Frugoni, Chiara - Savereux, Jérôme (trad.): Vivre en famille au Moyen Âge, 352 p., Index, 210 ill. coul., 15 x 21.5 cm, EAN13 : 9782251447339, 25,50 €
(Les Belles Lettres, Paris 2017)
 
Reviewed by Ismérie Triquet, Université de Rouen
 
Number of words : 1217 words
Published online 2018-08-31
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3465
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          Dans cette traduction française de son ouvrage Vivere nel Medioevo. Donne, uomini e soprattutto bambini publié chez Il Mulino en 2017, Chiara Frugoni présente le mode de vie des familles durant le Moyen Âge. Grâce à la traduction en français de Jérôme Savereux, la lecture de l’ouvrage est fluide et plaisante. En s’attardant sur les différentes phases de la vie des enfants, de la conception jusqu’au départ du foyer familial en passant par l’apprentissage de la marche et de la lecture, l’auteur revient sur les subtilités de la vie des hommes, femmes et enfants durant cette période injustement qualifiée d’âges obscurs. Ici l’auteur traite son thème de manière très dynamique en fondant ses propos sur une importante iconographie. Certaines illustrations sont issues d’œuvres très connues, pour beaucoup des manuscrits, mais d’autres sont une réelle découverte tant par leur beauté que par leur originalité.

 

         C’est par la chambre à coucher (Chapitre 1) que l’auteur entame son récit, les différentes fonctions du lit permettent une meilleure connaissance de la chambre médiévale et sa fonction de pièce principale au sein de la maison. Au-delà du fait de présenter la disposition des meubles, leur qualité et la place centrale qu’occupe le lit au sein de la maisonnée, c’est la conception de l’enfant qui est plus largement abordée. L’auteur présente cependant d’autres fonctions du lit comme le « lit de justice » ou encore comme le cadre de l’amour courtois. S’ensuivent deux chapitres sur les périls du berceau (Chapitre 2) et la survivance (Chapitre 3). La mortalité infantile est importante, par accident ou maladie. Il semble que la qualité des soins apportés par la nourrice joue un rôle capital pour la survie du bébé, que ce soit lorsqu’elle le nourrit ou durant son sommeil. De plus, l’hygiène est une importante préoccupation au Moyen Âge, en ce qui concerne la nourriture de l'enfant ou ses vêtements. Ainsi, c’est à travers une riche iconographie que la question des langes infantiles est présentée, leur fonction, leurs vertus, leurs différentes formes mais aussi les erreurs les concernant. En outre, l’auteur s’attache à mettre en avant les différentes superstitions en vogue au Moyen Âge pour protéger les enfants de la mort. On retrouve donc de nombreuses représentations de gris-gris, talismans et amulettes religieuses ou non, notamment les langes rouges et le corail. Bien que la mort du nouveau-né soit évoquée, elle n’est pas au centre du propos, c’est la menace du Diable qui est fréquemment signifiée par les illustrations. Si l’enfant a survécu aux premières années, il pourra entreprendre ses premiers pas (Chapitre 4). Ceux-ci sont extrêmement encadrés : on utilise notamment des systèmes aidant à l’acquisition de la marche, comme le montrent les images présentées dans ce chapitre. Les enfants disposent de petites structures en bois montées sur des roulettes sur lesquelles ils peuvent s'appuyer pour apprendre la marche. Mais l'apprentissage de la marche donne lieu à des accidents, des chutes par exemple. C'est l'occasion de relater les miracles survenus, évoquant ainsi les saints protecteurs des enfants comme saint Nicolas. Une fois sorti de la petite enfance, c’est l’apprentissage de la lecture et de l’écriture qui se met en place (Chapitre 5). L’enfant apprend l’alphabet avant de se confronter à des textes complexes, généralement religieux, propres à initier l’enfant à sa future vie de croyant. Au-delà de son apprentissage, le jeu occupe une place essentielle dans la vie de l’enfant (Chapitre 6). Pour illustrer cette question, l’auteur se livre à un commentaire magistral et détaillé du tableau « L’esplanade du divertissement » de Peter Brueghel (1560). Ici sont détaillés un grand nombre de jeux et d’occupations auxquels se livrent les enfants, garçons et filles. Dans son avant-dernier chapitre (Chapitre 6), l’auteur aborde la question de la réclusion des femmes. Ces femmes ont choisi de se retirer, de s’instruire et de se consacrer à la prière et à Dieu. Cette partie apparaît comme en rupture avec la chronologie infantile développée précédemment. De plus, il s’agit de la seule partie de l’étude qui fait une distinction de genre aussi franche dans son approche des enfants. Enfin, dans l’ultime chapitre (Chapitre 7), qui traite des chemins et des voyages, on retrouve pêle-mêle des réflexions sur les bons et les mauvais gouvernements, les pèlerinages et enfin les pérégrinations dans la ville de Rome. Ce dernier chapitre manque de cohérence avec le reste de l’ouvrage.

 

         L’ouvrage, richement illustré, présente la particularité d’insérer les images au corps de texte ce qui permet une immersion beaucoup plus intéressante dans l’ouvrage et un confort de lecture non négligeable. Comme l’a précisé l’auteur dans son prologue, elle a voulu « tisser texte et image dans un fil continu ». Après ses excellents ouvrages Le Moyen Âge sur le bout du nez (2011), Une journée au Moyen Âge (2013) et Le Moyen Âge en image (2015), Chiara Frugoni nous offre un nouvel opus qui montre la richesse de sa période de prédilection. Bien que présentant une forme « vulgarisée » accessible au plus grand nombre, ses travaux sont d’une érudition et d’une précision indéniable, mais la simplicité et la concision dans l’écriture rendent l’ouvrage très abordable. Les images ne sont pas utilisée à des seules fins d’illustration, l’auteur les détaille et les commente, elles sont au centre de la réflexion et du développement textuel. De plus, la grande variété des supports iconographiques retenus, qui peuvent être aussi bien religieux que profanes, permet de présenter au lecteur plusieurs occurrences qui renforcent le propos. L’ouvrage a le mérite de regrouper dans un même volume une importante iconographie autour d’un thème précis.

 

         Le titre français annonce que la famille sera au centre du propos ; or c'est le thème des enfants qui est majoritairement abordé tout au long de l’ouvrage. Cependant, ce point est à nuancer, notamment parce que l’intitulé retenu pour l’édition italienne présente un thématique plus large incluant les hommes, les femmes et les enfants. De la conception, à travers la place et la physionomie de la chambre à coucher au Moyen Âge, nous suivons tout au long du développement des chapitres la croissance de l’enfant jusqu’à sa prise d’indépendance, du moins en ce qui concerne les filles. Les deux derniers chapitres se détachent de ces questions : la rupture dans la chronologie de la vie de l’enfant est peu compréhensible. Néanmoins, ces deux chapitres, par leur richesse iconographique, n’en demeurent pas moins très intéressants. Il est à regretter que la structure familiale ne soit pas exploitée, ce qui aurait permis davantage de s’attarder sur le rôle du père et celui, traité de manière sporadique, de la mère dans la vie de l’enfant. Nous pouvons également déplorer qu’aucune distinction ne soit faite entre les catégories sociales ou entre les habitants des villes et ceux de la campagne. Enfin, la distinction des genres n’est esquissée qu’à l’avant-dernier chapitre et la partie concernant les jeux. Dans les parties précédentes, le genre dominant est masculin même si cela n’est pas systématiquement précisé. Ces différents points auraient permis d’affiner certains éléments développés par l’auteur.

 

         L’ouvrage de Chiara Frugoni présente un grand intérêt pour la compréhension de la période médiévale. Ses illustrations et son caractère hautement didactique permettent de découvrir ou de redécouvrir le Moyen Âge, que l’on soit spécialiste ou non. De plus, ces travaux s’inscrivent dans une importante continuité scientifique puisqu’il s’agit d’une reprise, voir même d’une continuation, des études que Chiara Frugoni avait faites en collaboration avec Jean-Louis Flandrin (mort en 2001) sur le genre et le sexe en Occident dans les années 1990. Loin d’être tari, le thème de la famille au Moyen Âge est encore riche d’enseignements et de possibilités pour les médiévistes.