Darmon, Jean-Pierre: Mythes et images en mosaïque antique. Scripta (Musi) Varia. Recueil de textes (1963-2013), 648 p., ISBN : 9782708410411, 69 €
(Librairie Picard & Epona, Paris 2018)
 
Compte rendu par Frédéric Dewez, Université Catholique de Louvain
 
Nombre de mots : 2345 mots
Publié en ligne le 2020-06-26
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3417
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          Jean-Pierre Darmon est un historien et archéologue français. Grand spécialiste de la mosaïque antique, il a enseigné à l’Université de Tunis avant d’être directeur de recherches au CNRS. Cet ouvrage est l’aboutissement du projet initié par les spécialistes de la mosaïque du CNRS de publier un recueil des articles rédigés par Jean-Pierre Darmon tout au long de sa carrière de chercheur. Le choix des textes retenus ainsi que la subdivision du recueil en six chapitres bien distincts sont le fruit de la collaboration entre l’auteur et les membres du comité chargé de l’édition.

 

         L’avant-propos a été rédigé par Jean-Pierre Darmon, qui a accepté de replacer les textes dans leur contexte et d’expliciter l’approche qu’il en a faite : examiner les décors domestiques dans leur intégralité, interroger les éléments structurels de ces décors, les champs iconographiques répertoriés et la fonction sémantique éventuelle des représentations. Ce sont là les différents aspects de cette recherche que le lecteur pourra trouver dans la plupart des études figurant dans l’ouvrage : recherche, description et questionnement.

 

         L’ouvrage s’ouvre sur une critique datée de 1970. À l’instar des auteurs, il convient de rappeler que tout un matériel textuel et archéologique fait l’objet depuis quelques années d’une recherche relativement pointue par l’application de nouvelles méthodes d’analyse structurale. Cette dernière est basée sur l’hypothèse que tout mythe contient une structure et qu’il doit être considéré comme un discours cohérent. C’est dans cette direction que Jean-Pierre Vernant, Marcel Detienne et Pierre Vidal-Naquet ont orienté leurs recherches.

 

         C’est J.-P. Vernant qui, par ses écrits et par l’influence qu’il a exercée sur la communauté scientifique, a joué un rôle majeur dans cette nouvelle approche. Et les auteurs de rappeler son itinéraire à travers une présentation détaillée de son œuvre principale, à savoir Mythe et pensée chez les Grecs. Les travaux de J.-P. Vernant ont donc largement influencé les recherches initiées par d’autres spécialistes du monde archaïque et classique. Ainsi, tant Pierre Lévêque que Marcel Detienne traitaient de problématiques très analogues. Ces premières pages permettent au lecteur de mieux cerner les enjeux de ce nouveau courant de recherche : une mise en évidence des changements intervenus dans la société grecque tout au long de son histoire.

 

         L’approche de M. Detienne est bien esquissée dans le premier compte rendu que le chercheur consacre au mythe d’Adonis et à la mythologie des aromates : sa méthode d’analyse est profondément structurale à l’instar, comme le reconnaît l’auteur lui-même, de la méthode utilisée par Claude Lévi-Strauss dans ses études sur les mythologies amérindiennes. C’est le thème de l’eau primordiale dans la mythologie qui est abordé dans la critique de l’étude de Jean Rudhart. La première partie de cet ouvrage est consacrée à la thématique de l’eau primordiale dans les mythes qui ne relèvent pas de la tradition homérique. La seconde partie est consacrée au thème de l’eau primordiale dans les cosmogonies de type homérique. La dernière partie résume l’itinéraire de recherche emprunté par Jean Rudhart et tente de donner une signification à la représentation imagée de l’eau primordiale dans la pensée grecque. La figure d’Océanos y est omniprésente et cette omniprésence semble conforter l’auteur dans l’idée que l’image de cette divinité primordiale occupait une place centrale dans la pensée et dans l’imaginaire des anciens. On peut enfin y lire que l’auteur n’a appuyé son étude que sur les textes. Sa référence aux illustrations n’est que trop brève même s’il reconnaît explicitement la nécessité de prendre en compte un corpus iconographique le plus large possible pour étudier une figure ou un thème mythique.

 

         Le troisième compte rendu du recueil porte sur un ouvrage de Marcel Detienne paru en 1977, dans lequel l’helléniste et anthropologue défend vigoureusement la méthode d’application de l’analyse structurale à l’ensemble des données mythologiques du champ religieux grec. Il pose également les jalons de cette analyse structurale. C’est au cœur de son ouvrage, dans une partie intitulée « La panthère parfumée » que l’auteur, partant des objections qui lui avaient été formulées à la parution de son Jardins d’Adonis, développe de nouveaux aspects de son analyse de la figure d’Adonis.

 

         À travers quelques pages extraites des actes d’un colloque organisé en 1976 par la Fédération internationale des associations d’études classiques, les auteurs du recueil retracent les différentes étapes qui ont jalonné l’histoire de l’Association Internationale pour l’Étude de la Mosaïque Antique, en abrégé AIEMA. Cette structure a vu le jour à la suite du premier colloque consacré à la mosaïque gréco-romaine à l’initiative de Henri Stern qui était directeur de recherche au CNRS. C’est à partir de 1950 que la communauté scientifique prend conscience de la fabuleuse richesse des mosaïques et de l’intérêt qu’elles présentent en termes de sources d’informations sur l’Antiquité. Il était donc nécessaire d’en constituer un corpus exhaustif, à l’instar de ce qui avait été réalisé pour les inscriptions grecques et romaines.

 

         Le dernier compte rendu de cette première partie est l’analyse d’une publication de Louis Foucher qui fait état des découvertes archéologiques sur le site d’ El-Jem, l’antique Thysdrus. L’auteur y fait, entre autres, une description minutieuse de sa découverte : la maison dite de « la procession ». Cette analyse rend compte, avec force détails, de la méthodologie de l’archéologue, notamment dans son examen des différents éléments de l’iconographie des pavements et dans les hypothèses de signification.

 

         La deuxième partie de l’ouvrage, intitulée « En Afrique », s’ouvre sur un extrait des Cahiers de Tunisie parus en 1964. J.-P. Darmon y expose son analyse d’un document connu sous le nom de Tarif de Zarai. Il s’agit d’une liste de produits classés en différentes catégories avec la présence d’une tarification qui leur était appliquée au franchissement d’un bureau de péage, de douane ou d’un portus. Le texte a été découvert dans des fouilles menées près de Zaraï, aujourd'hui Zraïa en Algérie, à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Constantine.  Après avoir évoqué l’historique des interprétations qui en ont été faites et synthétisé les commentaires de différents épigraphistes, historiens et philologues, J.-P. Darmon formule ses propres hypothèses sur la nature du courant d’échanges et des mouvements de marchandises qui y sont révélés. Pour lui – et c’est là son hypothèse majeure – ce tarif est l’un des rares documents, peut-être le seul, à attester des relations de nature commerciale entre certaines provinces de l’Empire et le monde berbère.

 

         Le site de Neapolis est un site archéologique tunisien, situé à quelques kilomètres du centre de la ville de Nabeul, non loin d’Hammamet. Comme le rappelle J.-P. Darmon, dans un nouveau compte rendu, les premières fouilles ont été réalisées en 1965 avec l’autorisation des directeurs de l’Institut national d’archéologie et d’art de l’époque, messieurs Sebaï et Mahjoubi. Cette première campagne permit de dégager deux constructions totalement différentes l’une de l’autre, que l’auteur identifiera comme une maison d’une part et un établissement à usage industriel d’autre part. Ce que nous retenons de ce compte rendu c’est la description détaillée du péristyle et de la mosaïque pavant une partie surélevée d’une pièce contiguë à un petit atrium. Elle est composée de petits motifs géométriques, d’une représentation de trois nymphes et du cheval ailé Pégase. Le compte rendu se termine par une précision apportée par l’auteur : en 1966, une deuxième campagne de fouilles a pu mettre au jour, d’une part, une grande partie de l’aile ouest de la maison dite « des Nymphes » et, d’autre part, une grande partie de l’aile est dont les pavements en mosaïques, parfaitement conservés, se sont révélés d’un très grand intérêt en termes de conservation et d’originalité des scènes représentées.

 

         Dans le compte rendu qui suit, écrit dans le prolongement du précédent, J.-P. Darmon nous livre quelques réflexions sur les représentations du dieu Poséidon, accompagné de la Danaïde Amymonè. Plus qu’un ensemble de réflexions, il s’agit bien d’un inventaire relativement exhaustif des représentations du thème de la nymphe surprise. Le mythe est vraisemblablement très ancien mais c’est le drame satyrique d’Eschyle qui semble être le point de départ de l’engouement qu’il suscite dans la littérature et dans l’art. Les céramistes s’en inspirent souvent : pas moins de vingt exemples ont été recensés par Beazley, dans la céramique attique à figures rouges du Ve siècle av. J.-C. La transmission du thème à la mosaïque s’est opérée à partir de la peinture hellénistique et romaine. J.-P. Darmon en pointe six exemples dont la pièce d’Apamée, particulièrement intéressante, découverte par J.-C. Balty. Poséidon y est représenté en majesté auprès d’une épouse divine, drapée de voiles. Il s’agit bien d’Amymonè, comme le confirme une inscription figurant sur le pavement.  L’auteur en conclut que la figuration de ce couple divin est un thème favori du décor domestique, particulièrement en Afrique du Nord.  La représentation de noces mythologiques dans une domus est, en quelque sorte, une affirmation figurée que le mariage est un acte constitutif de la maison en tant qu’institution sociale.

 

         L’article suivant est un hommage que l’auteur rend à Henri Stern à l’occasion de la publication de son ouvrage sur les mosaïques de Sidi Mahrsi, une construction d’époque arabe érigée à l’emplacement d’un édifice antique. J.-P. Darmon partage avec ses lecteurs trois hypothèses qu’il formule à propos de la nature de cet édifice pavé d’une série impressionnante de mosaïques. La première hypothèse est qu’il s’agit de l’abside du nymphée d’une maison ou d’un vestibule menant à un triclinium, la deuxième qu’on a affaire à une grande salle de thermes, la troisième enfin qu’il convient d’y voir l’aménagement en nymphée d’une fontaine, d’une source ou d’une grotte.

 

         Lors du 12ème congrès international d’archéologie classique qui s’est tenu à Athènes en septembre 1983, J.-P. Darmon a proposé une communication dans la section des Arts Mineurs dont il fait état dans le cinquième compte rendu de la partie de l’ouvrage consacrée aux mosaïques africaines. L’archéologue y défend l’idée que la mosaïque antique est un art majeur, essentiellement consacrée à la représentation classique des mythes grecs et ce dans un contexte parfois assez tardif. C’est par la présentation de quelques mosaïques significatives de la maison des Nymphes qu’il étaie ses hypothèses. Sa conclusion est que l’étude du décor domestique permettra, dans un tel système de représentations de l’Antiquité tardive, de mieux comprendre, précisément, cette Antiquité elle-même.

 

         Dans cette partie de l’ouvrage consacrée à l’étude de la mosaïque africaine, nous épinglerons encore deux articles qui ont particulièrement retenu notre attention. Le premier a été publié, en 1988, dans le Bulletin de l’Association Internationale pour l’étude de la mosaïque antique. J.-P. Darmon y fait état de son étude du décor de la villa dite « des Laberii ». Cette villa, fouillée par Paul Gauckler, comprend une trentaine de pièces pour une superficie d’un peu plus de 23 ares. Son analyse précise du décor très particulier de cette villa lui a permis de mettre au jour un véritable programme iconographique dans l’ornementation, d’en définir les thèmes majeurs et enfin de déterminer avec précision le mode de fonctionnement de cette riche demeure en général et de ses différentes pièces en particulier.

 

         Le deuxième article, quant à lui, a été publié dans le Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France en 2000. Il porte sur la « Mosaïque aux Chevaux », découverte en 1960 sur le site archéologique de Carthage. Cette mosaïque est un damier composé de petits tableaux figurés avec des représentations importantes de chevaux. Elle fait l'objet d’une monographie relativement complète, dès 1965, par le savant néerlandais Jan Willem Salomonson. Ce dernier a pu comprendre et surtout démontrer que les figurations secondaires  représentées sont autant de rébus qu’il faut résoudre pour pouvoir décrypter le nom de chacun des chevaux alors qu’habituellement ce sont toujours les mêmes noms inscrits que l’on retrouve sur les images de chevaux de course. J.-P. Darmon apporte ses réponses aux questions iconographiques et iconologiques que posait ce décor. Les réponses qu’il propose suscitent une discussion dont il fait état à la fin de son article.

 

         La troisième partie de l’ouvrage est dédiée à l’étude des mosaïques les plus représentatives des Gaules romaines. Tout au long des articles qui la composent, J.-P. Darmon démontre combien ces témoignages iconographiques sont essentiels pour mieux appréhender une civilisation, par le biais de son art et de ses techniques : c’est le cas pour la grande mosaïque de Migennes, datant du IVe siècle ap. J-C., l’une des plus vastes de la Gaule du Nord, pour la mosaïque « des Chevaux du Soleil » à Sens ou encore pour celle de Grand, dont le décor figuré témoigne, selon J.-P. Darmon, d’une tradition artisanale fort ancienne.

 

         Dans un extrait des Actes du colloque international qui s’est tenu à Toulouse en 2008, l’auteur fait la synthèse des principales notions qu’il a pu dégager de ses études de la mosaïque gallo-romaine. L’enseignement qu’il en retire est que les décors en mosaïque sont un instrument de romanisation et permettent aux élites locales d’affirmer leur attachement à la romanité.

 

         En Orient, ce sont essentiellement les décors en mosaïque de la ville de Zeugma qui font l’objet des articles compilés dans la quatrième partie de l’ouvrage. L’un deux, paru dans la Revue Archéologique, est particulièrement intéressant puisque, là aussi, J.-P. Darmon y fait la synthèse des leçons qu’il a pu tirer de ces décors. À nouveau, la richesse des mosaïques révèle, de la part des élites locales, une franche participation aux univers culturel et artistique du monde gréco-romain et une certaine soumission aux valeurs romaines.

 

         Ce « recueil hommage » se termine par une synthèse de l’histoire de la mosaïque en Occident, depuis les origines jusqu’à la fin de l’Antiquité. Elle présente l’état des connaissances en 1980. Il est évident que des progrès ont été réalisés depuis lors dans ce domaine : il suffit de consulter les Bulletins de l’Association Internationale pour l’Étude de la Mosaïque Antique, pour s’en convaincre.

 

         L’ouvrage, à destination d’un public averti, est rehaussé d’une riche et pertinente iconographie et, en fin de volume, de la bibliographie complète de Jean-Pierre Darmon.