Cron, Eric (dir.): La vallée de la Vézère en Périgord. La fabrique d’un paysage, (Collection Images du patrimoine), 192 p., 24,3 x 29,7 cm, ISBN : 978-2-36062-184-2, 25 €
(Le Festin, Bordeaux 2017)
 
Rezension von Julien Noblet, Service archéologique de la ville d’Orléans
 
Anzahl Wörter : 1119 Wörter
Online publiziert am 2018-12-19
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3411
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          Nouvel opus de la collection Images du Patrimoine consacré à la célèbre vallée de la Vézère, mondialement connue pour ses sites préhistoriques, le livre s’attache, comme l’indique le sous-titre, à mettre en évidence l’importance de l’activité humaine dans la création des paysages qui définissent ce territoire au cœur du Périgord Noir.

 

         L’ouvrage débute par une riche introduction d’une quarantaine de pages, qui permet aux auteurs de retracer l’histoire de la vallée, depuis l’apparition de l’Homo Erectus, vers – 400 000 ans, jusqu’à l’arrivée récente du tourisme de masse. Cette riche chronologie est ensuite reprise en quatre grands chapitres, intitulés Une vallée singulière, Paysages habités, Paysages exploités et enfin Paysages inventés. Chacune de ces rubriques s’articule autour d’une belle iconographie : de 1 à 4 photographies légendées occupent chaque page et sont accompagnées d’un court texte, guidant le lecteur autour de thèmes précis, allant du troglodytisme à la disparition de la viticulture ou de l’essor nobiliaire à l’aventure tabacole. Quelques encadrés, développés sur une double page, manifestent la volonté des auteurs de mettre en avant le château de Commarques, les caprices de la Vézère ou encore la question de la navigation sur ce cours d’eau.

 

         L’introduction, concise mais précise, permet aux auteurs, qui croisent inventaire sur le terrain et recherches en archives, d’informer le lecteur sur les vicissitudes que connut cette région. Naturellement c’est par la Préhistoire, accompagnée d’un aperçu géologique, que l’ouvrage débute. Un tel choix, dicté par le fait que la vallée abrite le plus grand nombre de sites d’habitats et d’abris sous roche au monde, autorise la mise en place d’un fil conducteur tout au long du discours, car la vallée de la Vézère va à partir du XVIe siècle attirer des érudits d’abord, puis avec les découvertes exceptionnelles qui s’enchaînent à partir des années 1860, des touristes de plus en plus nombreux. Cet afflux constant aboutit à une cristallisation de l’identité de cet espace, pourtant très riche pour les autres périodes, comme l’illustrent les nombreux sites présentés au fil des pages.

 

         Si les données archéologiques ne sont pas pléthore pour la Protohistoire et l’Antiquité, il ressort néanmoins qu’un maillage territorial serré se met en place à partir de la deuxième moitié du Ier siècle ap. J.-C., entraînant un recul du couvert forestier. Ces sites antiques servent ensuite de points d’ancrage aux premiers pôles de christianisation et au milieu du VIIIe siècle, la zone peut se prévaloir d’un dense canevas ecclésial, auquel se superpose, dans la seconde moitié du IXe siècle, un réseau féodal fortement structuré découlant de la création du comté de Périgord. Les guerres franco-anglaises vont avoir de lourdes conséquences sur le territoire, souvent disputé entre les deux royaumes : l’importance de la reconstruction urbaine et castrale à partir de la fin du XVe siècle en témoigne ! Cette période voit d’ailleurs l’éclosion du nouveau répertoire « à l’antique », avec un certain décalage par rapport à d’autres régions : tandis qu’à Périgueux ou en Quercy les auteurs soulignent l’apparition de motifs italianisants dès 1510, leur utilisation dans la vallée de la Vézère, au château de Chaban à Saint-Léon-sur-Vézère ou à celui de Cheylard aux Farges n’est pas antérieure aux années 1530 ; cet élan architectural sera moins contrarié par les guerres de Religion. La mise en valeur du terroir et son impact sur les paysages sont ensuite longuement évoqués. Progressivement, la forêt recule à nouveau, devant l’extension des plantations de vignes, activité qui est ensuite abandonnée avec l’arrivée dans les années 1870 du phylloxéra dans le département. D’autres cultures sont alors étendues, comme le maïs, la pomme de terre, la luzerne et le trèfle en parallèle avec le développement de l’élevage bovin, mais aussi le tabac, dont le pic de production est atteint dans les années 1950-1970. Quant aux activités industrielles liées aux moulins et aux forges, elles s’intensifient dès la fin du Moyen Âge. La production de fer, attestée dès le XVIe siècle, connaît aux XVIIe-XVIIIe siècle un impressionnant accroissement : la création de l’arsenal de Rochefort par Colbert nécessite la mise en place de hauts fourneaux pour la création de pièces d’artillerie et de munitions, tandis que l’essor du port de Bordeaux assure de nouveaux débouchés vers les Antilles, avec notamment l’exportation de chaudières à sucre destinées aux colonies. Le point noir réside dans les difficultés d’approvisionnement, notamment en charbon de bois, liées à la mauvaise qualité du réseau de communication : les intendants de Guyenne, à partir du milieu du XVIIIe siècle, vont s’employer à améliorer la situation afin d’intégrer la vallée aux dynamiques commerciales. Toutefois, à l’exception des axes principaux, le réseau secondaire, pendant longtemps reste difficilement carrossable et les projets de navigabilité de la Vézère n’aboutirent jamais, en raison de la concurrence du chemin de fer. Le XIXe siècle voit ensuite le déclin de l’industrie métallurgique, qui entraîne un massif exode rural amplifié par la fin de l’activité viticole. Le déclin économique de la vallée est endigué grâce aux découvertes préhistoriques. Dès les années 1920, les Eyzies deviennent la « capitale de la Préhistoire » et cet axe de développement se poursuit jusqu’à aujourd’hui, comme l’atteste la création en 2016 du Centre international de l’art pariétal.

 

         Cette volonté politique manifeste de centrer l’offre touristique sur ce seul patrimoine préhistorique occulte malheureusement la richesse et la diversité de la vallée de la Vézère. Le mérite de ce livre est donc de présenter au grand public toute l’épaisseur historique de ce territoire. Grâce à de magnifiques illustrations, alternant vues aériennes, détails architecturaux, panoramas paysagers, le lecteur est à même de percevoir l’ensemble des composantes patrimoniales de la vallée de la Vézère. Certes le choix éditorial, accordant une large place à l’image, ne permet pas de longs développements techniques. La question des charpentes par exemple, dont de nombreuses structures ont été datées par dendrochronologie, aurait mérité au moins un encadré. Mais l’un des buts de l’ouvrage n’est-il pas aussi d’inciter le lecteur à aller ensuite lui-même découvrir tant de richesses ?

 

 

Sommaire

 

Introduction
 
Une vallée singulière

La Vézère – p. 46

Un « océan » de forêt – p. 52

Les ressources du bâti – p. 56
 
Paysages habités

Le troglodytisme – p. 64

Un premier pôle, l’église – p. 74

L’essor nobiliaire – p. 82

Les foyers urbains – p. 98

Hameaux, villages et petites « villes » – p. 106

Le réseau routier – p. 112
 
Paysages exploités

La Vézère aménagée – p. 118

Des vallons fertiles – p. 124

Une viticulture disparue – p. 134

L’aventure tabacole – p. 148

Le développement industriel – p. 154
 
Paysages inventés

Points de vue – p. 172

Le passé réinventé... – p. 176

... pour le tourisme – p. 182
 
Annexes
 
Index des noms de lieux – p. 190
 
Index des noms de personnes – p. 191
 
Orientations bibliographiques – p. 192
 
Crédits photographiques – p. 192

 

Textes : Xavier Pagazani, Vincent Marabout, Line Becker

Photographies : Adrienne Barroche