AA.VV.: Dubois, Arnaud - Eczet, Jean-Baptiste - Grand-Clément, Adeline - Ribeyrol, Charlotte (dir.). Arcs-en-ciel & couleurs : regards comparatifs (Bibliothèque de l’Anthropologie), 15.0 x 23.0 cm, 304 p., ISBN : 978-2-271-11942-1, 25 €
(Cnrs Editions, Paris 2018)
 
Compte rendu par Michel Blonski
 
Nombre de mots : 3219 mots
Publié en ligne le 2020-05-29
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3463
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          L’étude de la perception des couleurs par les Anciens fait partie d’un des nombreux serpents de mer des études classiques depuis le XIXème siècle. Mais plus généralement, celle du phénomène historique de la couleur, au-delà de la seule Antiquité, a fourni l’occasion de lire de belles sommes –  qu’on pense au classique de John Gage, Couleur et Culture (qui aborde au demeurant nombre de thématiques présentées ici), ou aux enquêtes de Michel Pastoureau. Revenant aux Anciens, on songera aux renouvellements récents opérés par les travaux dirigés par Simone Beta ou Cléo Carastro, mais aussi aux recherches d’Adeline Grand-Clément, l’un des auteurs du recueil.

 

         Ce livre vise, en suivant les principes de Marcel Detienne, à faire de la couleur un « comparable » grâce à un phénomène qui, en théorie, semble universel : l’arc-en-ciel. Le regard occidental sur celui-ci ne peut se concevoir sans prendre en compte la rupture provoquée par les recherches de Newton, même si les auteurs rappellent qu’elle n’a pas été acceptée de manière univoque : entre description « objective » des couleurs et prise en compte « subjective » de la manière dont elles sont perçues, les débats n’ont pas manqué. L’ouvrage – qui vise à « sortir les Grecs et les Romains du splendide isolement dans lequel la tradition classique a eu tendance à les draper » – présente donc un ensemble d’études portant sur des mondes différenciés : à des descriptions ethnologiques s’ajoutent des travaux d’anthropologie historique portant sur des aires non classiques (Mexique précolombien, Japon moderne), des travaux sur plusieurs aires de l’Antiquité (Egypte, Mésopotamie, Grèce homérique), des études littéraires et artistiques (littérature britannique du XIXème s., arts d’avant-garde du XXèmes.). La couleur, à travers l’arc-en-ciel, peut-être prise en compte de très nombreuses manières différentes. Il s’agit ici de mettre en perspective les visions du monde occidental moderne en les décentrant par rapport à d’autres modes de perception, au sein desquels le savoir antique – présenté ici à travers les notices homériques – en apparaît comme une expression possible.

 

         Trois axes généraux ont ainsi été dressés : dans un premier temps, comment « confronter les différentes formes de rationalités et de savoirs » ? Ensuite, quels critères de perception (pas nécessairement ceux de la couleur, comme il apparaîtra) sont utilisés pour représenter et figurer ce phénomène météorologique ? Enfin, comment les artistes ont été amenés à formuler et à résoudre le problème technique posé par l’arc-en-ciel ?

 

         La première partie de l’ouvrage comporte quatre études. Dans un premier temps (« Couleurs de l’arc-en-ciel et anthropologie : du laboratoire au terrain »), Arnaud Dubois, à partir de l’enquête menée par W. G. R. Rivers sur l’île Murray, entre Papouasie et Australie, entre 1898 et 1901, observe comment s’est constituée l’approche de la perception des couleurs par l’anthropologie occidentale. L’exemple pris – comment les quelques individus enquêtés voient l’arc-en-ciel – n’est qu’une petite partie d’une enquête beaucoup plus vaste et fondatrice pour le champ (introduisant des pratiques de laboratoire de psychologie et des protocoles rigoureux dans l’observation du terrain). La question chromatique subissait alors l’influence du débat, vif alors, sur la perception grecque de la couleur ; les « Primitifs » avaient-ils donc la même manière de la voir que les Anciens ? D’où une série de tests réalisés à partir de papiers colorés et de dessins d’arc-en-ciel, avec des résultats parfois surprenants. Au-delà d’une étude de la perception colorée fondée sur un empirisme radical (qui n’était qu’une partie de l’enquête), cette investigation a joué un rôle important dans la constitution de la discipline.

 

         Dans un deuxième temps (« L’arc-en-ciel japonais : au seuil d’un changement radical, XVIIème – XVIIIème siècle »), Marie Parmentier fait l’archéologie de la représentation nipponne de l’arc-en-ciel jusqu’à l’orée de l’ère Meiji. En comparant ouvrages savants, populaires et de vulgarisation, et en s’étonnant que sa graphie japonaise laisse apparaître une « clé » faisant référence au monde des insectes, elle dégage plusieurs strates d’interprétation accumulées : une première faisant de ce phénomène un être animé, lié au monde des vers et des serpents, dont les couleurs, suivant leur différenciation, indiquent s’il est mâle ou femelle ; des interprétations d’origine chinoise, ou bien dirigées vers la possibilité d’y voir des présages, ou bien surtout visant à l’insérer dans l’explication générale du monde par le souffle, le yin et le yang. L’auteur fait ensuite écho à l’arrivée des savoirs jésuites aux XVIème et XVIIème siècles, fondés sur Aristote et sa théorie des trois couleurs de l’arc-en-ciel, et au refoulement de ces derniers après l’expulsion des missionnaires. Cependant, elle rappelle l’existence de recherches japonaises empiriques et « naturalistes » ayant amené à réintégrer ces savoirs dans les formes de réflexion locales. Enfin, les recherches occidentales, arrivées au XVIIIème siècle, ne sont pleinement promues qu’à partir de l’ère Meiji. Même aujourd’hui cependant, la mémoire de la nature « ophidienne » de l’arc-en-ciel n’est pas perdue, puisqu’elle peut réapparaître dans les contes pour enfants et les manga. 

 

         Une troisième étude, menée par J.-B. Eczet, porte sur « L’arc-en-ciel mursi (Éthiopie) », envisagé comme « réservoir des couleurs et des personnes ». Les Mursi sont des agropasteurs transhumants du Sud-Ouest éthiopien chez qui le vocabulaire des couleurs joue un rôle essentiel, car attaché à la robe des animaux, avec lesquels ce peuple entretient des relations très imbriquées définissant identités personnelle et collective. Les couleurs, dont les animaux fournissent une palette de référence, ne sont pas définies en tant que telles, mais à partir du contexte dans lequel elles se voient perçues. Chaque couleur se révèle à travers un potentiel qui est ouvert. L’arc-en-ciel est également défini par cette ouverture : littéralement, il est de toutes les couleurs, suivant le contexte de perception du sujet. D’une manière certes un peu différente, les Mursi affirment donc eux aussi que l’arc-en-ciel synthétise toutes les couleurs… Arc-en-ciel qui, par son lien à la pluie, dont l’arrivée est vitale pour la communauté, est défini par des termes renvoyant au fait communautaire lui-même.

 

         La dernière contribution de cette partie, menée par Charlotte Ribeyrol, étudie « Les Faiseurs d’arc-en-ciel » à travers des « variations chromatiques et poétiques à l’époque victorienne ». Elle concerne donc un champ différent : celui des études littéraires. Les productions d’auteurs comme Keats, Ruskin et Oscar Wilde sont replacées dans un contexte où à la classification newtonienne s’ajoute l’impact des découvertes chimiques de leur siècle sur l’élaboration des pigments ; il faut aussi mentionner l’impact des débats, vifs alors, sur le problème de la perception des couleurs chez les anciens Grecs.  Les auteurs romantiques se sont ainsi rebellés contre une approche dépoétisant la couleur. L’arc-en-ciel, le plaisir de sa contemplation esthétique, son évanescence, son chatoiement (à la façon d’un serpent), tout cela forme le lieu privilégié d’une réflexion littéraire sur la spiritualité du phénomène chromatique.

 

         La deuxième partie de l’ouvrage s’attache, cette fois, à étudier les critères à travers lesquels l’arc-en-ciel est perçu. Elle permet de faire apparaître le fait que la couleur n’est pas nécessairement le critère privilégié de l’analyse, mais que bien d’autres caractéristiques peuvent être prises en compte de façon prioritaire. 

 

         Commençons par l’aire mésoaméricaine. Élodie Dupey García (« Serpent emplumé et serpent peint ») s’intéresse à l’univers dessiné par le vent et l’arc-en-ciel dans la culture nahuatl préhispanique ; elle les associe en raison de leur rapport à la saison des pluies, si vitale pour des sociétés agraires : jusque dans les communautés d’aujourd’hui, il existe entre eux de riches réseaux « d’association, d’opposition et de complémentarité ». D’un côté le vent, en charge de l’arrivée de la saison humide, représenté en plumes turquoise et noir de suie, associé au quetzal et au dieu Quetzalcoatl, à double nature aviaire et ophidienne. De l’autre, l’arc-en-ciel, apparition céleste comportant quatre à cinq couleurs, vécue comme chatoyante et multicolore, mais dans un contexte différent. Il est en effet rapporté au retour du soleil (dont les rayons expliquent les couleurs) et à la fin de la saison des pluies, mais aussi aux activités de la saison sèche (guerre et récolte, en particulier du maïs multicolore). Il signale ainsi les moments de changement et d’alternance importants. Sa double nature, elle aussi aviaire et ophidienne, apparaît par son association au colibri, au mouvement vif et chatoyant, ainsi qu’au chicomecoatl, à la fois déesse des moissons et serpent peint de sept motifs annonçant aux peuples migrants « l’arrivée dans la terre promise, un épisode fondateur de l’histoire des peuples qui réactualisait la première aurore ». Les Nahuas liaient ainsi ces phénomènes à des créatures vivantes, avec souffle et/ ou voix, nanties de précieux et dangereux pouvoirs.

 

         Sylvie Donnat, dans la contribution qui suit (« Polychromies atmosphériques. De l’arc-en-ciel aux épiphanies chromatiques de l’aube égyptienne ») nous fait entrer cette fois dans le monde de l’Egypte ancienne. Ses habitants se sont montrés très sensibles à tout l’univers de la « brillance des plumages d’oiseaux et des écailles de poissons sous la lumière solaire » ; on aurait donc pu s’attendre à ce qu’ils accordassent une description détaillée à l’arc-en-ciel. Or ce n’est pas le cas. Le climat très sec de la vallée du Nil, en effet, ne permet guère de l’apercevoir souvent ; par ailleurs l’enquête lexicologique n’est pas d’un secours décisif : il n’est pas certain qu’on puisse identifier avec certitude un terme permettant de rendre soit l’association des couleurs, soit la forme du phénomène. Si les textes décrivant des couleurs associées proches ne manquent pas, celles-ci sont métonymiquement associées à la lumière du soleil en général, dans la mesure où elle permet de toutes les révéler ; « rechercher la polychromie céleste dans les textes… conduit ainsi à se retrouver dans une forêt de correspondances riches entre la lumière et l’éclat chromatique varié qu’elle suscite quotidiennement ». C’est donc plutôt à d’autres phénomènes que les Egyptiens sont attachés : d’abord au chatoiement des couleurs (l’A. renvoie alors à la notion de poikilia), ensuite surtout à l’émerveillement devant les nuances chromatiques créées par le soleil levant. C’est ainsi l’aube qui, chez eux, occupe la place symbolique tenue par l’arc-en-ciel dans notre système esthétique. 

 

         L’approche égyptisante est complétée par celle d’A.-C. Rendu Loisel et L. Verderame, qui eux s’attachent à la vision mésopotamienne (« Joindre le ciel et la terre »). On peut y citer trois domaines dans lesquels l’arc-en-ciel se trouve mentionné en tant que tel. Il y a d’abord les listes de présages issues des bibliothèques royales, dont le moindre intérêt n’est pas de montrer que des interprétations du phénomène peuvent différer en fonction de la couleur qu’on lui voit : « apparence vraiment rouge », « vraiment sombre », « verte/jaune », « blanche », elle-même jaugée en fonction de la position géographique de l’arc. Les Mésopotamiens n’ignorent pas la nature multicolore du l’arc, mais dans le contexte divinatoire ne retiennent qu’une seule couleur. L’irisation est alors à rapprocher d’autres phénomènes comme les halos lunaires. 

 

         Par ailleurs l’arc-en-ciel est en quelque sorte un écho à la majesté divine : sa forme englobante rappelle l’architecture grandiose des temples, et un monde loin de celui des hommes ; son éclat lumineux est lié à la nature divine et peut justifier le choix de la polychromie dans les architectures les plus solennelles ; une ville comme Uruk en particulier sera décrite en termes d’éclat multicolore et chatoyant. Uruk est enfin la ville de la déesse Inanna, dont l’arc-en-ciel, associé par ailleurs à l’astre Vénus, est l’une des formes ; or Inanna est associée, du point de vue des Mésopotamiens, à l’Orient, c’est-à-dire au lieu de l’aurore – autrement dit, à l’une des manifestations possibles d’un dégradé de couleurs quotidien.

 

         L’article d’Adeline Grand-Clément (« L’arc-en-ciel pourpre d’Homère ») complète cette exploration. L’A. reprend ses analyses précédentes et part de la description d’Aristote résumant l’arc-en-ciel à trois couleurs (rouge écarlate, vert, violet pourpre) ; elle la relie à une tradition plus ancienne (Xénophane), et surtout au fameux « arc-en-ciel pourpre » de l’épopée homérique, « pourpre » qui a tant surpris les commentateurs. L’arc-en-ciel homérique est lisible comme un présage plutôt néfaste (non « signe », mais « prodige ») ; on le perçoit comme la source potentielle d’un dérèglement (guerre, mauvais temps). C’est qu’une des clés de la lecture visuelle de ce phénomène est son caractère changeant et bigarré, rendu par un terme, poikilos, qui a de nombreuses implications (caractère admirable et  trompeur d’un objet manufacturé, iridescence d’une merveille de la nature). Le chatoiement des couleurs renvoie à l’univers du serpent, c’est-à-dire celui de la versatilité, du fuyant. La focalisation sur la couleur pourpre prend ainsi tout son sens : non seulement cette teinte issue du murex fournit une large gamme de nuances, mais en plus son procédé de fabrication la fait changer maintes fois de couleurs au fur et à mesure qu’elle réagit chimiquement à l’air et à la lumière. Plus qu’une liste de couleurs décrites « objectivement », le pourpre apparaît donc idéal pour rendre « l’entrelacement subtil » d’un phénomène merveilleux et complexe.

 

         L’ouvrage se conclut par une troisième partie consacrée au problème de l’utilisation artistique des motifs de l’arc-en-ciel.

 

         François Jacquesson (« Dieu, Jésus et l’arc-en-ciel ») étudie les variations et les implications des « représentations chromatiques de la profondeur » dans le contexte artistique chrétien de la fin de l’Antiquité et du Moyen Âge. Depuis le récit du Déluge, l’arc – sans mention de couleur – est utilisé comme un « signe » de l’alliance entre Dieu et les hommes ; ses couleurs, présentées de façon scalaire, véhiculent donc l’apparition du divin, dans une esthétique fondée sur la notion de « tunnel », de route vers un ailleurs. Les représentations d’orbe et mandorle font « encapsuler » le divin au sein d’une suite de nuances d’une même teinte, la plus sombre à l’intérieur, pour suggérer la profondeur et la splendeur divine (on reprend alors en contexte pictural les enseignements de Denys l’Aréopagite). Cependant l’art chrétien médiéval et byzantin peut différer de ce schéma de base, en particulier lorsque le fond de la peinture ou de la mosaïque (d’or ou bleu sombre) modifie les perceptions de la profondeur ; au XIIème s. une évolution s’est faite tendant à schématiser, à rendre plus abstraite, cette succession de couleurs, si bien que la succession de nuances d’une même teinte peut se voir remplacée par une juxtaposition de trois ou deux couleurs distinctes. Le système coloré passe « dans le registre du code conventionnel ». L’A. rappelle enfin les oppositions se faisant jour entre ces conventions de représentations et l’esthétique renaissante, tant dans leur rapport à la perspective (qui établit, à la Renaissance un continu dans la perception des plans), que dans leur manière de considérer la profondeur.

 

         L’article de Jean-Loup Korzilius (« Constable et le problème de l’arc-en-ciel en peinture ») part du célèbre tableau du peintre anglais, la Cathédrale de Salisbury vue des prairies, devenue depuis un des « hauts lieux de la peinture romantique ». Or Korzilius montre que sa composition, dans laquelle figure un splendide arc-en-ciel, ne va pas de soi  en raison d’une erreur optique dans la représentation de celui-ci (alors même que Constable ne négligeait jamais de concilier une connaissance scientifique réelle avec sa volonté de « sentir » les paysages dans leur fraîcheur). L’A. replace la réalisation du peintre dans l’évolution générale de la théorie des couleurs depuis l’âge classique (théorie d’Aristote, liste des trois couleurs primaires, et surtout problème, encore non résolu à l’époque du peintre, de la compatibilité entre la théorie newtonienne de la synthèse des couleurs et sa transcription avec la matière picturale). Une dichotomie se fait ainsi, au XIXème siècle, entre savoirs pictural et scientifique, deux domaines de la connaissance autrefois réunis dans la figure du pictor doctus : place est faite, dès lors, à la sensibilité personnelle du peintre, qui peut se frayer librement un chemin.

 

         Les deux dernières contributions s’attachent à étudier l’utilisation de l’arc-en-ciel dans l’art contemporain et le cinéma d’avant-garde des années 1930. Ivonne Manfrini (« Le signe d’un désenchantement ? ») retrace les cheminements opérés par les frères Chapman dans leur « retravail », source de maintes controverses, des aquarelles de Hitler : ceux-ci les ont retraitées en ajoutant des crayonnages multicolores figurant plus ou moins un arc. Le motif coloré, utilisé de façon distante et ironique, sert donc de vecteur de neutralisation d’œuvres, de l’avis même des frères Chapman, bien banales par ailleurs ; les couleurs et leurs motifs créent un vaste entrelacement mental (art « dégénéré »,  monde hippie et psychédélique), le tout dans une exploration consciente, au nihilisme pleinement assumé, de tabous de notre société.

 

         Enfin Barbara Turquier (« Cinéma, musique et ‘sensation de couleur’ ») explore les implications de l’utilisation dynamique de la couleur par Len Lye dans l’un de ses plus célèbres films expérimentaux, Rainbow Dance, réalisé comme une publicité pour la banque postale britannique en 1936. Lye vise à autonomiser la création cinématographique à travers la couleur, vécue pour elle-même et en lien avec la musique. L’utilisation d’une pellicule particulière (le Gasparcolor), par le jeu tout spécifique qu’elle permet sur les trois couleurs (le réalisateur ajoute les « sept »couleurs de l’arc) lui permet de réaliser un film aux nombreuses associations d’idées (arc vécu comme le moment de la fin de la pluie, donc du temps des vacances, des loisirs, mais aussi – réminiscence biblique – comme moment de promesse), et particulièrement séduisant.

 

         Cet ouvrage, très dense, est riche de réflexions profondes et stimulantes. La confrontation de contextes d’études parfois très différents amène ainsi à replacer l’arc-en-ciel et la perception des couleurs dans une réflexion pleine de surprises, soit dans les continuités (l’association récurrente avec le serpent est frappante, par exemple), soit dans les différences : l’idée que l’arc – dont la valeur sémiotique est souvent apparue – puisse n’avoir que deux, une, ou pas de couleur du tout, suivant son contexte de description, renforce la nécessité du décentrement vis-à-vis des conceptions occidentales du phénomène chromatique. On aurait pu craindre que la démarche générale vise simplement à éclairer la tradition classique par des regards sur d’autres aires d’études présentés de façon purement illustrative. Or ce n’est pas le cas et l’on ne peut que s’en réjouir : tous les domaines abordés sont apparus égaux. Sans doute aurait-il fallu suivre encore plus la logique tracée au début de l’ouvrage et compléter cette confrontation par d’autres aires de civilisation (Chine, Islam médiéval, Inde…). Néanmoins, la « construction des comparables », pour reprendre la formule de Marcel Detienne, s’est révélée féconde et matière à nourrir la réflexion.

 

 

 

Table des matières

 

Introduction. – Retisser l’arc-en-ciel, p. 7-21.


Première partie : Quelles couleurs pour l’arc-en-ciel ? Le système newtonien confronté à d’autres regards.


Arnaud Dubois, « Couleurs de l’arc-en-ciel et anthropologie : du laboratoire au terrain (Rivers et le détroit de Torres, 1898-1901), p. 25-43.
Marie Parmentier, « L’arc-en-ciel japonais : au seuil d’un changement radical (XVIIe-XIXe siècle) », p. 45-73.
Jean-Baptiste Eczet, « L’arc-en-ciel mursi (Éthiopie). Réservoir des couleurs et des personnes », p. 75-88.
Charlotte Ribeyrol, « Les faiseurs d’arcs-en-ciel. Variations chromatiques et poétiques à l’époque victorienne », p. 89-108.

 

Deuxième partie : Les apparitions de l’arc-en-ciel. Entre achromie et polychromie.


Élodie Dupey García, « Serpent emplumé et serpent peint. Le vent et l’arc-en-ciel dans la culture nahuatl préhispanique », p. 111-148.
Sylvie Donnat, « Polychromies atmosphériques. De l’arc-en-ciel aux épiphanies chromatiques de l’aube égyptienne », p. 149-168.
Anne-Caroline Rendu Loisel & Lorenzo Verderame, « Joindre le ciel et la terre. L’arc-en-ciel en Mésopotamie ancienne », p. 169-189.
Adeline Grand-Clément, « L’arc-en-ciel pourpre d’Homère. Poikilia et enchantement des couleurs », p. 191-215.

 

Troisième partie : L’arc-en-ciel en couleur(s). Les défis de la mise en image.


François Jacquesson, « Dieu, Jésus et l’Arc-en-ciel. Représentations chromatiques de la profondeur », p. 219-244.
Jean-Loup Korzilius, « Constable et le problème de l’arc-en-ciel en peinture », p. 245-261.
Ivonne Manfrini, « Le signe d’un désenchantement ? L’arc-en-ciel, Hitler, Dinos et Jake Chapman », p. 263-281.
Barbara Turquier, « Cinéma, musique et ‘sensation de couleur’. Autour de Rainbow Dance de Len Lye », p. 283-297.