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Compte rendu par Sandra Bazin-Henry, Université Paris-Sorbonne Nombre de mots : 2433 mots Publié en ligne le 2018-07-11 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3185 Lien pour commander ce livre
Cet ouvrage, publié par les Éditions du patrimoine, traite d’un aspect majeur de l’histoire du palais des Tuileries, en apportant un éclairage sur ses grands décors et son ameublement. Il faut saluer la volonté des auteurs d’avoir examiné un dossier complexe, en raison de la longue histoire de l’édifice et des nombreuses transformations dont il a fait l’objet, de Catherine de Médicis à Napoléon III, mais également en raison du destin tragique de ce palais, incendié volontairement en 1871 lors des troubles de la Commune, la majorité des décors ayant péri sous les flammes ou ayant été dispersée entre les collections publiques ou privées. Pari réussi : l’enquête à laquelle se sont livré les auteurs permet de présenter au lecteur une étude détaillée des nombreux aménagements qui se sont succédé, tout en portant une attention aux vestiges dispersés, qui recèlent en eux la mémoire de l’édifice.
Réunissant six auteurs (parmi lesquels Guillaume Fonkenell, spécialiste du palais des Tuileries, auquel il a déjà consacré une importante monographie en 2010, et qui signe ici deux contributions), l’ouvrage est d’une grande clarté et d’une grande richesse : 288 pages, 280 illustrations, une préface de Philippe Bélaval et 7 articles, chacun accompagné d’un tableau des sources et des notes, auxquels s’ajoutent parfois quelques annexes (plans restitués du palais, montrant la distribution de l’édifice en 1809, de 1847 à 1861, et après 1861 ; chronologie des discussions sur la démolition des Tuileries ; brève liste des vestiges d’architecture du palais). Un dernier dossier, consacré aux Tuileries en ruine, avant leur démolition en 1883, fait office d’épilogue : les citations de Théophile Gautier, Maxime Ducamp ou encore Émile Zola accompagnent le lecteur dans une promenade mélancolique, à la découverte de vues spectaculaires. L’ouvrage comporte enfin une bibliographie ainsi qu’un index.
Il faut noter en premier lieu la variété et la qualité de l’iconographie rassemblée qui comporte des dessins, des gravures, des peintures, des plans, mais aussi de multiples photographies anciennes et contemporaines. Le soin apporté à la mise en page et la qualité des illustrations, souvent présentées en pleine page, et en double page pour certaines, sont remarquables. Ce livre – et c’est l’un de ses points forts - est aussi construit sur l’image, qui n’a pas qu’une valeur illustrative, mais bien documentaire. À cet égard, la riche collection de photographies anciennes de Jean-Denis Serena, généreusement mise à disposition des auteurs de l’ouvrage, est un témoignage précieux pour connaître les intérieurs du palais sous le Second Empire, tandis que d’autres vues anciennes révèlent la physionomie du palais après l’incendie, en particulier les façades, qui étaient particulièrement solides.
La richesse des informations livrées au lecteur mérite d’être soulignée. Pourtant celui-ci n’est jamais perdu, ni dans l’histoire de l’édifice, longue de trois siècles, qui se prolonge jusqu’à nos jours par les nombreux vestiges qui subsistent, dispersés dans le monde entier et dont l’histoire dépasse très largement celle de la capitale, ni dans l’espace du palais, maintes fois remanié, de Catherine de Médicis à Napoléon III. Car si l’histoire des Tuileries est marquée par les grandes figures du pouvoir, elle l’est également par les architectes qui se sont succédé (Philibert Delorme, Jean Bullant, Baptiste Androuet du Cerceau, Louis Le Vau, Jacques-Germain Soufflot, Ange-Jacques Gabriel, Charles Percier, Pierre-François-Léonard Fontaine, Hector Lefuel). Comme le remarquent les auteurs de l’ouvrage, l’histoire des Tuileries permet aussi d’éclairer celle d’autres grandes demeures royales, à commencer par Versailles, ses décors, mais aussi ses longues enfilades, système que Le Vau déploie tout d’abord aux Tuileries.
Guillaume Fonkenell, au début de l’ouvrage, s’est penché sur les origines du palais, en particulier sur le projet de Catherine de Médicis qui souhaitait initialement « faire des jardins près du Louvre » (p. 14), l’idée d’un palais s’étant imposée dans un second temps. L’auteur souligne d’emblée que ce projet est difficile à cerner, notamment en raison de la chronologie du chantier où se succèdent trois architectes entre 1567 et 1582 : Philibert Delorme, Jean Bullant et Baptiste Androuet du Cerceau. À la mort de la reine, l’édifice est encore inhabitable et c’est sous Henri IV qu’il est agrandi et que les premiers décors intérieurs voient le jour, connus seulement par quelques marchés et de rares témoignages. Le roi est à l’origine du changement de parti radical de l’édifice avec la création de la Grande Galerie (1595-1609), longue de 460 mètres, qui fit des Tuileries, non plus un édifice indépendant, mais une annexe du Louvre. Guillaume Fonkenell indique que la création de cet espace et la redéfinition des façades qui a suivi a induit un changement d’échelle, expliquant que « les Tuileries sous Henri IV se réduisirent en plan, mais augmentèrent en élévation » (p. 24).
Dans son article Décor et mobilier sous le règne de Louis XIV, Yves Carlier a étudié les nombreuses transformations entreprises entre la fin des années 1650 et le début des années 1670. L’auteur explique qu’il est difficile de connaître précisément l’implication de Louis XIV dans les projets des Tuileries, rappelant notamment que le monarque n’y résida que de manière éphémère et que le chantier s’arrêta brutalement quand il décida de ne pas résider à Paris. Cette période est marquée par le chantier de la salle des Machines et par l’intervention de Louis Le Vau qui va procéder à de grandes transformations, à l’intérieur du palais, en recomposant les accès et les circulations, comme à l’extérieur du bâtiment. Le Vau élève ainsi deux pavillons coiffés d’un comble brisé avec un attique couronné d’une balustrade, traitement qu’il applique aux bâtiments d’Henri IV tandis qu’il intervient également dans le pavillon central destiné à recevoir les appartements royaux, conçus en enfilade. Yves Carlier souligne que l’évolution et la chronologie du chantier des intérieurs, qui débute en 1666, demeurent incertaines, ce qu’il explique en partie par les campagnes d’ameublement, débutant avant l’achèvement des décors placés sous la direction de Charles Le Brun. L’auteur indique que les documents, peu nombreux, relatifs à ces espaces ne laissent pas soupçonner une politique d’ameublement cohérente, avec peu de commandes spécifiques. Hormis la célèbre galerie des Ambassadeurs qui se trouvait dans le grand appartement, il reste difficile en effet de connaître avec précision l’aménagement des différentes pièces. Lorsque le chantier des Tuileries est interrompu, les œuvres d’art sont rapidement transférées à Versailles et les appartements, désormais peu entretenus, connaissent alors de nouveaux usages, à l’instar de la grande salle du rez-de-chaussée où sont exposés les plans et reliefs.
Guillaume Fonkenell s’est intéressé, dans une seconde contribution, à l’histoire du palais au XVIIIe siècle, période que l’auteur qualifie d’emblée d’ « incertaine ». Au moment de la Régence, Philippe d’Orléans choisit de résider au Palais Royal et il installe le jeune Louis XV aux Tuileries où les réceptions d’ambassadeurs se succèdent durant quelques années. Toutefois, la présence de la monarchie ne sera qu’épisodique au XVIIIe siècle et le palais, en déshérence, s’impose comme un lieu privilégié pour les fêtes et les spectacles, notamment à l’époque de Marie-Antoinette. La reine, qui manifeste un intérêt particulier pour le palais, y accueille ses proches et commande plusieurs aménagements. Comme l’explique l’auteur, il faut attendre la Révolution pour que le palais retrouve son rôle de siège du pouvoir. Lorsque Louis XVI et la famille royale sont ramenés aux Tuileries le 6 octobre 1789, la configuration des intérieurs, avec l’absence d’espaces privés, n’est guère appropriée à cette période de troubles. Après le départ des souverains en 1792, le palais connaît ses premiers envahisseurs et ses premières dégradations, en particulier pour le mobilier et les décors. Rapidement, les appartements sont transformés en bureaux, tandis qu’une salle est créée pour les débats parlementaires, dont le chantier est confié à l’architecte Jacques-Pierre Gisors.
Contrairement à l’époque de l’Ancien Régime, les Tuileries deviennent au XIXe siècle la résidence principale des souverains. La période allant de 1800 à 1851 est étudiée par Anne Dion-Tenenbaum. L’auteur présente les profondes transformations que connaissent les intérieurs du palais à cette époque, en soulignant le rôle de l’architecte Fontaine qui, en dépit des changements de régime successifs, reste en charge des aménagements du palais pendant près d’un demi-siècle. Anne Dion-Tenenbaum détaille les aménagements entrepris dans le grand appartement, en particulier la salle du Trône,. L'état de la pièce en 1810 est connu par une aquarelle de Fontaine (fig. 57, p. 91). L’auteur indique que les plus gros travaux intérieurs concernent en fait l’aile nord dans laquelle les architectes Percier et Fontaine intègrent une chapelle et une salle de spectacle, tandis que commencent les travaux d’une nouvelle aile perpendiculaire. Une grande campagne de réfection des appartements d’honneur du couple impérial est aussi lancée en 1808. Peu de chantiers sont menés sous la Restauration, tandis que sous la Monarchie de Juillet d’importants travaux concernent les intérieurs du palais, entraînant de profonds changements notamment pour la circulation. Le grand escalier de Le Vau est en effet détruit en 1832 et remplacé par un escalier droit monumental (détail en couverture de l’ouvrage), qui entraîne la suppression de la terrasse nord et met à mal la symétrie des façades de Delorme. Cette période est marquée enfin par la Révolution de 1848 qui entraîne le pillage du palais par le peuple.
Bernard Chevallier a consacré une étude détaillée au palais des Tuileries sous le Second Empire, dernière grande étape de son histoire. L’auteur dresse d’emblée un état des sources disponibles (les photographies, quelques rares aquarelles, l’inventaire dressé en 1855, les registres d’entrées et les inventaires du musée du Louvre). En procédant pièce par pièce, Bernard Chevallier concentre tout d’abord son étude sur les grands appartements, en s’appuyant notamment sur les vues stéréoscopiques (collection de Jean-Denis Serena), puis sur les appartements neufs occupés par Napoléon III et l’impératrice Eugénie, créés par Hector-Martin Lefuel, à la suite de la fermeture du portique de Delorme qu’il rehaussa d’un étage. Après 1858, l’appartement de l’empereur se composait désormais d’une quinzaine de pièces en enfilade. L’aquarelle de Jean-Baptiste Fortuné de Fournier (p. 180-181) constitue un témoignage précieux pour connaître le décor du cabinet de travail de Napoléon III, dans lequel un important mobilier fut livré jusqu’en 1870. Bernard Chevallier examine enfin les appartements de l’impératrice avant 1861, soulignant l’intérêt que celle-ci portait à la décoration, en particulier pour les productions de l’époque Louis XVI. Comme l’indique l’auteur, celle-ci procéda à de telles transformations qu’il est parfois difficile de suivre la chronologie des différentes interventions. Les salons vert, bleu et rose témoignent en particulier de l’éclectisme de l’impératrice qui mêle volontiers du mobilier ancien avec des créations modernes.
La contribution de Jean-Denis Serena, dont les propos ont été recueillis par les Éditions du patrimoine, apporte des éclaircissements sur la vie officielle et privée de Napoléon III et Eugénie, pour lesquels l’abondance était « le signe incontestable de la prospérité impériale » (p. 209). L’auteur mentionne les importantes collections de verrerie et d’argenterie, mais aussi la garde-robe considérable de l’impératrice. Cette époque est marquée en outre par les nombreux bals et réceptions organisés le plus souvent dans le salon des Maréchaux ou dans le salon d’Apollon. Ces événements se distinguaient par leur magnificence, à l’instar du bal donné le 9 février 1863 ou la réception organisée le 10 juin 1867, en l’honneur des souverains européens. Une huile sur bois, peinte par Eugène Lami (fig. 169, p. 215), offre un aperçu de l’atmosphère qui se dégageait de ces réceptions, pouvant accueillir des invités cosmopolites par milliers. À coté de ces événements publics particulièrement fastueux, l’auteur nous renseigne également sur la vie quotidienne et privée du couple impérial, mentionnant par exemple les longues heures que Napoléon III passait dans le cabinet des inventions ou encore les promenades quotidiennes de l’impératrice à Saint-Cloud, Versailles ou Le Vésinet quand celle-ci ne se dédiait pas à sa correspondance (fig. 177, p. 222).
Geneviève Bresc-Bautier, dans une dernière contribution intitulée Les vestiges du château des Tuileries sont-ils « les larmes des choses » ? examine dans un premier temps l’étape de la préservation des œuvres d’art avant l’incendie du 24 mai 1871, puis celle de la première récupération des vestiges, avant de dresser, avec une grande clarté, l’historique des discussions menées entre 1871 et 1883 quant à la reconstruction ou à la démolition des Tuileries. L’auteur explique qu’il est impossible de connaître avec exactitude ce qui fut vendu par Picart après la démolition du palais, raison pour laquelle elle se concentre sur les acquéreurs des vestiges dans la dernière partie de son étude. Ainsi, à côté des Pozzo di Borgo, « les premiers et grands acquéreurs » (p. 245), qui intégrèrent des éléments architecturaux des Tuileries dans leur château de la Punta à Alata (Corse du sud), figurent aussi un groupe d’amateurs constitué d’architectes (Garnier, Clausse, Sedille), d’entrepreneurs (Dervillé, Mentienne) ou encore de photographes (Godefroy), mais également de personnalités proches du couple impérial (Worth, le couturier de l’impératrice, le couple Carvalho, l’écrivain Victor Sardou ou encore Charles Thoinnet de la Turmelière, chambellan de Napoléon III). Comme l’indique l’auteur, il s’agit, pour l’essentiel des vestiges, de fragments de l’architecture de Delorme et de quelques-uns de celle de Bullant, les constructions d’Henri IV ayant été détruites en 1873. Seuls les vestiges entrés récemment au Louvre, à l’instar d’une des arcades de Delorme (fig. 193 p. 240) sont dans un état acceptable. L’auteur déplore ainsi l’état des vestiges entreposés dans les réserves et ceux dispersés en mains privés, qui continuent de se dégrader et qui ne peuvent bénéficier des mêmes soins, d’autant plus que les vestiges ont le plus souvent été exposés en plein air, selon un certain goût romantique pour les ruines, ce qui n’a pas favorisé leur conservation. On ne peut que saluer les propos de Geneviève Bresc-Bautier qui explique en conclusion que « seule une prise de conscience collective permettrait la pérennité des vestiges nationaux ». À cet égard, on soulignera que la restauration envisagée au château de la Punta, pour laquelle une commission scientifique et technique, composée de personnalités expertes, a été mise en place pour le suivi de la mission d’évaluation et de diagnostic, est porteuse d’espoir pour la préservation et la pérennité des vestiges du palais des Tuileries[1].
La force de cet ouvrage réside ainsi dans la diversité des angles d’approche qui mêlent à la fois l’histoire de l’architecture et du grand décor, l’histoire du pouvoir royal et impérial, l’histoire de Paris et une histoire patrimoniale, se prolongeant jusqu’à nos jours. L’intérêt du lecteur, qui ne cesse de croître au fil de la lecture, est pleinement satisfait, et il est certain que ce récit richement documenté s’adresse aussi bien aux spécialistes qu’aux amateurs et curieux : ils y puiseront, au-delà d’une histoire des intérieurs de l’édifice, une véritable réflexion sur le patrimoine.
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |