Sueur, Quentin: La vaisselle métallique de Gaule septentrionale à la veille de la Conquête : typologie, fonction et diffusion (MI, 55) , 637 p., ill. coul., ISBN : 978-2-35518-077-4, 76€
(Editions Mergoil, Drémil-Lafage 2018)
 
Compte rendu par Stéphanie Raux, Inrap
 
Nombre de mots : 1729 mots
Publié en ligne le 2020-03-06
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3450
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          L’auteur, Quentin Sueur, est jeune docteur en archéologie, membre du laboratoire ArAr de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée (MOM, UMR 5138) à Lyon. Son domaine de recherche concerne la vaisselle métallique de la Protohistoire récente et de l’Antiquité, en particulier les aspects technologiques, typologiques et fonctionnels des récipients ainsi que leur statut de marqueur culturel au sein des territoires conquis en Gaule septentrionale.

 

         Il a, outre le présent ouvrage, publié en co-auteur ou auteur principal, trois articles dans le bulletin Instrumentum sur des vases spécifiques (Sueur 2013 ; Sueur 2014 ; Garcia, Sueur 2015), ainsi que deux articles plus thématiques sur le sujet (Sueur 2016 ; Sueur, Schwab 2017).

 

         L’ouvrage présente les résultats d’une thèse de doctorat intitulée Das Metallgeschirr und das Banket als Zeugnisse der Romanisierung in der Gallia Belgica (2.-1. Jh. v. Chr.), menée en cotutelle entre les universités Lumière Lyon 2 et Eberhard Karl Tübingen et soutenue sous la direction de M. Poux et D. Krauße à Lyon en décembre 2017. Le thème abordé concerne la vaisselle métallique de Gaule Belgique de la fin de La Tène et du début de la période romaine afin d’appréhender, par ces mobiliers, le phénomène d’acculturation entre les populations autochtones et les Romains. La soutenance a été rapidement suivie d’une publication aux éditions Mergoil, en 2018, dans la collection Monographies Instrumentum dirigée par Michel Feugère (Cnrs, MOM Lyon). Le volume, de 637 pages, se structure en quatre parties : une introduction (21 p.), une présentation analytique (280 p.), une synthèse (19 p.) et le catalogue des données (263 p.). La fin comporte une bibliographie conséquente (33 p.) et deux résumés, en anglais et en allemand. Les illustrations sont relativement abondantes et de qualité. Une certaine sobriété dans la présentation et la mise en page conduit à une bonne lisibilité de l’ensemble.

 

         L’introduction pose l’historique et les cadres de la recherche. La vaisselle métallique antique, qu’elle soit d’origine gauloise ou gréco-italique, a en effet toujours représenté un sujet de choix et des ouvrages fondateurs en témoignent (Eggers 1951 ; Graue 1974 ; Feugère, Rolley 1991 ; Tassinari 1993). Ils reflètent cependant une absence d’étude synthétique sur les caractéristiques des récipients de Gaule du Nord et reprennent le plus souvent le schéma traditionnel de la prédominance des importations de la vaisselle méditerranéenne vers les régions septentrionales dans un cadre de romanisation à la fois économique et socio-culturelle. Les recherches de Quentin Sueur apportent un nouvel éclairage et des compléments sur les productions locales de vaisselle de bronze et de fer autres que celles constituant les principaux repères de la vaisselle dite indigène (chaudrons, seaux en bois à garnitures métalliques), sur les importations de vaisselle italique en Gaule du Nord et sur la place qu’elle y occupe, tant en termes quantitatifs que qualitatifs.

 

         Les objectifs de l’ouvrage sont multiples : présenter un état des lieux des mobiliers disponibles en Gaule Belgique pour les deux premiers siècles avant notre ère ; affiner la chrono-typologie existante ; aborder le thème des ateliers et techniques de fabrication ; poser les bases d’une réflexion sur la fonction de ces vases et leur contexte de découverte.

 

         Le cadre géographique, la Gaule Belgique et ses marges, respecte une unité culturelle qui englobe 17 peuples belges et germaniques et des zones limitrophes pour lesquelles des découvertes de mobiliers exceptionnels ne pouvaient être écartées. Le cadre chronologique recouvre deux siècles, entre 200 et 1 av. J.-C. et reprend le découpage par périodes laténiennes retenu pour les Trévires. Le corpus prend en compte 149 sites et 650 objets dont une centaine a été étudiée finement, ce qui a permis d’établir des observations nouvelles et inédites. La fiabilité des contextes est un des critères principaux de sélection des mobiliers et des assemblages : il s’agit d’ensembles clos de structures funéraires, de sites d’habitat et de camps romains ; ils sont complétés ponctuellement par des découvertes issues de fleuves.

 

         Le catalogue est constitué par les 152 notices ou fiches signalétiques des structures et contextes de découverte des vases métalliques (coordonnées, bibliographie, historique des fouilles, groupe culturel d’appartenance, nature et datation du site, occurrences de vaisselle et datation du mobilier) servant de base à l’analyse et à la synthèse. Un peu plus de 62 % des sites sont situés sur le sol français actuel, 26 % en Allemagne et le reste se partage entre Luxembourg, Belgique et Pays-Bas. Ils se répartissent sur les territoires indigènes (d’ouest en est) des Calètes, Véliocasses, Ambiens, Bellovaques, Morins, Atrébates, Viromanduens, Meldes, Suessions, Ménapes, Nerviens, Atuatuques, Eburons, Rèmes, Trévires, Leuques et Médiomatriques. Il traduit une grande rigueur d’acquisition des données et met à disposition un état des lieux exhaustif des découvertes et de la documentation disponible.

 

         La partie « Analyse » présente seize types de vaisselle métallique attestés dans les contextes du territoire pris en compte. Chacun, de type italique ou non italique, fait l’objet d’une notice dans laquelle sont déclinées quatre rubriques analytiques, accompagnées d’illustrations des vases, entiers ou sous forme d’éléments discriminants permettant de les identifier. La première rubrique consiste en un état des lieux des connaissances sur le type et une carte de répartition des occurrences ; la deuxième restitue les caractéristiques techniques et stylistiques du vase (morphologie, matériau avec parfois des analyses métallographiques, mode de fabrication) ; la troisième porte sur la typo-chronologie par une mise en perspective des exemplaires observés avec les typologies établies ; la quatrième restitue l’origine et la fonction du vase par l’analyse de sa place dans son contexte et dans l’assemblage des récipients qui y sont associés. Les types présents illustrent la totalité du panel fonctionnel de la vaisselle métallique italique et gauloise : poêlons, cruches, gobelets, bassins, passoires, casseroles et patères, simpula et louches en fer, cornes à boire, seaux en bois et métal, situles, chaudrons, ainsi que quelques objets rares.

 

         La vaisselle métallique antique a longtemps véhiculé le seul concept de la consommation du vin et de l’importation de sa consommation selon la tradition méditerranéenne du symposium. La synthèse réalisée à partir des découvertes de vaisselle métallique en Gaule Belgique montre que la réalité ne semble pas tout à fait conforme à ce schéma. L’auteur cherche ainsi, à travers quatre types d’approche, à restituer les places et usages respectifs, au sein du territoire concerné, des productions locales et des importations et partant, à restituer l’évolution des modes de consommation des récipients et des habitudes de table.

 

         La première approche concerne l’évolution technologique des ateliers italiques au cours des deux siècles de transition concernés et montre l’émergence de la région campanienne dans la production et l’exportation de vaisselle métallique, prenant le relais de l’Étrurie et de l’Italie du Nord. Ce déplacement des ateliers de production s’accompagne d’un renouvellement du répertoire des formes.

 

         La seconde approche, qui porte en parallèle sur l’évolution des productions indigènes, met en évidence que celles-ci sont majoritaires, soit qu’elles copient les modèles italiques importés en petit nombre, soit qu’elles continuent de fabriquer des formes locales emblématiques constituant de forts marqueurs culturels.

 

         La troisième s’attache à caractériser des particularismes régionaux au sein de l’ensemble du territoire, notamment en termes de taux d’importation de vaisselle italique, plus important par exemple chez les Trévires ou chez les Rèmes.

 

         La quatrième, enfin, cherche à identifier des transformations sociales à cette période charnière qu’est la veille de la Conquête, via la consommation de récipients métalliques prestigieux et la restitution des manières de table. La consommation de vases de production locale est interprétée comme le signe d’une perduration des traditions d’une aristocratie indigène, tandis que celle de vaisselle importée se rapporte au développement d’une nouvelle classe sociale en lien avec le développement des oppida, enrichie par les multiples transactions commerciales qui s’y déroulent, et que l’auteur appelle celle des « nouveaux riches ».

 

         Il pose la question de l’évolution des manières de table entre les deux périodes d’avant et d’après la Conquête et du témoignage, par les modes de consommation de vaisselle métallique, d’une éventuelle acculturation ou romanisation. Il semble que les importations de vaisselle italique avant la Conquête ne génèrent pas de changement dans l’organisation traditionnelle des banquets collectifs par une catégorie très aisée de la population : son utilisation servirait simplement de marque ostentatoire de richesse et de pouvoir pour son propriétaire. La Conquête voit l’augmentation significative des importations mais la vaisselle métallique italique reste a priori surtout consommée dans les milieux militaires romains. Les autochtones l’adoptent ponctuellement lorsqu’elle s’adapte à leurs besoins traditionnels, sans entraîner de changement de mœurs. Après la Conquête, la vaisselle métallique, qu’elle soit de production locale ou d’importation italique, disparaît des usages de Gaule Belgique, en raison de la pacification (les banquets collectifs guerriers n’ont plus lieu d’être) et d’un repli de la société sur la sphère privée.

 

         La publication de ce travail de recherche constitue un ouvrage de référence pour la vaisselle métallique des IIe et Ier siècles avant notre ère en Gaule septentrionale. Outre des précisions technologiques, morphologiques et chronologiques venant enrichir et affiner les classements typologiques existants, l’auteur met en perspective les modes d’acquisition et d’usage de ces récipients à forte connotation culturelle et nous permet de nous faire une idée plus précise et sans doute plus juste du réel impact de la romanisation sur les populations indigènes de Gaule Belgique et du fort ancrage des traditions de commensalité dans la structuration sociale.

 

 

Bibliographie

 

Sueur 2013 : Q. Sueur, avec la coll. de R. Petrovszky, Le chaudron de Lingenfeld (Rheinland-Pfalz, D) : identification de caractéristiques techniques et stylistiques communes à la vaisselle de bronze de La Tène finale en Gaule Belgique, Bulletin Instrumentum, 38, déc. 2013, 15-17.

 

Sueur 2014 : Q. Sueur, avec la coll. de Cl. Massart et Y.-M. Adrian, A propos du bassin ovale en bronze de Val-de-Reuil « Chemin aux Errants » (Eure) : bassines ovales et bassins doubles dans les provinces romaines septentrionales, Bulletin Instrumentum, 39, juin 2014, 20-25.

 

Garcia, Sueur 2015 : M. Garcia, Q. Sueur, Les seaux en bois à cerclages métalliques de La Tène finale et du début de la période romaine. Observations techniques et typologiques, Bulletin Instrumentum, 41, juin 2015, 48-54.

 

Sueur 2016 : Q. Sueur, La vaisselle métallique en Gaule Belgique à la veille de la Conquête : répartition spatiale et perspectives de recherches, Germania, 2016, 89-116.

 

Sueur, Schwab 2017 : Q. Sueur, R. Schwab, Die Bronzepfanne aus dem Prunkgrab von Sinsheim-Dühren, Fundberichte aus Baden-Württemberg, 37, 2017, 75-87.