Paunier, Daniel - Luginbüh, Thierry (et al.): URBA I. La villa romaine d’Orbe-Boscéaz. Genèse et devenir d’un grand domaine rural. Vol. 1 : Environnement, histoire et développement du bâti. Vol. 2 : Éléments et ornements architecturaux, mobiliers, synthèses, ISBN : 978-2-88028-161-8 et ISBN 978-2-88028-162-5, 98 €
(Cahiers d’archéologie romande, Lausanne 2016)
 
Compte rendu par Xavier Deru, Université Lille 3
 
Nombre de mots : 1807 mots
Publié en ligne le 2018-05-30
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3186
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          De 1986 à 2004, la villa romaine de Boscéaz à Orbe (Vaud, CH) a constitué le chantier-école de l’Université de Lausanne. Les étudiants de D. Paunier y ont appris les techniques très concrètes de la fouille, des enregistrements écrits et graphiques ; à partir de ce chantier, plusieurs d’entre eux ont pu mener leur recherche de maîtrise ou même de thèse. Cet ouvrage est donc le résultat de cette convergence entre des objectifs pédagogiques et scientifiques, dont témoignent le nombre et la succession des contributeurs (de nombreux chapitres sont millésimés entre 2000 et 2015). Ses chapitres, leur introduction, les exposés des données et les interprétations, constituent également un modèle dans ses choix et poursuivent ainsi, au-delà de la rédaction, un ouvrage pédagogique. Le site, agglomération ou villa, était connu, bien avant ces fouilles (25-32). Les premières mentions datent du XVIIIe s. et relatent la découverte d’une première mosaïque ; plus tard, au XIXe s., ce sont encore les mosaïques qui attisent la convoitise et les discussions sur l’identité du site, mais aussi provoquent sa protection et sa fouille extensive.

 

         Une étape, Urba, est mentionnée dans l’Itinéraire d’Antonin, au carrefour entre le Plateau suisse et le Jura. Il semble toutefois qu’il faille distinguer ce lieu de la villa (33-34). La villa s’est donc développée à proximité des routes, au sein d’une centuriation (53-61), dans un environnement champêtre, modifié fortement à la période romaine, comme le montrent les diagrammes polliniques (37-50).

 

         Si la première villa est une construction neuve, sans continuité avec l’Âge du Fer, les fouilles ont révélé des occupations plus anciennes (69-95). La première date du Campaniforme et se résume à quelques tessons ; la seconde compte un silo, quelques fosses et trous de poteau, attribués au La Tène A, alors que trois sépultures à inhumation sont datées des IIIe-IIe s. av. J.-C.

 

         La première villa (96-109) a été, tout au plus, occupée durant une vingtaine d’années, à la période flavienne. On en connaît cinq bâtiments, bien que très partiellement, vu l’importance de l’occupation postérieure. Ces bâtiments sont épars. Le premier correspond à une résidence de 34 m sur 17, dont le plan est modifié dans une seconde phase. Un portique (hauteur 2,48 m), dont plusieurs éléments furent recueillis, ornait la façade. On doit également attribuer à ce bâtiment cinq décors peints, homogènes et d’une grande qualité ; toutefois les enduits peints ne font l’objet que d’une étude préliminaire (vol. 2, 65-71). Le deuxième, un bâtiment thermal, est étonnement éloigné (80 m) du premier, il comporte des pièces chauffées et un bassin. Les trois autres bâtiments n’ont révélé que des tronçons de maçonneries.

 

         Un nouveau bâtiment résidentiel est construit (110-115) ; vraisemblablement, il se substitue à celui de la première phase et se trouve conservé à la phase monumentale suivante. Au fond d’une cour (23 sur 30 m), le bâtiment (10 sur 32 m) est limité par deux pavillons aux extrémités et un portique en façade. Bien que les vestiges soient ténus, ce bâtiment avait certainement fait l’objet d’une parure architecturale extérieure et d’une décoration picturale intérieure. Le site de Boscéaz fut révélé par la découverte de mosaïques ; celles-ci appartiennent à un nouveau complexe architectural, d’une toute autre ampleur que les précédents, puisqu’il recouvre près de deux hectares et comptent plus de deux cents pièces (116-277). Ce « palais », bâti entre 160 et 180, demeure en activité, dans son faste, pendant un siècle ; certains secteurs sont toutefois encore occupés au IVe s.

 

         Oblitérant les bâtiments de la première phase, le nouveau complexe prend place sur la terrasse naturelle du terrain qui s’est vue élargie de 30 m. Il se décompose en cinq éléments (B1/4/5/6/7), sachant que le bâtiment B5 de la phase antérieure est conservé. Le bloc central (B4), légèrement trapézoïdal, couvre 5000 m2 et il est orienté à l’est. Trois corps, où s’alignent les locaux, forment l’ensemble ; entre eux, un vaste espace est partagé en deux cours par une galerie axiale et fermé à l’est par la galerie de la façade arrière, longue de 200 m. L’aile B1 se situe au sud, séparée du bloc principal par une cour. Il présente une forte densité de pièces, qui constituent notamment deux ensembles thermaux. La cour entre B1 et B4 était d’abord limitée à l’ouest par un simple mur qui fait place ensuite à un bâtiment (B6) abritant six locaux. Isolé du reste, mais à proximité du bloc B1, est élevé le bâtiment B7 qui se superpose à une construction antérieure.

 

         La description de ces blocs est très rapide (124-138), les détails sont exposés de manière thématique : le chantier (116-124), les étapes de réalisation (138-147), la circulation et les espaces fonctionnels (147-216), les techniques de construction (229-262) ainsi que les arts décoratifs (262-272). La documentation graphique suit les différents niveaux de description, de petites échelles non standardisées à des relevés pierre à pierre plus précis (mais non standardisés, non plus !). Dans ces chapitres, les descriptions et les interprétations sont mariées, faisant appel tantôt au mobilier, tantôt au décor, ou encore à des comparaisons étrangères.

 

         À une centaine de mètres du complexe résidentiel, un bâtiment à trois nefs fut repéré lors de prospections aériennes. Sa fouille révéla un mithraeum qui constitue à lui seul une monographie rassemblant description des vestiges et du mobilier (278-326). Le bâtiment, mal conservé, couvre 20 m sur 18 et présente un plan conventionnel. Il semble bâti au début du IIIe s. et pourrait avoir été fréquenté jusqu’au début du Ve s. Un ensemble-clos, lié à une pratique religieuse, tout comme le mobilier de la phase d’abandon, témoignent d’un même spectre fonctionnel. Trois cent-dix monnaies, des lampes et un millier d’ossements animaux y furent également récoltés.

 

         La villa a perdu son caractère palatial dans la deuxième moitié du IIIe s., mais des éléments démontrent, malgré l’arasement des couches supérieures, que le lieu n’a pas été déserté. On y retrouve des traces de constructions en bois, des foyers, ainsi que du mobilier tardif et contemporain du mithraeum.

 

         Le deuxième volume porte principalement sur la décoration de la villa (17-176) et l’instrumentum (179-462) ; des chapitres conclusifs et des annexes viennent le compléter. Neuf mosaïques ont suscité attrait et convoitise du site de Boscéaz ; il faut citer notamment la mosaïque du « cycle théséen » ou celle du « cortège champêtre », qui sont évoquées dans le volume 1. Dans le volume 2, trois mosaïques sont traitées de manière approfondie, la première à « coupes superposées » (17-33) présente un damier où les cases sont séparées par des méandres et un demi-cercle de l’abside ; la deuxième (34-57) compte parmi les découvertes des fouilles récentes ; le tapis comprend, en particulier, deux tableaux illustrant Ulysse à Scyros ; la troisième s’avère perdue (58-63), qui décorait le frigidarium ; elle fait avant tout l’objet d’une caractérisation technique, des tesselles et des coquillages. Les peintures murales sont traitées dans le tome URBA II, comprenant trois volumes, et ne bénéficient ici que d’une description préliminaire (65-93). Neuf ensembles de placages de marbre sont caractérisés (94-121), provenant de sols et de parois, dont certains sont en relief (couronnement, corniche) ; si certains marbres proviennent de Savoie et du Jura, la majorité sont tirés de carrières dispersées dans l’empire (Afrique, Egypte, Grèce, etc.). Si les enduits peints offrent quelquefois des indices pour la restitution des volumes intérieurs, les colonnes fournissent des arguments pour les élévations extérieures (122-143). Ainsi les colonnes corinthiennes de la cour sud du bâtiment B4 s’élèveraient à 3,6 m, alors que les colonnes toscanes de la cour nord pour atteindre la même hauteur reposeraient sur un piédestal. Quelques fragments de rondes bosses, silène, personnages ailés, nymphes, etc. (144-165), rehaussent le faste architectural.

 

         L’ampleur du site et de sa publication n’a pas minimisé la place de l’instrumentum. L’étude de la céramique en particulier, orchestrée par Th. Luginbühl, s’organise par catégories dans le cadre chronologique fixé par quatre horizons (181-303). Dans ce travail rigoureux et bien illustré, on peut signaler l’étude des graffiti (268-289), car le nombre de ceux-ci s’élève à quatre-vingt-cinq, dont trente sont des marques de propriété. On doit cependant regretter que les quantifications par horizons, catégories et types, ne soient pas fournies. Si la céramique comptait plus de cent mille tessons, la verrerie (304-333) est réduite à deux mille environ ; on peut souligner la présence d’un remarquable bol peint et gravé. Le mobilier métallique privilégie l’approche fonctionnelle (334-404) ; du fait que la fouille explora principalement la partie résidentielle, les outils agricoles sont absents ainsi que ceux liés à l’artisanat concentrés dans le bâtiment B7, à la différence des pièces de meubles retrouvés dans le palais B4. Quelques pièces d’armement sont également à signaler. Les objets en os, comptant moins d’une centaine d’individus, ont surtout été recueillis aux alentours du bâtiment B7.

 

         Le chapitre numismatique (428-459) rassemble une petite part des monnaies trouvées anciennement sur le site, tant celles localisables avec assurance que celles trouvées au cours des fouilles récentes, soit un peu moins de deux cents. Il faut rappeler que les monnaies du mithraeum sont publiées dans le volume I. Les monnaies ne se rencontrent pas dans le palais B4, mais plutôt dans les bâtiments périphériques (B1 et B7).

 

         Certes, la villa n’a pas encore été fouillée en totalité (vol. 1, 327-348), mais des photographies aériennes permettent d’en connaître l’ampleur. L’emprise de l’établissement couvre 420 sur 400 m et organise ses structures économiques sur la périphérie. Celles-ci semblent modestes par rapport à la partie résidentielle. Ainsi les chapitres conclusifs (vol 2, 471-507) ne peuvent réellement aborder les activités économiques, mais plutôt culturelles, en privilégiant les maîtres des lieux, leur otium mêlant relations sociales, activités ludiques, cynégétiques, intellectuelles et religieuses.

 

          Bien que des remarques aient pu être soulevées ici et là, nous avons souligné d’emblée l’apport de ces volumes, à la fois pour la connaissance d’une villa palatiale, et à la fois comme modèle de collaboration tant entre institutions que entre maîtres et élèves

 

 

Sommaire

 

Volume I : Environnement, histoire et développement du bâti

Préface (D. Weidmann)

I - Introduction (Des rapports à la synthèse : Options de présentation, Th. Luginbühl ; Circonstances et organisation des fouilles, D. Paunier ; Méthode d’enregistrement, J. Bernal), p. 17- 24 ;

II – L’archéologie à Orbe-Boscéaz : Histoire et petites histoires (L. Flutsch, p. 25-34),

III – L’environnement (N. Pichard-Sardet, J. Bernal, M. Guêlat, I. Richaz, G. Kaenel, A. Combe, p. 35-62) 

 IV -  Exploration archéologique  (J. Bernal, G Kaenel, F. Lanthermann, J. Monnier, Y. Dubois,  Th. Luginbühl, Y. Mühlemann, C. Olive, p. 63-364)

Annexes

 

Volume II : Eléments et ornements architecturaux, mobiliers et synthèses

V - Ornements architecturaux et matériaux de construction (C. Meystre-Mombellet, S Garnerie-Peyrollaz, Y. Dubois, C.-A. Paratte, C. Morier-Genoud, S. Zimmermann, C. Neukom, C. Martin-Pruvot, J. Monnier, 17-178)

VI - Le mobilier archéologique : chronologie, faciès et analyse (Th. Luginbühl, E. Mouquin, R. Sylvestre, J. Hoznour, M. Tille, A. Baù, C. Martin-Pruvot, M. Demierre, C. Anderes, Y. Mühlemann, J. Monnier,  p. 179-464) 

VII -  Protection, conservation et mise en valeur du site  (D. Weidmann, p. 465-470) ;

VIII - Trois siècles et demi d’histoire rurale (J. Monnier, Th. Luginbühl, D. Paunier, p. 471-500)

IX - Conclusion et directions de recherches (D. Paunier, p. 501-508)

Postface (N. Pousaz)

Annexes

Bibliographie (p. 567-597).