Esposito, Serena: L’administration égyptienne du désert occidental de l’Ancien au Nouvel Empire. 176 p., 16 x 24cm, ISBN : 978-2-84050-968-4, 23,00 €
(Presses de l’Université Paris-Sorbonne, Paris 2014 )
 
Compte rendu par David Lorand, Université Libre de Bruxelles
 
Nombre de mots : 1530 mots
Publié en ligne le 2018-05-25
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3437
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          L’introduction (p. 9-11) fournit un bref historique de l’intérêt porté au désert occidental depuis les travaux scientifiques pionniers d’Ahmed Fakhry en 1937. L’objectif du présent ouvrage est de comprendre l’évolution des modalités de contrôle des oasis et des voies du désert occidental, et ce que ces modalités révèlent de l’implantation d’installations urbaines dans une région si reculée. Le cas de Siwa demeure volontairement en dehors de l’étude. Trois axes guident les recherches de l’auteure : la toponymie, la prosopographie et la documentation archéologique.

 

         Dans le premier chapitre (p. 13-57 : L’Ancien Empire et la Première période intermédiaire), l’auteure indique que le désert libyque ne dispose que de peu de ressources minières au-delà du gneiss du Gebel el-Asr/Tochka, réellement exploité à partir de la IVe dynastie. Cette période est principalement caractérisée par l’établissement du site urbain d’Ayn Asil et de la nécropole de Qila el-Dabba. Du point de vue des toponymes attestés, l’auteure propose une étude de l’acception de divers termes, dont « semyt » (et sa relation avec « khaset », le désert), « oukhat » et « Ta-ihou » (possiblement associé à l’oasis de Farafra). La prosopographie indiquerait que le pouvoir local égyptien se limite dans un premier temps (IIIe – IVe dynasties) aux marges occidentales du Delta, avant de se muer (IVe – Ve dynasties) en véritable absorption de la zone du désert libyque, en particulier via la valorisation de l’oasis de Dakhla. Lors de la Première période intermédiaire, le contrôle des zones et voies désertiques permet en outre d’éviter et de contourner les factions hostiles établies dans la Vallée.

 

         Cette valorisation et occupation du désert occidental se traduit par de multiples titres et fonctions, comme ceux de « Directeur de Ta-ihou » ou « administrateur de la zone limitrophe » portés par Nakhtsaes (Brooklyn 37.21E et 37.22E). La proposographie met en outre en évidence la présence de professionnels des expéditions lointaines, dont un « amiral » à Balat qui n’est, naturellement, pas lié à la mer mais à l’idée d’éloignement par rapport à la Vallée et à l’organisation de l'exploration de nouvelles contrées, calquant le titre de ses collègues partant pour le désert oriental, le Sinaï et la Mer Rouge (où la dimension maritime justifie alors le titre d'« amiral »).

 

         Croisée avec les données archéologiques, la prosopographie permet de mettre en évidence des générations de fonctionnaires se transmettant leurs charges, leur formation à Memphis, la diversité sociale et économique des implantations (agriculture, stockage, commerce, construction, culte,…) et les relations entretenues avec la Vallée (via un service de courrier, mais aussi en reproduisant architecturalement les structures palatiales de Memphis au profit des gouverneurs, incarnant une relative autonomie de leur gestion territoriale).

 

         L’auteure souligne que si l’intérêt pour le désert occidental réside pour partie dans son exploitation minière et agricole, une attention soutenue a été réservée au contrôle des pistes qui traversent cet espace et qui relient différents points de la Vallée. Ces pistes ont ainsi été équipées de postes fortifiés « menenou » et « retekhou », de tours « sounou » et ont été parcourues par un corps d’escorteurs « chemsou ». Lors de la Première période intermédiaire, cet aspect sera révèle crucial pour différents nomarques de la boucle thébaine et leurs chefs militaires : nombres de stèles, inscriptions et graffitis témoignent de la nécessité de se déplacer sans avoir affaire avec des opposants, et de l’existence de batailles et de conflits « à l’ouest de This » (stèle de Hetepy d’Elkab) ou « dans la poussière » (Stèle de Djary JE 41437).

 

         La question des déplacements et de leurs préparatifs fait l’objet d’une section spécifique (p. 48-57), notamment en ce qui concerne l’anticipation des besoins en eau des corps expéditionnaires se rendant aux confins de l’Égypte, dans la région d’Abou Ballas (Pottery Hill), voire au Gilf Khebir et au Gebel Oueinat.

 

         Dans le deuxième chapitre (p. 59-96 : Le Moyen Empire et la Deuxième période intermédiaire), l’auteure souligne l’intégration plus poussée du désert occidental dans l’appareil administratif pharaonique, et la mise en service de pistes reliant Kharga au reste de la région. Celle-ci est dirigée par des agents royaux, surveillée par diverses catégories de soldats, et les itinéraires permettent de rejoindre la Nubie et la vallée soudanaise et, partant, l’Afrique centrale.

 

         La toponymie atteste ce rapprochement entre le désert et la Vallée, avec l’extension de l’acception de « oukhat » parallèlement à l’accroissement du territoire sous contrôle (théorique) égyptien (la région est en effet devenue si vaste qu’elle sert ponctuellement de refuge pour les brigands comme l’atteste la stèle de Kay, Berlin 22820). La valorisation agricole est également de mise durant cette période et différents produits sont associés aux toponymes du désert occidental, tel le blé ou le vin des oasis (« Djesdjes » lié à Bahariya).

 

         L’intérêt des pharaons pour le désert est attesté dès le règne de Montouhotep II avec une intégration (et non une soumission) des zones de « oukhat » et de « Ouaouat », administrativement rattachées à Thèbes. L’existence d’un panneau rupestre évoquant le jubilée de Montouhotep II au Gebel Oueinat (à la frontière avec le Soudan et la Libye) semble indiquer un besoin d’éviter la Basse Nubie nilotique en passant par le désert. La nécessaire consolidation de l’emprise égyptienne intervient notamment sous Sésostris Ier à l’occasion de ses campagnes nubiennes et avec l’existence d’une police des déserts et zones périphériques. Ces différents corps sont chargés de la chasse aux animaux, de la prospection des gisements et de la protection des expéditions (notamment en l’an 29 en direction des carrières du Gebel el-Asr). Le repeuplement des oasis se poursuit plus avant sous Sésostris III ainsi qu’en témoigne le développement du culte du dieu « de l’Oasis » Igaï, ainsi que ceux de Seth et d’Opet.

 

         Cette double dynamique de repeuplement et de sécurisation du territoire est attestée par la prosopographie, les implantations civiles urbaines se muant progressivement en positions militaires stratégiques, désormais rattachées à la Moyenne Égypte plus qu’à Memphis. Durant la Deuxième période intermédiaire, l’intérêt stratégique des pistes du désert occidental, permettant d’éviter la région de Thèbes, est  d’ailleur illustré par une attaque orchestrée par le prince thébain Kamose contre les mouvements de troupes Hyksos et Nubiennes.

 

         Le troisième chapitre (p. 97-122 : Le Nouvel Empire) aborde l’évolution du désert occidental, manifestement moins peuplé (à moins qu’il ne s’agisse d’un effet de l’état des connaissances archéologiques pour cette période) et perçu avant tout comme une dépendance agricole très structurée. Son importance stratégique militaire n’est marquante que jusqu’à ce que la Nubie soit placée sous l’autorité d’un Vice-roi de Kouch (la reconquête de la Nubie semblant passer avant tout par la Vallée du Nil et les pistes longeant le fleuve plutôt que l’intérieur du désert).

 

         La toponymie rend compte de ces changements, le terme « oukhat » désignant désormais l’ensemble de la zone désertique et toutes ses oasis. Ce « super toponyme » se dubdivise en « oukhat du Sud » (Kharga et Dakhla) et en « oukhat du Nord » (Bahariya et Farafra). Aussi, à côté des toponymes précédemment attestés (« Djesdjes », « Kenemet » et « Ta-ihou »), de nouveaux termes font écho à la géographie de Dakhla (« Dos de l’Oasis », « L’île du désert »).

 

         L’administration du désert poursuit son déplacement parallèlement à celui du centre du pouvoir dans la Vallée, et la zone du désert occidental multiplie les ancrages avec la localité de Thèbes et le clergé d’Amon. Les fonctionnaires en charge de la gestion et de l’inspection des oasis se font enterrer dans la nécropole thébaine, et font figurer dans leur chapelle les produits des oasis (vins, sacs, vanneries, …). Parmi ces produits, le vin de Bahariya connaît une exportation importante dans toute l’Égypte, ce que l’on peut suivre grâce aux étiquettes de jarres marquant la provenance et le millésime de leur contenu. Les oasis produisent également des figues et du « gayout » (famille des cyperaceae active contre les pathologies intestinales). Mais si ces informations proviennent pour l’essentiel de documents localisés dans la Vallée, c’est que les inscriptions in situ, dans le désert et dans les implantations des oasis, sont plutôt rares et se résument le plus souvent à quelques graffiti, mis à part le cas des deux stèles de Mout el-Kharak (Ashmolean Museum d’Oxford 107A et 107B datant de la XXIIe dynastie).

 

         La conclusion (p. 123-124) synthétise les éléments saillants de l’étude de l’auteure. Elle est suivie par deux cartes hors texte et cinq tableaux listant, de manière diachronique, les éléments de prosopographie des fonctionnaires en charge de l’administration du désert et des oasis. Remerciements (p. 137), Abbréviations bibliographiques (p. 139-143), Bibliographie (p. 145-166) et Index (p. 167-172) achèvent cet ouvrage avant la traditionnelle Table des matières (p. 173-174).

 

         L’ouvrage de Serena Esposito constitue une synthèse bien pensée et bien rédigée, agréable à lire, développant une narration cohérente et équilibrée entre les différents aspects de son étude (ce que les études prosopographiques ou toponymiques ne garantissent pas toujours). À ces qualités, on ajoutera la présence heureuse des principaux textes en hiéroglyphes et translittération (ce n’est pas toujours le cas dans ce type d’étude), de quelques figures N/B et d’un appareil de notes en bas de page conséquent (qui permet de maintenir la fluidité du texte en reportant en note les multiples références et détails).