de la république tardive a utilisé les potentialités du portrait grec comme un instrument efficace dans la lutte pour le pouvoir politique. Puis, à partir du milieu du Ier s. avant J.-C., les statues-portraits deviennent l’instrument le plus important de l’autoreprésentation impériale. Octave, le futur Auguste franchit un pas par la création d’un type de portrait uniforme à disposition des ateliers de sculpteurs. Cette uniformisation (taille et mouvement de la tête, physionomie, coiffure) est un moyen efficace de légitimation du pouvoir, lequel sera encore employé par ses successeurs.

 

         Pour résumer, ce riche volume, qui offre des perspectives de recherche nouvelles en s’intéressant aux rapports culturels dans l’Antiquité et à leur réception dans des territoires éloignés, prouve, s’il en était encore besoin, que le portrait dans l’Antiquité est un champ d’étude particulièrement fécond.

 

 

 

Sommaire

 

p. 7-11 : Dietrich Boschung et François Queyrel, Einleitung

 

I. Entwicklung und Funktion des Porträts in Griechenland

p. 15-47 : Christiane Vorster, Das Porträt im vorhellenistischen Griechenland – eine Standortbestimmung

p. 49-64 : John Ma, Lire le portrait hellénistique : quelques pistes

 

II. Mediterrane Adaption des griechischen Porträts

p. 67-119 : Olivier Henry, Quel(s) portrait(s) pour les Hékatomnides ?

p. 121-162 : Vincenzo Saladino, Il realismo nei ritratti dei governanti, la statua di Seute III e le monete coniate in Asia Minore in epoca achemenide

p. 163-194 : Massimiliano Papini, Non solo >obesi< : Il ritratto in Italia Centrale e in Etruria tra IV e I sec. A. C.

p. 195-210 : Carmen Marcks-Jacobs, Zum Vortrag von Individualität im iberischen Heiligtum Cerro de los Santos

 

III. Porträt im hellenistischen Mittelasien und in China

p. 213-253 : Karim Abdullaev, The Royal Portrait in Hellenistic Bactria

p. 255-268 : Osmund Bopearachchi, Alexandre le Grand et les portraits monétaires des souverains indo-grecs

p. 269-302 : Antonio Invernizzi, Le portrait chez les Parthes

p. 303-318 : Frantz Grenet, Peut-on parler de réalisme dans les portraits royaux en Asie centrale post-hellénistique ?

p. 319-348 : Rubina Raja, Powerful Images of the Deceased. Palmyrene Funerary Portrait Culture between Local, Greek and Roman Representations

p. 349-376 : Iris Gerlach, Vom Kollektiv zum Individuum : Der Weg zur Porträthaften Darstellungen in Südarabien (Jemen)

p. 377-401 : Lothar von Falkenhausen, The Problem of Human Representation in Pre-Imperial China

 

IV. Rom und römisches Kaiserreich

p. 405-432 : François Queyrel, Portraits de magistrats et de négociants italiens dans le monde grec

p. 433-448 : Dietrich Boschung, Porträt der späten römischen Republik als Mittel innenpolitischer Konkurrenz

 

p. 449-452 : Autorinnen und Autoren

Tafeln