Massa-Pairault, Françoise-Hélène - Pouzadoux, Claude (dir.): Géants et gigantomachies entre Orient et Occident, (Collection du Centre Jean Bérard, 47), 278 p., ill., 278 p., ill., ISBN : 978-2-918887-74-4, 48 €
(Centre Jean Bérard, Naples 2017)
 
Compte rendu par Anastasia Painesi
 
Nombre de mots : 1775 mots
Publié en ligne le 2018-09-19
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3299
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N.B. :  Le compte rendu suivant porte également sur l'ouvrage : 

Massa-Pairault, Françoise-Hélène - Pouzadoux, Claude (dir.): Giganti e gigantomachie tra Oriente e Occidente. Catalogo della mostra MANN Napoli, 2013-2014, (Hors série du Centre Jean Bérard), 38 p., ill., ISBN 978-2-918887-75-1, 15 €
(Centre Jean Bérard, Naples 2017)


 

          Cet ouvrage constitue la publication collective des actes du colloque organisé par le Centre Jean Bérard (CNRS/EFR) à Naples les 14 et 15 novembre 2013, sous la direction de Françoise-Hélène Massa-Pairault et de Claude Pouzadoux. Les dix-huit articles inclus dans cette publication sont répartis en quatre axes thématiques : « Les gigantomachies aux époques archaïques et classiques », « Les Géants en Apulie », « L’époque hellénistique » et « Avatars ». Ils présentent les diverses interprétations que le thème iconographique de la Gigantomachie a reçues en Grèce, en Italie et en Asie Mineure de l’époque archaïque à l’époque romaine et jusqu’à nos jours. 

 

         Dans l’introduction, Françoise-Hélène Massa-Pairault présente l’évolution des figures des Géants dans le temps et dans l’espace (Grèce, Italie, Asie Mineure) et souligne le message allégorique de la Gigantomachie (contestation de l’ordre établi) ainsi que le symbolisme politique dont les Géants ont été porteurs en Grèce et principalement à Athènes, comme le démontrent la fête des Panathénées, le théâtre et les œuvres d’art public.

 

Les gigantomachies aux époques archaïques et classiques

 

         Mario Torelli se focalise sur la perception de la Gigantomachie en Étrurie à travers l’étude des appliques en bronze de chars archaïques. Il attribue l’apparition de ce thème figuratif en Étrurie à la diffusion de la poésie grecque de la seconde moitié du VIIe et du début du VIe siècle av. J.-C. dans la région. Il souligne, néanmoins, que la pénurie de sources littéraires de l’époque évoquant la bataille des dieux contre les Géants a résulté de l’apparition éparse d’œuvres d’art représentant cette scène aussi bien en Étrurie qu’en Grèce.

 

         Dans leur intervention, Mauro Menichetti et Luca Cerchiai mettent l’accent sur le rapport entre la Gigantomachie et les valeurs agonistiques à travers un spectre de témoignages littéraires variés – Pindare, Euripide, Apollodore – et des références à l’actualité de l’époque archaïque (Grands Panathénées). Ils soulignent également l’importante contribution de la céramique du VIe siècle à l’évolution sémantique du thème pictural vers une signification associée au contexte agonistique.

 

         Valentini Nizzo s’intéresse, quant à lui, à une série de représentations vasculaires à figures noires et rouges inspirées de la gigantomachie et découvertes à Spina par P.E. Arias dans les années 1950.

 

         Federica Giacobello se consacre à l’étude du cratère 81521 du Musée Archéologique National (MAN) de Naples représentant la Gigantomachie. Le vase, découvert à Ruvo, qui date de la fin du Ve siècle av. J.-C., est composé de nombreux fragments. Au travers d’une analyse minutieuse de l’objet, Giacobello évoque les étapes de sa restauration, son attribution au Peintre de Talos et l’influence qu’a exercée sur l’artiste le bouclier de l’Athéna Parthénos de Phidias.

 

Les Géants en Apulie 

 

         Dans son article, Frank Hildebrandt présente deux vases apuliens fragmentaires du Museum für Kunst und Gewerbe à Hambourg décorés de scènes de la Gigantomachie. Il porte notamment son attention sur un cratère à volutes fragmentaire attribué au Peintre de Darius et daté de 340 av. J.-C. Étudiant méticuleusement l’historique de la découverte du vase et la technique de sa création, et analysant de façon approfondie le thème iconographique, l’auteur conclut que l’œuvre a été probablement influencée par un modèle perdu (peinture monumentale ou le péplos d’Athéna Polias).

 

         Luca Giuliani présente pour sa part une étude axée sur l’évolution du motif iconographique de la Gigantomachie en Apulie et sur les innovations apportées par les artistes locaux. Ainsi le chercheur souligne-t-il la division de l’espace vasculaire en deux parties symbolisant la terre et le ciel et la mise en valeur des combats individuels entre un dieu et un géant. Il considère que, nonobstant les innovations apportées par des artistes individuels, les représentations puisent dans un prototype commun, issu possiblement du milieu de la peinture monumentale.

 

         Eliana Mugione et Claude Pouzadoux se concentrent sur l’utilisation des figures des Géants dans le but de signaler « l’autre » dans les programmes iconographiques grecs et italiotes de l’époque archaïque à l’époque hellénistique. Eliana Mugione revient sur le symbolisme de la Gigantomachie à Athènes, constituant une allégorie des Guerres Médiques, de la lutte de la civilisation contre la barbarie. Elle évoque l’introduction de la figure de Dionysos dans les représentations de la scène dès l’époque archaïque, soulignant le rôle important que le dieu a progressivement assumé, étant lui aussi une figure de l’altérité. Claude Pouzadoux, quant à elle, étudie le passage au IVe siècle de ce thème figuratif de la Grèce aux cités-états de l’Italie du Sud qui ont adopté le symbolisme de l’altérité, dont le mythe avait été investi à Athènes, afin d’exprimer leurs rapports avec les peuples autochtones de leur région.

 

L’époque hellénistique 

 

         Évelyne Prioux analyse le rôle de la Gigantomachie dans la poésie hellénistique. Elle met l’accent sur le débat portant sur l’existence, la diffusion et l’ampleur de l’influence de l’épos hellénistique, issu de l’absence de sources littéraires de l’époque. Son texte met l’accent sur deux questions : les poètes hellénistiques ont-ils en effet composé des œuvres inspirées de la Gigantomachie ?  Si tel était le cas, sous quelle lumière ont-ils présenté les Géants ? Enfin, l’auteur aborde les réflexions esthétiques dont les Géants ont fait l’objet par des poètes de diverses époques, tels Aristophane, Théocrite et Ovide.

 

         L’article de Françoise-Hélène Massa-Pairault se propose d’examiner le camée d’Athénion (MAN Naples 25848). La chercheuse retrace l’histoire de la découverte et de l’étude de l’objet (dessins, analyse, interprétation), de Winckelmann à nos jours, et met l’accent sur son lien avec l’école de Pergame et surtout l’Autel de Zeus.

 

         Dans le même contexte, Filippo Coarelli oriente le débat sur une datation plus basse de l’Autel de Pergame. À travers la présentation de données associées à la topographie, l’architecture et la décoration artistique du monument, il conclut que l’attribution de l’Autel de Zeus à Eumène et, par conséquent, sa datation entre 197 et 158 av. J.-C. est toujours la plus probable.

 

         François Queyrel, pour sa part, présente la transposition de la Gigantomachie dans le contexte des guerres entre les Grecs et les Galates. Les figures des Géants vaincus symbolisent désormais les défaites des Galates qui ont ainsi remplacé les Perses dans l’allégorie politique que le thème a assumée depuis l’époque archaïque.

 

         L’article de Pascale Linant de Bellefonds s’intéresse à la figure du géant ailé et anguipède. Cet hybride de nature céleste et chtonienne apparaît vers le milieu du IVe siècle en Italie du Sud, puis en Asie Mineure et dans les îles grecques. Malgré le fait qu’il est presque toujours représenté comme adversaire d’Athéna, ce personnage ne semble pas avoir attiré l’intérêt des artistes en Grèce continentale. Vian considérait ce type de représentation plus ancien, émanant notamment de celle, typique de Typhée, qui apparaît dans des représentations étrusques du Ve siècle. P. Linant de Bellefonds souligne enfin que le géant ailé et anguipède n’a pas survécu très longtemps dans la sphère artistique en raison de la transformation du thème de la Gigantomachie à l’époque romaine en motif générique symbolisant le combat entre l’ordre établi et le chaos où les Géants ont perdu leur individualité antérieure pour se transformer en un groupe menaçant anonyme.

 

         Pierre Leriche présente au lecteur un emblêma mis au jour en 2009 dans l’Ancienne Termez en Bactriane – Ouzbékistan actuel –, qui est décoré de la Gigantomachie. Il procède à la description et à l’analyse de la scène afin d’identifier les personnages représentés par le biais aussi bien des postures et des habits des combattants, que de l’étude parallèle d’abord de récits antiques (L’Odyssée d’Homère, la Théogonie d’Hésiode), puis de monuments célèbres (Autel de Pergame).

 

Avatars

 

         Claude Frontisi explore l’émergence de la Gigantomachie à partir des cosmogonies antiques fondées sur le conflit entre les forces primaires (Bien/Mal, Ordre/Chaos). Il évoque la transposition du motif antique dans l’art de la Renaissance à travers la revivification de l’intérêt émanant des érudits de l’époque (auteurs, philosophes et artistes) envers les textes et les vestiges antiques qui se focalisent sur les célèbres Géants, autres que ceux ayant participé au combat contre les Olympiens, comme Polyphème et Goliath et, surtout, Orion.

 

         Pierre Chuvin rend hommage à Francis Vian consacrant son article à l’étude des mythes de Typhée. Il se réfère aux sources antiques évoquant ce personnage, ainsi que la Gigantomachie en général (Hésiode, Claudien, Nonnos) et analyse les différences entre la figure solitaire, monstrueuse et immortelle de Typhée et la meute de colosses aux pouvoirs surnaturels vaincus par les Olympiens. Il présente, enfin, les divers endroits où la Gigantomachie d’un côté et le combat entre Zeus et Typhée de l’autre sont supposés avoir eu lieu, selon les sources littéraires (Phlégra, Pallène, régions variées de l’Anatolie), tout en expliquant les raisons plausibles, de nature en principe géologique, de ces attributions (sources chaudes, régions volcaniques, reliefs carstiques).

 

Annexe

 

         Les actes du colloque sont accompagnés d’un court catalogue de l’exposition « Géants et gigantomachies entre Orient et Occident » présentée au Musée National Archéologique de Naples entre novembre 2013 et mars 2014 sous l’égide de nombre d’institutions italiennes et françaises. L’ouvrage comprend les quinze panneaux et notices didactiques présentés lors de l’exposition, accompagnés d’un riche matériel iconographique (œuvres d’art, inscriptions, cartes) qui aidaient le visiteur à suivre l’évolution du mythe des Géants et son symbolisme dans le temps (du VIe siècle av. J.-C. au Ve siècle ap. J.-C.) et l’espace (Grèce, Italie, Asie Mineure), à travers des exemples caractéristiques de la littérature et des arts antiques associés à divers aspects de la vie (symposion, politique, culte, sépulture).

 

         Cette publication du Centre Bérard, par sa très haute qualité, constitue une étude approfondie et précise d’un motif iconographique qui a marqué et continue à influencer les auteurs et les artistes de l’Antiquité jusqu’à nos jours. La pléthore d’articles inclus dans ce volume offre une analyse qui couvre tous les volets de l’utilisation du mythe dans l’art, la littérature, la géologie et la géographie, la cosmographie et le culte. La riche bibliographie et les images en haute résolution qui accompagnent les deux volumes permettent au lecteur de suivre l’avancement de l’analyse des auteurs dans le moindre détail. Les coquilles rares, voire inexistantes (p. 229, 236), et une mise en page problématique des pages 255-256, ne sauraient altérer l’importante contribution de ce recueil à l’avancement de l’étude de la Gigantomachie.