Paillet, Patrick : Qu’est-ce que l’art préhistorique ? L’Homme et l’Image au Paléolithique, (Le passé recomposé), 14.0 x 22.0 cm, 352 p., ISBN : 978-2-271-09416-2, 24 €
(Cnrs Editions, Paris 2018)
 
Compte rendu par Béatrice Robert
 
Nombre de mots : 1978 mots
Publié en ligne le 2019-07-24
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3460
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          Patrick Paillet, spécialiste de la Préhistoire et de la paléoanthropologie (HNHP Paris, UMR7194), propose, avec son ouvrage « Qu’est-ce que l’art préhistorique ? », un bilan de l’évolution de la discipline au cours des derniers siècles ainsi qu’une réflexion autour des questionnements esthétiques relatifs au Paléolithique supérieur. Si la formulation interrogative du titre n’a rien de novatrice, elle augure de réponses concrètes et révélatrices sur l‘origine et le développement de cet art longtemps controversé ou relégué au rang de « primitif ». L’ouvrage ne compte pas moins de 350 pages ; il commence par une introduction d’une dizaine de pages qui résume les dix-sept chapitres qui suivent et se termine page 281 par une conclusion. Les pages 283 à 350 sont dévolues à un riche glossaire, une bibliographie exhaustive, un index des sites par pays ainsi que des remerciements. Des illustrations complètent l’ensemble au fil de la lecture.

 

         L’auteur débute son ouvrage par une riche introduction découpée en trois parties. La première s’ouvre sur une réflexion sur le rapport de l’homme à l’image et l’importance de cette dernière dans toutes les sociétés ; la nôtre en étant particulièrement imprégnée par la démultiplication des supports, la dématérialisation ou encore la médiatisation. Il précise que le rôle des images est avant tout celui de la communication et de l’échange mais il rappelle aussi leurs subjectivités puisqu’elles résultent de déformations physiques et psychiques. C’est sur ce constat que l’auteur entame une deuxième partie afin d’apporter une précision à « l’image matérielle » qu’il dit « vierge de toute pollution » à l’époque préhistorique. Il confère ainsi à l’art préhistorique une dimension pure et idéale et aux hommes des intentions simples et authentiques. La troisième partie, quant à elle, est un résumé des dix-sept chapitres qui forment le contenu de l’ouvrage.

 

         En fait l’ouvrage s’organise autour de six axes de réflexion. Le premier axe est consacré aux balbutiements de l’art préhistorique. Les deux premiers chapitres traitent des problèmes de terminologie pour cette période, à savoir les notions d’art, d’artiste et de symbole. L’auteur précise les enjeux polysémiques des mots utilisés pour caractériser l’art préhistorique et conclut en mentionnant que « l’existence artistique d’un objet n’est possible que lorsqu’il y a interaction entre l’artisan et le spectateur laissant là libre interprétation dans le temps et l’espace ». Il souligne ainsi toute la difficulté qui existe à rendre compte de sociétés dont nous n’avons pas les codes. Or, comment expliquer le terme de symbole dans un contexte comportant de nombreuses inconnues ? Le troisième chapitre fait état du long chemin parcouru entre les XIXème et XXIème siècles, notamment par Gabriel de Mortillet ou Edouard Lartet, pour affirmer cette discipline aux yeux du grand public comme du public scientifique, sans sombrer dans des clichés. Il revient par ce biais sur les notions d’artisans et d’artistes, privilégiant cette dernière.

 

         Un deuxième axe (chapitres 4 à 6) aborde la question des capacités cognitives des premiers hommes. L’auteur évacue d’emblée la notion de « Big Bang culturel » entre le Paléolithique supérieur et les productions antérieures. Certes, s’il existe un hiatus, il n’est pas possible d’attester d’art ex-nihilo car la pensée précède toujours le geste.  Ainsi l’auteur souligne deux faits : un « enracinement biologique et culturel » et la modernité de l’homme dans son organisation sociale et ses comportements. Pour cela il rappelle avec force exemples les pratiques funéraires et corporelles développées par ces premiers hommes. Il s’arrête également sur les observations biologiques faites sur le cerveau au cours du temps et particulièrement le développement du lobe frontal ayant des conséquences sur les capacités créatrices des hommes. Il illustre celles-ci par l’art pariétal et rupestre (qu’il associe à la monumentalité) ainsi que par la variété du petit mobilier. Il aborde aussi la question de l’identité des groupes et de l’existence d’un « sémantisme » des productions lisible et visible par le décor, la forme et la fonction des objets ; le tout formant une unité indissociable. Il s’agit bien ici de réfléchir en termes de chaîne opératoire et non plus de style.

 

         Le troisième axe de l’ouvrage (chapitres 7 et 8) est consacré au cadre environnemental dans lequel évoluent les hommes du Paléolithique supérieur. L’auteur rappelle que les grottes ornées sont localisées sur certains territoires avec des caractéristiques géologiques spécifiques, qu’il existe des regroupements en fonction du temps et de l’espace. Il insiste sur l’unicité des œuvres et sur la particularité des espaces souterrains qui ne sont pas des lieux de vie. A ce titre, il rappelle l’antinomie entre art rupestre et art pariétal ; le premier correspondant à un espace vécu extérieur, le second à un espace symbolisé intérieur. Enfin, il témoigne de la relation étroite entre l’homme et l’environnement par l’appropriation d’un territoire ; les images font donc partie intégrante d’un contexte (géographique, géologique…).

 

         Les chapitres 9 à 11 forment le quatrième axe de réflexion. Celui-ci est réservé à l’iconographie du Paléolithique supérieur. L’auteur passe en revue les multiples représentations observées sur les parois. Il débute par le bestiaire qu’il considère comme un art animalier et naturaliste (sans considération anatomique du terme) puis note que les compositions ne sont pas simplement apposées sur les parois mais bien réfléchies et hiérarchisées (dans le temps et dans l’espace). Il s’attache ensuite aux représentations humaines (hommes, femmes, mains, attributs sexuels ou encore êtres hybrides) qu’il dit être souvent « subjectives, peu claires et fragmentées ». Enfin, il termine cette partie par les formes géométriques ou les motifs non figuratifs qu’il détermine comme signes issus de gestes techniques, leur conférant ainsi une forme de langage. Ce passage fait écho aux chapitres traitant des capacités cognitives des hommes préhistoriques. Il rappelle alors les travaux et essais de typologie de Leroi-Gourhan, Sauvet et Wlodarczyk ou encore Vialou.

 

         Le cinquième axe s’attache aux techniques utilisées par les hommes du Paléolithique supérieur. L’auteur mobilise les chapitres 12 et 13 pour parler de la mise en avant du relief par la gravure, la sculpture, la ronde-bosse ou le modelage. Il ajoute l’utilisation de la peinture avec des colorants naturels. Il énumère de nombreux sites et objets afin de montrer la diversité des techniques. Cette partie s’éloigne des titres initiaux des chapitres. C'est une occasion pour revenir sur le thème de prédilection de l’ouvrage, à savoir que les représentations répondent « à un choix de langage et de communication » des « artistes » préhistoriques. Les images laissées par ces hommes se font, pour l’auteur, narration, même si le sens nous reste inaccessible.

 

         Il faut attendre le chapitre 14 qui forme à lui seul un axe de réflexion pour entendre parler de chronologie. L’auteur énumère les différentes phases du Paléolithique supérieur (Aurignacien, Gravettien, Solutréen, Madgalénien, Azilien) qui malgré certaines ruptures dans l’espace et le temps restent des références en matière de Préhistoire. Il revient donc sur ces grandes périodes après avoir proposé un historique de la recherche en citant les noms de Piette, Breuil et Leroi-Gourhan et noté les apports des récentes découvertes des grottes Chauvet et Cosquer.

 

         C’est à l’issue de cette course à la périodisation via les styles de l’art mobilier qu’un dernier axe émerge avec les trois derniers chapitres. L’auteur s’intéresse au sens de l’art préhistorique en brossant un panorama des hypothèses formulées par les spécialistes de la matière (explication rationaliste de Mortillet, religieuse de Salomon Reinach, théorie de la magie de la chasse de Breuil, totémisme de Max Raphaël, Annette Laming-Emperaire, chamanisme/animisme chez Horst Kirchner, Mircea Eliade, André Glory, Jean Clotte ou encore sémiologie avec Georges Sauvet et Denis Vialou). Devant l’absence de réponses tangibles, l’auteur accueille avec enthousiasme les nouvelles approches pluridisciplinaires qui favorisent le travail collectif et rompent avec les premières recherches plus individualistes. Il salue l’intérêt des nouveaux enregistrements numériques, des relevés 3D, des méthodes de datation de plus en plus performantes ou encore de caractérisation (Microspectrométrie Raman) et d’analyses élémentaires permettant d’accéder plus facilement aux compositions chimiques des matériaux (Fluorescence X). Non seulement ces méthodes font avancer les recherches mais elles participent à la valorisation du patrimoine notamment grâce à l’utilisation de fac-similés. Loin d’être de simples répliques, ces derniers sont l’occasion de repenser l’art préhistorique tout en offrant une protection des grottes face à l’affluence de visiteurs et ce, sans dénaturer les intentions et les représentations des hommes préhistoriques.

 

         L’auteur conclut son ouvrage par quelques pages consacrées à la fascination et la passion pour l’art préhistorique. Il reste ainsi sur une part de mystère et une vision poétique du Paléolithique supérieur sans répondre vraiment à la question initiale « Qu’est-ce que l’art préhistorique » ?

 

         Alors que de nombreuses explications sur le sens des représentations du Paléolithique supérieur étaient suggérées et attendues par le titre de l’ouvrage de Patrick Paillet, sa lecture nous laisse sur un ressenti mitigé. Les qualités rédactionnelles, organisationnelles, de même que l’exhaustivité des références, des images et des exemples font de ce livre un support sérieux et complet. L’auteur fait un rapport détaillé de l’art préhistorique, passant en revue l’évolution de la discipline tant par l’historique des découvertes, celui des recherches sur la chronologie, que par l’interprétation des images. En cela l’auteur se positionne plus comme un « historiographe » ou un historien de l’art invitant le lecteur à découvrir la Préhistoire à partir d’un catalogue des vestiges mobiliers et immobiliers. A une réponse engagée de l’auteur se substitue un inventaire de l’art préhistorique que l’on suit pas à pas sur dix-sept chapitres ; certains étant parfois redondants. Le lecteur est quelquefois frustré. Alors qu’il espère apprendre bien plus sur les capacités cognitives de hommes préhistoriques ainsi que sur l’existence d’un système sémiologique au Paléolithique supérieur, l’auteur ne tranche pas ces questions. Il propose des titres accrocheurs « Un monde sans image ? ; Grottes et pratiques symboliques ; Anticonformisme de l’image humaine ; Sémiologie de l’art préhistorique ; A la recherche du sens perdu », mais n’offre pas un contenu à la hauteur des attentes du lecteur, le laissant sur sa faim et parfois dans l’incompréhension, certains chapitres n’étant pas toujours en adéquation avec les titres choisis (chapitres 7, 12 et 13). De plus, alors que les premiers chapitres consacrés aux terminologies laissaient présager d’une prise de position sur les notions d’art, de symbolique, d’artiste… on note un abandon de cette rigueur sémantique exprimée au début de l’ouvrage. L’exemple le plus marquant étant l’utilisation récurrente et contestable du terme « d’artiste » pour qualifier les personnes qui ont réalisés des peintures, des gravures ou encore des outils.

 

         En conclusion, nous dirons que si l’ouvrage de Patrick Paillet se distingue par une richesse des données relatives au Paléolithique supérieur, un souci de parfaitement expliquer l’évolution de la discipline en tenant compte des dernières découvertes et des méthodes d’investigation récentes, il peut décevoir un lecteur averti qui souhaiterait un contenu plus personnel et engagé. Pour autant, l’ouvrage reste un support de qualité proposant nombre d’illustrations et des références sérieuses faisant foi dans le monde de la recherche archéologique.

 

 

SOMMAIRE

 

Introduction (11)

 

Chapitre 1. L’«art », un terme ou un concept à définir (23)

Chapitre 2. L’art préhistorique est-il « symbolique » ? (29)

Chapitre 3. Une entrée précoce dans la Préhistoire et quelques résistances (35)

Chapitre 4. Un monde sans image ? (51)

Chapitre 5. Du monumental à la miniature. L’art hors du temps des hommes et l’art au quotidien (65)

Chapitre 6. Décor et fonction des objets d’art (81)

Chapitre 7. Grottes et pratiques symboliques (93)

Chapitre 8. L’art et la nature vs l’art et ses territoires (109)

Chapitre 9. Bestiaires de la Préhistoire (123)

Chapitre 10. Anticonformisme de l’image humaine (147)

Chapitre 11. Langage de signes et communication graphique. Sémiologie de l’art préhistorique (165)

Chapitre 12. Les techniques et les outils des artistes (175)

Chapitre 13. Les expressions de l’espace et du temps (189)

Chapitre 14. La chronologie de l’art à l’épreuve des techniques, du style et des datations (203)

Chapitre 15. A la recherche du sens perdu (245)

Chapitre 16. Une recherche qui évolue. L’archéologie des grottes ornées et sa genèse (259)

Chapitre 17. De la conservation à la valorisation : l’ère des fac-similés (271)

 

Conclusion (279)

Glossaire (283)

Bibliographie (295)

Index des sites par pays (341)

Remerciements (349)