Dedet, Bernard - Schwaller, Martine: Grecs en Gaule du Sud. Tombes de la colonie d’Agathé (Agde, Hérault, IVe - IIe siècles av. J.-C.) (BiAMA), 22,0 x 28,0 / 208 p., ISBN : 978-2-87772-627-6, 32 €
(Errance/Librairie Picard & Epona, Paris 2018)
 
Compte rendu par Stéphanie Raux, Inrap
 
Nombre de mots : 2136 mots
Publié en ligne le 2022-03-28
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3459
Lien pour commander ce livre
 
 

          L’ouvrage présente les résultats des fouilles anciennes de deux ensembles funéraires agathois du deuxième âge du Fer. Ces données, jusqu’à présent inédites, permettent aux auteurs, Bernard Dedet et Martine Schwaller, d’analyser finement les pratiques funéraires restituables et d’établir des comparaisons avec celles d’autres comptoirs grecs ou massaliètes d’une part, et celles perceptibles au sein des nécropoles indigènes environnantes d’autre part. Le volume, de quelque 200 pages, se structure en cinq chapitres encadrés d’une courte introduction (1 p.) et d’une conclusion développée (5 p.) ; il est clôturé par une importante bibliographie (11 p.). Les illustrations sont abondantes et de grande qualité.

 

          L’introduction résume rapidement l’historiographie relative à Agathè, colonie grecque citée par nombre d’auteurs antiques et particulièrement mise en lumière par les travaux d’André Nickels au cours des années 1970. La fouille du site du Peyrou a notamment permis la mise au jour d’une nécropole fréquentée du VIIe s. av. J.-C. à la période gallo-romaine, dont seules 35 tombes du deuxième âge du Fer n’avaient pas encore été étudiées et publiées. L’ouvrage permet donc de pallier ce manque et de présenter un inventaire le plus complet possible des sépultures de cette période en y adjoignant deux tombes découvertes dans un autre secteur d’Agde, celui de Saint-André.

 

          Le chapitre 1 (16 p.) est consacré à la présentation du site d’Agde et des connaissances acquises sur la colonie grecque. Le tènement, occupé depuis le Bronze final IIIb, est situé sur un plateau basaltique (volcan d’Agde) en bordure du fleuve Hérault et de la lagune. Facilement repérable depuis la mer par la présence à proximité du Mont Saint Loup, il a constitué un cadre privilégié pour l’implantation d’une agglomération indigène fortifiée à partir de 550 av. J.-C. – pour laquelle les traces d’activités commerciales et d’échanges avec l’extérieur sont bien visibles dans les mobiliers mis au jour –, puis d’un comptoir grec, fondé depuis Massalia sur le même emplacement, vers 400 av. J.-C. Au nord-est de la ville se trouve la nécropole du Peyrou, repérée en 1977 par l’érudit agathois Michel Adgé, puis fouillée sous la direction d’André Nickels en 1977 et 1978. Cet ensemble funéraire comprenait 171 sépultures en lien avec la première agglomération protohistorique (Nickels et al. 1989), 5 tombes du Ier s. ap. J.-C. (Olive et al. 1980), et 35 sépultures et une aire de crémation rattachées à la colonie grecque, sur la période 400-150 av. J.-C. Mêlées aux tombes antérieures, elles occupent le tiers sud-ouest de l’emprise fouillée de la nécropole et illustrent à la fois le rite de l’inhumation et celui de l’incinération. L’approche est complétée par deux sépultures plus récentes, mises en place entre 150 et 90 av. J.-C. sur le site de Saint-André, au sud de la ville fortifiée et un peu à l’écart de l’extension de l’occupation extra-muros. Il s’agit de deux dépôts secondaires de crémation. Pour chaque ensemble funéraire, les méthodes de fouilles et de traitement des mobiliers sont décrites, en en précisant les limites (inhérentes aux explorations anciennes, notamment pour celles de Saint-André qui datent de 1939) et les résultats attendus.

 

          Le chapitre 2 (70 p.) correspond au catalogue des tombes du site du Peyrou 2. Les données sont présentées de manière analytique. Les rubriques descriptives concernent la tombe, le défunt et les mobiliers. Ces derniers font également l’objet, au fur et à mesure, de parallèles de comparaison et de commentaires interprétatifs. Pour chacune des sépultures, une fourchette de datation est proposée et les illustrations comprennent le relevé en plan et la photographie de la tombe, le tableau de détermination des restes osseux humains, ainsi que les dessins et clichés des mobiliers.

 

          Le chapitre 4 (12 p.) est de structure identique mais concerne le catalogue des deux tombes du site de Saint-André. Il se termine par une analyse comparative entre les dépôts secondaires de crémation des deux sites.

 

          Dans le chapitre 3 (23 p.) les auteurs procèdent à une synthèse sur les pratiques funéraires appréhendables sur le site du Peyrou, sur deux siècles et demi, entre 400 et 150 av. J.-C., à partir des données des 36 défunts déterminés. Il n’a pas été observé de concentration ou de répartition spatiale de groupes d’individus particulières.

 

          Concernant le recrutement, sont dénombrés, en données brutes pour 36 individus, 7 périnatals et 1 enfant de moins d’un an, 3 enfants de deux à sept ans, 5 enfants de huit à quatorze ans, 2 adolescents, 16 adultes dont quatre âgés et 2 sujets d’âge non déterminé. Les données réparties en classe d’âge définies selon P. Sellier (1996) en fonction de l’espérance de vie à la naissance reposent sur 31 individus dont la moitié est préadolescente. La courbe établie pour le Peyrou 2 montre une mortalité conforme à la moyenne pour les enfants âgés de 0 à 12 mois, ainsi que pour ceux décédés vers 5 ans. La mortalité des enfants ayant atteint l’âge de 1 an est légèrement en dessous des quotients de référence, tandis que celle des enfants de 5 ans et plus est au-dessus, dans les mêmes proportions, indiquant un quotient de mortalité quasi-linéaire entre 1 et 14 ans. Les auteurs considèrent que la faiblesse de l’échantillonnage peut générer les variations ponctuelles observées autour de 1 et 5 ans et qu’elles n’empêchent pas de considérer la mortalité des individus dans la norme de celle d’une société pré-jennérienne. L’imprécision concernant l’âge au décès des adultes ne permet pas de tirer de conclusions de même type pour les 16 individus ayant dépassé l’âge de 14 ans. De la même manière, le faible taux de détermination de leur sexe biologique rend impossible toute analyse interprétative.

 

          Concernant le traitement du corps, c’est l’inhumation qui est majoritaire (85 %), elle est appliquée à toutes les classes d’âge et est attestée tout au long de la période, alors que la pratique crématoire n’apparaît plus après 200 av. J.-C. et ne s’applique qu’aux sujets de plus de 15 ans.

 

          Les inhumations sont en fosse creusée aux dimensions du corps ou du contenant du corps et sont de quatre types : comblée immédiatement et surmontée de blocs de basalte ; non comblée et couverte de blocs de basalte (2 sous-types : le corps est habillé ou non et posé directement dans la fosse ou dans un coffrage en bois intermédiaire) ; non comblée, avec des blocs de chant et une couverture de blocs de basalte (avec là aussi 2 sous-types) ; en amphore, pour cinq tout-petits. La position du corps est, à une exception près, en decubitus dorsal, et celle des membres supérieurs et de la tête très variable. Les orientations sont également multiples, hormis la tête vers l’ouest, ce qui distingue l’ensemble funéraire des tombes contemporaines de Marseille Saint-Barbe par exemple. De plus, il semble que les hommes soient orientés de manière privilégiée tête vers le quart Nord-Est, et les femmes vers le quart Sud-Est. Les dépôts secondaires de crémation consistent en un creusement de fosse dans laquelle sont disposés un ossuaire contenant les restes osseux calcinés et son calage de blocs.

 

          Près de la moitié des inhumations ne comportait pas de mobilier d’accompagnement, les autres n’en étant majoritairement pourvues que d’un seul, mis à part les enfants. Les dépôts secondaires de crémation comportent systématiquement du mobilier d’accompagnement, entre 2 et 5 objets. Il s’agit, dans tous les cas, essentiellement d’objets de parure et de vases à parfum.

 

          Cette synthèse donne lieu à une mise en perspective des tombes grecques d’Agde dans le contexte funéraire plus large du Midi méditerranéen (chapitre 5, 39 p.), en comparant les résultats de l’étude à ceux de nécropoles contemporaines, du monde indigène d’une part et du monde massaliète d’autre part. Au premier groupe correspondent en particulier les ensembles funéraires d’Ensérune (Schwaller et al. 2018), de Mourrel-Ferrat (Janin et al. 2000), d’Ambrussum (Dedet 2012) et de Sizen-Vigne (Demangeot et al. 2016) ; au second les nécropoles de Marseille Sainte-Barbe (Moliner et al. 2003) et d’Ampurias (Almagro 1953).

 

          La démonstration est construite sur des critères de comparaison qui reprennent les quatre rubriques descriptives des catalogues des sépultures : recrutement, traitement du corps, forme de la tombe, mobilier d’accompagnement. Les résultats montrent que les caractéristiques des tombes d’Agde sont nettement plus proches des pratiques funéraires du monde grec que des pratiques autochtones. Ainsi, les tout-petits sont bien présents et admis au cimetière, phénomène en opposition avec les nécropoles et les us indigènes qui privilégient l’enfouissement des corps des périnatals au sein de l’habitat, suivant un héritage plus ancien. Pour le traitement des corps, les ensembles funéraires indigènes du deuxième âge du Fer livrent uniquement des restes incinérés. Là encore, le Peyrou 2 s’en distingue et s’apparente aux pratiques du monde grec, avec un recours majoritaire à l’inhumation. Les différents types de tombes à inhumation relevés au Peyrou 2 sont également présents à Marseille Sainte-Barbe et la non-orientation de la tête vers l’ouest leur est commune. Pour les quelques incinérations de la période, la mise en ossuaire des ossements calcinés et surtout l’absence rigoureuse de restes brûlés en vrac dans la fosse, à l’extérieur du vase, sont un critère grec supplémentaire. La parenté s’exprime également pour les mobiliers d’accompagnement, dans leur absence comme dans leur répartition fonctionnelle et leur obédience hellénique lorsqu’ils sont présents.

 

          Après avoir ainsi défini les tombes d’Agde du deuxième âge du Fer comme relevant de pratiques funéraires de type grec, bien différentes de celles des nécropoles indigènes régionales, les auteurs ouvrent, avec la conclusion, la discussion sur l’origine des populations et sur la fondation de la colonie. Pour André Nickels, les défunts inhumés étaient des Grecs et les incinérés étaient issus de la population indigène. Cependant, la distribution fonctionnelle des mobiliers d’accompagnement des défunts tend à restituer une culture uniquement grecque, quel que soit le traitement du corps : il en est ainsi de la présence de vases à parfum utilisés dans la préparation du défunt (lécythes et unguentaria) et d’accessoires servant à lui rendre hommage (vases à libations, couronnes florales) ; ainsi que de l’absence d’ustensiles de la vie quotidienne, d’armes et de nourritures, qui participent des rituels funéraires indigènes. La présence de Grecs à Agathè aux environs de 400 av. n. è. ne fait pas de doute.

 

          Le statut de l’occupation entre 600 et 400 serait celui d’un port indigène en contact permanent avec les navires de Méditerranée. Puis la fin du Ve siècle av. J.-C. est marquée par l’édification d’une nouvelle enceinte et par un net changement dans les modes de construction de l’habitat, qui passe d’une architecture en terre crue (adobes) à des briques séchées sur solins de pierres. Leur contemporanéité avec les premières tombes de tradition grecque du Peyrou 2, tend à restituer à cette période la fondation du comptoir d’Agde par des colons massaliètes ou phocéens. La fréquentation de la nécropole du Peyrou sera ensuite le fait de Grecs et d’indigènes fortement acculturés. En dépit d’une documentation ancienne et d’un nombre limité de tombes, par la confrontation de leurs résultats à ceux issus de nécropoles protohistoriques régionales, les auteurs définissent les caractéristiques de ce qu’ils appellent un « paysage funéraire », ensemble homogène de pratiques relatif au monde grec qui, associé à d’autres observations sur l’habitat, mettent en lumière le moment charnière de la fondation de la colonie vers 400 av. J.-C.

 

 

Bibliographie

 

Almagro 1953 : M. Amalgro, Las necrόpolis de Ampurias. I. Introducciόn y necrόpolis griegas, Barcelona, 1953 (Monographías Ampuritanas, III).

Dedet 2012 : B. Dedet, Une nécropole du second âge du Fer à Ambrussum, Hérault, Paris, eds Errance, 2012 (Bibliothèque d’Archéologie Méditerranéenne et Africaine, 11).

Demangeot et al. 2016 : C. Demangeot, M. Py, B. Dedet, R. Carme, C. Senson-Salvayre, N. Rovira, M. Tillier, R. Roure, La nécropole du second âge du Fer du Sizen-Vigne à Beaucaire (Gard), Lattes, ADAL eds, 2016 (Monographies d’Archéologie Méditerranéennes, 37).

Janin et al. 2000 : T. Janin, J. de Bouby, H. Boisson, N. Chardenon, A. Gardeisen, G. Marchand, A. Montecinos, P. Séjalon, La nécropole du second âge du Fer de Mourel-Ferrat à Olonzac (Hérault), Documents d’Archéologie Méridionale, 23, 2000, 219-248.

Moliner et al. 2003 : M. Moliner, P. Mellinand, L. Naggiar, A. Richier, I. Villemeur, La nécropole de Sainte-Barbe à Marseille (IVe s. av. J.-C. – IIe s. ap. J.-C.), Aix-en-Provence, Edisud/CCJ, 2003 (Etudes Massaliètes, 8).

Nickels et al. 1989 : A. Nickels, G. Marchand, M. Schwaller, Agde, la nécropole du premier âge du Fer du Peyrou, Paris, 1989 (Suppl. à la Revue Archéologique de Narbonnaise, 19).

Olive et al. 1980 : C. Olive, C. Raynaud, M. Schwaller, Cinq tombes du premier siècle de notre ère à Agde, Archéologie en Languedoc, 3, 1980, 135-150.

Schwaller et al. 2018 : M. Schwaller, T. Lejars, G. Marchand, avec la coll. de D. Orliac, A. Gardeisen, T. Janin, E. Sanmartí, La nécropole du second âge du Fer d’Ensérune (Nissan-lez-Ensérune, Hérault), Lattes, ADAL eds, 2018 (Monographies d’Archéologie Méditerranéennes, 38).

Sellier 1996 : P. Sellier, La mise en évidence d’anomalies démographiques et leur interprétation : population, recrutement et pratiques funéraires du tumulus de Courtesoult. In : J.– F. Piningre (dir.), Nécropoles et sociétés au premier âge du Fer : le tumulus de Courtesoult (Haute-Saône), Paris, 1996 (Documents d’Archéologie Française, 54).