Hoss, Stefanie (ed.): Latrinae: Roman Toilets in the Northwestern Provinces of the Roman Empire, (Archaeopress Roman Archaeology, 31), ii-152 p., 56 col. pl., ISBN : 9781784917258, 30 £
(Archaeopress, Oxford 2017)
 
Compte rendu par André Buisson, Université Lyon 3
 
Nombre de mots : 1469 mots
Publié en ligne le 2020-12-30
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3372
Lien pour commander ce livre
 
 

          L’ouvrage rassemble les actes d’un colloque qui s’est tenu les 1er et 2 mai 2009 à la Radbout University de Nimègue, à la suite de celui organisé à Rome par G. Jansen en 2007 (consacré aux régions méditerranéennes, publié en 2011), dont la publication a malheureusement beaucoup tardé.

 

         Le livre aborde successivement trois thématiques principales : d’une part, l’étude des latrines des provinces du Nord-Ouest de l’Empire romain, fondée sur l’examen particulier de quelques sites en cours de fouilles (ou de reprise de fouilles), privilégiant la topographie des lieux, l’accès et la connexion avec d’autres monuments, comme les thermes ou les rues, ou encore les systèmes d’évacuation des matières ; d’autre part, l’analyse des contenus des égouts, évacuations, fosses septiques, et la stratigraphie du remplissage de ces excavations ; enfin, les « pots de chambre » dans l’usage commun et, pour terminer, une analyse linguistique. 

 

         Avec humour, dans son introduction, S. Hoss définit deux types de constructions : celles qui ont des fonctions multiples, et celles construites pour un emploi particulier… Les "toilettes" font partie de ce dernier groupe. G. Jansen, dans sa conférence introductive, rappelle tout d’abord son expérience de fouilles à Pompéi, où chaque maison, même en étage, semble avoir possédé des toilettes, raccordées aux égouts qui se sont révélés porteurs des bactéries fécales éliminées et conduites jusqu'aux champs pour engraisser les cultures. Elle fournit ainsi le fil directeur du colloque.

 

         Le propos du colloque – et du livre – étant centré sur les provinces du Nord-Ouest de l’Empire romain, plusieurs participations ont trait à des sites du limes ou des agglomérations civiles proches de ces installations : le camp de Bearsden, sur le mur d’Antonin (Écosse), Xanten (Allemagne), Aachen (Allemagne), le vicus de Bonn (Allemagne), Rottenburg am Neckar (Allemagne), Nimègue (Pays-Bas), Arlon (Belgique), Cologne (Allemagne), Oberwintherthur (Suisse), Carnuntum (Autriche). Une étude recense les latrines connectées à des thermes en Germanie inférieure (quatre cas étudiés pour des thermes publics et sept cas pour des thermes de villae rusticae).

 

         L’installation elle-même est maintenant relativement bien connue et aisément reconnaissable en fouille. Dans l’architecture militaire, le long du limes, les latrines sont « standardisées », même dans les zones les plus éloignées de Rome comme le mur d’Antonin, structure dont la longévité fut parmi les plus courtes et qui est parmi les moins bien conservées aujourd’hui. Dans les zones les plus pérennes, elle prend une allure monumentale, quelquefois largement décorée de colonnes et de peintures. Ainsi, les « toilettes publiques » de Rottenburg-am-Neckar, accessibles depuis la rue, présentent-elles des décors de colonnes et de peintures murales (cf. latrines des thermes des lutteurs de Saint-Romain-en-Gal, Rhône, France, par exemple) (fig. 7-9, p. 52).

 

         La structure est beaucoup plus difficile à entrevoir lorsqu’elle entre dans la série popularisée sous la locution de « cabanes au fond du jardin » (outhouse in the garden). Dans ces contextes, le travail consiste non seulement à distinguer les ensembles de fosses, mais également à en proposer une restitution plausible. Plusieurs d’entre elles ont été identifiées à Bonn (fig. 2-3 p. 37), Nimègue (fig. 6 p. 84, voir plus loin), Arlon (fig. 2-4 p. 92), Carnuntum (fig. 5 p. 121). À Arlon, notamment, le bois de l’une de ces constructions – un plancher en chêne ainsi que les poteaux de la superstructure – a pu être conservé (fig. 3 p. 92). C’est encore le cas à Vitudurum, où de nombreuses structures de bois identifiées comme des « fosses septiques avec siège » (fig. 10-11 p. 111) ont été mises au jour. Dans le cas de Nimègue, l’étude (qui fournit d’ingénieuses restitutions de ces édifices construits le plus souvent en matériaux périssables, cf. fig. 6 p. 84 et 8 p. 85) porte sur une parcelle de plus de 6000 m2 densément occupée et « viabilisée » où a été mis au jour un grand nombre de drains, égouts, puits et fosses d’aisance (fig. 1-3 p. 78-80) à la stratigraphie très différenciée (fig. 9b p. 87). 

 

         L’évacuation des matières fécales, à l’instar de tous les déchets, est une préoccupation importante de toute société évoluée. Simples ou sophistiquées, les latrines publiques ou privées font l’objet d’une recherche en matière d’hygiène et dans le souci d’éviter la pollution, notamment de l’eau potable. Un étonnant mécanisme de « chasse d’eau » semble avoir été mis en évidence à Xanten (fig. 5 p. 26) ; au vu de cette reconstitution, ne faudrait-il pas revoir avec attention les autres latrines publiques du monde romain ? 

 

         Le stockage « ultime » des matières, ainsi que des matériaux de remplissage des égouts, permet des découvertes surprenantes (outre les nombreux fragments de céramique, l’une des fosses de Vitudurum contenait une paire de « formes de cordonnier » [modèle de pied] en bois). Dans la fosse fouillée à Carnuntum, 240 petites feuilles de plomb inscrites ont été identifiées comme des « étiquettes » de prix de marchandises (fig. 8 p. 125), tandis que celle fouillée à Cologne contenait un lot de blocs de pigments rouges provenant sans doute d’un atelier voisin (fig. 5 p. 100).

 

         Les exemples pris dans ce livre nous montrent l’intérêt de ne pas « tout fouiller » pour que les archéologues des générations suivantes, avec leurs méthodologies plus avancées, puissent encore apprendre des découvertes anciennes. L’analyse physico-chimique des latrines fournit ainsi un apport appréciable à la paléo-microbiologie, avec l’identification de parasites comme Ascaris ou Tricuris à Arlon (fig. 5 p. 93), Ascaris, Tricuris et Ténia à Carnuntum. Elle permet également de mettre en évidence les régimes alimentaires des utilisateurs de ces édifices : les légionnaires du mur d’Antonin mangeaient plus de légumes et de céréales que de viande, dont plusieurs importés du Sud de l’Angleterre, voire du continent (p. 22) ; les habitants d’Arlon mangeaient de la bouillie (puls) plutôt que du pain (p. 93).

 

         Les pots de chambre sont étudiés par deux communications : B. Petznek, qui recense ce type de matériel archéologique dans le monde romain, après avoir mentionné ceux en porphyre de l’empereur Héliogabale, en détaille la typologie ainsi que la dénomination (matella, trulla, lasanum). Elle déduit de la carte de répartition que, dans l’ancienne mouvance celtique, on préférait s’asseoir, alors que dans le monde ligure et la périphérie marseillaise, on s’accroupissait ; B. Biener s’intéresse à un vase de nuit de Speicher, de forme conique, qui correspond à la description antique du lasanum, que l’on peut comparer avec les pots de chambre portables du XIXe siècle (fig. 5).

 

         Enfin, l’étude des papyri donne à K. Juntunen matière à examiner l’emploi du terme stercus, entre déchets (en général) et excréments, voire excréments humains en particulier.

 

         La zone géographique est vaste, les terrains d’étude sont variés (domaine militaire ou civil, constructions publiques ou privées). De ce fait, les espaces étudiés et fouillés sont éclectiques (thermes publics, arrière-cour de maisons privées). Les mécanismes de construction ou d’évacuation font l’objet d'études et de croquis suggestifs, comme l’ingénieux système de « chasse d'eau » de Xanten (p. 26), ou bien la « cabane au fond du jardin » de Nimègue (p. 84) ou encore de Vitudurum (p. 111). Le dessin de la couverture est « suggestif », le contenu de l’ouvrage, dans sa variété, l’est tout autant.

 

Cf aussi :

- BOUET A. (éd.), Les latrines dans les provinces gauloises, germaniques et alpines, Paris, CNRS éd., 2009, 488 p., 59e Supplément à Gallia, ISSN 0072-0119 ; CR dans Histara : http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=770&lang=fr&quest=bouet

-  HOBSON B., Latrinae et foricae: Toilets in the Roman World, Bristol Classical Press, 2009.

- JANSEN G.M.C., KOLOSKI-OSTROW A.O., MOORMANN E.M. (eds), Roman Toilets: their Archaeology and Cultural History, Leuven, BABesch, 2011, suppl. 19.

 

 

Sommaire 

 

Table of Contents (pp. i-ii) 

Introduction (pp. 1-4) Stefanie Hoss 

Sewers or cesspits? Modern assumptions and Roman preferences (pp. 5-18) Gemma Jansen 

The latrine at the Roman fort on the Antonine Wall at Bearsden (pp. 19-22) David J Breeze 

Flushed with success – a Roman flushing installation in the latrines of the Great Bathhouse of the Colonia Ulpia Traiana near Xanten (D) (pp. 23-28) Norbert Zieling 

The latrines of Roman Aachen (pp. 29-34) Andreas Schaub 

An outhouse in the garden? – Looking at a backyard in the vicus of Bonn  (pp. 35-42) Jeanne-Nora Andrikopoulou-Strack, Manuel Fiedler and Constanze Höpken 

A bath with public toilets in the vicus of Bonn  (pp. 43-46) Gary White 

The Roman public toilet of Rottenburg am Neckar (pp. 47-54) Stefanie Hoss 

Latrines connected to bathhouses in Germania inferior - an overview (pp. 55-76) Michael Dodt 

Roman toilets in Nijmegen, Oppidum Batavorum and Ulpia Noviomagus, the Netherlands (pp. 77-88) Elly N.A. Heirbaut 

Arlon, apport des découvertes récentes dans le vicus à l’examen des latrines gallo-romaines (pp. 89-94) Denis Henrotay 

A Roman latrine near St.Kolumba in Cologne and its remarkable contents (pp. 95-102) Michael Dodt 

Latrine pits in the Roman vicus of Vitudurum / Oberwintherthur (Switzerland) (pp. 103-118) Verena Jauch 

A Roman cesspit from the mid-2nd century with lead price tags in the civil town of Carnuntum (Schloss Petronell/Austria) (pp. 119-126) Beatrix Petznek 

Roman chamber pots  (pp. 127-136) Beatrix Petznek 

A Roman ‘Toilet bowl’ from Speicher (Eifelkreis Bitburg-Prüm, Rhineland-Palatinate, Germany) (pp. 137-142) Bernd Bienert 

The meaning of stercus in Roman military papyri - dung or human faeces? Or: who is supposed to clean this shit up? (pp. 143-153) Kai Juntunen