Lepetz, Sebastien - Zech-Matterne, Véronique (dir.): Productions agro-pastorales, pratiques culturales et élevage dans le nord de la Gaule du deuxième siècle avant J.-C. à la fin de la période romaine, (Collection Archéologie des plantes et des animaux), 155 p., nb. ill. coul., 37€
(Editions Mergoil, Autun 2017)
 
Compte rendu par Michel Chossenot, Université de Reims
 
Nombre de mots : 1701 mots
Publié en ligne le 2018-06-27
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3280
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          Michel Reddé rappelle dans le préface que ce séminaire s’inscrit dans le cadre des recherches du programme RURLAND « Rural Landscape in North-Eastern Roman Gaul » qu’il dirige. La publication réunit dix articles (dont quatre en anglais) :

 

  • les trois premiers traitent de données générales sur l’archéozoologie, la carpologie et le mode d’exploitation des terres à partir des adventices.
  • les sept autres, travaux universitaires spécifiques intéressant le sujet ou réalisés à cette occasion, portent sur des études plus régionales : trois de secteurs particuliers de cette grande zone : Saint-Quentin, Reims, la vallée de la Moselle ; et quatre concernent la périphérie plus ou moins lointaine du nord de la Gaule : le Nord Brabant aux Pays-Bas, la vallée du Rhin, la Sarre, le Luxembourg et le nord de la Suisse.

 

         Ces travaux, au-delà du rassemblement et de la mise au point d’une documentation importante, tentent d’évaluer l’efficacité et la rentabilité des systèmes agro-sylvo-pastoraux. La réalisation de la base de données a été en effet longue et difficile car elle repose sur une sélection de 519 sites dans 31 départements, comptant 1380 assemblages et 1 300 000  vestiges anciens. La répartition géographique manque d’homogénéité car elle a été dictée par les travaux de fouilles menées suite à des aménagements qui privilégient les zones fortement urbanisées. Ainsi n’ont pas été pris en compte d’importants sites ayant pourtant bénéficié d’études comme Acy-Romance (Ardennes), La Cheppe-Camp de Mourmelon (Marne).

 

         Les résultats des recherches de l’archéozoologie, de la carpologie et du mode d’exploitation des terres à partir des adventices :

 

          - l’archéozoologie (p. 11-42) : l’étude concerne 31 départements, répartis, de l’Artois à l’Alsace-Bourgogne, en 10 zones géographiques comptant, après sélection,  384 sites (ruraux et urbains), 908 assemblages et 810 000 restes osseux, allant de La Tène moyenne à l’Antiquité tardive.  

 

         Dans la consommation de viande, la part de la chasse qui n’a cessé de diminuer depuis le néolithique est tout à fait marginale et se situe autour de 1 %. Le lièvre et le cerf se disputent la première place (le second a les faveurs de la ville au Bas-Empire), le sanglier se fait plutôt rare (difficulté de sa chasse ?), le chevreuil encore plus; quelques daims proviendraient de sortes de parcs animaliers ; le renard, le castor, le blaireau, la loutre, l’ours et le loup complètent cet inventaire ; les oiseaux sauvages (cigogne, corbeau freux) ne sont pas rares ; la bécasse, la perdrix grise semblent plus appréciées que les canards sauvages et les grands échassiers. On chasse plus dans l’Est que dans le reste de la zone étudiée.

 

         Le socle de l’activité pastorale est composé de la triade : bœuf, porc et caprinés (moutons-chèvres). Le premier connaît un accroissement marqué pendant la période romaine (lié à l’activité de traction ?), le porc reste stable et le mouton décroît nettement surtout au Bas-Empire. Les espèces domestiques, le chat domestique et sauvage, les oiseaux de basse-cour s’avèrent omniprésents. La consommation du chien et du cheval, quant à elle, est bien attestée.

 

         Les recherches futures devraient s’orienter vers la gestion des troupeaux, les âges d’abattage et les relations avec les restes végétaux.

 

         - Le corpus des restes carpologiques concerne 155 occupations et 658 ensembles : ils ont été conservés dans des milieux humides ou par une carbonisation incomplète involontaire (incendies) ou volontaires (grillages). Ils comprennent trois groupes : les céréales, les légumineuses et les oléagineuses. Les céréales comptent surtout des variétés vêtues : blés, orge, seigle, liées à la consommation humaine sous forme de bouillies. Les blés tendres fournissant une farine panifiable apparaissent avec la conquête romaine et se développent autour des cités. Les variations régionales semblent liées aux conditions naturelles (orge sur les sols pauvres). Le millet fait une timide apparition.

 

         Les légumineuses: lentilles, ers, gesse, vesse, pois, sont présentes mais en faible quantité.  En revanche, les oléagineuses : caméline, lin, chanvre et œillette sont peu représentées.

 

         Avec la conquête romaine, se donnent à voir un certain nombre de plantes et fruits comme les aromatiques : aneth, coriandre, melon, figue qui pourraient avoir été cultivés ensuite localement ?

 

         Le travail sur la flore des adventices, (les indésirables ou les mauvaises herbes des jardiniers) qui colonisent les cultures constitue une approche nouvelle et prometteuse : ces plantes se développent en suivant le rythme des cultures (annuelles) ; 116 sites ont été retenus : l’étude révèle que 46,8 % sont des plantes indigènes, mais que 26,2 % sont étrangères au milieu ; elles ne s’implantent que dans des milieux qui leur conviennent : fertilité naturelle, texture des sols ; leur présence permet de déduire la période des semis des plantes cultivées : ainsi semis d’hiver et de printemps s’équilibreraient au cours des deux siècles av. J.-C., puis les semis d’hiver l’emporteraient autour des grandes villes, confortant l’idée d’une culture de blé amidonnier destiné à la boulangerie. Les études montrent également que l’agriculture des sols riches et amendés devient moins intensive au profit d’une plus grande variété de terrains qui conviennent mieux au seigle-engrain moins exigeant.

 

         Les études régionales :

 

  • La première concerne le Nord Brabant (p. 75-84) ; cette zone est constituée de sables améliorés par des amendements qui conviennent surtout à l’élevage dont celui du cheval et à une agriculture d’autoconsommation dans des exploitations dispersées ; l’arrivée des Romains en - 55 n’a pas fondamentalement changé les données antérieures, si ce n’est dans l’architecture par l’apparition de quelques villae. L’élevage des vaches et du cheval montre une certaine continuité. Les cultures de base se maintiennent avec l’apparition d’un blé à pain lié à des goûts urbains et la disparition de la caméline.
  • La seconde étudie la cité de Saint-Quentin et son arrière-pays (p. 85-89) : beaucoup de sites y ont été fouillés, mais peu ont été étudiés dans ce domaine. Les principales espèces sont les céréales à grains vêtus (blé amidonnier, épeautre et orge). Les blés nus se trouvent peu représentés. Le rôle de l’épeautre se développe à partir de l’époque gallo-romaine. Les légumineuses restent modestes. En parallèle, notons l’importance de l’élevage des bovins en liaison avec les besoins en traction animale.
  • Reims et les campagnes champenoises (p. 91-101) : zone qui, dans l’étude, va du sud des Ardennes à Troyes, a bénéficié de nombreuses fouilles surtout à Reims même et dans sa proche banlieue. Les céréales vêtues : blés et orge, ne seront remplacées pour les premières qu’au cours du Bas-Empire par des blés amidonniers (pour leur farine). L’abondance des fruits est à signaler : amande, grenade, pomme, poire, raisin en liaison, peut-être, avec la découverte de sept vergers à proximité de la ville. Dans la triade bœuf-porc-caprinés, le porc est détrôné par le bœuf au cours du Bas-Empire ; la viande des animaux chassés : lièvre et cerf ; les oiseaux s’avèrent peu représentés et la consommation de coquillages marins est importante.
  • La vallée de la Moselle entre Metz et Thionville (p. 103-110) où 20 sites ont été retenus ;  les données carpologiques révèlent une céréaliculture qui privilégie l’orge vêtue, mais les pourcentages des blés nus et de l’épeautre augmentent à partir du Haut-Empire : ceci est à mettre certainement au compte de l’essor urbain, voire de la proximité du limes rhénan (le pain et les galettes concurrençant les bouillies d’orge). Dans l’alimentation carnée, la part des bovins  augmente au détriment de celle des ovins.
  • Le Rhin-Palatinat, la Sarre et le Luxembourg (p. 111-124) comptent 72 sites ; les périodes laténiennes et romaines ne se distinguent pas nettement dans le domaine des productions agricoles à l’exception des légumineuses ; la différence est plus nette concernant les fruits et pose le problème de la date des débuts de la viticulture (IIe s. de notre ère). C’est dans cette région que l’on a retrouvé les représentations du vallus décrit aussi par Pline et Palladius qui serait associé à la culture de l’épeautre.
  • Le camp militaire tardo-républicain du Petrisberg, Trèves (environ 30 BC) (p. 125-134) : transition entre César et Auguste ; témoin de la consommation de plusieurs milliers de soldats : l’approvisionnement en céréales basiques ne provient pas uniquement  des environs proches ; les soldats avaient conservé leurs habitudes alimentaires méditerranéennes comme celle de l’huile d’olive et du vin ; mais aussi celles des épices, des fruits (pommes, cerises, raisin, etc.).
  • Le nord-ouest de la Suisse (p. 135-152) : l’occupation du sol de cette région a été assez fortement modifiée avec la conquête romaine : création de colonie (Augusta Raurica), de fortins militaires etc. À La Tène Finale, les blés vêtus l’emportent largement (80 %) sur l’orge (15 %). Les blés nus apparaissent au IIe s. de notre ère et la culture du millet s’intensifie de même que l’élevage du bœuf, utilisé comme animal de traction.

 

 

 

Table des matières 

 

M. Reddé, Préface, p. 7.

S. Lepetz et V. Zech-Matterne, Avant-propos, p. 9-10.

Archéozoologie des territoires du nord-est de la France, du second âge du Fer à l’Antiquité tardive, p. 11-42.

V. Zech-Matterne, E. Bonnaire, G. Daoulas et al., Diversité et évolutions des productions céréalières et fruitières dans le quart nord-est de la France d’après les données carpologiques (IIe s. av. J.-C.-Ve s. ap. J.-C.), p. 43-62.

V. Zech-Matterne, C. Brun, F. Toutlemonde et J. Wiethold, Essai d’approche du mode d’exploitation des terres et des pratiques agricoles dans le nord-est de la France, à partir de l’évolution des flores adventices (IIe s. av. J.-C.-Ve s. ap. J.-C.), p.63-74.

C. Bakel, I. van des Jagt et R. Jansen, Livestock and plant resources in rural sites on sandy soil in very north of northeastern Gaul, p. 75-84.

V. Zech-Matterne et G. Jouanin, Production et consommation dans la cité de Saint-Quentin et son arrière-pays, p. 85-90.

F. Toutlemonde, V. Zech-Matterne et A. Bandelli, et G. Auxiette, J. Wiethold, E. Bonnaire et G. Daoulas (coll.), Diversité des productions végétales et animales dans les campagnes champenoises et leur capitale de cité : études archéobotaniques et archéozoologiques récentes à et autour de Reims/Durocortorum, p. 91-101.

G. Daoulas, G. Jouanin, G. Auxiette, J.-H. Yvinec et J. Wiethold, Productions végétales, alimentation et élevage dans la vallée de la Moselle entre Metz et Thionville et dans les environs de Metz : l’apport des données carpologiques et archéozoologiques, p. 103-110.

M. Koenig, La Tène and Roman agriculture in Rhineland-Palatinate, Saarland and Luxembourg, p. 111-124.

N. Hasslinger, The late Repubican military camp located on the Petrisberg (Stadt Trier, Rhineland-Palatinate, Germany) : an archaeobotanical point of view, p. 125-134.

P. Vandorpe, O. Akeret et S. Deschler-Erb, Crop production and live stock breeding from the Late Iron Age to the Late Roman period in north western Schwitzerland, p. 135-152.