Willk-Brocard, Nicole : Jean–Bernard Restout (1732–1796), 272 p., 240 ill., ISBN : 978-2-903239-59-6, 75€
(Arthena, Paris 2017)
 
Compte rendu par Noémi Duperron, Université de Genève
 
Nombre de mots : 3622 mots
Publié en ligne le 2018-06-27
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3330
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          Nicole Willk-Brocard livre dans cette monographie la première étude approfondie consacrée à l’œuvre de Jean-Bernard Restout (1732-1796), un artiste jusqu’alors largement mis de côté par l’historiographie. Seules quelques-unes de ses toiles ont été mentionnées dans les notes liminaires introduisant les catalogues raisonnés de Marc Sandoz et ont fait l’objet d’articles ponctuels. L’ouvrage de Mme Willk-Brocard s’inscrit ainsi pleinement dans l’entreprise de réhabilitation des peintres d’histoire de la fin du xviiie siècle à laquelle s’attellent les éditions Arthéna depuis leur réédition de l’ouvrage fondateur de Jean Locquin. Mme Willk-Brocard participe depuis plusieurs années à cet effort, ayant précédemment livré au même éditeur deux monographies sur François-Guillaume Ménageot (1978) et la famille Hallé (1992), comme le rappelle Pierre Rosenberg dans sa préface (p. 5-6). Ce dernier met en évidence la « complexité » de la personnalité de Restout, attendu que le jeune artiste cherche à se démarquer de son père, le peintre Jean II Restout (1692-1768), tout en revendiquant son autorité. Par ailleurs, les rapports que Restout entretient avec l’Académie royale de peinture et de sculpture sont difficiles : si son père a systématiquement exposé au Salon et a progressivement gravi tous les échelons de la hiérarchie de l’Académie royale jusqu’à en devenir le directeur en 1760, Restout fils expose très peu et se soulève ouvertement contre le système institutionnel. Cette aversion atteindra son paroxysme dans les débats relatifs au statut de l’Académie pendant la Révolution française.

 

         Ces deux aspects de la personnalité de Restout gouvernent les deux premières parties de l’essai. Le long premier chapitre présente les enjeux de sa carrière d’artiste (p. 13-86). Le second, plus court, s’emploie à présenter sa lutte contre l’Académie (p. 87-110). Ces deux volets sont complétés par un chapitre traitant de la fonction d’inspecteur général et de conservateur du mobilier du Garde-Meuble qu’a brièvement exercée Restout à la fin de sa vie (p. 113-130). Le reste de la monographie est constitué d’un catalogue des œuvres (p. 135-174) et de nombreuses annexes (p. 175-236).

 

         L’étude s’ouvre sur une introduction qui, comme le veut la tradition, fait le point sur la fortune critique du peintre. Celui-ci a, au cours de l’histoire, été largement réduit à deux étiquettes. Héritier d’une longue lignée de peintres – il est le fils de Jean II Restout et de Marie-Anne Hallé, le neveu de Noël Hallé et le petit neveu de Claude-Guy Hallé et de Jean Jouvenet – l’ascendance de Restout est régulièrement rappelée à la mémoire. Le peintre français est souvent désigné par ailleurs comme une personnalité rebelle en raison de ses attaques contre la hiérarchie institutionnelle. Mme Willk-Brocard se refuse très justement à de tels schématismes et affirme vouloir conduire une étude méthodique, fondée sur l’étude des sources et des documents. Ce souci d’exactitude vise à rectifier les idées fausses et les imprécisions qui ont marqué le souvenir de Restout fils.

 

         La vie du peintre commence sous les meilleurs auspices. Né en 1732, il fréquente dès son plus jeune âge la sphère artistique, à commencer par l’atelier de son père, d’abord à deux pas du Louvre puis à la bibliothèque du roi. Il prend certainement connaissance des traités artistiques rédigés ou traduits par son grand-oncle Jacques Restout. Il complète sa formation par un passage dans les ateliers de son aïeul Jean Jouvenet, de Maurice Quentin de La Tour et de François Boucher. La diversité des maîtres qu’il fréquente, peintres d’histoire et portraitistes, et des techniques auxquelles il se forme (l’huile, le pastel et la gravure à l’eau-forte) atteste l’attention qui est portée à son apprentissage, mais explique peut-être également un certain retard pris dans sa carrière. En effet, la première œuvre de Restout mentionnée dans les archives est celle qu’il présente au concours pour la médaille des Prix de quartiers à l’école de l’Académie en 1755 (Cat. N° 1P). Il a alors 22 ans, un âge auquel la plupart des jeunes artistes se présentent au Prix de Rome ou sont déjà assis sur les bancs de l’École royale des Élèves protégés. Restout y accède en 1758 grâce à son Abraham conduisant Isaac au sacrifice (Cat. N° 6P) et rejoint la Ville éternelle trois ans plus tard. Les dessins documentés ou conservés que Restout y exécute sont rares, mais ils permettent néanmoins de se faire une idée des modèles privilégiés par le peintre, comme le Dominiquin, Valentin de Boulogne ou les Carrache. L’absence totale d’académies peintes ou dessinées reflète, selon Mme Willk-Brocard, « son goût de l’indépendance et son refus de toute hiérarchie » (p. 21). L’auteur ne semble pas prendre en considération que ces dessins préparatoires ont simplement pu être égarés ou détruits.

 

         Le séjour romain de Restout est écourté et son retour à Paris anticipé en raison de la santé défaillante de son père. Le peintre soumet alors son morceau d’agrément réalisé à Rome (Cat. N° 28P) et prend possession de l’atelier paternel. Lorsque son père meurt en 1768, il investit son appartement et hérite de différents postes aux académies de Rouen et de Caen, dont la famille est originaire, et à celle de Toulouse. Il se trouve alors dans une position très favorable : à trente-quatre ans, installé dans des locaux prestigieux, il est membre de différentes institutions provinciales. C’est dans cet heureux contexte qu’il exécute son morceau de réception, Jupiter et Mercure chez Philémon et Baucis (Cat. N° 48P). Le sujet, emprunté à Ovide et souvent représenté par les peintres de genre hollandais et flamands, est ici traité pour la première fois dans la « grande manière ». Il vaut à Restout d’être reçu académicien le 25 novembre 1769. Bien qu’il soit difficile de connaître la portée de son ambition académique, elle semble importante. Pour preuve, il réalise une gigantesque Présentation de Notre-Seigneur au Temple (Cat. N° 66P) destinée à l’abbaye de Chaalis. Ce tableau est exposé au salon de 1771, puis il se trouve placé en pendant de la toile de Jean Restout dans le chœur de l’église. Non seulement les réactions et les critiques sont mitigées, mais le poste d’adjoint à professeur lui échappe. À partir de ce moment-là, Restout décide alors de ne plus exposer au Salon. Mme Willk-Brocard interroge les différentes raisons de cette décision en présupposant une grande sensibilité chez l’artiste. Il serait doublement blessé dans ses sentiments puisque la privation d’une promotion académique pourrait faire suite à la censure d’une de ses toiles par le jury du Salon de 1769. L’auteur paraît en cela restreindre l’émancipation de Restout à des états d’âme et à un esprit vindicatif. En tout état de cause, ce n’est qu’en 1791, lors du Salon de la Liberté, que l’on retrouve son nom dans les livrets. Entre temps, il mène à bien plusieurs projets d’envergure, issus de commandes privées ou des Bâtiments du roi. Il conduit l’exécution des gravures pour la Galerie française ou Portraits des Hommes et des Femmes célèbres qui ont paru en France de Dagoty (Cat. N° 53D-61D), réalise cinq cartons tirés de l’histoire de Didon et Énée destinés à la manufacture des Gobelins (Cat. N° 74P-81P) et participe au décor de la chapelle de l’École militaire (Cat. N° 83P). Il exécute également quelques portraits. Pendant ces mêmes années, la petite dizaine d’élèves qu’il forme l’abandonne progressivement, en quête de reconnaissance officielle. Il aurait été pertinent de questionner les causes d’une telle désertion qui ne peuvent être résumées aux distances qu’il prend avec l’Académie. Tous, à l’exception peut-être de Jacques Réattu, sont aujourd’hui tombés dans l’oubli.

 

         Comme l’expose l’auteur, Restout demeure l’un des rares peintres d’histoire français de la fin du siècle à se trouver dans une situation matérielle confortable grâce à son héritage. Certes, il perd une partie de sa fortune dans des placements malheureux, mais il n’a probablement jamais envisagé la peinture comme un moyen de subvenir à ses besoins. Dès lors, on peut se demander s’il ne s’adonne pas à la peinture avant tout pour suivre la voie de ses aïeux. Son nécrologe et ami Jean-Baptiste Robin affirme qu’il n’avait qu’une « faible passion pour [s]on art » (p. 187), et qu’il ne s’intéressait que peu à la peinture. De surcroît, le peintre n’a pas les habitudes d’un amateur et encore moins celles d’un collectionneur, comme le suggère la pauvreté de son inventaire après décès. Il est dommage que l’auteur n’ait pas saisi cette occasion pour sortir du schéma canonique de la monographie. Les études conventionnelles mettent rarement en évidence les aspects très pragmatiques de la carrière des artistes, qui pourtant offrent la possibilité d’envisager leur profession dans une perspective plus large et enrichissante. Le cas de Restout se prêtait particulièrement à ce type d’approche élargie, d’autant plus que sa fortune critique est souvent sévère. On le surnomme « Ratetou » (Alphonse de Beauchamp, voir p. 189) et il est accusé d’avoir « contribué à faire dégénérer l’art » (p. 187, d’après Pierre-Marie Gault de Saint-Germain). Sans négliger les idéologies qui sous-tendent de tels jugements de valeurs condamnant le personnage politique plus que le peintre, il aurait été pertinent d’étudier la réception post-mortem de cet artiste. La critique semble voir en Restout la personnification du « déclin des arts ». Cette pensée, qui se développe largement dès la fin du xviiie siècle, considère que la qualité de la production picturale a énormément baissé depuis la fin du xviie siècle. Or on retrouve régulièrement l’idée que Restout fils est moins talentueux que son père, qui, lui-même, était moins doué que Jouvenet, son oncle et qui appartient justement à la dernière génération des grands peintres.

 

         Le deuxième volet de l’essai est consacré à l’engagement de Restout au sein des débats portés contre l’Académie royale lors de la Révolution française (p. 87-110), une période durant laquelle il ne peint pratiquement plus. Cette synthèse est une entreprise courageuse en raison des événements particulièrement complexes qui se succèdent. Elle aurait été inenvisageable sans l’énorme matériel documentaire réuni lors de la recherche. On se réjouit ainsi de l’usage systématique des sources manuscrites ou imprimées qui, par leur nombre et leur hétérogénéité, constituent des témoins exceptionnels. Présenté comme un des hérauts annonçant les mouvements de contestation, Restout ne voit cependant apparaître son nom pour la première fois qu’en décembre 1789. Il est alors nommé commissaire des « Réclamans » et énonce peu après un discours sur ses idées concernant la réforme des statuts de l’Académie. À partir de cette intervention, Mme Willk-Brocard retrace précisément l’évolution des sociétés d’artistes qui apparaissent pendant les débats et auxquelles appartient Restout. Après avoir intégré les « Réclamans », dirigés par Jacques-Louis David, il fonde en septembre 1790 la « Commune des arts ». Le rôle de Restout au sein de ces sociétés est de plus en plus important : il devient vice-président des Réclamans, puis trésorier, avant de prendre les rênes du mouvement au départ de David pour Nantes. Globalement, Restout se démarque par la radicalité de ses revendications : en 1789, alors que les débats portent essentiellement sur le remplacement du directeur de l’Académie royale, le peintre affirme que l’institution est d’une complète inutilité et laisse entendre qu’il faut la supprimer. Par la suite, son nom apparaît essentiellement dans de nombreux écrits politiques et discours signés collectivement. L’unique texte individuel qu’on lui connaisse, en dehors de ses discours prononcés dans les salles de l’Académie, se résume à ses Idées sur la conservation des arts (1791) dont le contenu trahit un intérêt certain pour la préservation et la restauration des œuvres publiques. Au cours de ces mêmes années, il intègre la section des Tuileries avant d’être nommé membre de la commune de Paris. Parallèlement à l’exposition des controverses et du rôle de Restout, l’ouvrage met en lumière les moyens mis en œuvre par les artistes pour se faire entendre auprès des autorités, que ce soit en s’adressant à la municipalité, à l’Assemblée nationale ou en se tournant directement vers les partis politiques. Il revient également sur plusieurs enjeux et moments forts, tels que le rôle des sociétés savantes, la composition d’un jury devant distribuer les prix d’encouragement ou, évidemment, la journée du 10 août 1792.

 

         Embrasser un sujet aussi vaste que celui des questions et des débats qui sont soulevés au début de la Révolution en une vingtaine de pages ne permet évidemment pas d’étudier toutes les controverses point par point. Toutefois, une telle synthèse exige une excellente connaissance des faits et des acteurs. On pardonne volontiers à Mme Willk-Brocard l’organisation parfois un peu confuse de la matière, qui témoigne sans doute de la complexité des événements, des alliances et des idéologies. Pour présenter les débats et les questionnements de la période révolutionnaire, l’auteur a négligé la stricte chronologie et a préféré se concentrer sur la continuité des protestations et des réformes. Ce choix présente évidemment des qualités, mais aussi quelques défauts. Il favorise la clarté de chacune des revendications (le chapitre est structuré autour des principaux débats), mais ne permet pas d’établir facilement des liens entre les différents événements.

 

         La dernière partie de l’essai est dédiée à l’ultime position de Restout, celle d’inspecteur général et de conservateur du mobilier de la Couronne (p. 113-130), une fonction administrative dont le détail des activités reste à étudier. Cette place lui est-elle dévolue en raison de son intérêt pour le patrimoine français ? Difficile de l’affirmer, mais il se peut que Jean-Nicolas Pache, à qui le poste avait d’abord été proposé, ait suggéré le nom de Restout au ministre de l’Intérieur. La nomination de Restout lui coûtera son honneur, puisqu’il est accusé d’être, sinon l’instigateur, du moins le responsable du vol des bijoux qui survient en novembre 1792. En ces années politiquement tendues, la quête d’un coupable fait monter l’affaire en épingle. Fabre d’Églantine, un proche de Robespierre, reproche au peintre de ne pas avoir dressé l’inventaire du garde-meuble à son arrivée. Le peintre est arrêté pendant quelques semaines avant d’être relâché. Il est à nouveau mis sous les verrous quelques mois plus tard, après que Daubigny est nommé au poste d’adjoint au ministère. Ce dernier, accusé de vol par Restout lors de la prise des Tuileries, cherche probablement à se venger et profite de sa nouvelle situation pour faire arrêter l’artiste. En prison, comme certains de ses congénères, Restout réalise quelques portraits de codétenus (Cat. N° 111D, 112D et 113D). Après la chute de Robespierre, le 9 thermidor an III, le peintre se trouve rapidement disculpé et libéré.

 

         Une fois encore, les documents retrouvés par Mme Willk-Brocard sur « l’affaire du Garde-Meuble » permet d’illustrer les jeux d’alliances et de dénonciations qui décident du sort des employés administratifs pendant la Terreur. En cherchant à disculper Restout des accusations portées contre lui, l’auteur laisse percevoir dans cette dernière partie l’attachement qu’elle a pour son objet d’étude. Dans ce même esprit, la conclusion fait jouer la corde sensible. En effet, l’analyse des derniers autoportraits (Cat. N° 114D et 115D) privilégie une approche psychologique qui peut laisser sceptique : l’image de Restout après la Révolution serait celle « d’un homme brisé, épuisé, le regard perdu dans ses méditations » (p. 167). Pris d’une crise d’apoplexie, il meurt le 18 juillet 1796, à soixante-quatre ans, sans avoir rien peint après avoir recouvré sa liberté.

 

         Le catalogue de l’œuvre de l’artiste compose la deuxième grande partie de la monographie. Le nombre exceptionnellement mince d’œuvres exécutées par Restout se reflète dans le nombre d’entrées puisque l’on compte moins de cent-vingt numéros. Chaque notice fournit méthodiquement les données incontournables (datation, technique, dimensions, signature, localisation, numéro d’inventaire) ainsi que l’historique des œuvres, leur(s) exposition(s) et une bibliographie. Le corpus de l’artiste se développe de manière chronologique – œuvres de jeunesse, œuvres exécutées à Rome, le retour à Paris - mais les médiums ne sont pas dissociés. Ce louable parti pris permet de regrouper les dessins préparatoires, les toiles achevées et les estampes d’après les œuvres, rendant parfaitement intelligible le processus d’élaboration des toiles. Malgré la variété des techniques auxquelles Restout fait appel, la peinture à l’huile demeure le médium privilégié, représentant plus de deux tiers de la production.

 

         Les œuvres autographes sont commodément identifiables grâce à la présence d’une signature. Bien que cette dernière ne doive pas être systématiquement considérée comme une marque d’authenticité, il est difficile de penser qu’on ait voulu contrefaire une toile de Restout fils au vu de sa faible notoriété. En outre, les attributions sont souvent validées par les registres des différents concours et expositions auxquels a participé l’artiste. Quelques toiles non signées et non référencées soulèvent toutefois plus de questionnements. C’est ainsi que Mme Willk-Brocard présente deux tableaux (Cat. N° 38P et 39P) comme des esquisses des quatre Saisons par Restout pour le château de Bellevue, sans s’interroger sur les étiquettes apposées sur le châssis qui portent pourtant l’inscription « d’après les esquisses », ainsi que deux dates, 1769 et 1889. Le bon sens voudrait qu’il s’agisse de copies du xixe siècle d’après les esquisses du xviiie siècle. Il est tout autant regrettable que les attributions effectuées par des historiens du xixe siècle ou par les maisons de vente ne soient pas plus explicitement et longuement discutées. Certains tableaux ont été tour à tour confondus avec des toiles de nombreux artistes contemporains plus ou moins prestigieux comme Jean-Baptiste Deshays, François Boucher, Jean-Honoré Fragonard, Claude Guy Hallé, Noël Hallé, Carl Vanloo, Nicolas Guy Brenet, Jean -Baptiste Greuze ou évidemment, Jean Restout. En démontant les ressorts de ces confusions, qui montrent à quel point l’attribution est un travail ardu, Mme Willk-Brocard aurait moins donné l’impression que le nom de Restout est parfois appliqué par pure commodité et un ersatz à l’anonymat. Cela aurait également mieux permis de comprendre la spécificité et les caractéristiques formelles de la production de l’artiste, à l’instar du Sommeil conservé au musée de Cleveland (Cat. N° 67P) ou du portrait du Poète inspiré de Dijon (Cat. N° 101P), tenus ici pour deux œuvres particulièrement remarquables. Globalement, et probablement dans un esprit d’humble prudence, Mme Willk-Brocard propose très peu de nouvelles attributions, que ce soit à Restout ou à ses élèves. Seuls trois dessins composent cette section. Enfin, une petite quinzaine d’œuvres rejetées viennent ponctuer le catalogue de l’artiste.

 

         Preuve d’autocritique et de correction, Mme Willk-Brocard revient volontiers sur ses attributions antérieures, présentées dans un article publié en 2001. Elle insiste sur la possibilité de découvrir de nouveaux morceaux, bien que le maigre fonds d’atelier du peintre laisse penser qu’il n’a pas beaucoup produit. Au demeurant, son catalogue se présente comme une base devant servir de point d’appui à de nouvelles attributions et invite ainsi les chercheurs à poursuivre son travail, une incitation qui semble très estimable.

 

         La dernière partie de l’ouvrage est constituée de nombreuses et riches annexes qui témoignent de l’attention portée tout au long de l’ouvrage aux documents d’archive. Un arbre généalogique permet de rendre compte de l’héritage artistique et financier dont Restout a profité et vécu. Une chronologie, établie à partir de sources uniquement, vient confronter les événements historiques marquants et la vie de l’artiste. L’iconographie du peintre, à savoir les portraits qui le représentent, se trouve très réduite : seul un portrait de Restout enfant et deux autoportraits exécutés dans ses dernières années sont documentés. Mme Willk-Brocard retranscrit ensuite les deux nécrologies de Restout, la première rédigée par Jean-Baptiste Claude Robin en 1797 et la seconde par Jean-Baptiste Regnault. Leurs propos marqueront fortement la fortune critique de l’artiste, inventoriée dans la section suivante. À celle-ci succède la reproduction de la correspondance retrouvée dans les archives, classée selon un ordre thématique, puis chronologique. Les écrits politiques et les discours inédits de Restout font l’objet d’une partie en soi. On y retrouve les textes signés individuellement et collectivement produits entre 1789 et 1793. Les documents relatifs à l’affaire du Garde-Meuble se trouvent également présentés dans leur ensemble. Ce chapitre se clôt avec les différents actes relatifs au décès de l’artiste, comme son testament, les procès-verbaux relatant son attaque et les inventaires. Une note est dédiée au peintre homonyme Pierre Restout.

 

         Il n’est pas aisé d’entreprendre une enquête sur un artiste oublié, ni de valoriser un œuvre peu considéré. Il semble toutefois que le travail de Restout méritait peut-être un examen critique plus approfondi. On peut regretter que l’essai de Mme Willk-Brocard ne remette finalement pas en cause les clichés qu’elle annonce vouloir attaquer et qu’elle ne revienne pas plus en détail sur les formules a priori contradictoires de « peintre du roi » et de « révolutionnaire », présentées dans le titre et qui dominent les deux parties du texte. Nous avons déjà souligné les manquements liés à l’attribution des œuvres, qui laissent subsister des zones d’ombre au détriment d’un catalogue parfaitement cohérent et fiable. Il aurait mieux fallu épurer la section des œuvres autographes et enrichir celles des œuvres attribuées et rejetées afin de respecter une certaine prudence dans le travail d’authentification. Toutefois, ce premier travail d’inventaire de l’œuvre de Restout s’avérait indispensable puisqu’il constitue le fondement de toute recherche monographique. Par ailleurs, les années de prospection débouchant sur ce travail de synthèse laissent deviner une recherche remarquable, fondée sur des sources archivistiques parfois inédites, qui a permis à l’auteur de mener son étude à son terme. Par la singularité de son sujet et la précision des recherches, cette publication donne un aperçu du travail qu’il reste à faire dans le champ des études consacrées aux personnalités artistiques méconnues du grand public, mais non moins intéressantes, de la fin du xviiie siècle.

 


N.B. : Noémi Duperron prépare actuellement une thèse de doctorat sur la dénonciation de la tyrannie dans les arts produits en France et en Angleterre à la fin du XVIIIe siècle, sous la direction du prof. Jan Blanc (Université de Genève) et du prof. Christian Michel (Université de Lausanne).