Collet, Serge : Le guerrier, le chat, l’aigle, le poisson et la colonne : la voie spiralée des signes. Approche sémiologique, structurale et archéologique du disque de Phaistos, (Praehistorica Mediterranea), 90 p., 15 tables, 1 col. ill., ISBN : 9781784916169, 14 £
(Archaeopress, Oxford 2017)
 
Compte rendu par Frédéric Dewez, Université Catholique de Louvain
 
Nombre de mots : 1824 mots
Publié en ligne le 2019-05-27
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3319
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          Comme le rappelle Pietro Militello dans la préface de l’ouvrage, de tous les vestiges archéologiques de la civilisation minoenne, le Disque de Phaistos est l’un des plus étudiés. La signification des caractères figurant sur ce disque reste une énigme, malgré les nombreuses tentatives de déchiffrement dont il a été l’objet. La question posée par Pietro Militello est judicieuse : pourquoi faire état d’une nouvelle contribution au déchiffrement de cet objet archéologique alors que ces études sont pléthores ? L’approche de Serge Collet est différente : il s’agit moins d’un déchiffrement que d’une interprétation de l’image que peut renvoyer le disque sur la civilisation minoenne. L’auteur commence par rappeler que la forme spiralaire et les motifs du disque sont typiques de l’art minoen et qu’ils apparaissent de manière récurrente dans toute l’histoire de la civilisation crétoise. En outre, sur la base de la disposition particulière de certains signes, il souligne qu’aucun élément tangible ne permet de dire que nous avons à faire à un texte et il pose la question intrinsèque du « régime du signe » puisque, pour lui, ces caractères n’ont aucune valeur linguistique. Ils forment des séquences combinées de manière signifiante par le biais de transformations opérantes, à l’instar d’un montage au cinéma. Il conclut cette première étape en affirmant que les signes pictogrammiques du Disque de Phaistos ne tiennent ni d’un langage, ni d’une écriture.

 

         Dans l’important chapitre IV, Serge Collet nous propose une interprétation de quelques-uns des quarante-cinq signes dont il propose un tableau synoptique en annexe de l’ouvrage.

 

         Il débute son analyse par le signe 22 que l’archéologue et historien Louis Godart interprète comme une fronde. Il s’intéresse à l’entourage immédiat de ce signe, à savoir le pictogramme d’un navire, une plante et la tête d’un chat sauvage, et en conclut qu’il ne peut démontrer l’existence d’une association directe entre ces quatre signes. Selon lui, le pictogramme 22 est à mettre en corrélation avec un ustensile de vaisselle rituelle découverte par l’archéologue Stéphanos Xanthoudides, lors de la fouille des tholoi de Koumasà et de Plàtanos : cet objet à la forme d’un ventre ouvert au sommet, posé sur deux longues jambes de forme cylindrique. Il a cet aspect de « pantalons » et serait symbolique d’une fonction votive ou rituelle. Son interprétation le mène à l’observation du caractère 24 qu’il qualifie d’ « étrange construction » et dont la représentation se caractérise par une base ronde au sol, surmontée d'une double plateforme et coiffée d’une coupole, typique d’une architecture à encorbellement des monuments funéraires de la plaine de Messara. Il pourrait s’agir d’une représentation symbolique du miel qui était exporté par bateau. Serge Collet met alors le pictogramme en lien avec le pictogramme 25. Ce signe apparaît dans cinq séquences différentes. Compte tenu du lien qu’il a également avec le signe 27 qui représente une large peau, il en déduit que l’embarcation figurée est un navire marchand. Cependant son observation de l’ornement qui achève l’étrave de ce navire et de l’extrémité de la poupe, l’incite à penser qu’il s’agit là d’une embarcation décorée pour une procession en mer comme celles qui sont représentées sur les fresques miniatures retrouvées à Théra.

         

         Le pictogramme 45 serait donc symboliquement connoté, d’autant que, selon l’auteur, il est directement lié au pictogramme 23 dans lequel Evans a vu la représentation d’un maillet ou d’une masse de terrassier. Il l’identifie, de manière indubitable, comme la représentation d’une colonne coiffée d’un chapiteau carré. Au regard des différentes séquences dans lesquelles le signe s’inscrit, cette colonne aurait une fonction très symbolique. En effet, elle apparaît en association tantôt avec des éléments naturels, comme une plante ou un arbre, tantôt avec des animaux, comme une abeille ou un chat, tantôt avec des constructions, comme le navire ou la ruche-tholos. Serge Collet conforte son interprétation par des représentations gravées sur le chaton de bagues mises en évidence par l’archéologue L.Nilsson : il s‘agit de scènes rituelles dans lesquelles sont intégrés un arbre, un autel et une ou plusieurs colonnes. On y voit également plusieurs personnages, essentiellement féminins, se livrer à des danses rituelles sacrées, en signe de dévotion à la nature.  Et c’est précisément sur les représentations environnementales du disque que l’auteur s’attache ensuite. Comme il le fait remarquer, à juste titre, ces signes sont au nombre de 80 sur les 245 qui recouvrent le disque dans son entièreté.   S’appuyant sur les photographies réalisées par Jean-Pierre Olivier dans son édition photographique du disque publiée en 1975 par l’école française d’Athènes, il propose des analyses pointues de ces pictogrammes environnementaux. Ainsi, selon lui, le signe 37 dans lequel on avait vu la représentation d’un papyrus, est, en réalité, une plante à inflorescence dont la tige est couverte par des petites feuilles courbes ; le signe 33 que l’on a identifié comme la représentation d’un thon, est en fait un requin bleu, de son nom scientifique Isorus Oxyrinchus. Le pictogramme 31 représente un oiseau de proie qui tient, dans ses serres, une sorte de serpent. Il s’agirait d’un aigle doré ou d’un vautour griffon, rapaces qui nidifient encore en Crète de nos jours quoique les deux espèces soient menacées. Serge Collet termine cet inventaire par les signes 37 et 38.  Le premier pourrait représenter le Ptilostemon, un type de chardon, composé d’une haute tige pourvue de petites feuilles recourbées ou alors d’ un Tragopogon Porrifolius, genre de salsifis sauvage, au goût d’huitre. Le deuxième a été classé par Arthur Evans comme trientale, motif récurent de l’art palatial minoen.  À cet inventaire « environnemental », Serge Collet ajoute quatre autres représentations : le pictogramme 02 qui représente un guerrier auquel sont associés les pictogrammes 12, 23 et 04, figurant respectivement un bouclier, une masse et un prisonnier. Avant de proposer sa propre classification en guise de conclusion de ce chapitre et sur la base des observations dont nous venons de faire état, l’auteur revient sur la taxonomie proposée par Evans dans la troisième partie de son ouvrage Scripta Minoa paru en 1909. Il distingue six catégories hétérogènes. Reprochant à Evans de ne pas avoir adopté une analyse thématique des signes, Serge Collet nous propose sa propre classification qui fait apparaître clairement une dissymétrie des thèmes représentés sur les deux faces du disque. La face B présente nettement plus de signes qui symbolisent des items naturels et des constructions. Il constate également la récurrence de signes comme le chat sauvage, le navire, les ruches, le requin et enfin la vaisselle rituelle. Ces constats l’amènent à la conclusion que ces pictogrammes s’enchaînent dans ce qu’il nomme un réseau de relations intersignifiantes : l’ensemble des items naturels prend une connotation symbolique et inscrit l’entièreté du disque dans une sorte de narration pictographique, où le monde naturel se grave dans le monde humain.

 

         Cette apparente récurrence d’un nombre significatif de signes va permettre la construction d’un modèle interprétatif comme Evans l’avait ébauchée. Serge Collet va plus loin : il restructure ce modèle autour d’entités signifiantes. La récurrence des signes, leur entourage immédiat, l’ancrage ou encore le positionnement sont autant d’éléments qui font de ces entités de véritables séquences. La lecture interprétative de quelques-unes de ces séquences fait d’ailleurs l’objet du chapitre suivant.

 

         Sa mise en série des signes 31, 26 et 35, représentant respectivement l’aigle, la corne d’auroch et l’olivier, est particulièrement représentative de sa manière d’interpréter ces pictogrammes : un aigle qui tient un serpent dans ses serres plane au-dessus d’un troupeau d’aurochs qui paissent dans une prairie où poussent des platanes.

 

         Il termine son analyse séquentielle de la face A par une séquence très courte, composée des pictogrammes 33 et 23, respectivement identifiés comme le requin bleu et la colonne. Cette analyse est particulièrement significative de la démarche interprétative de Serge Collet : se référant aux fouilles archéologiques de certaines cistes de Knossos et à la mise au jour d’un matériel se rapportant à la faune marine, plus aucun doute n’est permis sur l’importance symbolique des rituels liés à la mer et à son milieu. Ainsi donc, la courte séquence A18 est représentative d’un don de poisson aux dieux.

 

         Au fil des dernières analyses qu’il effectue, Serge Collet, sur la base d’un nombre restreint de paires de pictogrammes récurrents, met clairement en évidence l’association séquentielle des signes 33, 34, 29, 23 et 24, à savoir le requin, l’abeille, le chat sauvage, la colonne et la construction en bois sur laquelle il se fonde également pour démontrer que ces signes sont autant d’items qui font référence, de manière hautement symbolique, aux pratiques cultuelles des périodes du Minoen Moyen III et du Minoen Tardif I.

 

         Le dernier chapitre de l’ouvrage est la synthèse de son étude. Sa découverte des signes du chat, de l’aigle, du poisson et de la colonne, au travers d’une analyse combinatoire et séquentielle des pictogrammes, l’a amené à une interprétation globale du disque, qu’il qualifie d’objet sémiotique. Pour lui, l’évocation de pratiques rituelles dans lesquelles les entités naturelles jouent un rôle primordial est une évidence. Il s’agit bien là d’un jeu de signes qui s’articulent dans une logique combinatoire qui ne fait aucun doute.

 

         Ce bref opuscule se termine par un excursus consistant en une série de considérations sur certains signes et en quelques remarques techniques et archéologiques sur le disque. Serge Collet épingle trois signes qu’il met en lien direct avec du matériel archéologique. Deux pictogrammes se réfèrent à la céramique de Kamares produite dans la plaine de Messara : d’une part le signe 12 qui représente un bouclier, motif accessoire de cette céramique et d’autre part le signe 38 figurant une rosette, motif de Phaistos. Le troisième signe, en l’occurrence le pictogramme 22 qui représente un vase rituel tribulaire, est à associer aux vases retrouvés à Koumassa et à Plàtanos.

 

         Serge Collet en tire la conclusion que les pictogrammes, liés tant à l’artisanat qu’aux différentes constructions, permettent un « rééquilibrage » du disque au regard des signes qui se rapportent à une activité militaire, particulièrement présents sur la face A.  En lien avec les signes qui représentent des éléments naturels en général et les éléments marins en particulier, l’ensemble du disque serait une image de la société minoenne : une société de paix, composée majoritairement d’artisans, tournée vers la mer, avec ses rites et pratiques cultuelles spécifiques.

 

         L’ouvrage, qui s’adresse à un public averti, est rehaussé d’une bibliographie assez sommaire, d’une riche table des signes et des séquences combinatoires et de deux photographies en couleur du disque de Phaistos. Nous avons relevé quelques erreurs d’orthographe, essentiellement en page 21 de l’ouvrage.

 

 

Table des matières

 

Premessa   7


Foreword   11
 

I. Du pouvoir des signes comme entités relationnelles   15

II. La spirale et le ruban des signes   21

III. Le bricolage inconscient et savant des séquences de signes pictogrammes   23

IV. La voie des pictogrammes   29

V. De l’analyse des atomes de signification à celle des groupements de signes   47

VI. Engouement- enjouement pour une spirale de signes   53

 

Bibliographie   7

Abstract   55

Liste des figures et des tableaux   59

Figures et tableaux   61

Excursus   79    

De la sémiologie à de nouveaux questionnements archéologiques   79

Retour sur quelques signes, remarques techniques et archéologiques
sur le disque de Phaistos   81

Destructions naturelles et ripostes rituelles   86

Bibliographie complémentaire   89

Serge Collet   93