Vilain, Ambre : Imago urbis. Les sceaux de villes au Moyen Âge ( L’Art et l’Essai, 18), 360 p., ISBN : 978-2-7355-0860-0, 38 €
(CTHS/INHA, Paris 2018)
 
Compte rendu par Stéphanie Pirez-Huart, Université Polytechnique des Hauts-de-France
 
Nombre de mots : 1735 mots
Publié en ligne le 2019-07-03
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3448
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          Cet ouvrage, tiré de la thèse de doctorat d’Ambre Vilain soutenue en 2011, vise à explorer la place de l’architecture dans les sceaux urbains de l’Europe septentrionale au Moyen Âge, plus particulièrement du XIIe au XVe siècle. Il s’inscrit dans une historiographie renouvelée : si l’autrice fait abondamment référence aux travaux fondateurs de Brigitte Bedos-Rezak, elle souligne la nécessité de revoir à nouveaux frais ce corpus iconographique peu attrayant pour les historiens et historiennes de l’art. Le livre est divisé en six chapitres de tailles inégales.

 

         L’autrice explique d’abord en quoi le sceau est un élément fondamental de l’identité urbaine, au même titre que le beffroi ou la cloche. Représentant la ville, il est l’une des expressions de l’identité de la communauté urbaine, bien davantage qu’une éventuelle appartenance à un groupe, à l’exemple des sceaux nobiliaires. Il marque l’incarnation de la cité en tant que personne morale dotée d’une capacité juridique. À l’origine, le sceau est un élément lié à une personne : à la mort de celle-ci, la matrice du sceau est souvent détruite. La ville ne meurt pas, on le conserve donc au plus près des éléments qui matérialisent la ville, comme l’intérieur du beffroi ou de l’hôtel de ville. Par ailleurs, d’abord utilisés par des personnes physiques, nobles ou dignitaires ecclésiastiques, les sceaux mettent en scène des éléments marquant l’appartenance de leurs propriétaires à des groupes sociaux. Les villes bénéficient d’une plus grande liberté dans le choix des éléments figurés que les personnes physiques qui doivent respecter certains codes d’appartenance.

 

         Le premier chapitre vise à définir les thèmes les plus fréquents dans l’iconographie sigillaire. Parmi ceux-ci figure la muraille. Ambre Vilain rappelle qu’elle est fondamentale dans les représentations des villes, comme en témoigne sa récurrence dans les récits de fondation (exemple de Rome et du sillon tracé par Romulus). Elle s’avère d’autant plus cruciale qu’elle marque la limite juridictionnelle et fiscale. Ce thème, très présent dans les textes anciens, renvoie au vocabulaire utilisé pour désigner les cités et se rapporte souvent au domaine de la protection militaire (oppidum, castrum). En filigrane, c’est la cité céleste qui est visée dans les représentations des villes : on cherche à créer un lien avec Jérusalem, modèle à suivre. L’enceinte, rarement représentée dans son intégralité, est également porteuse d’une valeur allégorique : son passage devient une quête spirituelle, dans l’idée de rejoindre la cité céleste. Dans ce cadre, la porte de la ville apparaît comme un élément essentiel : le lieu qui permet d’entrer dans la maison de Dieu. Mais la porte seule est rarement utilisée dans les sceaux et l'autrice ne rapporte qu'un seul cas de sceau ne figurant pas de porte sur sa muraille, celui d’Utrecht ; elle l’interprète comme une volonté de renforcer l’idée de sécurité à l’intérieur des murs de la ville. Une typologie des portes est ici dressée : isolée du reste de l’architecture, seule mais avec des détails, similaire au château à trois tours… Outre la muraille et la porte, le château à trois tours semble l’un des motifs iconographiques les plus fréquents pour les villes d’Europe septentrionale. L’accent est mis sur la confusion avec le castrum et les fortifications de la ville. Des comparaisons entre les motifs relevés sur les sceaux et ceux repris sur d’autres objets, comme les monnaies et les enseignes de pèlerinage, font l’objet d’une démonstration élargie aux liens qui existent avec ces mêmes objets produits dans l’Antiquité. Enfin, une explication est fournie concernant le dôme, absent de l’architecture des villes septentrionales mais figuré sur les sceaux à l’exemple de celui d’Arras : il faut la rechercher dans l’influence de la renovatio carolingienne d’une part, dans celle du Saint Sépulcre ainsi que des sources byzantines d’autre part.

 

         Le second chapitre s’attache aux modes de représentations sur les sceaux urbains. Ambre Vilain s’interroge sur les raisons qui ont conduit à faire de l’enceinte un élément central de l’identité urbaine et des moyens mis en œuvre pour y parvenir. Elle s’inscrit à l’encontre de la pensée de Pierre Lavedan : à ses yeux, les représentations sigillaires, tout comme les monnaies, occupent une place de choix dans les représentations urbaines, au même titre que les peintures, tandis que pour Pierre Lavedan, la peinture est d’abord liée à un paysage et en particulier à celui de la nature, dans lequel la ville n’a pas sa place. Ce thème apparaît pourtant en filigrane dans les sceaux comme le montre l'autrice, mais comme le fait également remarquer celle-ci, les éléments naturels à l’extérieur des murs, à l’exception des cours d’eau, sont difficiles à représenter. On démontre également ici combien le point de vue de l’auteur du sceau est fondamental, et qu’il se situe toujours à l’extérieur de la ville. Ambre Vilain dresse ensuite une typologie des motifs iconographiques et met en évidence le recours à plusieurs techniques (aplanie, renversée). L’objectif du créateur n’est pas de faire preuve d’originalité, mais de faire en sorte que la ville soit immédiatement reconnue, en particulier à travers les choix opérés dans les bâtiments représentés (beffroi, halles…).

 

         Dans un troisième temps, l’autrice recourt à l’approche stylistique pour contextualiser son corpus d’étude. Ce dernier se trouve ici comparé au style 1200 et à la production artistique flamande des années 1400. Dans les deux cas, l’influence de ces courants artistiques dans la production sigillaire se voit confirmée, avec cette réserve qu’une partie du corpus d’étude ne répond pas à ces schémas. Enfin, l’existence d’un art spécifique au Hainaut à la fin du XIVe siècle est mise en évidence.

 

         Vient ensuite un long développement qui vise à analyser la production sigillaire à l'aune de l’histoire des mentalités. En effet, l’hypothèse de départ d’Ambre Vilain est que la ville représentée sur les sceaux traduit les représentations humaines du monde entourant les hommes et les femmes du Moyen Âge. Son objectif est donc de définir quelles formes prennent ces images mentales. Elle montre d’abord que la ville est une traduction matérielle du souci spirituel de l’époque, dont la construction et les images qui en découlent sont principalement le fait des élites urbaines. Ensuite, le sceau représente la ville au sens social : il symbolise la communauté urbaine, mais sa lecture dépend de la capacité du spectateur à analyser les symboles dont il est doté. La porte par exemple est porteuse de sens, renvoyant à la sécurité, l’opulence… Selon qu’elle est figurée ouverte ou fermée, elle délivre un discours précis sur la pensée de ses habitants vis-à-vis de l’extérieur. Le sceau s’avère aussi le reflet de la pensée du sigillant et de sa vision du monde. Enfin, Jérusalem apparaît comme le modèle phare pour l’autrice, une ligne d’inspiration pour les bâtisseurs et les sigillants, qu’on trouve aussi chez les autrices comme Christine de Pizan ou Hildegarde de Bingen.

 

         Le chapitre suivant explore les modalités de renouvellement des sceaux: le phénomène correspond davantage à une mise à jour stylistique qu'il ne traduit un changement d'identité des communautés urbaines. Le renouvellement d’un sceau se trouve être une pratique fréquente pour une ville, en particulier pour les sceaux aux causes, utilisés pour les sentences judiciaires. La périodicité est variable selon le type de sceau et la ville : les exemples détaillés de Binche (renouvellement fréquent) et Douai (un seul renouvellement) témoignent de l’impossibilité d’établir des tendances de mise à jour de l’iconographie sigillaire. L’autrice note toutefois que les révisions de sceaux accompagnent souvent le changement de physionomie des cités, comme c’est le cas à Douai avec la construction du beffroi ou Ypres qui accorde davantage de soin à ses halles marchandes.

 

         Enfin, dans un dernier chapitre, Ambre Vilain examine la manière dont les sceaux peuvent traduire les relations de pouvoir entre la cité et la tutelle à laquelle elle est nécessairement soumise, qu’elle soit de nature laïque ou ecclésiastique. Cette influence politique se perçoit par exemple à Mons, par un sceau mettant en scène la résidence du comte de Hainaut ; cela tient au fait que la ville se développe à partir du château féodal. Lorsque qu’il s’agit d’un pouvoir ecclésiastique, c’est la cathédrale qui est mise à l’honneur, à l’instar de Beauvais et de Cambrai. Le sceau peut revêtir des éléments de symbolique dans le domaine judiciaire : Lens fait le choix du pilori aux côtés du rempart, signe des compétences de la ville en matière judiciaire. Il se présente également comme un emblème de l’émancipation communale à travers la représentation des édifices communaux, tel le beffroi à Soissons. Enfin, il peut être le lieu d’expression des conflits de pouvoir : la ville de Tournai fait figurer son beffroi mais omet soigneusement la cathédrale, signe de son opposition à son évêque. Par tous ces exemples, Ambre Vilain pose la question de la symbolique du pouvoir urbain de la ville, et ce long chapitre démontre clairement que ce thème est prégnant dans ce type de sources.

 

         Ajoutons enfin que d’abondantes illustrations agrémentent le volume et que ce dernier contient en outre un dossier d’une quinzaine de pages imprimé en couleurs. Nous regrettons toutefois l’absence d’une table des illustrations, qui aurait grandement facilité la navigation dans l’ouvrage. Le lecteur trouvera également une abondante bibliographie, actualisée depuis la soutenance de la thèse, et ce en plusieurs langues (français, anglais, néerlandais, allemand, italien), ainsi qu’un index mêlant noms de personnes et de lieux. Nous déplorons quelques coquilles (à l’exemple du passage sur Valenciennes, qui est sise sur les diocèses d’Arras et de Cambrai et non d’Arras et Tournai p. 264), même si elles n’entament en rien l’argumentaire mis en œuvre.

 

         Nous souhaitons également souligner le souci du détail de l’autrice, visible à travers les nombreuses descriptions très complètes et études de cas émaillant régulièrement sa réflexion. Par exemple, elle fournit à deux reprises une description de l’un des sceaux de Valenciennes, l’une plus détaillée que l’autre, chacune étant mise au service d’objectifs distincts (p. 110 et 265).

 

         En conclusion, Ambre Vilain livre ici les résultats d’un travail minutieux et circonstancié. Par son caractère inédit, cette synthèse fera sans aucun doute date, tant dans le monde de l’histoire de l’art que de l’histoire médiévale de façon plus générale.

 



N.B. :  Stépanie Pirez-Huart prépare actuellement une thèse de doctorat intitulée "Par-delà les murailles. Valenciennes et son plat-pays à la fin du Moyen Age : dynamiques territoriales et relations socio-spatiales" sous la direction de Corinne Beck (Université Polytechnique des Hauts-de-France).