Callu, Agnès (dir.) - Recht, Roland (préf.): Autopsie du musée. Études de cas (1880-2010), 15.0 x 23.0 cm, 262 p., ISBN : 978-2-271-09064-5, 27 €
(Cnrs Éditions, Paris 2017)
 
Compte rendu par Florence Saragoza, Ministère de la Culture
 
Nombre de mots : 2323 mots
Publié en ligne le 2019-05-24
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3201
Lien pour commander ce livre
 
 

 

          Cet ouvrage, paru en 2016, est édité par le CNRS sous la direction d’A. Callu, conservatrice du patrimoine, docteure en histoire contemporaine et chercheuse associée à l’Institut d’histoire du temps présent. Il réunit une partie des contributions d’un séminaire triennal donné à l’École pratique des hautes études (EPHE) entre 2010 et 2013. L’ouvrage est dédié à la mémoire de Daniel Fabre.

 

         On regrettera avec A. Callu (voir son introduction) que la totalité des échanges ne figure pas dans l’ouvrage qui ne compte que vingt contributions sur les quarante-deux interventions du séminaire dont le plan figure d’ailleurs en annexe. À sa lecture, on constate que les pistes explorées lors de ces trois années étaient beaucoup plus larges que celles ici réunies. Ainsi amputé, l’ouvrage donne une prédominance aux contributions d’A. Callu (un quart des contributions), trompeuse par rapport à la réalité du déroulé du séminaire.

 

         L’ouvrage débute par une préface (p. 11-13) signée de R. Recht qui constate que les débats post-révolutionnaires sur la muséographie du Louvre, oscillant entre vision pédagogique et sensible, traversent toujours la question culturelle. Il regrette que la permanence de l’institution muséale ne trouve que peu d’échos face à l’accélération du temps que semble exiger notre société. L’auteur hésite entre optimisme, persuadé de la richesse qu’un regard interdisciplinaire posé sur les collections apporte depuis quelques décennies, et pessimisme, inquiet de la prédominance de l’événementiel dans la programmation muséale.

 

         L’introduction d’A. Callu (p. 15-18) revient sur les circonstances qui ont présidé à la mise en place du séminaire au cours duquel elle se proposait de réfléchir « à la fonction sociale et au capital symbolique du musée ». L’auteure énumère les différentes pistes explorées lors de ces séances : que veut montrer le musée ? Quels acteurs sollicitent-ils pour le faire ? L’étude des collections est-elle reléguée loin derrière l’hypervalorisation du musée ? Le musée est-il devenu une entreprise ? S’est-il extrait du champ des connaissances ? Etc. En revanche, le cadre chronologique proposé pour le séminaire n’est pas défini. Les contributions réunies dans cet ouvrage répondent, chacune, partiellement à ces questions qui auraient mérité d’être problématisées en une synthèse. La conclusion de ce préambule ouvre sur ce que devrait être un musée du XXIe siècle. Cette perspective est celle à laquelle a aussi souhaité se confronter la mission musées XXIe siècle, installée en mai 2016 par A. Azoulay, alors ministre de la Culture et de la communication, et dont le rapport a été publié en 2017 aux éditions de La documentation française.

 

         Les contributions sont scindées en deux ensembles de longueur semblable, intitulés : figures et territoires. À nouveau, cette répartition ne reflète pas la richesse des échanges.

 

         La première partie réunit neuf contributions dont un tiers consacré à des personnalités de la première moitié du XXe siècle parmi lesquelles deux collectionneurs, D. David-Weill (1871-1952) et J. Doucet (1853-1929). Il est intéressant de noter que cette figure du musée est absente de la seconde moitié du siècle, le lecteur aimerait savoir s’il s’agit là d’un fait révélateur.

 

         La contribution d’A. Callu dédiée à D. David-Weill (p. 21-33), rappelle qu’outre collectionneur et mécène, il fut un président du conseil des musées nationaux directif et que, par ce profil, il fut surtout une exception. Le texte que M. Poulain consacre à J. Doucet (p. 35-43), couturier et mécène, rappelle que nous lui devons deux importantes bibliothèques : la bibliothèque d’art et d’histoire et la bibliothèque littéraire. La première a eu beaucoup de mal à fonctionner jusqu’à son rattachement en 2003 à l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), rattachement qui lui offre un nouveau souffle et l’insère dans un réseau aussi exigeant que celui souhaité par son fondateur. Outre des ouvrages et un exceptionnel fonds d’autographes, la collection compte un riche ensemble d’estampes et de dessins (25 000 pièces) et un important fonds photographique (750 000 pièces). On peut s’étonner de la présence de ce texte dans un ouvrage centré sur les musées ; la contribution initiale se référait aux fonds d’archives des musées nationaux et de l’INHA. A. Callu s’intéresse ensuite (p. 45-54) à la figure d’H. Verne (1880-1949), administrateur, enseignant, directeur des musées et concepteur d’un grand plan de renouveau pour le musée du Louvre, le plan Verne. Celui-ci consiste notamment en une refonte des collections et la mise en place d’un nouvel éclairage dans les salles. Les musées lui doivent également un laboratoire d’étude scientifique, l’Institut Mainini, qui bénéficia de la générosité de deux médecins argentins, les docteurs F. Perez et C. Mainini, ancêtre du Laboratoire de recherche des musées de France. À ce portrait, succède celui de J. Cassou (1897-1986) également brossé par A. Callu (p. 55-64). Passionné par la littérature et la modernité, J. Cassou défendit avec autant d’exaltation ses convictions politiques qui ont fait de lui un compagnon de la Libération. Devenu inspecteur des monuments historiques en 1932, il rejoint sous le Front populaire le cabinet de J. Zay avant d’intégrer le musée d’art moderne dont il prend la direction après- guerre. Défenseur d’un art impliqué, citoyen, il enrichit, par ses amitiés avec de nombreux artistes, les collections nationales mais resta étranger à la modernité de l’art abstrait. B. Gilardet consacre ensuite une contribution au rôle de F. Mathey (1917-1993) à l’Union centrale des Arts décoratifs (p. 65-75) où il fut un commissaire d’exposition prolixe, audacieux, promoteur de champs artistiques précédemment peu représentés dans les musées : art brut, graphisme, bande-dessinée, design… Passé, comme Cassou, par la voie des monuments historiques, il se veut défenseur de l’art vivant et s’impliqua fortement pour la promotion de l’éducation artistique. La contribution suivante, très personnelle, est rédigée par le plasticien C. Courtecuisse (1937-). Il présente, sous forme d’un récit biographique, ses rencontres avec l’institution muséale (p. 77-87). Absent du temps de l’enfance, le musée surgit lors des études aux Arts appliqués. Mais au-delà du musée, cette période est aussi celle du TNP (Théâtre national populaire) et du cinéma. La période de création se mêle à la période d’enseignement. Elle se place sous le signe du musée des Arts décoratifs. Suit une section plus réflexive dans laquelle le musée apparaît non seulement comme lieu de reconnaissance et de conservation des productions de l’auteur - il n’est pas le seul puisque les FRAC (Fonds régionaux d’art contemporain) et le CNAP (Centre national des Arts plastiques) acquièrent le design -, mais encore comme un lieu de découverte et de redécouverte des artistes et de leurs productions, inépuisable source de délectation. Les deux contributions suivantes méritent d’être lues en vis-à-vis. En effet, le texte de M. Laclotte (1929-) présente son expérience à la direction du musée du Louvre entre 1987 et 1994 (p. 89-95) époque à laquelle J. Sallois (1941-) est nommé directeur des musées de France, mission qu’il décrit aux pages 97-105. Conservateur, chef de département des Peintures, J. Laclotte fut un acteur essentiel du projet Grand Louvre. Celui-ci s’est accompagné d’une émancipation du musée qui put se déployer plus largement dans l’ancien palais et par la création d’un poste de direction ainsi que des services administratifs inhérents. Ce processus a connu son apogée lorsque le musée est devenu établissement public en 1993, dirigé par un président-directeur. J. Sallois énumère dans un premier temps les quatre crises qui ont marqué le début de son mandat : une grève, deux vols de tableaux, la circulation des œuvres d’art au sein de l’Union européenne et la torpeur entourant le statut des MNR (Musées nationaux Récupération) confiés aux musées après la Seconde Guerre mondiale. À ces quatre crises, succédèrent quatre chantiers : la réorganisation de la direction des musées de France, l’affirmation du statut des collections publiques inaliénables et imprescriptibles, la nécessité de doter les établissements de projets scientifiques et culturels et la revitalisation du réseau territorial des musées. Ces quatre chantiers, désormais menés conjointement par le Service des musées de France et les Directions régionales des Affaires culturelles, restent toujours d’actualité. Cette contribution, sans doute la plus critique sur la gestion des collections par les conservateurs, reprend en grande partie un texte rédigé pour la Documentation française en 2014. La Loi sur les musées de France de 2002 et sa codification au Code du Patrimoine en 2004 ont heureusement fait évoluer favorablement ce constat. La dernière contribution de cette première partie (p. 107-115), retranscrit les échanges d’A. Callu et d’E. Biasini (1922-2011). Centré sur l’action ministérielle de Biasini, le texte aurait sans doute pris un relief particulier au regard des deux textes précédents s’il avait été consacré aux travaux du grand Louvre.

 

         Si la seconde partie de l’ouvrage s’intitule « territoires », on s’étonne de n’y trouver que peu d’exemples empruntés aux collectivités territoriales. On ne relève qu’un unique exemple, celui du musée du Havre que S. Renou évoque au travers de la figure de R. Arnould (1919-1980) qui en fut conservateur puis directeur, mais qui était également artiste, lauréat du Prix de Rome en 1939 (p. 163-181). Après la destruction du musée des beaux-arts par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, le défi est de taille. Création architecturale résolument moderne, pensée pour être un musée incluant dès lors un programme et une dimension muséographique tout aussi novateurs, ce musée est aussi maison de la Culture. Cette expérience unique reposait sur une conception globale de la modernité accompagnant les expositions, un programme culturel centré sur la création et élaboré dans l’idée de réduire les inégalités culturelles, vaste chantier toujours d’actualité. Certaines des contributions réunies dans cette section conduisent à s’interroger sur la nature des institutions présentées : la villa Médicis (p. 119-126), le centre Pompidou-Metz (p. 195-201) et le Louvre Abu Dhabi (2 contributions p. 203-211 et p. 213-221) sont-ils des musées ? L. Le Bon, auteur du texte relatif au projet culturel du centre Pompidou-Metz, définit cette institution comme un « musée en mouvement », une chimère (qui compte désormais un nouvel avatar à Malaga et en comptera d’autres prochainement à Shangai et à Bruxelles) alors que V. Lefèvre se réfère au Louvre Abu Dhabi comme à un musée. Les deux cas sont en effet différents puisque le Louvre Abu Dhabi se constitue une collection propre. Les ambitions et enjeux entourant ce « musée universel », y compris ceux qui dépassent le cadre culturel, sont détaillés dans l’article de J.-M. Tobelem (p. 213-221) qui s’interroge sur une tendance née du succès du museo Guggenheim Bilbao, affirmant la prééminence de  l’enveloppe architecturale et du nom sur le contenu du musée. Dans les cas cités, auxquels on pourrait désormais ajouter le Tate, le prestige des institutions-mères garantit la qualité des œuvres exposées. L’appréhension marchande du secteur culturel est également évoquée dans un second texte de J.-M. Tobelem dédié aux produits dérivés des institutions patrimoniales (p. 223-230). Deux contributions stimulantes s’intéressent à la construction du patrimoine au travers du musée : celui de la France pendant la Première Guerre mondiale (texte de C. Maingon, p. 127-141) et celui de quatorze pays exposés au musée du Jeu de Paume entre 1923 et 1939 (texte de M. Passini, p. 143-151). Le rôle de l’exposition dans l’élaboration d’une politique culturelle est examiné par A. Callu dans son texte consacré aux expositions produites par la RMN entre 1930 et 1950, principalement à l’Orangerie (p. 153-162). L’archive est au cœur de l’article de Y. Chevrefils Desbiolles (p. 231-242 avec annexe), mais il s’agit d’exemples de fonds de galeries conservés à l’Institut mémoires de l’édition contemporaine (IMEC). Le texte de C. Colin pose, à partir du design, la question de l’objet de musée, qui dans ce champ n’est jamais unique et rarement exceptionnel (p. 183-194), et sur les interrogations que ces objets soulèvent lors de leur inscription à l’inventaire. Ces questions ne sont pas propres au design, les musées aux collections scientifiques, archéologiques, industrielles, techniques se les posent régulièrement. On remarque d’ailleurs que ces musées ne sont que peu présents au sein des contributions réunies pour cet ouvrage, restreignant la portée du constat que propose cette  « autopsie du musée ». Ce titre laisse penser au plus grand nombre que le sujet d’étude est mort, ce qui serait un triste constat pour l’institution muséale, alors qu’il semble qu’il faille le prendre au sens étymologique de « voir avec ses propres yeux », ces contributions invitant, pour A. Callu, à « observer en grand angle le musée du XXe siècle ».

 

 

 

Sommaire

 

Remerciements, p. 9

Préface par Roland Recht, p. 11-13

Introduction par Agnès Callu, p. 15-18

1ere partie : Figures

« Du collectionneur et des musées : David David-Weill (1871-1952), « l’exemple exemplaire » » par Agnès Callu, p. 21-33

« La Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art et les collections de Jacques Doucet » par Martine Poulain, p. 35-43

« D’un Louvre moderne : le projet d’Henri Verne » par Agnès Callu, p. 45-54

« Jean Cassou : essai sur une modernité muséale » par Agnès Callu, p. 55-64

« François Mathey à l’Union centrale des Arts décoratifs » par Brigitte Gilardet, p. 65-75

« Musée, Design, Architecture : un récit » par Claude Courtecuisse, p. 77-87

« La Direction du Musée du Louvre, 1987-1994 » par Michel Laclotte, p. 89-95

« A la Direction des musées de France » par Jacques Sallois, p. 97-105

« Emile Biasini : bâtir des Maisons de la Culture, les musées du XXe siècle » par Agnès Callu, p. 107-115

2nde partie : Territoires

« La Villa Médicis : au-delà du musée » par Raphaëlle Renard-Foultier, p. 119-126

« L’invisible et le visible : Nouveaux imaginaires dans les musées parisiens pendant la Grande Guerre » par Claire Maingon, p. 127-141, ill.

« Les expositions d’arts étrangers au musée du Jeu de Paume (1923-1939) : ses constructions transnationales de patrimoines nationaux par Michela Passini, p. 143-151

« La politique d’expositions de la RMN, 1930-1950 : capital symbolique et enjeux politiques » par Agnès Callu, p. 153-162

« Un moderne en ses musées : Reynold Arnould (1919-1980) par Serge Reneau, p. 163-181, ill.

« Le design et le musée » par Christine Colin, p. 183-194

« Le projet culturel du Centre Pompidou-Metz » par Laurent Le Bon, p. 195-201

« Pour un musée universel : le Louvre Abu Dhabi » par Vincent Lefèvre, p. 203-211

« Louvre Au Dhabi : un accord culturel ou commercial ? » par Jean-Michel Tobelem, p. 213-221

« Du patrimoine dans la maison : autour des produits dérivés » par Jean-Michel Tobelem, p. 223-230

« Travailler sur l’art et les musées à l’IMEC » par Yves Chevrefils Desbiolles, p. 231-238, ill.

Annexe 1 : Les corpus d’archives artistiques conservés à l’IMEC, p. 239-242

Annexe 2 : Les séminaires « Comprendre le XXe siècle des musées », 2010-2013, p. 243-246

Index, p. 247-258

Table des illustrations, p. 259

Tables des matières, p. 260-261.