Gambashidze, Irina - Stöllner, Thomas (Hrsg.): Das Gold von Sakdrisi. Die erste Goldmine der Menschheit, 174 S., 400 Abb., ISBN-13: 978-3-86757-011-4, 19,80 €
(Verlag Marie Leidorf, Rahden 2016)
 
Compte rendu par Isabelle Warin, Université de Zürich
 
Nombre de mots : 2495 mots
Publié en ligne le 2019-02-27
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3323
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          Tout le monde, ou presque, connaît le récit légendaire de Jason et de ses compagnons, les Argonautes, qui s’embarquèrent sur le navire Argo afin de s’emparer de la Toison d’or. Ce pelage laineux était celui du bélier Chrysomallos (« à la laine d’or ») qui avait été offert en cadeau au roi de Colchide, Éétès. Au terme d’une série d’épreuves, Jason parvint finalement à s’en emparer grâce à Médée, fille du roi de Colchide, qui s’était éprise de lui. Cette légende fait écho à l’usage de laine d’ovidés par les populations du Caucase du Sud afin de récolter les paillettes d’or. Le Caucase du Sud est l’une des régions aurifères les plus riches du monde qui attira toutes les convoitises et ce dès les temps les plus reculés comme semble l’attester la mine de Sakdrisi en Géorgie. Son exploitation aurait commencé vers le milieu du IVe millénaire av. n. ère, ce qui en fait ou, pour être plus exact, ce qui en faisait la plus ancienne mine d’or connue à ce jour. En 2014, la mine a été en effet détruite afin d’exploiter l’or qui s’y trouve encore. Le présent ouvrage retrace le récit de son exploration archéologique par le Musée allemand de la Mine de Bochum et le Musée national géorgien.       

 

         Ce catalogue d’exposition, rédigé en anglais et en géorgien, a paru à l’occasion d’une exposition inaugurée en 2016 au Musée national de Géorgie à Tbilissi. L’exposition et le catalogue qui l’accompagne retracent l’histoire de la mine d’or de Sakdrisi et présentent le matériel archéologique mis au jour par une équipe internationale d’archéologues conjointement dirigée par Dr. Irina Gambashidze, directrice du laboratoire scientifique du Musée national géorgien, et Prof. Dr. Thomas Stöllner, professeur à l’Université de la Ruhr-Bochum et membre de la direction du Musée allemand de la Mine de Bochum. Un colloque international intitulé On Salt, Copper and Gold – Early Mining in the Caucasus (17-19/06/2016) fut organisé à l’occasion de l’inauguration de l’exposition.

 

         Le présent volume comprend une introduction du directeur général du Musée national de la Géorgie, seize contributions rédigées par les principaux acteurs du projet, un catalogue d’objets (p. 132-168) et une bibliographie assez brève (p. 169-170). Le catalogue suit la répartition des objets dans les huit vitrines de l’exposition. L’ouvrage, qui s’adresse à un large public, est très richement illustré par des photographies qui documentent à la fois le travail des archéologues et leurs résultats. Les photographies montrent également les conditions de travail, parfois difficiles, dans lesquelles évoluent les archéologues-miniers. Ces images témoignent surtout de la formidable aventure humaine que constitua l’exploration archéologique de cette mine d’or d’époque préhistorique. 

 

         Dans le premier chapitre, Irina Gambashidze et Thomas Stöllner reviennent sur la longue collaboration scientifique entre l’Allemagne et la Géorgie dans les domaines de l’archéométallurgie et de l’archéologie minière (chap. 1, p. 10-17). Cette étroite collaboration trouve son origine dans les relations politiques tissées entre les deux pays depuis la chute des régimes communistes en Europe. Dès 1999, le Musée allemand de la mine de Bochum a commencé à travailler avec le Centre archéologique Othar Lordkipanidze (1930-2002), aujourd’hui Musée national géorgien (depuis 2007). Une première exposition, intitulée Géorgie-Les trésors du pays de la Toison d’or, qui fut présentée tout d’abord à Bochum en 2001, puis à Wiesbaden en 2002, visait à favoriser la reconnaissance de la Géorgie après l’obtention de son indépendance.

 

         Dans le deuxième chapitre, Andreas Hauptmann et Thomas Stöllner présentent la géologie de la Géorgie et ses gisements de minerais (chap. 2, p. 18-23). La chaîne montagneuse du Caucase est l’une des montagnes les plus riches du monde en gisements aurifères. Cela s’explique par la nature même des deux chaînes de montagne du Grand et du Petit Caucase. Ces montagnes plissées ont bénéficié d’importants dépôts aurifères dès le Tertiaire. Outre les nombreux gisements d’or du Grand Caucase et de Transcaucasie, on y trouve aussi des gisements polymétalliques de cuivre, de fer, de plomb et de zinc. Les deux plus importants districts aurifères de la région sont celui de Svaneti-Racha dans le Grand Caucase et celui de Bolnisi-Sakdrisi en Transcaucasie. Le troisième chapitre porte plus précisément sur la géologie de la région de Bolnisi où se trouve la mine de Sakdrisi, qui est située sur la colline de Kachagiani (chap. 3, p. 24-31). Les mineurs y ont exploité un réseau de veines de quartz verticales d’une puissance de 10 à 30 cm, dont la gangue est composée de baryte (densité 4,3 à 4,6) et d’hématite. L’or est tellement dispersé dans les veines qu’il est difficile de le voir à l’œil nu.

 

         Les archéologues ont exploré la mine de Sakdrisi au cours de huit campagnes de fouilles organisées entre 2004 et 2013 (chap. 4, p. 32-39). Ils ont réussi à parcourir une partie du réseau et même à atteindre une galerie située à 27 m de profondeur. Ils ont par ailleurs mis au jour des tessons de céramique de la culture Kouro-Araxe et environ 10 000 outils en pierre qui ont été inventoriés dans une base de données. Grâce aux datations radiocarbones, la mine a pu être bien datée (p. 36). Son exploitation a débuté au milieu du IVe millénaire et s’est poursuivie jusqu’au début du IIIe millénaire, ce qui fait de la mine de Sakdrisi la plus ancienne mine d’or connue à ce jour. Elle a été de nouveau brièvement exploitée du Ve au VIe s. de notre ère (p. 39). Au cours de cette deuxième phase d’exploitation, les mineurs ne sont pas allés au-delà de 8 m de profondeur, laissant ainsi intacts les vestiges préhistoriques. L’étude de cette mine a permis d’apporter un éclairage nouveau sur l’organisation des exploitations minières aurifères aux IVe et IIIe millénaires av. n. ère (chap. 5, p. 40-47). Les mineurs employaient l’attaque au feu afin d’attendrir la roche. Il s’agit d’une technique minière bien connue qui consiste à allumer des foyers au pied des fronts de taille. Cette technique donne aux galeries une section ovale très caractéristique. L’exploitation minière qui s’étend sur 62 m de long (p. 45, modèle 3D) suivait uniquement les veines très riches en or. Avant d’exploiter une veine, les mineurs procédaient à un échantillonnage sur le carreau de la mine. Les archéologues ont ainsi mis au jour un emplacement où les mineurs broyaient le minerai jusqu’à l’obtention d’une poudre. Ils procédaient à son lavage, ce qui leur permettait d’estimer la concentration en or. Les mineurs décidaient alors de poursuivre ou non le travail. Dès que le travail s’achevait dans un boyau de la mine, les mineurs le remplissaient avec leurs déchets afin de stabiliser les galeries et afin d’éviter de remonter les déchets en surface. Les vestiges découverts ici montrent ainsi déjà une véritable rationalisation du travail minier.

 

         Les archéologues-miniers ont souvent recours à l’expérimentation, ce qui leur permet de faire des avancées notables dans la connaissance des techniques et la compréhension des vestiges découverts. Ce sont les résultats de ces essais qui sont présentés ici (chap. 6, p. 48-55). Les archéologues ont mis au jour de très nombreux outils dans la mine ou à proximité (chap. 7, p. 56-61). En comparant les résultats de leurs essais et les traces conservées sur les parois ou bien sur les vestiges, les archéologues ont pu en déterminer les usages. Les mineurs employaient des outils comme marteaux pour abattre les fronts de taille, mais aussi des outils pour le concassage et le broyage. Ils ont aussi utilisé des outils en os pour détacher la roche de la paroi après l’attaque au feu.

 

         Les mineurs et leurs familles habitaient sur le plateau de Dzedzvebi, dont la superficie est d’environ 60 hectares (chap. 8 & 9, p. 62-77). D’anciens sondages avaient déjà permis de montrer l’existence d’un habitat préhistorique grâce à la découverte de vaisselle de la culture Koura-Araxe. Dans les aires II/III, quatre structures d’habitat ont été fouillées, ainsi qu’une structure couverte qui servait d’atelier métallurgique. Les archéologues y ont en effet découvert plusieurs creusets pour fondre le cuivre. La présence de traces aurifères pourrait également indiquer l’existence d’ateliers de fonte de l’or à proximité.   

 

         La population pratiquait l’inhumation, comme l’attestent les nombreuses sépultures qui ont été découvertes sur le plateau de Dzedzvebi (chap. 10 & 11, p. 78-91). Des analyses ADN étaient en cours lors de la parution du catalogue. À côté des sépultures individuelles, les archéologues ont également mis au jour des sépultures collectives dans des chambres funéraires fermées par des dalles en pierre. Le même processus se répète à chaque fois : il s’agit de plusieurs individus de sexe féminin inhumés avec un adolescent et un adulte, tous deux de sexe masculin. Aucun objet métallique n’a été découvert dans ces chambres funéraires collectives.  Dans la zone II/7, les archéologues ont mis au jour une plateforme circulaire sur laquelle se trouvaient un foyer et deux tombes. Sous l’une de ces tombes, ils ont découvert une structure funéraire plus ancienne qui contenait quatre individus de sexe masculin. L’un était au centre, tandis que les trois autres se trouvaient sur le côté. L’individu situé au centre était de grande taille. À ses côtés avaient été disposés des objets métalliques indiquant probablement un rang social élevé. Dans la zone d’habitat, les archéologues ont également mis au jour des vestiges liés à des pratiques cultuelles dans les zones de concassage et de broyage (chap. 12, p. 92-99).

 

         L’archéologie minière s’intéresse aussi à la production des mines anciennes : quelle quantité d’or a pu être extraite par les mineurs à Sakdrisi (chap. 13, p. 100-107) ? Thomas Stöllner tente de répondre à la question à partir des déchets miniers laissés sur place et à partir de ce qu’il reste encore dans la mine. La mine aurait produit environ entre 150 à 500 kg d’or. L’archéologue a par ailleurs essayé d’estimer les besoins en matériaux et en temps pour produire une boucle d’oreille en or (d’environ 9,4 g) au début du IIIe millénaire. Selon ses estimations, on avait besoin de 16,6 kg de bois, 7,7 kg de minerai, 15,4 kg d’encaissant, ce qui représentait en tout 395 h de travail pour 16 mineurs.

 

         Les archéologues reviennent ensuite sur des vestiges d’habitat du Chalcolithique tardif dans la partie sud du plateau de Dzedzvebi (chap. 14, p. 108-115). Les premières traces d’implantation humaine dans la région remontent au début du Ve millénaire et se sont prolongées jusqu’au début du IVe millénaire av. n. e. Ces vestiges précèdent le début de l’exploitation de la mine de Sakdrisi. La fouille a permis de dégager une série de puits de stockage contenant de nombreuses céramiques liées aux activités domestiques. Les archéologues y ont également mis au jour un creuset contenant des traces de minerai de cuivre provenant de la zone de Madneuli-Sakdrisi. Des objets semblables ont été mis au jour dans la vallée du Koura, la vallée d’Araxe et sur le plateau iranien. Ces découvertes éclairent d’un jour nouveau les circulations humaines à ces époques anciennes.

 

         Les archéologues ont également mis au jour des vestiges d’occupations humaines dans la vallée de la Mashareva et à Dzedzvebi de la fin du IIe et du début du Ier millénaire av. n. e. (chap. 15, p. 116-123). La partie méridionale du plateau de Dzedzvebi était protégée par une fortification datée du début de l’Âge du Fer. Les archéologues y ont aussi découvert des structures d’habitat ainsi que de nombreux fours à pain.

 

         Dans le dernier chapitre (chap. 16, p. 124-131), les auteurs reviennent sur la destruction de la mine de Sakdrisi. En 2006, le gouvernement géorgien avait élevé la mine au statut du monument culturel national en raison de sa valeur exceptionnelle. Mais, au mois de juillet 2013, après de nouvelles élections parlementaires, le Président de la Géorgie et le nouveau gouvernement de coalition ont décidé de lui enlever le statut qui lui assurait une protection totale. Le site fut alors rétrogradé au statut de site archéologique. Au mois d’octobre 2013, ce statut fut lui-même supprimé par le Premier Ministre, ce qui permit à l’entreprise RMG Gold Ltd qui avait entretemps obtenu une licence d’exploitation de reprendre ses droits sur cette mine. Au mois de décembre 2014, les premières explosions ont résonné à Sakdrisi détruisant les vestiges de l’exploitation aurifère préhistorique. Les archéologues regrettent qu’un travail de conciliation n’ait pas été engagé pour permettre de trouver une solution pérenne et satisfaisante pour sauver ce patrimoine. L’État géorgien a depuis lors décidé la construction d’un nouveau musée à Bolnisi afin de présenter d’une manière permanente les résultats des travaux scientifiques, les objets archéologiques ainsi qu’une reconstruction d’un modèle en 3D de la mine.

 

         Ce catalogue destiné à un large public, mais aussi à un public de spécialistes, est une très belle contribution à la connaissance de l’histoire de la métallurgie et des techniques minières à l’époque de la culture Kouro-Araxe.

 

 

 

Table des matières

 

  1. Irina Gambashidze, Thomas Stöllner, Prologue - Les douze années de l’expédition germano-géorgienne de Sakdrisi, p. 10-17
  2. Andreas Hauptmann, T. Stöllner, Le Caucase : une montagne métallifère du passé, p. 18-23
  3. A. Hauptmann, Moritz Jansen, T. Stöllner, L’or de Sakdrisi – La géologie du dépôt de minerai, p. 24-31
  4. T. Stöllner, I. Gambashidze, Jennifer Garner, Nino Otkhvani, Thorsten Rabsilber, Gero Steffens, Peter Thomas, L’archéologie minière à Sakdrisi-La mine de Sakdrisi et sa fouille, p. 32-39
  5. Felix Klein, La mine d’or et ses caractéristiques structurelles et archéologiques, p. 40-47
  6. Brenda Craddock, T. Stöllner, Simon Timberlake, Exploiter un dépôt dans une roche dure : approches expérimentales, p. 48-55
  7. Ketevan Tamazashvili, Les outils miniers à Sakdrisi, p. 56-61
  8. I. Gambashidze, Giorgi Gogochuri, Giorgi Mindiashvili, T. Stöllner, L’endroit où vivaient les mineurs : l’archéologie de Dzedzvebi. Prospections et sondages sur le plateau de Dzedzvebi, p. 62-71
  9. I. Gambashidze, G. Mindiashvili, Bidzina Murvanidze, N. Otkhvani, T. Stöllner, L’habitat d’époque Kouro-Araxe dans l’aire II/III, p. 72-77
  10. I. Gambashidze, G. Gogochuri, G. Mindiashvili, N. Otkhvani, T. Stöllner, L. Fehren-Schmitz, Les tombes d’époque Kouro-Araxe : qui étaient ces gens et en quoi ils croyaient, p. 78-85
  11. I. Gambashidze, G. Gogochuri, G. Mindiashvili, B. Murvanidze, N. Otkhvani, Th. Stöllner, Les tombes d’époque Kouro-Araxe : un monument spectaculaire, p. 86-91
  12. I. Gambashidze, G. Gogochuri, G. Mindiashvili, B. Murvanidze, T. Stöllner, Travailler l’or comme une activité rituelle : les structures mystérieuses dans l’aire II et III, p. 92-99
  13. T. Stöllner, L’or de Sakdrisi : quelle quantité de minerai a-t-on extrait de la mine et comment ? L’exploitation minière comme processus sociétal, p. 100-107
  14. I. Gambashidze, G. Gogochuri, Ingolf Löffler, T. Stöllner, K. Tamazashvili, Les ancêtres du Chalcolithique : la première installation humaine sur le plateau méridional, p. 108-115.
  15. I. Gambashidze, G. Gogochuri, G. Mindiashvili, B. Murvanidze, I. Löffler, T. Stöllner, Les époques tardives : la fin du 2nd millénaire et le début du Ier millénaire dans la vallée de la Mashavera et à Dzedzvebi, p. 116-123
  16. I. Gambashidze, Sulkhan Saladze, Th. Stöllner, Destruction de la mine d’or ? La question du patrimoine à Sakdrisi, p. 124-131
  17. Catalogue des objets, p. 132-168