Brassous, Laurent - Lemaître, Séverine (dir.): La ville antique de Baelo, cent ans après Pierre Paris. Mélanges de la Casa de Velázquez 47-1. 380 p., 17 x 24 cms, ISBN 9788490960837, 32 €
(Casa de Velázquez, Madrid 2017)
 
Compte rendu par Françoise Plateaux / des Boscs, Université de Pau et des Pays de l’Adour
 
Nombre de mots : 4265 mots
Publié en ligne le 2018-05-30
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3413
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          Ce dossier d’un peu plus de deux cents pages, dans lequel se sont impliqués de nombreux chercheurs français et espagnols et de nombreuses universités et institutions de recherche, fait le point sur les avancées de l’exploration archéologique du site de Baelo Claudia, cité romaine implantée sur le détroit de Gibraltar.

 

         Les pages 7-40 constituent une vaste introduction au thème. Après une présentation du projet initié par Pierre Paris en 1917, L. Callegarin (p. 13-17) brosse un utile tableau de l’historique des fouilles qui met l’accent sur les grands axes de la recherche contemporaine : l’économie maritime et les activités halieutiques, la transformation de l’espace public, la mort et les rituels funéraires, l’établissement préromain de la Silla del Papa. Ce tableau est suivi d’un non moins utile répertoire bibliographique par thème et par ordre chronologique (p. 19-40) qui permettra à tout chercheur s’intéressant à cette cité de disposer d’une bibliographie presque exhaustive englobant pratiquement tous les aspects d’une telle étude : études physiques et paléo-environnementales, urbanisme et architecture, matériaux, techniques de construction et décors, économie et artisanat, monde funéraire, artefacts et écofacts, historiographie, paysage culturels et gestion patrimoniale.

 

         Vient ensuite le dossier à proprement parler, coordonné par L. Brassous et S. Lemaître qui insistent sur le fait, que malgré les aléas politiques du XXe siècle qui entraînèrent une longue interruption des fouilles, Baelo Claudia est aujourd’hui l’une des agglomérations antiques les mieux connues, non seulement de la péninsule Ibérique, mais de l’Occident romain et « un modèle exemplaire pour la communauté des historiens et des archéologues » (p. 43). Les principales phases de l’occupation du site sont aujourd’hui bien connues : existence d’un oppidum préromain sur les hauteurs de La Silla del Papa, occupation de la baie à partir du IIe s. av. J.-C. consacrée essentiellement aux activités halieutiques, premier urbanisme augustéen, nouvelle parure monumentale à partir de Claude et de l’octroi du statut de municipe, puis dégradation de la parure urbaine dans le courant du IIIe siècle et transformation de l’agglomération qui se maintient toutefois jusqu’à la fin du VIe siècle. Cependant, plusieurs points polarisent aujourd’hui les questionnements qui s’articulent autour des moments d’inflexions et de rupture dans l’histoire de la ville. La recherche des causes et des facteurs politiques, économiques ou naturels à l’origine de ces changements constitue également un élément fort des problématiques actuelles de recherches qui peuvent bénéficier aujourd’hui d’importants progrès méthodologiques et matériels.

 

         Ainsi, la première contribution présente les derniers résultats des recherches menées sur le site de la Silla del Papa (p. 49-71). Cet oppidum, occupé du Xe ou IXe s. a. C. jusqu’à la fin de la République, constitue la première Baelo et les fouilles réalisées ces dernières années ont révélé l’importance de la Silla del Papa comme centre proto-urbain et urbain dans la phase préromaine de l’histoire du détroit de Gibraltar. Les campagnes de fouilles ont porté principalement sur deux nécropoles situées au nord-ouest et au sud-ouest du noyau urbain ainsi que sur l’habitat de la partie centrale de cet oppidum, dont l’organisation spatiale est conditionnée par l’existence de deux crêtes rocheuses. Orientées N/S, celles-ci délimitent un corridor de 420 m. de long et forment une sorte de fortification naturelle dans laquelle s’est concentré l’habitat préaugustéen. Les maisons fouillées prenaient appui sur la paroi rocheuse et l’espace intérieur était divisé en deux par un mur de cloison et plusieurs éléments laissent penser qu’il y avait un escalier de bois permettant d’accéder à l’étage supérieur. Du côté de la rue, on a mis à jour un vestibule et devant le mur de façade, un trottoir. La disposition observée met en évidence l’insertion de cette habitation dans une trame urbaine bien structurée, avec une série de maisons alignées entre la roche et la rue centrale et adossées les unes aux autres. La maison B3, située en face de la précédente de l’autre côté de la rue a livré un matériel s’étalant du Bronze final à la fin de la République. À la fin de la République, elle présentait un plan rectangulaire assez semblable à celui de la précédente. Le matériel associé permet de confirmer que l’abandon de la Silla del Papa a eu lieu au tout début du règne d’Auguste et coïncide avec la fondation de la nouvelle cité, au bord de la mer, près des fabriques de salaisons qui existaient depuis le dernier tiers du IIe s. a. C. Les fouilles de la nécropole nord-ouest ont mis en évidence le caractère regroupé des tombes qui sont très simples et ne présentent pas de caractères très différenciés, autour des structures tumulaires ou en forme de tours qui ne sont pas des tombes, mais plutôt des jalons de mémoire. Il s’agit de mettre l’accent avant tout sur le groupe familial ou lignager plutôt que sur l’individu.

 

         De même se détache la simplicité des rites, avec l’absence quasi systématique d’offrandes. On remarque cependant des indices évidents de hiérarchisation des tombes, soit par leur disposition en terrasse de hauteur décroissante, soit par l’association de petits ensembles de trois ou quatre tombes de tailles et diamètres différents. Cette localisation hiérarchisée pourrait être le reflet post mortem d’unités gentilices ou familiales qui constitueraient alors le système de regroupement habituel des habitant de l’oppidum. Les auteurs concluent sur l’idée que l’architecture funéraire de la Silla del Papa trouve de plus nombreux échos dans les milieux maurétaniens, numides et puniques du nord de l’Afrique que dans ceux de la péninsule Ibérique.

 

         Ce poids des influences puniques paraît avoir été aussi assez important dans la première phase de la nécropole de Baelo, étudiée par F. Prados ( p. 73-96). Courant de la fin de la République jusqu’à l’époque claudienne, cette phase se caractérise par la pratique de la crémation et la survivance de manifestations religieuses bastulo-puniques dont témoignent les muñecos, ces bustes de pierre au visage à peine dégrossi qui paraissent regarder la mer .Les découvertes effectuées lors des fouilles permettent de reconstituer certains rites, comme un banquet pendant lequel on consommait du thon dans une vaisselle fine (sigillée gauloise) qui n’était pas incorporée dans le trousseau funéraire. Les éléments de cette phase initiale peuvent se relier à ce que l’on a trouvé dans la nécropole de la Silla del Papa, notamment du point de vue de la forme circulaire des tombes. Elle pourrait manifester le déplacement de la population qui a eu lieu à l’époque d’Auguste. Autour du milieu du Ier siècle, on observe une réorganisation de la nécropole autour d’une voie et d’un ensemble de petites rues (diverticula) autour des quelles s’implantèrent à partir de là les nouvelles tombes. Celles-ci présentent dès lors une typologie plus variée du fait de l’incorporation de modèles exogènes comme les cupae, les monuments en forme de tour ou les édicules sur podium. On note de la même manière l’introduction de l’épigraphie funéraire avec la formule D. M. S., pratiquement parallèle à la disparition progressive des muñecos. Cette nouvelle nécessité d’identifier nominalement les défunts permet en outre de saisir le caractère métissé  du nouveau municipe qui était constitué d’indigènes, d’Italiens, mais aussi d’Africains.

 

         Par la suite, la nécropole a continué à se développer jusqu’au début du Ve siècle. L’une de ses originalités réside dans le fait que, contrairement à ce que l’on peut rencontrer dans d’autres cités, comme Cordoue, la nécropole n’a jamais partagé l’espace avec d’autres installations suburbaines. C’est un espace exclusivement réservé aux morts dans lequel on voit s’ériger de grands mausolées à partir de la seconde moitié du Iersiècle. Les fouilles confirment aussi l’apparition du rituel de l’inhumation, mais pas avant le IIIe siècle.

 

         L. Borau fait ensuite le point sur l’équipement hydraulique de la cité (p. 97-120) dont elle a repris l’étude avec de nouvelles prospections pédestres et des sondages archéologiques. L’alimentation en eau de la cité était assurée par trois aqueducs : celui de Realillo au nord, celui de Molino de Sierra de la Plata à l’ouest, celui de Punta Paloma à l’est. L’auteur rappelle que le principal problème posé par la construction de ces ouvrages était le maintien d’une pente suffisante pour que l’eau se déplace par gravité de la source à la ville.  Elle observe qu’à Baelo, deux des trois conduits (Punta Paloma et Realillo) comportent un dispositif tout à fait original permettant d’affronter une pente trop abrupte : les puits de rupture de pente, qui constituent de véritables escaliers hydrauliques permettant de ralentir la vitesse du courant à l’intérieur du canal. Très peu d’aqueducs sont dotés de tels aménagements, ce qui fait de la cité un site singulier pour l’étude de l’ingénierie hydraulique romaine. Ces ouvrages se caractérisent en outre par le soin apporté aux structures en élévation (mur-bahut, pont-aqueduc, puits de rupture de pente) qui présentent toutes un appareil soigné réalisé à partir de petits moellons, par la morphologie des ponts-aqueducs maçonnés et réalisés à partir d’un coffrage et par leur relativement petit gabarit, sans doute à mettre en relation avec la quantité d’eau procurée par chacune des sources. Ce travail a conduit également à réviser l’interprétation de deux structures jusque là considérées comme des citernes, points d’aboutissement des aqueducs. La première, située à l’extrémité de l’aqueduc de Punta Paloma serait plutôt un bassin de régulation/décantation de type piscina limaria, tel que l’on en trouve aussi à Mérida, mais seule une fouille permettra de confirmer cette hypothèse ; la seconde, à l’extrémité de l’aqueduc de Realillo, serait de fait un véritable château d’eau, très proche de celui d’Ostie, mais de capacité inférieure. Un autre bassin découvert en 2016 dans le nord de la ville pourrait être aussi un bassin de régulation de l’aqueduc de Realillo. L’étude de l’ensemble des données conduit l’auteur à reconsidérer la date de construction des aqueducs. Ainsi celui de Realillo, avec son château d’eau implanté au sommet de la ville en position axiale et à l’intérieur des limites urbaines déjà fixées, serait soit concomitant du plan d’urbanisme augustéen, soit de l’époque de Tibère-Claude et inspiré de l’ouvrage de Cordoue, tandis que celui de Punta Paloma remonterait à la seconde moitié du Ier siècle.

 

         La contribution suivante (p. 121-132), fait le point sur le théâtre, toujours resté visible après son abandon, et donne les principaux résultats de nouveaux relevés et sondages entrepris à partir de 2004, dont rend compte un article de synthèse publié en 2016[1]. Il en ressort que l’on ne peut distinguer de phase augustéenne dans la construction de l’édifice. La première étape importante se situe à la fin du règne de Néron, ce que confirme l’analyse du matériel céramique. Après cette première étape, se dégage une seconde phase d’aménagement du théâtre au début de l’époque flavienne. Il semble qu’ensuite l’édifice ait conservé sa physionomie originale jusqu’à une date avancée du IIIe siècle, puis les sondages révèlent des contextes tardifs qui montrent une réutilisation de l’espace.

 

         La construction du théâtre s’inscrit dans l’important programme de rénovation qui modifia profondément la physionomie de la ville et de ses édifices publics dans la seconde moitié du Ier siècle[2] et tout laisse penser que le théâtre fut alors considéré comme une pièce majeure de la panoplie monumentale du municipe. Par ses dimensions, le théâtre de Baelo fait partie des petits édifices de la Bétique, ce qui n’empêche pas qu’il présente des singularités notable dans sa configuration révélées par les derniers travaux : un front de scène à cinq portes avec un mur rectiligne et colonnes sur podium et un sacellum aménagé dans l’axe du postscaenium qui reste sans parallèle.

 

         Les deux articles suivants ( p. 133-150 et p. 151-166) s’intéressent au suburbium maritime de la cité. La mer a en effet toujours été un élément essentiel de la vie quotidienne à Baelo et l’espace suburbain situé entre l’estran et la muraille était conçu comme un véritable quartier de la ville qui existait en sus de la zone portuaire proprement dite.  L’occupation de cet espace a débuté à l’époque républicaine tardive et était liée aux activités halieutiques. Entre l’époque julio-claudienne et la fin du Ier siècle, l’occupation est attestée notamment par la présence d’un abondant matériel céramique de caractère domestique à mettre en relation avec de possibles édifices antérieurs à un établissement thermal sur lequel se sont concentrées les dernières recherches et trois campagnes de fouilles entre 2011 et 2013.  Ces opérations ont permis de découvrir les vestiges des différentes pièces de ces thermes dits maritimes qui furent construits au début du IIe siècle et abandonnés entre les dernières années du IIIe et les premières décennies du IVe siècle. Sur les huit pièces reconnues et associées à l’usage thermal, la fonction de cinq d’entre elles a pu être identifiée : une grande citerne pour stocker l’eau nécessaire au fonctionnement de l’établissement, un réservoir de redistribution d’eau, puis à l’est une antichambre d’accès à une petite pièce contenant une baignoire (alveus) et une piscine (natatio) de dimensions notables (48 m2). Suivent encore trois salles pour lesquelles on ne peut encore proposer de fonction claire. La natatio était décorée de marbres provenant des principales carrières de l’Empire (Almadén, Carrare, marbre grec de Paros ou Skyros), mais l’élément le plus remarquable consiste en une grande statue de marbre qui se trouvait dans la niche surplombant la piscine. Réalisée en marbre de Paros, elle représente à l’échelle naturelle un athlète dénudé dont les caractéristiques ont permis de déterminer qu’il s’agissait d’une copie d’un original grec connu sous le nom de Doryphore de Polyècte.  Par ailleurs, dans le même contexte que les douze fragments de la statue, on a découvert une pointe de lance foliacée en fer que l’on a proposé d’identifier comme la pointe de la lance que devait tenir le Doryphore dans sa main gauche.  Ce serai alors la première fois qu’apparaîtrait associés les restes d’une sculpture du Doryphore avec ses ornements métalliques.

 

         D’autre part, on a pu aussi reconstituer partiellement un décor de mosaïque d’environ 1 m2 à motifs figurés marins qui se rapproche de la mosaïque aux poissons des thermes de la Cuesta del Rosario d’Hispalis.  Ce riche programme décoratif manifeste la somptuosité de ces thermes maritimes, plus grands que les thermes urbains, et la vitalité du municipe à cette époque, mais il faudrait poursuivre les fouilles afin de pouvoir définir le plan général de l’édifice et la façon dont s ‘établissait la relation entre cet espace suburbain et la ville.

 

         Ce qui est sûr c’est que cet espace suburbain était lié à l’ensemble de fabriques de salaisons de poissons dont l’activité a été à l’origine de la richesse de la cité.  Connues depuis longtemps ces fabriques ont elles aussi fait l’objet, depuis 2010, d’un nouveau programme d’étude mené conjointement par l’Université de Cadix et le Conjunto Arqueológico de Baelo Claudia qui, outre la découverte du quartier suburbain et des thermes précédemment décrits,  a permis l’identification de trois nouvelles fabriques et d’une domus associée aux activités industrielles.

 

         Deux de ces nouvelles fabriques, situées à l’extrémité est du quartier industriel, les Conjunto Industrial XI et XII sont présentées ici (p. 151-166). Ces deux fabriques avec une capacité respective de 125 et 106 m3 se situent un peu en retrait des plus grandes cetariae connues avec  l’usine I de Tróia (465 m3) ou celle de Douarnenez ( 300 m3) ou de Cotta (258 m3), mais elles sont beaucoup plus importantes que la majorité des établissements de péninsule Ibérique et que toutes ceux de Baelo.  Ces usines fabriquaient des sauces de poissons élaborées à partir majoritairement de sardines et d’anchois en moindre quantité. Mais l’analyse des restes ictiologiques a mis à jour des vertèbres de thon, ce qui laisse penser que ces usines pouvaient également produire aussi des salaisons de thon. Ces fabriques ont été abandonnées dans la première moitié du Ve siècle, ce qui confirme la continuité de l’activité des salaisons de Baelo dans l’Antiquité tardive. Par ailleurs, les résidus piscicoles trouvés dans l’usine XII permettent de dire que les cuves, grandes ou petites pouvaient être affectées aussi bien à la production de salaisons que de garum et qu’il n’y avait pas de zonification de la production établie, celle-ci s’effectuant en fonction des captures de la pêche.

 

         La contribution suivante (p. 167-199) rend compte des fouilles effectuées dans le secteur sud-est du centre monumental et de ce qu’elles nous révèlent sur l’histoire de la cité dans l’Antiquité tardive. En effet, si Pierre Sillières[3] avait pu proposer une première grille de lecture : ruine et abandon de la ville classique au IIIe siècle, apparition d’une nouvelle agglomération faisant table rase de l’ancienne vers le milieu du IVe et abandon définitif à la fin du VIe ou au début du VIIe siècle, se pose toujours la question fondamentale de la nature de cette agglomération. Peut-on encore parler de ville à cette époque ? Y-a-t-il encore une organisation communautaire présidant aux destinées de l’agglomération ?

 

         Les découvertes faites sur le secteur fouillé attestent son occupation jusqu’au VIe siècle, moyennant des transformations importantes. Ce secteur était occupé sous le Haut-Empire par un édifice monumental à atrium, dont la fonction reste à déterminer et qui prit en partie la suite d’une grande domus antérieure.

 

         Pendant l’Antiquité tardive, la partie de la grande domus qui avait été échappé à la destruction lors de la construction de l’édifice public est compartimenté et l’espace intérieur redistribué en deux lots progressivement abandonnées entre la fin du IIIe et la fin du IVe siècle. Le portique de l’édifice monumental paraît quant à lui « privatisé » entre la fin du IIIe et la première moitié du IVème siècle. Ces transformations se retrouvent souvent dans les villes d’Hispanie à cette époque, mais ne paraissent pas ici être liées à l’abandon de l’édifice public qui paraît avoir eu lieu un peu plus tard (fin IVe- début Ve s.)

 

         Le Ve siècle marque d’ailleurs une rupture importante dans le secteur. De nouveaux édifices apparaissent dont les murs sont faits de matériaux de remploi et qui semblent avoir été des constructions domestiques liées à des activités économiques diversifiées (pêche, élevage, boucherie, petite métallurgie) ainsi que le confirme le matériel mis à jour dans ces niveaux. Le bâti se concentre alors sur un espace réduit au centre du secteur.  La grande quantité d’objets découverts (céramiques de table, amphores, verre) montre le dynamisme des échanges économiques, mais la disparition de l’urbanisme public et monumental au profit d’habitats changeants ne plaide pas en faveur de la continuité d’une organisation civique ni de la permanence d’une véritable trame urbaine.  Ces quelques éléments, ainsi qu’un peuplement qui ne présente pas de signes nets de différenciations sociales inviteraient plutôt à voir en la Baelo des Vème et VIème siècles un gros village ouvert sur le détroit qu’une ville au sens classique du terme.

 

         Parallèlement, la mise à jour d’une réoccupation du site de la Silla del Papa pose la question du possible incastellamento qui suivit l’abandon de la Baelo Claudia littorale au VIe et VIIe siècles et ouvre la possibilité qu’une partie de la population soit retournée dans le noyau originel de la Bailo punique (p. 201-214). Cet habitat du Haut Moyen Âge est situé sur les ruines de l’oppidum d’époque républicaine. On ne connaît pas encore bien son étendue, ni son schéma d’organisation, mais on a découvert au-delà des limites de l’oppidum, au pied de l’acropole préromaine les restes d’une église wisigothique qui succéda sur ce même site à la seconde nécropole tardo-punique. Trois campagnes de fouilles (2014, 2015 et 2016) ont permis de dégager le plan de l’édifice.  Orientée d’est en ouest, l’église présente une nef rectangulaire (6,50 x 10 m environ) et une abside quadrangulaire oblongue (3,50 x 4,90 m) située de manière légèrement déplacée par rapport à l’axe. Au sud, la nef s’ouvre sur une annexe qui donne accès à une abside secondaire orientée canoniquement vers l’est. Au nord, deux espaces sont accessibles depuis la nef : une petite salle à l’est et un espace ouvert à l’ouest qui correspond peut-être à une galerie. Les murs ne présentent pas de trace de ciment. Tous les sols sont en terre battue sauf dans l’abside. Cette dernière a été fouillée dans sa totalité. Les murs se différencient du reste du bâtiment par leur épaisseur (0, 85 à 0, 96 m ; 0, 68 à 0, 75 m dans la nef) et par l’usage d’un double appareil avec des pierres de taille plus grandes que dans le reste de l’édifice qui proviennent pour beaucoup de monuments funéraires tardo-puniques détruits. De plus, l’abside présente un pavement de lauses irrégulières conservé sur les trois quarts de sa superficie. En son centre a été trouvé un pilier monolithique cylindrique de 1, 20 m de haut et 0, 48 m de diamètre qui correspond au support de la table de l’autel avec le loculus pour les reliques sur la partie supérieure. Ces découvertes ouvrent d’intéressantes perspectives pour l’étude de l’architecture religieuse et de la liturgie d’époque wisigotique et mozarabe. Les murs de la nef sont en appareil simple. À l’intérieur se trouvaient quelques sépultures. Dans l’abside secondaire, on a retrouvé aussi un pilier d’autel, ce qui pourrait laisser penser que ces espaces annexes étaient liées à l’activité baptismale. Les éléments de datation actuels permettent de situer l’édifice entre 570 et une fourchette comprise entre 720 et 895 ce qui correspond à la chronologie de la vaisselle trouvée dans cette couche. On peut sans doute associer la fondation de cette église à l’activité évergétique de l’évêque Pymenius d’Asido (Médina Sidonia) au milieu du VIIe siècle et documentée par trois inscriptions sur des autels dans la région. Cette église, par ses dimensions et sa morphologie présente aussi des analogies avec d’autres exemples de la Bétique, notamment celui assez proche d’Alcalá de los Gazules, ou du sud de la Lusitanie.

 

         Pour conclure, on ne peut que partager l’enthousiasme des conclusions de Pierre Sillières (p. 215-230) à la lecture de ce dossier. Si les fouilles du XXe siècle ont permis de mettre au jour et d’étudier les principaux monuments de la ville du Haut-Empire en faisant l’un des meilleurs exemples de ville romaine d’Hispanie, les nouvelles perspectives ouvertes dans ce dossier permettent d’avoir une vision élargie du site tant d’un point de vue spatial que chronologique. Ainsi les fouilles de la Silla del Papa confirment l’existence d’une première Baelo en tant qu’oppidum bastule punicisé mais posent aussi la question du perchement des derniers Baeloniens à l’époque byzantine autour de leur petite église, tandis que les travaux sur les thermes maritimes invitent à s’interroger sur l’existence d’un petit suburbium à proximité. De même les travaux sur les dernières conserveries abandonnées au Ve siècle et les habitats du VIe élargissent notre connaissance de la ville à l’époque tardive. Ces résultats montrent l’excellence des dernières investigations, dont on ne peut que souhaiter la poursuite.

 


[1] Fincker, M., Moretti,  J.-C., Fellague, D., Le Meaux, H., Rodríguez Gutiérrez O., «  Recherches récentes au théâtre de Baelo Claudia », dans Actas de las II Jornadas Internacionales de Baelo Claudia : Nuevas investigaciones (14-15 Abril de 2010, Cadíz), Séville, Junta de Andalucía, 2016, pp. 237-257.

[2] Elle est en effet parallèle à la construction des  trois temples du Capitole (entre 50 et 65), du sanctuaire d’Isis (vers 60-70) et du macellum daté de la fin du Ier siècle.

[3] Pierre Sillières, Baelo Claudia, une cité romaine de Bétique, Madrid, Collection de la Casa de Velázquez 51, 1995.

 


Sommaire

 

MICHEL BERTRAND

Avant-propos, 7-10

 

REMEDIOS PALMA ZAMBRANA

Prólogo, 11-12

 

LAURENT CALLEGARIN

Historique des fouilles scientifiques à Baelo (1917-2017), 13-18

Répertoire bibliographique, par thème et par ordre chronologique, 19-40

 

DOSSIER Laville antique de Baelo, cent ans après Pierre Paris

 

LAURENT BRASSOUS, SÉVERINE LEMAÎTRE

Présentation, 43-47

 

PIERRE MORET, FERNANDO PRADOS MARTÍNEZ, JEAN-MARC FABRE, ELENA FERNÁNDEZ RODRÍGUEZ, FRANCISCO JOSÉ GARCÍA FERNÁNDEZ, FLORIAN GONZÁLEZ, HELENA JIMÉNEZ VIALÁS

La Silla del Papa: hábitat y necrópolis, 49-71

 

FERNANDO PRADOS MARTÍNEZ

La semántica de los símbolos. Prácticas funerarias en la necrópolis de Baelo Claudia, 73-96

 

LÆTITIA BORAU

L’eau dans la fabrique de la ville. État de la recherche à Baelo Claudia, 97-120

 

MACARENA BUSTAMANTE ÁLVAREZ, DJAMILA FELLAGUE, MYRIAM FINCKER, HÉLÈNE LE MEAUX, JEAN-CHARLES MORETTI, VÉRONIQUE PICARD, OLIVA RODRÍGUEZ GUTIÉRREZ

Le théâtre de Baelo Claudia. Vers une restitution, 121-131

 

DARÍO BERNAL CASASOLA, JOSÉ JUAN DÍAZ RODRÍGUEZ, JOSÉ ANGEL EXPÓSITO ALVAREZ

Les thermes maritimes de Baelo Claudia et le suburbium occidental, 133-150

 

DARÍO BERNAL CASASOLA, JOSÉ ANGEL EXPÓSITO ALVAREZ, JOSÉ JUAN DÍAZ RODRÍGUEZ, RICARD MARLASCA MARTÍN

Investigaciones interdisciplinares en los saladeros orientales de Baelo Claudia. Singulares hallazgos en los Conjuntos Industriales XI y XII (campaña de 2015), 151-166

 

LAURENT BRASSOUS, XAVIER DERU, OLIVA RODRÍGUEZ GUTIÉRREZ, ALICE DANANAI, SIMON DIENST, JEAN-MARC DOYEN, GUILLAUME FLORENT, MANUEL GOMES, SÉVERINE LEMAÎTRE, CHRISTINE LOUVION

Baelo Claudia dans l’Antiquité tardive. L’occupation du secteur sud-est du forum entre les IIIe et VIe siècles, 167-200

 

SONIA GUTIÉRREZ LLORET, BASTIEN LEFEBVRE, PIERRE MORET

La iglesia altomedieval de la Silla del Papa (Tarifa, Cádiz), 201-214

 

PIERRE SILLIÈRES

Conclusions. Le nouvel essor des recherches archéologiques à Baelo au XXIe siècle, 215-230

 

MISCELLANÉES

 

SANTIAGO LA PARRA LÓPEZ

Las comidas y los ayunos de los Moriscos. Datos para una convivencia en el ducado de Gandía, 233-253

 

LUCRECIA ENRÍQUEZ

Los héroes chilenos decimonónicos y su inclusión museográfica, 255-274

 

ANNA CORRAL FULLÀ

Alfred Jarry en Catalogne. La réception d’Ubu roi, 275-296

 

JUAN MANUEL TABÍO

Lo mítico en «Coloquio con Juan Ramón Jiménez», de José Lezama Lima, 297-317

 

ACTUALITÉ DE LA RECHERCHE

DÉBATS, 321-355

Le financement de la recherche sur projets : pourquoi et comment ? L’exemple des sciences humaines et sociales

 

RESUMES, 357-373