Patrier, J. - Quenet, P. - Butterlin, P. (ed.): Mille et une empreintes. Un Alsacien en Orient. Mélanges en l’honneur du 65e anniversaire de Dominique Beyer, (SUBART, 36), XVIII+528 p., 266 b/w ill., 210 x 297 mm, ISBN: 978-2-503-54926-2, 119 €
(Brepols, Turnhout 2016)
 
Compte rendu par Daniel Bonneterre, Université du Québec
 
Nombre de mots : 4647 mots
Publié en ligne le 2018-10-31
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3243
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          Ce volume de mélanges à l’occasion du soixante-cinquième anniversaire de Dominique Beyer regroupe une série de 43 articles provenant de collègues et amis de l’archéologue. Le recueil s’ouvre avec une liste des publications réalisées par le dédicataire (une centaine !), liste s’étalant de 1972 à 2014. On peut ainsi mesurer l’étendue de ses contributions à l’archéologie et en premier lieu à la sigillographie. Dans cette publication, il était donc dans l’ordre des choses que les études sur les sceaux cylindres y occupent une place substantielle. Mais, considérant l’ampleur et la variété des contributions, il a fallu faire des choix. J’ai mis de côté les témoignages personnels (p. 33-40) et me suis concentré sur les études scientifiques. Comme les articles se suivent par ordre alphabétique, j’ai suivi cet ordre mais en regroupant plus bas ce qui concernait sceaux, cachets et empreintes, un sujet qui n’est cependant pas mon domaine de spécialisation.

 

         La première des contributions scientifiques est celle d’Alfonso Archi qui fait le point sur la question du synchronisme entre les cités concurrentes d’Ebla et de Mari au IIIe millénaire. On sait que, pendant un bon millénaire, les deux cités syriennes ont entretenu des liens permanents, mais seul un très mince synchronisme entre le roi de Mari, Ipul-il et Igris-Halab, souverain d’Ebla, est avéré. L’ordre même des souverains (hormis la séquence de cinq rois de Mari) est encore l’objet de débats. Faute de sources suffisantes, on est très peu renseigné sur cette période. Un texte pourtant retrace le fait qu’avant sa chute, Ebla envoya contre Mari une expédition et se déclara victorieuse. À l’inverse, quantité de documents mariotes font état d’activités militaires vers le Nord-Ouest au cours desquelles Ebla dut payer tribut à Mari. À défaut de documents « historiques », l’A. inventorie les textes « économiques » correspondant à des « réparations de guerre » et à des livraisons diverses. Un document éblaïte (ARET 7, 2) évoque par exemple un total impressionnant de 702 kg d’argent et 45 kg d’or. Pour l’époque, ce sont des quantités considérables de métaux précieux, de tissus, d’huile qui transitent entre les deux capitales. Ces maigres sources textuelles documentent en somme, malgré les conflits, une réelle période de prospérité économique.

 

         La seconde contribution d’Agnès Benoit, tout en restant dans le IIIe millénaire, nous entraîne en dehors des limites géographiques de la Mésopotamie pour l’art de la civilisation de l’Oxus. En comparant sur une grande variété d’objets l’iconographie masculine et l’iconographie féminine, l’A. relève des différences notables entre l’imagerie masculine (qui répond à des canons stylistiques stables et codifiés) et l’imagerie féminine qui est « incertaine, floue et multiforme ». Cette dernière serait, selon l’A., davantage au service de la religion que l’iconographie masculine. Ces observations encore préliminaires (et où l’influence des « genders studies » est présente) serviront à une étude ultérieure.

 

         La troisième contribution est de Catherine Breniquet ; elle s’intéresse à la statue brisée d’Ur-Nanse, grand musicien du palais de Mari. La statue (en deux exemplaires) représente un personnage assis en tailleur, le visage glabre, les cheveux longs, vêtu d’un costume singulier. Dans l’article sont évoquées les conditions de sa découverte, sa restauration problématique, son interprétation au fil du temps, et inévitablement l’ambiguïté qui s’attache à l’identité sexuelle du personnage. Si son nom est résolument masculin, ses caractéristiques physiques féminines amènent depuis longtemps à s’interroger sur son genre. Au vu de sa posture, de ses traits et de ses parures (si l’on veut bien aussi prendre en compte les oreilles percées, reflétant l’existence de boucles d’oreilles), et selon ces a priori, le personnage ne pouvait être que féminin. Mais pour autant, et de façon convaincante, l’A. en empruntant à la littérature ethnologique (dont B. Saladin d’Anglure, et non Saladin d’Englure) des principes sur la théorie des genres, penche pour une autre interprétation qui est celle d’un « troisième sexe ». La fonction d’un tel personnage à l’intérieur du harem royal n’est en fait pas si surprenante qu’on pourrait le penser.

 

         Pascal Butterlin livre un article en anglais sur les questions que soulève la stratigraphie comparée. En partant de l’exemple de Tepe Gawra, site emblématique, l’A. mène l’analyse des palais successifs de Mari en soulignant la spectaculaire discontinuité qui caractérise la succession des couches stratigraphiques (p. 64). Il s’agit d’une situation beaucoup moins simple que celle qui avait été envisagée auparavant et l’honnêteté est de le reconnaître en toute simplicité. À présent, grande est la probabilité de ne jamais pouvoir saisir l’évolution de l’antique cité puisque les dégâts gigantesques occasionnés récemment par la guerre et par les pillages répétés ont porté un coup fatal aux fragiles vestiges du tell.

 

         Nicole Chevalier ouvre une page d’histoire moderne en évoquant les échanges fructueux entre deux pionniers de l’assyriologie, Paul-Émile Botta et Eugène Flandin, lors de la découverte de la ville de Khorsabad. À partir des vestiges d’un dépôt à grain daté du Ninivite V (Tell ‘Atij), Michel Fortin étudie des blocs de pierre dont la fonction reste à identifier. Ils auraient servi soit d’ancrage, soit de contrepoids à des chadoufs, soit de corps pesant, soit enfin de lest à des embarcations. Robert Hawley analyse un passage du récit de Danʾilu dans la mythologie ougaritique (CTA 17). Dans ce récit, il est question successivement de l’absence d’héritier du protagoniste, d’une phase d’incubation dans un sanctuaire visant à trouver une issue favorable, du succès de la cure, d’un banquet de remerciement durant six jours, puis du port d’un vêtement rituel. Différentes interprétations sont proposées quant à ce vêtement.

 

         L’historien des religions, Jean-Marie Husser revient brièvement sur le dossier du mariage sacré dans le culte phénicien du dieu Melqart. Denis Lacambre et Julie Patrier étudient des textes babyloniens provenant de Chagar Bazar, un site identifié comme l’antique cité d’Asnakkum, au XXVIIIe s. av. J.-C. La grande majorité des documents mis au jour sont des textes de rations de céréales pour les nêpārātum, terme qui est traduit tantôt par « prison », tantôt par « lieu de travail et d’internement », et parfois par « ergastule ». Ces lieux clos, isolés et placés sous surveillance ne sont, selon moi (il n’y a ici aucun anachronisme), rien d’autre que des « camps de travail » où des esclaves, des prisonniers de guerre et des gens « libres », parfois des criminels et des débiteurs insolvables, avec femmes et enfants (même en bas âge) sont internés dans des ateliers de tissage ou de confection de farine. Les documents qui listent les fonctions des gens internés témoignent sans ambiguïté des objectifs de production du lieu : meuniers, boulangers, brasseurs. On y élève aussi quelques porcs et des bœufs, on travaille dans des vergers et des potagers, et sans doute aussi participe-t-on aux moissons. Des gardes et des scribes encadrent et surveillent ces captifs. La documentation textuelle sur les rations à fournir fait donc exister ces malheureux détenus. Même privés de liberté, il est impératif de les nourrir et de leur fournir l’essentiel : pain, eau et huile.

 

         Dans sa contribution, l’archéologue Françoise Laroche-Traunecker présente quelques points concernant les différentes phases de construction de la muraille de Porsuk (actuellement Zeyve-Höyük, en Turquie). L’A. remarque qu’il n’y a guère d’originalité dans les techniques de construction et même qu’une permanence dans cette architecture traditionnelle et fonctionnelle y est remarquable puisqu’elle s’étale sur près de vingt siècles, de l’Ancien Royaume hittite au Bas Empire romain. La détérioration de l’environnement sylvestre, comme sur de très nombreux sites anatoliens, est en outre significative. En restant en Anatolie, René Lebrun s’intéresse à la cité de Tyane avant la période gréco-romaine. Peu exploité, le site se distinguait jadis par la présence de sources d’eau et de celle d’un important sanctuaire qui justifiaient culte et pèlerinages. Grâce à la documentation cunéiforme provenant d’autres lieux, l’A. souligne l’importance politique et militaire de la cité de Tuwanuwa qui était alors dirigée par un gouverneur hittite, appelé « tarwanis », un terme qui, un millénaire plus tard, donnera tyran (τύραννος).

 

         La contribution de Daniela Lefèvre-Novaro, en italien, propose quelques observations sur des objets énigmatiques crétois d’époque minoenne, qualifiés de kernoi. Il s’agit de simples blocs de pierre d’environ 20 cm en moyenne sur lesquels sont percées des cupules circulaires. Le nombre de ces cupules circulaires, toujours disposées en cercle, est variable et peut aller jusqu’à quarante. On a, à ce jour, recensé 167 spécimens de ces kernoi qui furent longtemps interprétés comme des tables de jeu. Le fait qu’ils aient conservé des traces d’usure correspondant à celle de jetons placés à l’intérieur des trous tendrait à indiquer une fonction ludique et rituelle. De fait, on les retrouve toujours dans un contexte domestique, funéraire voire rituel. C’est à peu près tout ce que l’on peut en dire.

 

         L’archéologue Michel al-Maqdissi dresse un bilan provisoire de la stratigraphie à Tell Iris, proche de Tell Sianu, en Syrie. Après cinq campagnes de fouilles, il apparaît que le site a été presque continuellement occupé depuis le Chalcolithique jusqu’à l’époque mamelouke. La fonction défensive du site est clairement illustrée par l’importance de ses murailles. Comme tant d’autres, le site de Tell Iris fut détruit par les Peuples de la mer, aux alentours de 1175 av. J. C.

 

         Jean-Claude Margueron retrace le parcours du dédicataire et accompagne ses remerciements d’une réflexion sur les fours et les tombes. L’A. s’interroge sur le possible lien entre four et tombe, des restes d’atelier de potier ayant été mis au jour à proximité de sépultures. Laetitia Martzolff nous mène au bord du Nil en étudiant les obélisques d’époque tardive. L’on sait que la majorité des flèches de granit qui « monumentalisaient » l’entrée des temples ont quitté l’Égypte pour partir vers de prestigieuses destinations. Ces déplacements lointains (qui les ont sans doute sauvés de la destruction) n’aident cependant pas l’historien à comprendre les modalités entourant leur érection. À partir d’une comparaison de deux types d’obélisque tardifs, ceux du temple de Philae et ceux d’Edfou, et en analysant les inscriptions hiéroglyphiques et grecques, l’A. dresse un bilan concret : dates (entre 130-124 av. J.-C.), dimensions des monolithes (entre 8 et 17 m), et surtout rituels impliquant la personne royale. Dans leur contribution, Maria Grazia Masetti-Rouault et Olivier Rouault traitent du décalage entre production littéraire et production iconographique à partir de la documentation de Terqa. Les deux auteurs mettent en évidence, notamment à travers l’emploi de symboles, certaines convergences entre les deux. Mais ils observent surtout un paradoxe : pour quelle raison les céramiques et les autres objets ne représentent-ils pas les grands thèmes mythologiques, considérant que les commanditaires ne pouvaient être que les élites palatiales, les seules capables de passer commande pour de tels produits de luxe et de prestige ? La question méritait d’être posée puisque la cité de Terqa était alors une ville sainte, habitée par de nombreux prêtres et lettrés. Plus simplement, les A. relèvent également la présence d’un atelier de préparation des coquilles d’œuf d’autruche en lien avec les usages funéraires.

 

         Cécile Michel, à partir de la documentation assyrienne, rassemble un dossier sur les médaillons « solaires » votifs, sortes de pendentifs qui constituaient des parures particulièrement précieuses. Sur le plan matériel, ce sont des capsules rondes en or ou (encore plus précieuses) en fer (de météorite ?) ; donc des objets qui peuvent être relativement légers, mais parfois leur poids est important : 125 gr., et même considérable 500 gr., ou 1,500 gr. Ces pièces d’orfèvrerie (parcourues de cloisons soudées qui soutiennent des perles et des incrustations en forme de bouton) reflètent l’extraordinaire maîtrise des artisans du Second millénaire. Leur destination fait apparaître, indirectement, quelques traits en lien avec la religion. Ils sont les témoins de la dévotion de marchands étrangers. Confectionnés dans des ateliers locaux d’Anatolie, dans l’étroite dépendance du comptoir commercial, ils étaient offerts par de riches individus, en l’occurrence les marchands assyriens, et placés en évidence, portés au cou des dieux ou des personnages importants, rois, princesses, ou très hauts fonctionnaires. Indéniablement, l’objet souligne la charge de dévotion ou d’attention portée au destinataire. La question est de savoir pour quelle raison les marchands assyriens ont dédié des bijoux de grand prix à une divinité locale. Les explications peuvent être multiples, mais l’A. relève que le travail des ateliers d’artisans, et plus spécifiquement ceux travaillant les métaux précieux, était étroitement lié à la vie du sanctuaire. À proximité des sanctuaires, les activités commerciales profanes ou non devaient être actives et profitables.

 

         Jean-Yves Monchambert met en évidence l’importance de l’Euphrate comme moyen de communication et de transport pour les périodes antérieures au Bronze moyen. Car ce n’est que très progressivement, et après la réalisation d’aménagements d’un réseau de canaux, aux époques d’Obeid et d’Uruk (4500-3500 av. J.-C.), que le fleuve put devenir une voie navigable. Au début du IIIe millénaire, un long canal (le Nahr Dawrin), d’une centaine de kilomètres, longe le fleuve permettant une navigation plus aisée, en évitant les obstacles. Grâce à ce canal, s’offrent dorénavant des possibilités de transport à grande échelle pour les marchandises pondérales, et en premier lieu pour les céréales en provenance du Nord. En fait, ce grand canal ne serait pour l’A. qu’une partie identifiable d’un réseau d’aménagements hydrauliques bien plus large qui s’abouchait au Khabour et peut-être même au piémont du Taurus. En l’absence de toute autre documentation, seuls les restes céramiques pourraient apporter ultimement des éléments de réponse.

 

         À l’inverse de la contribution précédente, l’article de Juan-Luis Montero Fenollós place la question de la métallurgie au centre des préoccupations des élites urbaines. Selon l’A., la fondation de la cité de Mari sur l’Euphrate, au centre même de la Mésopotamie, fut motivée par cet objectif défini. La thèse de l’A. repose sur l’idée que Mari fut fondée « ex nihilo pour satisfaire une nécessité matérielle économique : celle du contrôle du métal ». Contrôler la route de l’étain et la joindre à celles des sources de cuivre était certes un objectif majeur, mais les autres importations, notamment celles des grains, et des pierres dures et du bois, étaient tout aussi fondamentales sinon vitales.

 

         Alice Mouton s’intéresse aux rites et aux croyances entourant les naissances gémellaires dans le monde hittite. On sait que les jumeaux, dans de multiples sociétés, sont estimés être maléfiques en diverses manières. Les mythes, les légendes et le folklore reflètent le trouble qui résulte de ces naissances. La gémellité et les naissances multiples peuvent, dans certains cas, être imputées à une infidélité de la mère. Quelles que soient les explications, les enfants multiples auraient, dit-on, un pouvoir de nuisance, et c’est pourquoi on cherche à les éloigner voire carrément à les faire disparaître. Les jumeaux sont alors précipités dans un fleuve ou encore à la mer. Plusieurs récits hittites, explique l’A., ont une fonction étiologique claire : lutter contre les incestes. Ces récits évoquent justement les enfants multiples que l’on a « mis dans des paniers remplis de graisse pour les imperméabiliser ». La présence de cette graisse dans le panier me paraît assez curieuse. Pour imperméabiliser, on peut avoir simplement recours à de l’argile ou à toute autre matière apte à calfater une embarcation. Pourquoi alors de la graisse ? Une matière précieuse et comestible. Il n’est pas impossible que la graisse ait, dans ce cas, une fonction directement protectrice comme celle visant à tenir au chaud les bambins, le temps de l’épreuve. Les confier à la Puissance du fleuve était dans l’ordre des choses, par contre les exposer au froid, constituait directement un infanticide.

 

         Béatrice Muller évoque les concordances iconographiques entre Proche-Orient ancien et Occident médiéval. L’A. rappelle l’utilité qu’il peut y avoir à employer les grilles de lecture des historiens de l’art roman. Les pratiques décoratives du monde proche-oriental semblent en effet suivre des chemins parallèles à ceux mis en place dans l’Occident médiéval. On a souvent noté que les systèmes du pouvoir monarchique étaient susceptibles de générer des références identiques et des formes de pensée tout à fait comparables. L’A. évoque l’héraldique et quelques autres traits. Elle aurait également pu, dans la même ligne, mentionner les symboles fondamentaux de l’ordre que sont la couronne, le trône, le sceptre. Philippe Quenet fait une description claire et précise de la fouille d’un petit temple du Ninive V final, à Tell Kashlashok, dans la région de Hasseké, en Syrie. L’A. évoque successivement la stratigraphie du site, la mise au jour d’un pan de muraille sur laquelle s’appuyaient (du moins au vu de la fig. 5, et considérant la courbure du bâtiment) des magasins et entrepôts. Il évoque les principales trouvailles (sceaux et empreintes, fragments de statuettes) faites à l’occasion des opérations de sauvetage. Anne-Caroline Rendu Loisel inventorie les moments de silence qui règnent dans quelques rituels nocturnes akkadiens des second et premier millénaires. L’existence de pauses silencieuses lors de prières ou de rites, couplées à l’obscurité des espaces de recueillement, augmentait la charge affective des gestes rituels. D’ailleurs, pour les rites funéraires, un espace était réservé au silence, le bît qultišu.

 

         Agnès Spycket retrace brièvement les pérégrinations d’une masse d’arme mise au jour à Tell Agran en Irak en 1936, aboutissant en 1992 au Musée du Louvre. Marie Stahl livre une réflexion stimulante sur une question essentielle pour l’archéologie : quoi faire de la documentation issue des fouilles ? La surabondante production de rapports de fouilles occasionne un dilemme qui est celui de son organisation, de son catalogage et de son rangement. Le constat est dur : face à ce torrent de données, il faut repenser l’ensemble et mettre en place des cadres fonctionnels pour éviter surtout la dispersion des archives. Önhan Tunca aborde les liens qui unissent la statuaire protodynastique au culte des ancêtres. Au culte rendu aux défunts se joignent traditionnellement des pratiques et des objets cultuels, en particulier des représentations royales. Celles-ci veillent sur la communauté et en premier lieu sur ceux qui font des offrandes, les puissants. À ce stade, j’ai personnellement quelques difficultés à « admettre l’existence d’un culte des morts pratiqué dans le cadre familial privé » (p. 502). Certes les coutumes et rites qui encadraient la vie de la famille royale étaient familiaux (ou plutôt dynastiques), mais ne relevaient sans doute pas du domaine « privé » au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Les textes, d’ailleurs, insistent souvent sur la dépendance des petites gens vis-à-vis du palais, dans ce domaine des pratiques funéraires. L’A. souligne l’absence de synthèse et d’approche méthodologique. Il rappelle que les usages différaient profondément entre l’Ouest et le Sud. Il insiste sur un autre point : les témoignages archéologiques ne concordent pas avec les reconstitutions proposées par les historiens épigraphistes (Bottéro, Katz, pour ne citer qu’eux). Pour l’A., les rites funéraires n’étaient pas nécessairement rendus sur les tombes ni même au moyen d’aménagements particuliers.

 

         Isabelle Weygand clôt en beauté la collection d’articles avec une analyse de quelques plaquettes d’argile et moules en terre cuite de Mari et de Terqa, portant un motif curieux : celui des buveurs au chalumeau. Sur ces plaquettes, les personnages sont figurés barbus, coiffés d’un bonnet plutôt singulier, ils sont armés et, étrangeté entre toutes, ils boivent debout et se font face. Cette composition est pour le moins surprenante sans être isolée. Pour l’A., les deux buveurs exécuteraient un pas de danse, ce qui est a priori concevable si l’on veut bien associer bière, musique et danse. J’ignore s’il s’agit ou non de danse, mais l’absence de signe d’accompagnement musical ou oral et la quasi-immobilité des corps n’invitent guère, me semble-t-il, à cette hypothèse. Le message que transportent ces représentations sur des plaques est sans doute d’un autre ordre, tout comme si l’on cherchait à montrer une adresse particulière (d’autres plaques montrent parallèlement des scènes érotiques ou des artisans dans l’effort) . Ici, le message probable vise à mettre en évidence des qualités viriles (consommation d’alcool importante au vu de la taille du vase, de l’usage des armes, des gestes inexpressifs, ainsi que de la maîtrise de l’effort) et l’habileté des personnages, comme on peut les rencontrer dans de nombreux jeux virils pratiqués dans différentes sociétés (les personnages ont comme défi celui de rester debout sans tituber).

 

         Voyons à présent les études sur les sceaux. On sait que les cylindres sceaux, en Mésopotamie comme ailleurs, ont pour fonction d’authentifier un acte ou de valider l’opération d’un système de fermeture. Leur fonction était de marquer des lieux de propriété, des biens placés en réserve. L’application d’un sceau sur des surfaces en argile a par conséquent entraîné d’innombrables empreintes qui sont aujourd’hui autant de témoins des pratiques administratives. Les gravures, les motifs, les symboles et les inscriptions qui couvrent les sceaux sont donc des éléments particulièrement significatifs.

 

         Dans sa contribution, l’épigraphiste Antoine Cavigneaux traite d’un double sujet : celui de la légende du sceau d’une servante d’une grande prêtresse du dieu Enlil, qualifiée de « sourde au ṣābirum »; et celui de la question de la fermeture des portes. Le premier dossier met en évidence les services que pouvait rendre une femme non entendante, dans le domaine du silence religieux et de la production de sons gazouillants (ṣabāru), peut-être mystiques. Le second dossier analyse l’idiome sumérien GUB en connexion avec les portes. Dans un article rédigé à deux mains, Sophie Cluzan et Camille Lecompte interrogent les sceaux d’Isqi-Mari (peut-être l’un des derniers rois de Mari) pour livrer une analyse pointue et très étoffée du dossier. La propagande royale qui se manifeste à travers les sceaux suscite de multiples questions sans réponse. L’origine des sceaux, leur fabrication, les choix iconographiques, les styles de gravure, l’utilisation et la réutilisation du sceau forment un torrent de questionnements dans lequel le lecteur, même francophone, ne trouve pas aisément son chemin. Point d’illustration pour l’aider. Certaines phrases, comme celle-ci, p. 115 sont pour le moins étranges : « Inclusive des différents éléments qui la constituent, la composition invite ici à une lecture englobant l’ensemble, donnant en retour un sens particulier à l’image ».

 

         Brigitte Lion étudie plusieurs textes de Nuzi qui enregistrent le déplacement de femmes de la maison royale, ces dernières emportant avec elles leur équipement, identique dans tous les cas : vêtements, coiffe, chaussures et sceaux cylindres. Ces femmes de haut rang, parfois des nourrices princières, disposent en effet de leur propre sceau qu’elles apposent sur les reçus des livraisons de denrées. Tout l’intérêt de l’étude est de montrer l’existence d’un riche vocabulaire touchant les pratiques administratives de la cour. Derrière le titre de la contribution de Paolo Matthiae « Quelques notes sur les déesses se dévoilant et les divinités ailées dans la glyptique paléo-syrienne », on pourrait croire qu’il s’agit d’une étude transitoire ou à suivre. Il n’en est rien. L’A. livre au contraire une très riche étude sur la glyptique entre 1850 et 1600. L’A. évoque les représentations des dieux Hadad et Khabat, et met sous la loupe l’image de la déesse se dénudant en faisant un geste d’invite au roi. Les compositions reflètent un rituel défini qui se déroule sous les étoiles, comme il convient pour une divinité cosmique. Quelle est donc cette déesse ? Pour l’A., il s’agirait de Kubaba de Karkémish. La déesse ailée et armée se présente comme une divinité belliqueuse et spécifiquement érotique. Au passage, on peut relever une petite erreur de mise en page : p. 282-3, fig. 5, cylindre de la collection Marcopoli, no 442 (et non 455). La déesse y apparaît avec une figure, celle probablement, selon l’A. « d’un dieu massacrant un prisonnier ». L’allégorie du massacre d’ampleur par le dieu est, certes, un topos de la littérature et de l’iconographie, toutefois je me demande si l’exécution d’un individu par le roi (offrant la vie d’un captif à une divinité) ne serait pas une option plus envisageable. Il est vrai que le souverain en de nombreuses circonstances prend les traits du dieu de l’orage pour manifester sa grande colère.

 

         Stefania Mazzoni présente un dossier sur les sceaux, illustrant les divinités de l’orage d’époque syro-hittite, trouvés à Tell Afis. Le dieu de l’orage jouit d’une popularité particulière durant cette période. Clelia Mora présente un sceau hittite d’une collection privée dont l’intérêt consiste en une procession cérémonielle. On retrouve là un aperçu des pratiques administratives du monde hittite entre le XVIe et le XVe siècle. Avec plus de 3000 empreintes de sceaux en provenance de la capitale Hattousa, on dispose d’un large corpus permettant des analyses quantitatives. Adelheid Otto livre un essai sur le thème du guilloché comme motif décoratif et comme possible évocation de la fertilité. En se concentrant sur les empreintes de sceaux de fonctionnaires non royaux, Néhémie Strupler retient 118 exemples dont elle étudie la variabilité afin de mieux mettre en évidence caractères communs et spécificités.

 

L’abondance de la documentation, la qualité de la présentation font de ce recueil un livre très utile pour les historiens du Proche-Orient. Reste à féliciter les trois éditeurs qui n’ont pas ménagé leur effort pour offrir un bel ouvrage qui dépasse de loin l’horizon de l’espace mésopotamien pour croiser ceux de l’Anatolie, de la Crète, de l’Égypte et de l’Afghanistan.

 

 

Table des matières

 

Avant-propos des éditeurs

 

Liste des publications de Dominique Beyer

 

Ebla and Mari – years 2381/2380‑2369 BC

Alfonso Archi

 

Quelques réflexions sur la disparité de traitement entre les images masculines et les images féminines dans l’art de la civilisation de l’Oxus

Agnès Benoit

 

Dominique Beyer, côté jardin

Victor, Berthe, Sandra, Cyrille et Alexis Beyer

 

Ur-Nanše, un inconnu illustre

Catherine Breniquet

 

Stratigraphy and Discontinuity: Towards a Definition of Archaeological Time in Near Eastern Archaeology

Pascal Butterlin

 

Réflexions sur le « Palais Nord » d’Ougarit

Olivier Callot

 

Le sceau d’Aman-Aštar et les portes de Sumer

Antoine Cavigneaux

 

Un sceau gravé et inscrit sur commande d’après une lettre inédite des archives royales de Mari

Dominique Charpin

 

Paul-Émile Botta et Eugène Flandin à Khorsabad : un consul et un peintre archéologues

Nicole Chevalier

 

Les sceaux d’Išqi-Mari. Nouvelles perspectives sur l’idéologie royale et la chronologie de Mari

Sophie Cluzan et Camille Lecompte

 

Ancres de pierre ou pierres d’ancrage du IIIe millénaire trouvées à Tell ‘Atij, dans la moyenne vallée du Khabour, en Syrie du Nord

Michel Fortin

 

Danʾilu, paré du grand manteau syrien, dans la mythologie ougaritique

Robert Hawley

 

Une tranche de vie à Porsuk

Anne Horrenberger

 

Retour sur le mariage sacré dans le culte de Melqart

Jean-Marie Husser

 

L’ergastule-nêpārum de Chagar Bazar (Ašnakkum) au XVIIIe s. av. J.-C.

Denis Lacambre et Julie Patrier

La construction des murs à Porsuk (Zeyve-Höyük), de l’Ancien Royaume hittite au Bas-Empire romain

 

Françoise Laroche-Traunecker

 

Tyane avant la période gréco-romaine

René Lebrun

 

Osservazioni preliminari sui cosiddetti kernoi scoperti a Creta in contesti dell’età del Ferro

Daniela Lefèvre-Novaro

 

« Ces femmes avec leurs sceaux… » Quelques mentions des sceaux et de leur usage dans les tablettes de Nuzi

Brigitte Lion

 

Bilan provisoire de la séquence stratigraphique à Tell Iris

Michel al-Maqdissi

 

Des souvenirs, des fours et des tombes

Jean-Claude Margueron

 

« Des obélisques se dressent en avant de leurs môles… » Les obélisques des temples d’Edfou et de Philae

Laetitia Martzolff

 

Artisanat, iconographie et culture : une note sur Terqa au Bronze Ancien

Maria Grazia Masetti-Rouault et Olivier Rouault

 

Quelques notes sur les déesses se dévoilant et les divinités ailées dans la glyptique paléosyrienne

Paolo Matthiae

 

Storm-Gods at Tell Afis and a Syro-Hittite seal

Stefania Mazzoni

 

Les médaillons solaires dans la documentation paléo-assyrienne : des bijoux pour les dieux

Cécile Michel

 

L’Euphrate du Néolithique au Bronze ancien : simple cours d’eau ou vecteur de communication?

Jean-Yves Monchambert

 

Royauté, rites de fondation et métal dans la région syro-mésopotamienne : la ville de Mari au IIIe millénaire av. J.-C.

Juan-Luis Montero Fenollós

 

A Hittite seal in the Ebnöther collection, Schaffhausen (Switzerland)

Clelia Mora

 

Jumeaux et naissances multiples en Anatolie hittite

Alice Mouton

 

Du Proche-Orient ancien à l’Occident médiéval : « concordances iconographiques »

Béatrice Muller

 

Much more than just a decorative element: the guilloche as symbol of fertility

Adelheid Otto

 

Le petit temple du Ninive V final à Tell Kashlashok III, niveau IV

Philippe Quenet

 

Une nuit, sur un toit, en Babylonie. Enquête sur le silence dans les rituels akkadiens

Anne-Caroline Rendu Loisel

 

Remarques sur la paléographie des sceaux d’Anatolie et de Syrie au Bronze récent

Carole Roche-Hawley

 

The pottery of the Late EB III Period from the mound of Çiftlik Alanı, Bilecik

Deniz Sarı

 

Délos et l’Orient

Gérard Siebert

 

Les pérégrinations d’un objet archéologique

Agnès Spycket

 

Archivage de la documentation de fouille : état des lieux et recommandations à l’usage des archéologues

Marie Stahl

 

« Dater d’après le cachet » : une approche méthodologique pour les cachets circulaires hittites

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