Hryszko, Barbara: Le Peintre du Roi. Aleksander Ubeleski - malarz polskiego pochodzenia we Francji i jego dzieła [– peintre d’origine polonaise en France et ses œuvres] [– a Painter of Polish Extraction in France and his Œuvre], 412 p., 147 ill., 29,5 × 20,5 × 3,1 cm, ISBN : 9788327713346, 25 €
(Kraków, WAM, Akademia Ignatianum 2017)
 
Recensione di Konrad Niemira, ENS-Université de Varsovie
 
Numero di parole: 1658 parole
Pubblicato on line il 2017-12-28
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3177
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          Richement illustré et documenté, l’ouvrage de Barbara Hryszko retrace fidèlement la carrière et reconstitue l'œuvre d’un artiste au demeurant assez peu connu : Alexandre Ubeleski. Le livre en question découle d’une thèse de doctorat en histoire de l'art, dirigée par le professeur Marcin Fabiański et soutenue à l’Université Jagiellone de Cracovie en 2008. Ses recherches concernant Ubeleski ont déjà été publiées partiellement en anglais dans « Artibus et Historiae » en 2015[1] et aussi – à plusieurs reprises - en polonais. La nouvelle monographie dépasse de manière significative ces publications et propose une vision plus complexe de l'artiste. Le catalogue est aussi beaucoup plus développé : tandis que dans la thèse de Hryszko, on compte 44 œuvres d'Ubeleski, dans la présente version, on en retrouve 78 (parmi elles, 21 ont été reniées par l'auteur). En comparaison, l'article pionnier de Pierre Rosenberg consacré à Ubeleski, qui fut le point de départ du travail de Hryszko, ne contenait que 38 reproductions[2].

 

         Le plan de l’ouvrage est classique. Sa première partie est consacrée à la vie et à la carrière d'Ubeleski. Né entre 1649 et 1651, enfant d'une famille bourgeoise parisienne, il étudie à l'Académie royale de peinture et sculpture à Paris. Grâce au prix de Rome reçu en 1672, il continue son éducation en Italie. En 1677, il est reçu à l'Académie de Saint-Luc à Rome ; 5 ans plus tard par l'Académie royale à Paris. Dans le premier chapitre, Hryszko retrace le déroulement de sa carrière. L'auteur présente aussi le milieu parisien dans lequel vivait le peintre : on y voit Charles Le Brun (dont Ubeleski était un élève), les nombreux artistes de l'Académie Royale (surtout la famille Coypel) ; les figures de la cour de Versailles (Madame de Maintenon), de l'Église (Jean Desmoulins, pasteur de la paroisse Saint-Jacques du Haut-Pas) et de la ville (Confrérie des Orfèvres) – d’où viennent les plus importants clients de l'artiste. Hryszko évoque aussi des médiateurs ayant aidé Ubeleski à obtenir des commandes (Le Tellier, le marquis de Louvois, Hardouin-Mansart). Les recherches biographiques entraînent le lecteur dans le vieux Paris. On reconnaît les rues, l’habitation des parents d'Ubeleski, sa propre maison, tout dans le voisinage de la paroisse Saint-Germain l'Auxerrois. Hryszko étudie les contrats, identifie les signataires, les témoins à l’église. Le séjour en Italie est suivi à partir de la correspondance des directeurs de l’Académie de France à Rome. Comme le montre l'auteur, Ubeleski – jusqu'à présent presque méconnu – a laissé de nombreuses traces dans les archives. Celles-ci ont été mises au jour à partir des fonds dispersés essentiellement en France (aux Archives nationales, à l’École nationale supérieure des Beaux arts), mais aussi à Rome (Archivo Storico dell’ Accademia di San Luca). Ce travail, laborieux sans doute, a exigé des années de recherches.

 

         La deuxième partie concerne l'œuvre de l'artiste. Hryszko établit le corpus des œuvres : les plus importantes, outre son morceau de réception (Allégorie de la Paix à Nimégue, aujourd'hui au Musée du Louvre), sont les tableaux peints pour les églises parisiennes (parmi eux : deux Grands Mays pour la cathédrale Notre-Dame) et compositions mythologiques faites pour Versailles. L'autre objectif de Hryszko est de définir le style d'Ubeleski. Ce projet est placé par l'auteur en opposition à l'opinion de Pierre Rosenberg, qui voyait le style d'Ubeleski comme diversifié, variable et instable, alors difficile à définir. Pour finir, Hryszko retrace la genèse de l'art du peintre, ses modèles, ses sources d'inspiration et sa façon de travailler (mais sans montrer l'organisation de son atelier). L'auteur aborde à la fin de l'ouvrage quelques problèmes iconographiques qu'on retrouve dans ses tableaux et dessins.

 

         La troisième partie de l’ouvrage, occupant 60 pages, est consacrée au catalogue de l’œuvre. Les notices du catalogue fournissent des renseignements précieux : données incontournables (technique, dimensions, signature, localisation, numéro d’inventaire), la bibliographie et l’iconographie accompagnent chaque peinture et chaque dessin. Les attributions de Hryszko paraissent très  convaincantes. Elles sont fondées non seulement sur les analogies stylistiques, mais aussi sur des preuves plus sûres : provenance des œuvres, existence de prototypes gravés créés selon les projets d'Ubeleski ou encore sur les dessins préparatoires faits par l'artiste.

 

         Les annexes et la « documentation » forment la dernière partie. Elles comportent :

 

1) les tableaux des participations de l'artiste aux assemblées de l'Académie Royale et leçons du modèle, les paiements exécutés, la liste de ses collaborations avec d'autres artistes de l'Académie (35 noms !), et les facsimilés des signatures de l'artiste

2) des documents d’archives

3) une chronologie détaillée.

 

         Le chapitre consacré à la biographie de l'artiste est sans doute la plus importante partie de l'ouvrage de Barbara Hryszko. La reconstruction de son réseau social – identification des amis, collaborateurs (Jean Jouvenet, Antoine Coypel, Louis de Boulllogne, Charles de la Fosse, Charles-Francois Poerson, Claude-Guy Hallé, Guy-Louis Vernansal pour ne nommer que quelques-uns) et ses commanditaires est – par rapport aux recherches antérieures menées par les historiens français – une avancée significative dans la recherche. Et c'est peut-être pourquoi il paraît surprenant que l'auteur laisse parfois ses découvertes sans commentaire. Le milieu social d'Ubeleski n'est pas intégré, par exemple, dans le contexte d'autres satellites de Charles Le Brun. Alors même que les hauts et les bas de la carrière d'Ubeleski dépendaient de la situation de Le Brun puis, après sa mort en 1690, du surintendent des Bâtiments de Roi.

 

         Dans ce contexte, le fait que Hryszko ne cite jamais L'ascension de Charles le Brun de Bénédicte Gady, paru en 2010, est symptomatique. Les découvertes de Gady, même si elles concernent la période précédant la nomination de Charles Le Brun comme Premier peintre, pourraient servir de point de référence. Les sources recueillies par Hryszko montrent qu’Ubeleski était  un rouage dans la machine plutôt qu'un grand maître. Il serait alors utile de retracer le fonctionnement de cette « machine » en la réintégrant dans une plus vaste étude d’un réseau social constitué d’artistes et de commanditaires au lieu de s’en tenir à une seule étude d’une carrière isolée. Il semble aussi que les analyses du fonctionnement de l’atelier de Le Brun et de ses gigantesques chantiers auraient pu aider Hryszko à éviter sa poursuite sur le style de l'artiste.  Une étude approfondie du cercle des collaborateurs et des élèves de Le Brun aurait pu montrer que la question du style individuel est très difficile à maintenir. Il est alors surprenant que Hryszko, après la définition d'un réseau complexe de commanditaires et de protecteurs, après la reconstruction des liens sociaux et du caractère de production artistique de notre peintre, s’en tienne à de pures questions de connoisseurship.

 

         Le chapitre biographique apporte en tout cas une importante base factuelle. Il présente également quelques hypothèses valables mais parfois difficiles à vérifier. Parmi elles, on retrouve la conception du double attachement de l'artiste à Paris. Selon Hryszko, il est possible qu'Ubeleski en tant que membre de l'Académie Royale ait aussi été, vers 1716-1717, instructeur de dessin à l'institution rivale – Académie de Saint-Luc à Paris. Malheureusement, nous ne disposons ici que d’une source suggérant cette hypothèse : un dessin, l'Académie, conservée aujourd'hui à l'ENSBA à Paris.

 

         Un problème plus complexe, également soulevé auparavant par les chercheurs [non seulement par Pierre Rosenberg, mais aussi par Edward Rastawiecki en 1857[3]], est la nationalité polonaise présumée de l'artiste. Hryszko adhère à cette tradition. L'auteur à plusieurs reprises appelle Ubeleski « artiste d'origine polonaise » ou « artiste polonais ». L'origine polonaise de l'artiste a également été insérée jusque dans le titre de livre. Sans aucun doute, l’émigration du père de l'artiste ou des ses ancêtres de la Pologne vers la France est possible – on connaît quelques exemples de mobilités artistiques similaires, comme le graveur Jan Ziarnko / Jean le Grain (Ziarno, Kern, Grano) qui, à la fin du XVIIe siècle, quitte Lviv pour Paris. Il faut tout de même souligner que les arguments en faveur de de l'origine polonaise d'Ubeleski restent très faibles. Il s'agit de l'orthographe de son nom (connu aussi dans sa version italienne : Ubeleschi) et de la tradition exprimée au XIXe siècle (peut-être elle aussi formulée sur la base de l'orthographe). Finalement, l’hypothèse de l’origine polonaise du nom Ubeleski en raison de son affinité étymologique avec le nom de du village d'Ubiel ne fait que compliquer le problème. Ubiel, situé près de Minsk en Bélorussie, avait au début du XVIIe siècle peu de points communs avec la culture de la Pologne. Si les ancêtres d'Ubeleski avaient effectivement quelque chose à voir avec Ubiel, nous devrions plutôt parler d'un artiste Ruthène ou Russe travaillant à Paris, plutôt que d'un Polonais.

 

         Malgré ces questions problématiques, le livre de Hryszko reste le plus important jamais consacré à Ubeleski. Une fois encore, il faut souligner que jusqu’à la recherche de Hryszko, les renseignements concernant la vie et l’œuvre du peintre manquaient de précision : la date de naissance, l’orthographe de son nom, les fragments de biographie. Seuls quelques tableaux et dessins lui avaient été attribués. L'ouvrage, qui comporte le catalogue raisonné des tableaux, dessins et fresques d'Ubeleski, mais aussi un riche appendice avec la transcription des documents retrouvés par l'auteur dans les archives, devraient sans doute attirer l'attention des chercheurs français travaillant sur la scène parisienne des XVIIe et XVIIIe siècles.

 

 

 


[1] Barbara Hryszko, « Alexandre Ubeleski (Ubelesqui): The Œuvre of the Painter and the Definition of his Style », dans Artibus et Historiae. An Art Anthology, vol. 71, 2015, pp. 226-280.

[2] Pierre Rosenberg, « Un émule polonais de Le Brun : Alexandre Ubelesqui », dans Arte & Historia, vol. XXII, 1990, pp. 163–187.

[3] Słownik malarzów polskich tudzież obcych w Polsce osiadłych lub czasowo w niej przebywających, éd. E. Rastawiecki, t. 3, Warszawa 1857.

 
 

 

N.B. : Konrad Niemira prépare actuellement une thèse de doctorat intitulée Art, commerce, sociabilité. Les peintres français et leurs clients polonais au XVIIIe siècle sous la direction de Monsieur Andrzej Pieńkos (Université de Varsovie) et Madame Charlotte Guichard (ENS).