Baray, Luc: Celtes, Galates et Gaulois, mercenaires de l’Antiquité, 17 x 24, 240 p., ISBN : 9782708410220, 31 €
(Éditions Picard, Paris 2017)
 
Compte rendu par Laurent Lamoine, Université Clermont-Auvergne
 
Nombre de mots : 1157 mots
Publié en ligne le 2020-02-25
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3167
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          L’Habilitation à Diriger des Recherches de Luc Baray (2013) a donné pas moins de cinq ouvrages depuis 2014, dont celui soumis ici à recension : Les mercenaires celtes et la culture de La Tène. Critères archéologiques et positions sociologiques, Dijon, 2014 ; Les mercenaires celtes en Méditerranée Ve-Ier siècles avant J.-C., Chamalières, 2015 ; Sociétés celtiques et mercenaires (VIIe-Ier siècle av. J.-C.). La terre, le pouvoir et les hommes, Paris, 2016 ; De Carthage à Jéricho. Mythes et réalités du mercenariat celtique (Ve-Ier siècle a.C.), Bordeaux, 2017. On pourrait même compter comme petit dernier Les Celtes d’Hannibal, Paris, 2019.

 

         Luc Baray vise à écrire une « sociologie du mercenariat celte » du Ve au Ier siècles av. J.-C., qu’il comprend comme l’étude pratique du service des mercenaires : origine, recrutement, rémunération, commandement, loyauté et équipement, autant de rubriques qui fournissent la matière des douze chapitres. Une documentation littéraire de 150 mentions repérées chez une vingtaine d’auteurs grecs et latins informe surtout sur le IIIe siècle (63% des mentions), période phare des grands conflits entre les rois grecs entre eux, entre ces derniers et Rome et entre Carthage et Rome, qui sont les employeurs principaux des Gaulois. Le recours à l’archéologie n’est pas pertinent car il est souvent impossible de distinguer avec certitude le mercenaire du guerrier banal dans les données que livrent les découvertes (Baray 2014). De même, la distinction entre mercenaire et auxiliaire (analysée dans Baray 2017, De Carthage à Jéricho, et Baray 2019) n’est pas retenue dans cet opus, pas plus que l’observation des transformations sur la société celtique (Baray 2016).

 

         Le but de ce livre est plutôt de comparer le mercenariat celte avec celui, aussi célèbre, fourni par les Grecs mais moins dévalorisé. Car le mercenariat celte a été présenté par l’historiographie antique sous les couleurs sombres de la barbarie (perfidie, cupidité, cruauté) dont l’historiographie moderne a fait également son miel quasiment jusqu’à l’orée des années 2000 (chapitre I). Partant de ce constat et de l’incapacité des Anciens à sortir de l’image du « Celte pilleur et sacrilège », suppôt de la feritas, l’inhumanité (chapitre II), Luc Baray déconstruit dans les dix chapitres suivants les topoï et propose une lecture dépoussiérée du phénomène. Il souligne la responsabilité de Polybe dans le dénigrement de l’offre celte vis-à-vis de celle des Grecs, en livrant une analyse fine de la Guerre des mercenaires (241-238 av. J.-C.) qui clôt le Livre I de ses Histoires (chapitre III). Le péché originel des mercenaires celtes serait leur éloignement des valeurs de la cité et de l’image du citoyen-soldat que le Mégalopolitain et ses semblables ne cherchaient pas à comprendre : l’altérité ne prenant que les atours de la cruauté, de l’ivrognerie, de la cupidité, de la perfidie et du manque d’endurance (chapitre IV). L’interprétation barbarologique ancienne établie, Luc Baray débusque dans les études modernes ses avatars ou les chimères nouvelles, comme celle qui prétend trouver l’origine ethnique des mercenaires celtes (chapitre V). Il souligne le caractère illusoire de la cartographie des objets soi-disant perdus par les mercenaires. Quand l’interprétation est la moins fragile, le recrutement micro-régional semble la norme en Occident. Passé le temps des migrations, la même norme semble fonctionner aussi pour l’Orient hellénistique. En outre, la coutume chez les auteurs anciens d’associer, de façon artificielle, un nom ethnique et un « style de combat » fragilise effectivement la recherche sur l’origine de tel ou tel groupe de mercenaires.

 

         Moins irréelles seraient les informations données par les auteurs antiques, sur les effectifs qui ne dépassent jamais « 50% des effectifs globaux des armées », sur les modalités de recrutement (xénologues ou sergents recruteurs, enrôlement d’un condottiere), sur les « contrats d’embauche » qui peuvent avoir un caractère familial et sur la durée du service, souvent assimilable au temps de la campagne militaire (chapitre VI). Le caractère lacunaire de l’information ne permet pas toujours de distinguer clairement le service du mercenaire de celui produit par les accords de symmachie. Les chapitres VII à IX sont consacrés à la question centrale de la rémunération en argent et en nature qui noie d’ailleurs les Celtes dans le maelström du mercenariat antique. Luc Baray démontre que les Celtes ne sont pas moins payés que les mercenaires grecs, l’échelle des rémunérations dépendant en fait du type de soldat et de son armement, et la solde moyenne au IIIe siècle serait plus ou moins équivalente à six oboles par jour. Comme les autres soldats engagés dans les combats, les Celtes ont droit également à une part du butin, ce que ne manque pas de leur réserver Hannibal en particulier. Le général carthaginois était prévenu des conséquences dramatiques que pouvaient provoquer les retards de paiement de la solde, des arriérés et de versement de toute autre gratification, comme le prouve le récit de la Guerre des mercenaires qui éclate après la Guerre de Sicile. Dans les royaumes grecs hellénistiques, on peut considérer que la rémunération n’a pas cessé de croître (jusqu’à 2 drachmes par jour) jusqu’au temps des guerres contre Rome et d’être enrichie de dons exceptionnels.

 

         Le rôle du chef mercenaire est primordial car il sert d’interprète des ordres donnés par le haut commandement. Il est le plus souvent Celte lui-même, mais des personnages tutti-frutti, dont la valeur guerrière était forte et reconnue, ont pu commander des Celtes. Luc Baray insiste sur l’importance du charisme, qui se manifeste par le talent de haranguer de ces chefs (chapitre X). Plutôt que de jauger les mercenaires celtes à l’aune de la loyauté, prétendument limitée d’après l’historiographie ancienne – il est normal que des professionnels se rebellent quand ils ne sont pas rémunérés –, il est plus intéressant de tenter de les juger quant à leurs compétences réelles, fondées sur un véritable esprit de corps né de la pratique guerrière et de rapports clientélaires (chapitre XI). L’auteur termine son ouvrage (chapitre XII) en abordant la question d’une spécificité celte de l’armement et de la logistique. Une dernière fois, Luc Baray dénonce des impasses. Plutôt que de continuer à imaginer des hommes armés à la manière gauloise, il faut s’intéresser à la participation de ces guerriers au développement d’une culture de l’armement commune à tous les soldats. De même, les auteurs anciens et leurs continuateurs ont trop souvent interprété le « train des chariots », observable dans toutes les armées, comme un « peuple celte en marche », métamorphosant en migration toute expédition militaire. Une carte de répartition des attestations, un cahier d’illustrations (non numérotées), un tableau, en annexe, des attestations des mercenaires, des alliés et des auxiliaires celtes, une bibliographie et un index indifférencié complètent le livre.

 

         Luc Baray livre une synthèse de ses travaux à la fois claire et probante, qu’il faut compléter par la lecture des autres ouvrages de 2016-2017 : De Carthage à Jéricho pour le volet régional et La terre, le pouvoir et les hommes pour l’inscription du mercenariat dans l’histoire interne des sociétés celtiques.