Siegel, Ulrike: Die Residenz des Kalifen Hārūn ar-Rašīd in ar-Raqqa/ar-Rāfiqa (Syrien) = [The Residence of the Caliph Hārūn Arrašīd in Ar -Raqqa/Ar-Rāfiqua (Syria)], Series:Raqqa 4, 29.7 x 21.0 cm, xii -318 p., 60 pl., 5 Beil., 99,95 €
(De Gruyter, Berlin 2017)
 
Rezension von Apolline Vernet, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
 
Anzahl Wörter : 2428 Wörter
Online publiziert am 2018-06-26
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3429
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          Le site de Raqqa est connu de la communauté des chercheurs depuis le début du XXe s., mais il faudra attendre 1944 pour que M. Dunand entreprenne les premières fouilles archéologiques en collaboration avec la Direction Générale des Antiquités et des Musées de Syrie (DGAMS) ; aujourd'hui le site est largement englobé dans la ville moderne d'al-Raqqa en Syrie. L’ouvrage proposé par U. Siegel s’inscrit dans la série des publications du Deutsches Archäologisches Institut (DAI) dont Raqqa est l'un des sites phares, suite aux fouilles engagées depuis 1982 par M. Meinecke. L'origine du peuplement du site de Raqqa est ancienne et complexe. Nous retiendrons ici la fondation hellénistique de Kallinikos/Callinicum qui continue à être occupée à l'époque byzantine, notamment avec construction de monastères encore actifs à l'époque médiévale. Après la conquête islamique, la ville omeyyade se développe sous le nom al-Raqqa sur un terreau d'occupation multiconfessionnelle. Selon Ṭabārī, le calife al Mansūr (r.754-75) décide de construire une ville de garnison en 771-772, connue dans les textes comme al-Rāfiqa. En 796-797, le calife Hārūn al-Rašīd (m.809) choisit la ville pour y installer son palais et ceux de la cour qui l'accompagne. C'est donc cette installation d'époque abbasside qui fait l'objet de l'étude de U. Siegel  ; cette auteure a déjà proposé de nombreuses études sur la résidence du calife Hārūn al-Rašīd, sous la forme de communications et d'articles publiés depuis 2004.

 

         Le plan de l’ouvrage est organisé en dix chapitres, de longueur variable, qui peuvent être regroupés en trois grandes parties thématiques :

 

– La première se compose d’une introduction (1. Einleitung) présentant le contexte de l’étude suivi d’un état de la recherche et de l’historique des fouilles (2. Forschungsstand und Grabungsgeschichte) puis des sources (3. Quellen).

 

– La seconde partie de l’ouvrage comprend l’étude de la résidence califale à proprement parler, avec la présentation de la résidence d’Hārūn ar-Rašīd (4. Die Residenz des Kalifen Hārūn ar-Rašīd) et des ensembles architecturaux Est (5. Ostpalast), Ouest (6. Ostkomplex), Nord (7.Nordkomplex) et Nord-Ouest (8. Nordostkomplex). Chacune de ces présentations suit une organisation synthétique offrant une documentation systématique des sites : Historique des fouilles (– .1 Grabungsgeschichte), Composantes du bâtiment (-.2 Baubeschreibung), Techniques de construction et équipements (– .3 Baukonstruktion und Ausstattung), Autres découvertes (-.4 Kleinfunde), Analyse métrologique du plan (– .5 Metrologische Gundrissanalyse), Histoire de construction et reconstruction (-.6 Baugeschichte und Rekonstruktion), Interprétation (– .7 Interpretation), et enfin Résumé (-.8 Zusammenfassung).

 

– La troisième partie propose un chapitre de synthèse afin de mettre en perspective les bâtiments précédemment décrits avec les autres résidences aristocratiques construites à la période omeyyade et abbasside (9. Baugeschichtliche Einordnung der Kalifenresidenz). Cette dernière partie interroge l’organisation (9.1 Städtebauliche Charakteristika), le plan et la surface occupée par les bâtiments (9.2 Grundfläche und -form), les innovations propres au site (9.3 Äussere Erscheinung), et les parallèles dans l’organisation du plan (9.4 Grundisskonzeptionen). Le dernier chapitre propose un résumé et les perspectives d’étude complémentaires (10. Zusammenfassung und Ausblick) ainsi qu’un résumé en anglais (Summary) et en arabe( البحث ملخص ). L’ouvrage se termine par une bibliographie (Literaturverzeichnis) et les références relatives aux illustrations (Abbildungsnachweis).

 

         Le but affiché par l'auteur est vaste : en plus d'une étude monographique des différents bâtiments fouillés par l'équipe allemande, qui constitue le cœur de l'étude proposée, il est question de remettre en contexte les découvertes à la fois dans le cadre historique, urbanistique et constructif de l'époque. L'ouvrage de format A4 comprend 256 pages, présentant un texte aéré et de nombreuses notes de bas de page. Il manque sans doute en début d'ouvrage une note concernant les choix de transcription de l'arabe, par exemple on notera le choix de transcrire le shin en š alors que le qaf est transcrit avec un q et non ḳ. La documentation graphique, présentée en noir et blanc, couleur ainsi que nuances de gris, est riche de plans et schémas insérés dans le texte (Abbildung), mais également de 60 planches (Tafel) présentées à la fin de l’ouvrage et de 5 dépliants complémentaires en annexes (Beilage).

 

         L'ouvrage débute par un examen de la topographie de Raqqa, dont l'organisation urbaine a pu être réévaluée grâce à l'étude des photographies aériennes anciennes. Cette analyse de différentes photos aériennes d'un même site pour en dégager une documentation archéologique fait référence au travail effectué par A. Northedge pour le site abbasside de Sāmarrāʿ (Northedge 2005). Pour répondre à la problématique historique, l'auteure se propose de recenser les membres de la cour d'Hārūn al-Rašīd afin d'identifier les habitants des bâtiments à l'étude, et la topographie fonctionnelle de leur installation dans la ville (p. 39). La synthèse des informations disponibles permet d'offrir une image vivace du site historique encore largement enfoui sous la ville actuelle. La combinaison de ces analyses permet à l'auteur de proposer une approche renouvelée de l'organisation urbaine de la ville de Raqqa (Tafel 11) et une carte synthétique basée sur les techniques de construction et les sources historiques (Tafel 12) permettant d'entrevoir les fonctions hébergées par les bâtiments.

 

         La surface occupée par les différents bâtiments est assez importante, et l'étendue des fouilles n'a souvent pu découvrir qu'une très petite partie de l'architecture repérée sur les photographies aériennes. L'étude du palais Est est remarquable, car l'analyse architecturale de l'auteur permet de reconstituer les élévations du palais et de visualiser la progression dans le bâtiment notamment par des vues axonométriques (variante A et B). Ainsi, la variante B propose une architecture monumentale avec des plafonds qui s'élèvent à plus de 9 m de haut. La fonction de représentation de ce bâtiment semble donc prévaloir, et pourtant il reste beaucoup d'inconnus quant à son lien avec les autres bâtiments de la ville. Le nombre encore peu important de découvertes et reconstitutions de palais amène l'auteur à effectuer des comparaisons avec des exemples comme Qaṣr al-Shirīn et Madinat al-Zahra (p.80), mais on aurait attendu ici plutôt une comparaison avec les tentatives de restitution de l'équipe espagnole travaillant dans la citadelle de ʿAmmān en Jordanie (Almagro et alii 2000).

 

         L'étude du complexe Est débute par une constatation sur l'orientation du bâtiment : ce dernier aurait fait l'objet selon l'auteur d'une erreur d'arpenteur conduisant à un décalage par rapport aux autres bâtiments. D'ailleurs, les 26 sondages effectués dans le bâtiment ont été orientés Nord-Sud, et n'ont pas permis de documenter la surface des pièces composant ce vaste bâtiment (Abb.42 p.87). Les découvertes archéologiques sont notables, avec une décoration riche composée de stucs incisés, de fragments de vitres et de peintures. Appartenant à la première phase de construction sur le site, le palais abrite des fonctions de représentation mais son plan laisse penser qu'il appartient au type « palais avec des fonctions complémentaires », défini par l'auteur.

 

         Le complexe Nord se divise en quatre zones de dimensions variables, traversées par une rue centrale d'axe Nord-Sud, la plus vaste d'entre elles présente pour la première fois les traces d'une zone cultivée au sein d'un bâtiment palatial (NK.I). Deux zones organisées autour de vastes cours n'ont pas fait l'objet de fouilles extensives (NK.V. et NK. II). La dernière se compose également d'une cour accolée au seul groupe de pièces repérées et fouillées dans le bâtiment ; l'auteur leur attribue alors une fonction de réception pour le complexe, notamment grâce à une entrée en forme d'īwān, accessible depuis la rue interne. L'organisation générale du bâtiment ne correspond pas au plan des cantonnements militaires repérés à Sāmarrāʿ, mais il est assimilé par l'auteur au dār al-ẖayl identifié dans les sources littéraires pour recevoir les dignitaires en visite dans la ville. Si l'auteur interprète ce groupement de pièces comme la zone de réception du bâtiment, plusieurs indices concordent plutôt vers une utilisation domestique, comme la présence de structures de prière et de latrines.

 

         Le complexe Nord-Est se trouve dans une zone plus au Nord, relativement éloignée de la zone des bâtiments présentés précédemment, et il se trouve enserré dans la fourche formée par deux canaux. Le complexe comprend plusieurs bâtiments, de plans variables et sans organisation significative. Le bâtiment Nord (NOK.I) présente une architecture déjà bien connue pour les résidences aristocratiques omeyyades : un bâtiment allongé divisé en trois ailes dont la pièce centrale offrant deux volées d'escaliers. Bien que l'auteur fasse référence au palais de Qaṣr al-Ṭubā, on peut également proposer des parallèles avec l'entrée du palais de Qaṣr al-Ḥayr al-Gharbī ou encore Mshātta. Tout comme ces comparaisons, c'est dans la démolition de l'étage que les fragments décorés sont les plus nombreux. Les sondages peu extensifs dans la zone centrale de ce bâtiment ne permettent pas de trancher entre les deux variantes proposées pour l'organisation de l'étage. Plutôt qu'une résidence, l'auteur y voit un pavillon qui, avec ses deux étages, permettait aux spectateurs d'apprécier les activités de polo alentour. Bien que les plans des différents bâtiments aient été repérés par l'équipe allemande, seuls des sondages limités ont été conduits et ne permettent d'apprécier ni l'architecture ni la fonction de ce vaste complexe.

 

         Finalement, l'auteur nous propose une synthèse architecturale des découvertes faites par l'équipe allemande sur le site. La ville pensée par Hārūn al-Rašīd combine l'établissement de bâtiments à vocation productive ainsi que des bâtiments propres à la représentation. Cette constatation vient pourtant s'inscrire dans la droite ligne des conclusions faites par D. Genequand pour les établissements aristocratiques omeyyades du Proche-Orient, qui combinaient déjà ces différentes fonctions (Genequand 2012 p.368) ; on s'étonnera donc que ce livre ne figure pas dans la bibliographie offerte en fin d'ouvrage. Ensuite, l'auteur souligne que la ville de Raqqa s'inscrit dans la théorie urbanistique de D. Sack qui est basée également sur les exemples de Résafa et Sāmarrāʿ : les vastes zones d'implantation libre développées à l'époque omeyyade se transforment en quartiers résidentiels à l'époque abbasside (p.208). Si on reprend la définition de « quartier », le terme correspond à la caractérisation d'une zone encerclant des contingences économiques, fonctionnelles ou communautaires. Compte tenu de la topographie connue de la ville et de l'étendue limitée des fouilles, il reste difficile de caractériser les quartiers qui sous-tendent l'organisation urbaine. En effet, aucune trame ne semble opérer une division de l'espace ou contraindre l'orientation ou l'étendue des palais. D'ailleurs, cette remarque trouve un second écho lorsque l'auteur compare la dimension des résidences de Raqqa avec d'autres constructions : aucune comparaison fonctionnelle avec le palais de 'Amman, qui comportait des fonctions administratives comme celles qui sont prêtées à certains bâtiments de Raqqa, mais juste une référence métrologique de la surface du palais (p.210). La question se pose alors de comparer une résidence califale construite ex nihilo à Raqqa à un palais de gouverneur contraint par la topographie de la citadelle de ʿAmmān. On aurait plutôt attendu ici une comparaison avec le palais de la citadelle en termes de réception et d'organisation de l'espace, et une mise en perspective des modes de vie d'une résidence de rang califal à celle d'un gouverneur.

 

         L'organisation de l'espace des bâtiments découverts à Raqqa est une question centrale posée par l'auteur. Les plans synthétiques fonctionnels des palais de Raqqa proposés (Abb.100) représentent une base de travail solide, mais la surface limitée des vérifications sur le terrain conduit à rester prudent.

 

         En termes d'architecture, les bâtiments de Raqqa manifestent de nombreux traits propres à l'époque abbasside, les emprunts architecturaux à la période omeyyade sont bien présents. En revanche, l'organisation de l'espace relèverait selon l'auteur d'une organisation sassanide. Cette remarque s'inscrit donc dans le débat non encore épuisé de l'influence sassanide/iranienne/orientale ou byzantine/occidentale de l'architecture des premiers temps de l'Islam au Proche Orient. Cette question toujours d'actualité ne reçoit pourtant pas le support bibliographique attendu. Ainsi, on regrette de ne trouver que des publications plutôt anciennes, ce qui conduit à des comparaisons avec des palais sassanides dont les plans reconstitués sont largement discutés. Enfin, la filiation sassanide a déjà été soulignée pour l'architecture de certaines constructions omeyyades, mais également dans les techniques de construction (Arce 2007) ; il faudra sans doute poursuivre l'investigation pour comprendre s'il existe de nouveaux apports dans ces domaines à Raqqa.

 

         Nous pouvons saluer l’effort de systématisation dans la description de chacune des composantes de la ville califale, même si le lecteur y trouvera des redondances inhérentes au contexte historique et géologique de la construction du site d’al-Raqqa. La documentation archéologique a respecté des problématiques de fouilles différentes, ce qui souligne encore l'effort d'uniformisation de la documentation présentée dans le livre. Ainsi, le recours systématique à la documentation de fouilles souvent inédite (plan, coupes et schémas) permet une documentation aussi complète que possible des différents complexes.

 

         La culture matérielle apparaît peu, ce qui limite un peu le propos, lorsque l'auteur tente de trouver une fonctionnalité aux pièces découvertes par l'archéologie. En effet, les assertions pour déterminer les fonctions de représentation (p.129) ou les fonctions plus domestiques (p.131) restent cantonnées au débat architectural. La présentation en contexte de nouveaux stucs architecturaux est néanmoins remarquable, avec une description précise de leur décor et de leur emplacement (ostkomplex p.104 note 380 ; nordkomplex : tableau recensement par pièce p.144). Connus depuis un article de M. Meinecke publié en 1991, ces stucs du début de l'époque abbasside présentent un caractère singulier comparativement aux exemples découverts plus tard à Sāmarrāʿ.

 

         Pour conclure, les remarques présentées ci-dessus ne peuvent que mettre en exergue le travail minutieux et complet offert par U. Siegel. Cette étude sur l'architecture de la capitale fondée par Hārūn ar-Rašid constitue une nouvelle étape pour une meilleure compréhension à la fois des innovations architecturales mais également du cadre de vie de la cour à l'époque abbasside.

 

 

Bibliographie complémentaire :

 

Almagro, Antonio ; Jimenez, Pedro ; Navarro, Julio. El Palacio Omeya de ‘Amman, III, Investigación arqueológica y restauración, 1989‐1997. Escuela de estudios arabes, CSIC, Granada, 2000.

 

Arce, Ignacio : Umayyad Building techniques and the merging of Roman-Byzantine and Partho-Sassanian Traditions: continuity and change. Dans Lavan L. ; Zanini E. ; Sarantis A. (eds.) Technology in Transition A.D. 300–650 (Late Antique Archaeology 4–2006) (Leiden 2007), pp. 491–537.

 

Genequand, Denis. Les établissements des élites Omeyyades en Palmyrène et au Proche‐Orient. Institut français du Proche‐Orient, Beyrouth, 2012.

 

Meinecke, Mickaël. Early Abbasid Stucco Decoration in Bilād al-Shām. Dans Bakhit A. et Schick R., Bilād al-Shām during the Abbasid period (132 AH/750 AD-451 AH/1059 AD) : Proceedings of The Fifth International Conference on the History of Bilād al-Shām. Amman 1991 pp.226–267.

 

Northedge, Alastair: The historical topography of Samarra. Samarra studies I. London: British School of Archaeology in Iraq: Fondation Max van Berchem, 2005.

 


N.B. : Apolline Vernet prépare actuellement une thèse de doctorat intitulée "L’habitat urbain des débuts de l’Islam au Proche-Orient (VIIe-VIIIe siècles)" sous la direction direction d'Alastair Northedge (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne).