Coudière, Bénédicte : La truelle & le phylactère, (Détourages), 17x 21cm, 230 p., ISBN : 979-10-96137-04-6, 28 €
(Éditions Fedora, Talence 2017)
 
Reviewed by Benoit Dercy
 
Number of words : 2599 words
Published online 2018-09-12
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3168
Link to order this book
 
 

  

          Si la figure de l’archéologue est apparue depuis longtemps en bande dessinée, que le héros lui-même se retrouve à « jouer aux archéologues » au gré de ses aventures ou qu’il croise sur sa route des savants de cette discipline (les égyptologues Philémon Siclone des Cigares du Pharaon d’Hergé [1934] et Grossgrabenstein du Mystère de la Grande Pyramide d’Edgar P. Jacobs [1950] pour n’en citer que deux), la rencontre entre l’archéologie comme science et la bande-dessinée comme média artistique est plus récente et ne donne lieu à réflexion que depuis quelques années. En 2012, l’exposition « Silence, on fouille ! » interrogeait le public sur la pertinence des représentations de l’archéologue dans les œuvres cinématographiques et littéraires, sans délaisser le 9e art. En octobre 2017, Philippe Blanchard (INRAP) et Sébastien Jesser (service archéologique de la ville d’Orléans) ont donné une conférence, dans le cadre des 20e Rendez-vous de l’Histoire à Blois, présentant le traitement des figures d’archéologues de fiction, des techniques de fouilles, de l’étude et de la valorisation des vestiges dans la bande dessinée, et concluaient que la vision de la discipline et de ses acteurs par les auteurs de BD reste assez loin de la réalité archéologique contemporaine. Enfin, le musée du Louvre inaugurera en octobre 2018 l’exposition « L’Archéologie en bulles », qui vise, au travers des œuvres et objets du musée et des planches d’auteurs de bande dessinée, à questionner les modes d’appropriation par ces derniers des découvertes archéologiques à l’origine des collections du Louvre.

  

         L’ouvrage de Bénédicte Coudière, La truelle & le phylactère. La proximité des images, paru en janvier 2017 chez Fedora, jeune maison d’édition d’ouvrages d’archéologie à destination d’un public large, s’inscrit dans cette mouvance. On pourrait s’attendre de la part de l’auteure, chroniqueuse et journaliste pour le magazine L’Avis des Bulles, à un essai qui fasse référence. Malheureusement, il déçoit à plus d’un titre. Le propos est réparti en trois ensembles : une introduction (p. 15 à 37) et deux chapitres (p. 39 à 213) qui intègrent des interviews de dessinateurs et/ou de scénaristes de bandes dessinées prétendument « archéologiques », repérables par le fond bleu des pages [détail infra].

 

         Dès les premières pages de l’Introduction, le propos se veut général et manque de pertinence. Les deux défauts majeurs du livre, qui en rendent la lecture fastidieuse, apparaissent d’emblée : l’absence d’une définition claire du sujet ou d’une problématique (autrement dit d’un traitement méthodique du sujet, quand bien même il ne s’agit pas d’une étude universitaire) ; des faiblesses, voire des erreurs récurrentes dans l’expression (approximations lexicales, phrases sans verbe, propositions subordonnées sans principales, diverses coquilles…). L’auteure esquisse une « Petite histoire de la bande dessinée » et commet d’emblée un double amalgame : la bande dessinée trouverait ses origines dans la Préhistoire, elle qui est définie très généralement comme la « représentation du mouvement » ou encore identifiée à des « images » servant de « transmetteurs d’histoires » (p. 16) ; en outre, « Histoire » et « histoire » sont utilisés comme synonymes, et le manque de distinction entre ces deux termes revient régulièrement dans l’ouvrage (par ex., p. 21 : « la bande dessinée raconte l’Histoire, les histoires », etc.). Six pages (p. 15-21) résument à grands traits – et non sans raccourcis ou approximations, donc – dans un ordre chronologiquement inversé pour lui donner une allure stratigraphique (puisqu’il s’agit de « fouiller du côté du passé de ce média » !), les étapes de cette « histoire » de la BD, de ses codes, et son lien à l’Histoire – et non à l’archéologie, même si certaines astuces langagières voudraient le faire croire.  

 

         L’auteure laisse ensuite (et déjà) la parole à un expert de la BD historique (« une mémoire du genre »), en publiant l’interview, sur fond bleu, du fondateur du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, Francis Groux (p. 22-24). On y retrouve en substance les pages précédentes et la typologie proposée ici est reprise telle quelle par Bénédicte Coudière dans les pages suivantes (p. 25-27). Cinq catégories permettent de classer la production de BD dans leur « lien plus ou moins fort avec l’Histoire », en fonction du contexte, du personnage principal, de la vie de l’auteur lui-même, ou du mode de prise d’informations. La conclusion même de l’auteure souligne bien qu’il n’est jamais question d’archéologie, et le propos s’enlise par manque de réflexion et de définitions claires (« il existe différents types de bandes dessinées, chacune traitant d’une façon différente de l’histoire [sic] et de la relation entre histoire [sic] et bande dessinée. » (p. 27). Les trois pages suivantes (p. 27-30) proposent un développement sur « le passé en symboles », ou comment l’image, « un des composants essentiels de ce média [la BD] », permet d’évoquer le passé, notamment par le recours à des « symboles » (« monuments, couleurs ou archétypes » ?). Au sein de ce paragraphe confus émerge une distinction pourtant fondamentale entre une tendance de la BD à recourir à un cadre historique sans chercher à transmettre des faits réels, cherchant la vraisemblance et non la véracité des faits, et celle qui prétend documenter le passé et informer le lecteur dans une entreprise de  reconstitution historique[1].

 

         Une seconde typologie est proposée pour clore l’introduction autour du thème du « voyage dans le temps » (p. 30-38). Sont passés en revue les sous-genres qui entretiennent un lien avec l’Histoire, passée ou future, qu’ils s’en inspirent fidèlement ou la manipulent : « l’uchronie » (« écrire une uchronie, c’est se placer en archéologue de l’imaginaire » lit-on, perplexe, p. 32 ; l’idée sera développée dans le Premier chapitre), « la dystopie », « le steampunk », « le cyberpunk », « l’anticipation », « la science-fiction », « le space opera », « le fantastique », « la fantasy »… L’introduction aura tôt fait d’égarer le lecteur, incapable d’appréhender les liens existant entre la science archéologique et ce média en particulier. Seule une liste de questions (p. 37) semble réorienter le propos dans la bonne direction.

 

         Au sein du Premier chapitre intitulé « Revivre le passé (sic) et combler les blancs par les bulles », l’auteure recourt essentiellement au modèle de la chronique ; elle juxtapose ici des résumés d’albums et de séries dans ce qui relève bien plus d’un catalogue que d’un essai traitant méthodiquement le sujet posé. La spécificité de l’archéologie face à l’Histoire n’est nullement interrogée : les deux termes sont interchangeables d’un bout à l’autre de l’ouvrage. L’idée défendue dans la première partie d’une démarche relevant d’une « uchronie perpétuelle » de la part des archéologues comme des auteurs de BD, en ce que chacun propose une reconstitution des événements en partie imaginaire et susceptible d’être revisitée à l’aune des nouvelles découvertes, n’est pas inintéressante, mais se révèle être une astuce permettant d’introduire l’étude de deux cas qui n’ont aucun lien direct avec l’archéologie : le contenu des tomes de la série Uchronie(s), parue chez Glénat dès 2008, dont « l’intrigue est fondée sur l’existence d’univers parallèles » (p. 42), est fort détaillé ; Héraklès d’Édouard Cour, compilation de différentes versions du mythe, est célébré en ce que « les choix de l’auteur (…) renforcent la crédibilité de l’histoire » -l’argument est curieux lorsqu’il s’agit d’évoquer non des événements historiques, où le souci de véracité peut compter, mais un mythe, et que le dessinateur déclare lui-même, dans l’interview qui suit, qu’il a délibérément « fait l’impasse sur la documentation historique (…) privilégiant une sensation, une ambiance plutôt qu’une tentative de réalisme historique » (p. 52). Invention d’un univers uchronique et réinterprétation d’un mythe sont ainsi placés au même niveau que la restitution ou l’interprétation des objets découverts en fouille.

 

         La deuxième partie, au titre trompeur puisqu’il n’y est pas vraiment question d’ « archéologie dans la BD », passe en revue les différentes périodes historiques envisagées de la Préhistoire à l’époque contemporaine. Notons que l’album de David Macaulay, La Civilisation perdue (1982), qui propose une critique amusée des erreurs d’interprétations de l’équipement technique de notre présent par les archéologues du futur, n’est pas oublié (p. 121-124). Cet exemple aurait gagné à être mis en parallèle avec le sous-genre de l’« exoarchéologie » ou archéologie d’autres planètes, traité plus loin et de manière expéditive dans l’ouvrage (p. 195-197), car il s’agit là d’une entreprise commune de réflexion, pouvant aller jusqu’à leur remise en question, sur certaines pratiques des archéologues qui usent de la transposition dans une autre époque ou dans un autre lieu (totalement étrangers et inédits car à venir ou hors de notre planète).

 

         Le Deuxième chapitre [p. 129-213] recentre l’intérêt sur l’archéologie, mais n’est pas dénué de maladresses. Il analyse « la bande dessinée comme outil de transmission » en deux temps : « l’utilisation pédagogique de la bande dessinée » et l’usage de la « bande dessinée dans les musées ». Une troisième partie, rattachée artificiellement, traite de la figure de l’archéologue, entre « stéréotype et personnage ».

 

         On apprend ainsi, dans la première partie, après une analyse sous forme de tableau des quizz internet de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), que cette institution « ne développe pas vraiment l’interaction entre la bande dessinée et l’archéologie » et qu’il « existe encore un gouffre entre les pratiques de l’archéologie et celles de la bande dessinée, malgré quelques passerelles qui semblent se forger au prix de nombreuses pages et de recherches » (p. 134) : on pourrait y lire la raison pour laquelle l’auteure peine à trouver des exemples pertinents. Sont passés en revue ensuite, dans une sorte de fourre-tout, des documents de natures différentes, dont le caractère pédagogique et scientifique est questionné : guides de fouilles sous forme dessinée, colloques sur la BD, récits hybrides « entre roman, bande dessinée et ouvrage scientifique » (p. 135-144)... Quelques conclusions émergent dans cette masse : le volume des recherches et des efforts menés par les auteurs (et non leur précision) donné comme critère définitoire de la BD scientifique et gage de sérieux ; la prise en compte de la réception dans l’évocation du risque d’une bande dessinée « irréprochable sur le plan des faits et de l’historicité des intrigues » mais au prix d’un « trop plein d’informations » qui fait de certains albums des « démonstration[s] » « indigestes pour les néophytes », avec l’exemple des productions de la maison d’édition AssoR Hist & BD (p. 153-158).

 

         Les pages sur l’utilisation de la BD dans les musées (p. 165-194) présentent tout d’abord les albums issus d’une collaboration entre le Louvre et Futuropolis (p. 168-175). Le propos s’écarte de nouveau du sujet puisque, d’une part, toutes les productions des éditions du Louvre à destination d’un lectorat jeune (comme les cahiers d’activités, les guides pour enfants…) sont envisagées et que, d’autre part, on réaffirme ici que la commande consistait dans « la volonté de mettre en avant la relation étroite entre un auteur/dessinateur de bande dessinée et un musée » (p. 174) plutôt que d’être dans une démarche historienne ou archéologique. Trois expositions de musées exploitant le média de la bande dessinée sont ensuite passées en revue : « Astérix à Alésia » et « Ave bande dessinée » à Vieux-la-Romaine en 2015, « Hergé » au Grand Palais en 2016-2017. Le lien à l’archéologie réapparaît dans la relation mise en avant entre l’objet ou le vestige découverts, le savoir qui en est tiré et l’usage qu’en fait l’artiste, dans l’évocation de collaborations entre archéologues et dessinateurs. Cette réflexion trouve un prolongement concret dans la parole d’une dizaine d’auteurs contemporains interviewés, qui se prononcent sur la place à donner à la BD dans les musées (p. 183-193).

 

         Les portraits d’archéologues fictifs et attendus que sont Indiana Jones, Lara Croft, Adèle Blanc-Sec et d’« archéologues qui s’ignorent » comme Tintin, Blake et Mortimer ainsi que d’autres (p. 195-209) ramènent au sujet sous un angle encore non traité dans l’ouvrage : la figure de l’archéologue, entre réalité et fantasme. Ces pages ouvrent une perspective comparative avec d’autres médias comme le cinéma.

 

         L’Épilogue tente une synthèse qui aligne malheureusement les poncifs ou des énumérations approximatives d’adjectifs : « la bande dessinée est tantôt médiatrice, tantôt vulgarisatrice », elle sait se faire « studieuse, secrète, archéologique même », « l’archéologie et la bande dessinée ont fait un très long chemin ensemble et continueront de le faire encore au fil de très nombreuses pages. » (p. 215-217).

 

         On regrettera enfin l’absence d’une bibliographie scientifique sur la bande dessinée historique -puisque tel est le sujet traité dans l’ouvrage - remplacée ici par une liste « des ouvrages cités » (p. 219-224), dont l’hétérogénéité est à l’image de la construction générale du propos[2].

 

         On l’aura compris : l’ouvrage de Bénédicte Coudière est bien plus à feuilleter qu’à lire dans le détail. Il offre l’intérêt non négligeable de présenter un grand nombre de titres de bandes dessinées ayant un lien avec l’Histoire, particulièrement l’Antiquité. La reproduction en couleurs d’une quinzaine de planches ainsi que de cases ou de premières de couvertures dans le corps du texte est un atout qui permet de visualiser le graphisme des auteurs cités. On peut déplorer toutefois le choix du format, réduisant les reproductions aux dimensions de cartes postales peu lisibles (et d’ailleurs assez peu exploitées pour elles-mêmes par Bénédicte Coudière), et d’un papier rigide glacé, rendant la lecture vagabonde moins aisée.

  

         L’intérêt de l’ouvrage réside principalement, en réalité, dans les interviews d’auteurs de bandes dessinées : Édouard Cour pour Héraklès, p. 51-55 ; Alain Genot et Laurent Sieurac pour Arelate, p. 66 -81 ; Emmanuel Roudier pour Néandertal et Vo’hounâ, p. 87-92 ; Jens Harder pour Alpha…Directions et Bêta…Civilisations, p. 148-152 ; Thierry Lemaire pour Le Cœur de Lion, p. 159-164. On doit à coup sûr à Alain Genot, archéologue et scénariste de la série Arelate, les pages les plus intéressantes et pertinentes de l’ouvrage, lorsqu’il met en avant les éléments qui, selon lui, permettent de réaliser une bande dessinée s’appuyant sur les dernières connaissances archéologiques tout en restant propre à satisfaire aussi bien l’amateur d’Histoire que le passionné du 9e art.[3]

 


[1] Voir les analyses de Pascal Ory, professeur émérite d’Histoire contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste d’histoire culturelle, politique et sociale, et critique de bande dessinée, que ne semble pas connaître l’auteure de l’ouvrage présenté ici. Sur la nécessité de distinguer « BD historique » et « BD historienne », lire par exemple http://casesdhistoire.com/trois-questions-a-pascal-ory-historien-de-la-culture-et-de-la-bande-dessinee [17/02/2015]. Sur la « BD politique », lire https://abonnes.lemonde.fr/festival/article/2017/07/27/la-bd-entre-en-politique-bedeastes-a-babord_5165703_4415198.html? [27/07/2017].

[2] L’ouvrage collectif, déjà ancien, d’Odette Mitterrand, L’Histoire par la bande. Bande dessinée et pédagogie, Syros, 1993, manque ; on trouvera tout de même (p. 226), perdu dans la masse des titres d’albums, les actes du colloque de Pau consacré à la représentation de l’Antiquité gréco-latine dans la BD franco-belge, les comics et les mangas, publiés sous la direction de Julie Garrego, La bande dessinée historique. 1er cycle : Antiquité, PUPPA, Pau, 2015, réunissant certains grands noms : le scénariste Jean Dufaux et le dessinateur Philippe Delaby (auteurs de la série Murena), Claude Aziza (historienne de l’Antiquité et de son traitement fantasmatique), Jean-Claude Golvin (archéologue et illustrateur)… Sur les liens entre archéologie et bande dessinée, nous renvoyons à la conférence « Archéologues et archéologie dans la bande dessinée : fiction et réalité », présentée sur la page https://www.inrap.fr/archeologues-et-archeologie-dans-la-bande-dessinee-fiction-et-realite-13022, et au catalogue d’exposition de Jean-Luc Martinez et Frédéric Douar (dir.), L’Archéologie en bulles, éditions Musée du Louvre / Seuil, à paraître (octobre 2018).

[3] En substance, Laurent Genot distingue la BD de pure fiction (sur l’Antiquité), centrée sur des personnages stéréotypés, souvent proches du pouvoir et de ses lieux d’exercice, et qui véhicule des poncifs ; la BD pédagogique, qui se donne comme un documentaire sur un lieu ou un site à un moment donné de son histoire, ce qui lui vaut d’être taxée parfois de régionalisme ; la BD qui fait réellement « de la médiation en archéologie » (p. 69). Cette dernière, née du choix premier de créer une BD (et non d’en faire un medium comme un autre), résulte d’un travail de concertation entre scientifique et l’artiste qui veillent à ne nourrir la fiction des connaissances archéologiques que si elles restent cohérentes avec le scénario et l’univers élaborés, et à ancrer l’intrigue, qui permet de suivre la vie quotidienne d’un quidam, dans un lieu qui n’est qu’un décor, un arrière-plan. Un dossier pédagogique complète les informations auxquelles le lecteur a eu accès sans y réfléchir, en les absorbant par le biais de la narration et du dessin.