AA.VV.: (Kazerouni, Guillaume - Cordellier, Dominique - Loizeau, Emmanuelle - Scailliérez, Cécile). Quentin Varin. Les Noces de Cana, 90 p., ISBN : 9782901430650, 9 €
(Musée des beaux-arts de Rennes, Rennes 2017)
 
Compte rendu par Vladimir Nestorov, Université de Bourgogne
 
Nombre de mots : 1832 mots
Publié en ligne le 2017-12-26
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3202
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          « Varin d’Amiens a fait le Tableau du grand Autel des Carmes-deschaussez. M. Poussin avoit travaillé sous luy. ». Cette phrase laconique d’André Félibien dans ses Noms des peintres les plus célèbres (1679) traduit parfaitement l’oubli dans lequel était tombé, seulement quelques décennies après sa mort, le peintre Quentin Varin (né vers 1570-1575, mort en 1626) et presque tous les peintres parisiens de sa génération. La veine maniériste tardive qui anime la peinture parisienne du début du XVIIe siècle avait été rejetée par les biographes et les esthètes dès le règne de Louis XIV et la production picturale des années 1600-1630 – réduite au qualificatif de « Seconde École de Fontainebleau » – allait faire l’objet d’une relative « damnatio memoriae » auprès des critiques qui souhaitaient voir dans la peinture française la championne du classicisme, de l’ordre et de l’harmonie.

 

         La sentence de Félibien contient en substance le peu d’informations dont l’historiographie, jusqu’au début du XXe siècle, disposait au sujet de  Quentin Varin, et c’est seulement depuis quelques décennies, au travers des études menées par Dominique Cordellier, Brigitte Sidy et Guillaume Kazerouni, que la biographie et l’œuvre du peintre s’éclaircissent.

 

         L’exposition dossier qu’a consacré le musée des Beaux-Arts de Rennes entre décembre 2016 et mars 2017 aux Noces de Cana de Quentin Varin et le petit catalogue publié à cette occasion par M. Guillaume Kazerouni, viennent couronner des années de recherches et une lente résurrection de l’œuvre du peintre depuis le milieu du XXe siècle. Ils mettent en lumière un chef-d’œuvre du musée, désormais reconnu comme l’une des œuvres majeures de la peinture française du Grand Siècle. Si d’ordinaire les catalogues d’exposition « dossier » se contentent de concentrer leur propos autour d’une œuvre ou d’un nombre réduit de numéros, le « cahier » consacré aux Noces de Cana de Quentin Varin a permis aux auteurs de dresser un état des lieux de la recherche concernant l’artiste, et a offert l’occasion de publier plusieurs petits essais mettant en lumière une facette de sa carrière ou de sa production : c’est donc un dossier « enrichi », où se mêlent monographie d’œuvre, essais inédits, et même catalogue sommaire de l’œuvre peint et dessiné. Au-delà de toute considération critique, une telle publication sur Quentin Varin est plus qu’utile, face à une littérature encore très limitée : les deux principaux travaux menés sur l’artiste, une thèse rédigée par Yvonne Pruvost en 1947 et un mémoire par Brigitte Sidy en 1983, n’ont pas été publiés et restent difficilement accessibles.

 

         Dans le premier chapitre, Guillaume Kazerouni tente, en s’appuyant solidement sur les documents d’archives (beaucoup ont été retrouvés par Brigitte Sidy en 1983, tels sa réception à la maîtrise d’Amiens en 1607 ou son inventaire après décès en mars 1627) et sur les œuvres connues, une remise en contexte des différentes étapes de la carrière de Quentin Varin : l’essai propose d’affiner la datation de certains tableaux en les rattachant à celles-ci : la jeunesse à Amiens (jusqu’en 1597), la formation en Avignon (1597-1601), une seconde période amiénoise (vers 1606-1616), puis la décennie parisienne (1616-1626). Au fil de l’exposé, l’auteur a pu confirmer ou nuancer les propos des biographies anciennes du peintre. C’est notamment le cas concernant l’éventuel recrutement de Quentin Varin sur le chantier du Luxembourg, où l’artiste aurait été pressenti pour décorer la galerie de Marie de Médicis avant de prendre la fuite et de s’exiler quelques temps en 1618, suite à des fréquentations préjudiciables. Guillaume Kazerouni démontre que la proximité de Quentin Varin avec les milieux opposés à la reine-mère (notamment le duc de Luynes) rend peu probable son intervention au Palais du Luxembourg, et que des documents d’archives le montre bien établi et parfaitement en faveur en 1618-1619, contredisant totalement l’idée d’un artiste disgracié.

 

         L’auteur fait ensuite le point sur les commandes religieuses de Quentin Varin : déjà étudiée lors de l’exposition tenue au musée Carnavalet en 2012-2013, la production religieuse de Varin est ici enrichie par de nouvelles œuvres : c’est le cas d’une Descente de Croix, conservée dans l’église Saint-Valérien de Châteaudun, et d’un grand Christ au mont des Oliviers, identifié dans les collections du musée des Beaux-Arts de Québec et récemment restauré.

 

         Enfin, l’auteur met en perspective l’œuvre de Varin. Il la compare avec quelques tableaux représentatifs de la peinture parisienne contemporaine : un tableau de Nicolas Prévost (depuis acquis par le musée) ; plusieurs peintures anonymes que l’auteur rattache au cercle de l’artiste ou à son influence, comme  la série du Roland Furieux du musée de Clermont-Ferrand, et une intrigante Vision de Saint-Dominique conservée dans l’église parisienne de Sainte-Croix-des-Arméniens.

 

         Le deuxième chapitre de l’ouvrage, toujours de Guillaume Kazerouni, contient les données concernant l’historique des Noces de Cana, de sa création jusqu’à son exposition dans les salles du musée de Rennes. Après une brève histoire de l’église Saint-Gervais-Saint-Protais de Paris et de son maître-autel créé entre 1618 et 1622, et dont provient le tableau (enrichi par un essai de reconstitution du maître autel), l’auteur offre un développement sur l’histoire « muséale » du tableau, depuis son envoi par l’État en 1811, qui rejoint ainsi des enjeux d’ordre historiographique, muséographique et d’attributionnisme. Le nom de Varin a en effet mis du temps à s’imposer aux spécialistes, longtemps trompés par une ancienne attribution à Jean Cousin et par une provenance contestée (malgré des mentions anciennes explicites).

 

         Un troisième chapitre, toujours du même auteur, offre une étude iconographique de l’œuvre (un chapitre inévitable d’une exposition dossier où une seule œuvre est mise en lumière). Après un rappel du texte de l’Évangile de Jean et un rappel de l’iconographie du sujet au Moyen Âge et à la Renaissance, Guillaume Kazerouni replace le tableau de Varin dans le contexte de la peinture religieuse de son temps, en évoquant plusieurs œuvres contemporaines traitant du même sujet : l’artiste choisit une « mise en page » proche de la tradition flamande, tout en adoptant une monumentalité qui pourrait trahir un séjour italien. De fait, des comparaisons fructueuses sont tentées avec le même thème peint par Martin de Vos (1596, cathédrale Notre-Dame d’Anvers), et Giorgio Vasari (1540, pinacothèque de Bologne).

 

         Les essais qui suivent sont des contributions inédites de chercheurs et conservateurs, qui ont pu ainsi profiter de cette exposition dossier pour rendre publiques de récentes découvertes ou des hypothèses appelées à être discutées.

 

         Dans un court texte, Emmanuelle Loizeau livre l’avant-goût d’une publication détaillée (prévue pour le Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français) sur une découverte majeure : trois cheminées peintes par Quentin Varin vers 1620-1621 dans le château de Lésigny (Seine-et-Marne) à la demande du duc de Luynes. Cette découverte renforce la connaissance de la clientèle du peintre, mais aussi des liens qui unissent Varin avec l’architecte Clément Métezeau : il semble que le peintre et l’architecte aient eu l’occasion de travailler ensemble sur plusieurs chantiers.

 

         Un essai consacré à l’œuvre graphique de Quentin Varin est signé par Dominique Cordellier. Ne cherchant pas à produire un catalogue raisonné du rare corpus graphique de l’artiste, l’auteur fait le point sur la recherche récente dans ce domaine : après plusieurs découvertes publiées successivement en 1991, 2010 et 2012, il ajoute ici trois feuilles au catalogue de Quentin Varin : un projet de décor de voûte conservé au Nationalmuseum de Stockholm, une Mort de Méléagre, conservée à la Kunsthalle de Brême, et un Christ au mont des Oliviers, retrouvé parmi les anonymes flamands du cabinet d’arts graphiques du Louvre et préparatoire au grand tableau du musée de Québec. L’essai se conclut sur une analyse du processus créatif de l’artiste : il semble que Quentin Varin n’ait pas hésité à réutiliser certaines figures, à la manière de modèles, dans plusieurs compositions peintes, ce qui explique que l’on puisse retrouver, à la fois dans ses peintures et ses dessins, des personnages aux poses étonnamment semblables. 

 

         Le dernier essai venu nourrir le « dossier » Varin est une courte contribution de Cécile Scailliérez consacré à l’étude de deux œuvres aujourd’hui non localisées et connues uniquement par des reproductions en noir et blanc : une Présentation au Temple, vendue à Versailles en 1966, et un Christ cloué sur la Croix, peint sur cuivre, connu par une photographie de la documentation d’Hermann Voss (versée à la documentation des peintures du Louvre). Espérant profiter de cette publication pour voir ressurgir ces deux tableaux, l’auteur propose, tout en gardant la prudence nécessaire face à de simples photographies, d’y reconnaître des œuvres de Quentin Varin, en s’appuyant sur plusieurs indices d’ordre stylistique.

 

         Faisant suite aux essais, Guillaume Kazerouni a annexé à l’ouvrage un « Catalogue des œuvres de Quentin Varin ou attribuées à lui », auquel sont renvoyées les pièces évoquées dans les précédents chapitres. Divisé en quatre sections (V pour les œuvres certaines, VP pour les œuvres d’attribution possible, VM pour les œuvres uniquement mentionnées dans les sources ou non localisées et VR pour les œuvres refusées), ce catalogue semble être l’amorce d’un véritable catalogue raisonné (l’auteur indique que l’ouvrage est la première étape d’une monographie plus complète de l’œuvre, qui sera publiée prochainement). Mêlant dessins et peintures, et riche d’une abondante iconographie, le catalogue a également le mérite d’offrir un « tri » parmi les pièces attribuées à Quentin Varin passées en vente publique ces dernières années : comme pour beaucoup d’artistes méconnus de la Seconde école de Fontainebleau, des ensembles de peintures ont parfois été attachés abusivement à son nom, et il devenait nécessaire de mettre à part les œuvres dont l’attribution ne se justifiait pas. Peut-être pouvons nous ajouter au dossier un Martyre de saint Laurent conservé dans l’église Saint-Laurent de Pont-à-Mousson, qui a été attribué récemment à Quentin Varin par Sylvain Kerspern, et qui ne figure pas dans la liste des œuvres. Ce catalogue complet, qui propose pour chaque pièce, outre une reproduction, son historique et sa bibliographie, devient ainsi un outil essentiel, en attendant une monographie d’ampleur sur l’artiste.

 

         Apport déterminant à l’étude de la peinture française du début du XVIIe siècle, ce cahier « Collection » du musée des Beaux-Arts de Rennes est aujourd’hui la seule monographie publiée de Quentin Varin et démontre les vertus de ces petites publications ponctuelles : mettre en lumière une œuvre majeure, proposer un état des connaissances et lancer de nouvelles hypothèses ou apporter de nouvelles données, dans une formule simple et efficace qui raccourcit le « temps » de la recherche, entre l’instant de la découverte et sa diffusion publique.

 

 

Table des matières :

 

Préface : p. 7

Anne Dary et Guillaume Kazerouni

 

Quentin Varin (Beauvais, vers 1570-1575-Paris, 1626) : p. 9

Guillaume Kazerouni

 

1618-2017 : de l’église Saint-Gervais au musée des Beaux-Arts : p. 25

Guillaume Kazerouni

 

Les Noces de Cana. Iconographie et mise en page : p. 35

Guillaume Kazerouni

 

Quentin Varin au château de Lésigny (Seine-et-Marne) : un décor inédit : p. 45

Emmanuelle Loizeau

 

Les dessins de Quentin Varin : p. 49

Dominique Cordellier

 

Deux témoignages photographiques d’œuvres disparues de Quentin Varin ? : p.  54

Cécile Scailliérez

 

Catalogue des œuvres de Quentin Varin ou attribuées à lui : p.  57

Guillaume Kazerouni

 

Bibliographie : p. 78. 

 


N.B. : M. Vladimir Nestorov prépare actuellement une thèse de doctorat intitulée "La peinture à Paris entre 1594 et 1620", sous la direction de M. Olivier Bonfait (Université de Bourgogne).