Goudemez, Sophie : Chasse et élevage au Premier âge du Fer dans le nord-est de la France, (Archéologie des plantes et des animaux, 6), 263 p., ISBN : 978-2-35518-076-7, 45 €
(Editions Mergoil, Drémil-Lafage 2018)
 
Compte rendu par Michel Chossenot, Université de Reims
 
Nombre de mots : 2449 mots
Publié en ligne le 2019-09-27
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3469
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          Cet ouvrage, le n°6 d’une collection consacrée à « l’Archéologie des Plantes et des Animaux » des Éditions Mergoil, est tiré d’une thèse soutenue par l’auteur en 2017 à l’Université de Bourgogne-Franche-Comté. Le passage d’une thèse à l’écriture d’un ouvrage pose toujours quelques problèmes, surtout quand il s’agit de travaux de spécialité, ici l’archéozoologie. En l’occurrence, l’ouvrage comporte de nombreuses études techniques sur les os d’animaux, rassemblées en 11 annexes.

 

 

Introduction

 

Partie I : p. 11-20 

 

Le cadre chronologique 

         A la fin de l’âge du Bronze, la civilisation du complexe nord-alpin  qui s’étend de la Tchéquie à l’ouest de la France connaît un abandon  des sites fortifiés suite à une péjoration climatique tandis qu’une complexification sociale et économique des populations nord-alpines se manifeste par une réoccupation des sites fortifiés de hauteur appelés « résidences aristocratiques », avec des inhumations sous tumulus féminines et masculines riches en mobilier importé du monde méditerranéen (tombes à char à quatre roues). De nombreux habitats ouverts, de plaine, ont été fouillés ces dernières années qui nous donnent une image plus objective de cette période dénommée Hallstatt (800-430 avt J.-C.)

 

Géographie et hydrographie :

         La zone géographique étudiée, baptisée « Nord-Est de la France » couvre environ 100 000 km2, allant de Bourges et du Jura au sud, jusqu’aux frontières du nord-est, incluant à l’ouest des plaines, une série de reliefs peu marqués, puis les Vosges et le Jura, avec les vallées de la Saône et du Rhin.

 

L’étude de la faune : enjeux et objectif :

         La faune, l’élevage, les différenciations géographiques et sociales pour la protohistoire sont encore mal connues ; le Hallstatt qui en fait partie n’échappe pas à la règle, même si quelques études de sites ont été effectuées et cette synthèse vise donc à remédier à cette lacune.

 

Partie II : Méthodes et corpus, p. 21-80

 

Les méthodes d’étude :

         La détermination des fragments osseux d’animaux a été faite à partir de collections de comparaison (Université de Bourgogne, Cravo de Compiègne) et d’ouvrages de référence. L’enregistrement a été effectué en nombre de restes (NR) et en masse (PR) dans une base de données comportant l’estimation de l’âge (à partir des os et de l’usure dentaire),  la diagnose sexuelle, l’ostéométrie (hauteur au garrot) et la distinction entre formes sauvages et domestiques.

 

Présentation des ensembles :

         L’auteur, dans cette grande zone d’une vingtaine de départements, gérés par une demi-douzaine de services archéologiques régionaux, a recherché les sites potentiels (125), ensuite a choisi un ensemble représentatif de sites de hauteur et de plaine (quinze habitats au total), comptant un nombre minimum de 200 restes fauniques déterminés. Ces restes soit étaient déjà étudiés et la documentation était accessible, soit ont été étudiés par l’auteur elle-même. Ces critères ont amené l’auteur à sélectionner sept sites fortifiés de hauteur et huit sites de plaine ou ruraux, presque tous situés dans l’extrême est de la France, dans des zones géographiques aux paysages variés : collines, contreforts montagneux, vallées.  

 

         Les sept sites fortifiés de hauteur sont le « Britzgyberg » et le « Buergelen » (faubourg du précédent) à Illfurth (68), le « Kastelberg », à Koestlach-Moernach (68), le « Camp d’Affrique » à Messein (54), le « Camp de la Roche » à Bourguignon-lès-Morey (70), le « Camp du Château » à Salins-les-Bains (39), le « Camp de Châtelet à Baules (21), le « Mont Lassois » à Vix (21). Les sept habitats de plaine comportent les sites de Geispolsheim (67), Entzheim-Geispolsheim (67), Holtzheim (67), Wolfgantzen (68), Colmar (68), Morschwiller-le-Bas (68), Besançon (25). S’y ajoute le centre urbain de Bourges (Avaricum, 18) comptant quatre sites différents.

 

         La plupart de ces sites a été occupée sur des périodes plus ou moins longues, quelquefois depuis le Néolithique et tout au long des quatre siècles que dure le Hallstatt, quelquefois à plusieurs reprises et pendant quelques décennies seulement.

 

         La documentation disponible s’est constituée au fil des fouilles qui ont commencé souvent au XIXe s. et ont été reprises après la Seconde Guerre mondiale. Certaines ont fait l’objet de recherches très récentes, dans le cadre de projets spécifiques sur l’habitat de hauteur fortifié, menées par l’Université de Strasbourg. Le matériel étudié provenant de ces 15 habitats est impressionnant : il consiste en 160 000 restes osseux dont la moitié environ a été identifiée.

 

         Le Hallstatt (800-430 av. J.-C.) est marqué par des changements sociaux et culturels qui affectent les sociétés sur une large zone géographique qui va de l’Autriche à l’est de la France ; il se caractérise par l’émergence d’habitats de hauteur fortifiés et par de riches inhumations sous tumulus (les  tombes de Vix par ex.), signes d’une société hiérarchisée qui entretient des contacts avec le monde méditerranéen.

 

         Le « Britzgyberg » à Illfurth, un éperon barré, est implanté à une confluence et contrôle le trafic entre la Saône et le Rhin ; les fouilles récentes ont mis en évidence les remparts, une palissade de poteaux de bois et une zone artisanale, datés de la fin du Hallstatt ; parmi les 25 000 os, la faune domestique compte pour 99% ; dans la triade bœuf, porc, caprinés, le premier domine légèrement, les deux autres étant à peu près à égalité. La chasse est représentée par le cerf, le sanglier, le lièvre et quelques oiseaux.

 

         S’agissant du « Buergelen », situé en contrebas du précédent site, il est constitué de deux terrasses (50 x 80 m) avec un habitat sur poteaux, des silos (zone de stockage ?) ; la chasse compte pour 4%. Les caprinés l’emportent sur le bœuf, le porc et le cheval.

 

         Le troisième site, le « Kastelberg », à Koestlach-Moernach, à une vingtaine de kilomètres des précédents, non loin de la trouée de Belfort, est à 650 m d’altitude; c’est un éperon barré de 29 ha dont 5,5 ha ont été isolés en trois parties par des remparts ; il a été occupé à la fin du Hallstatt. Le porc domine avec 36 % du total, suivi par le bœuf et les caprinés à égalité.

 

         Le quatrième site, le « Camp d’Affrique » à Messein, dans la vallée de la Moselle, à 405 m d’altitude occupe 14 ha d’un plateau de 440 ha, avec fortifications, terrasse et une forte activité artisanale ; le porc (48%) l’emporte devant le bœuf (38%) et les caprinés (18% ).

 

         Le cinquième site, le « Camp de la Roche » à Bourguignon-lès-Morey, à environ 400 m d’altitude a une superficie de 17 ha, avec des ateliers du fer et du bronze ; les caprinés et le porc (33-34%) l’emportent sur le bœuf (29%).

 

         Le sixième site,  le « Camp du Château » à Salins-les-Bains, à 626 m d’altitude, couvre 20 ha dont 0,75 ha ont été explorés ; il contrôle la circulation sur les bords du Jura et jouit de la proximité des sources salines. Il est occupé depuis l’âge du Bronze, avec des tumuli et au moins deux tombes à char à proximité. Le porc domine quantitativement les caprinés et le bœuf.

 

         Le septième site, le « Camp de Châtelet » à Baules, est à une altitude de 500 m environ ; il est occupé depuis le Néolithique, durant tout l’Âge du Bronze et le Hallstatt ; on y trouve un riche artisanat ; le porc l’emporte avec 38% alors que le bœuf et les caprinés représentent respectivement 30% et 28%. Les animaux sauvages comptent pour 4%, avec de grands bovins tels que les bisons ou les aurochs.

 

         Enfin, à Bourges, d’après les résultats des quatre sondages dans la ville actuelle, le porc est en tête devant le bœuf et les caprinés.

 

Les habitats ouverts : 

         À Geispolsheim, l’occupation se fait sur une terrasse de loess et se présente sous la forme  d’une aire de 14 silos de stockage ; les restes osseux ne sont pas très nombreux (385) ; parmi les mammifères domestiques (93 %), les caprinés dominent, suivis du porc, du bœuf, du cheval et du chien. À Entzheim-Geispolsheim, Aéroparc, très proche du site précédent, sur une terrasse de loess également, le site compte cinq occupations d’un habitat durant le Hallstatt ; le bœuf y prédomine au début de la période, détrôné par les caprinés et le porc à la fin. Holtzheim, à 3 km des sites précédents, se trouve sur une terrasse de loess également, non loin de la rivière la Bruche ; dans 50 structures en creux (silos et dépotoirs), le bœuf domine, suivi du porc et des caprinés ; le lièvre, le cerf sont présents. Des structures diverses ont été mises en évidence à Wolfgantzen : silos et fosses ; l’élevage y compte pour 94 % : caprinés et bœuf sont à égalité devant les caprinés, le cheval y précède le porc.

 

         Le site de Colmar démarre au Néolithique ; dans  12 fosses, le porc représente presque la moitié des restes osseux, suivi par le bœuf et les caprinés. Morschwiller-le-Bas, sur un relief loessique, est caractérisé par une grande fosse-dépotoir : le porc est suivi par les chèvres et moutons, puis le bœuf. Dans les restes d’un habitat à Besançon/Saint-Paul, on trouve dans l’ordre : le porc, le boeuf, les caprinés.

 

Distributions géographiques  et chronologiques, p. 77- 81

         La répartition géographique des sites étudiés est très inégale, reflétant l’activité archéologique régionale qui privilégie l’Alsace (8 sites sur 15 au total) ; la Champagne est absente dans la mesure où aucun site ne répondait aux critères de sélection. Sur le plan chronologique, les sites choisis se répartissent assez bien sur les 400 ans que dure le Hallstatt, avec un léger maximum à la fin (D1-D2), comme le montrent les récapitulations et décomptes par phase (p. 36-37).

 

Partie III : Les animaux, morphologies, productions, utilisations, p. 81-138

 

         Concernant les animaux domestiques – BPC (chèvre-mouton), chien, cheval –, la fragmentation des os rend difficile la reconstitution de leur morphologie et privilégie les plus gros animaux. S’agissant des bovins, l’auteur a distingué les vaches, les taureaux et les châtrés. Leur taille diminue légèrement (1,1m) par rapport aux périodes antérieures sauf dans les habitats de hauteur ; de même pour le porc (autour de 80 cm) ; les équidés – âne et cheval –, sont plus grands et plus robustes que pendant les siècles suivants (1,3 m), avec cependant la présence un animal âgé, nain, (1m) qui devait avoir un statut particulier ; le chien, toujours présent mais en petit nombre, est généralement de taille assez importante (0,56 m). Cette étude confirme bien ce que l’on a constaté par ailleurs, la diminution de la taille des animaux au garrot depuis le Néolithique. 

 

         Du point de vue de l’économie de l’élevage, les mammifères domestiques se répartissent de la manière suivante : boeuf : 30% ; porc : 40%, caprinés :27 % ; cheval et chien : 1%. La chasse représente rarement plus de 1%. Dans une pluralité d’occupations, aux organisations et activités variées, les résultats semblent montrer une certaine complémentarité entre les habitats de hauteur et ceux de plaine, ainsi qu’une certaine hiérarchie observable au niveau de la richesse des mobiliers, qui se traduit aussi par une alimentation carnée différente.

 

         Dans le cadre de la gestion et de l’utilisation des troupeaux, l’élevage bovin peut être considéré comme une forme de production mixte : sur les sites de hauteur, l’âge d’abattage des animaux révèle à la fois un élevage de vaches laitières et de bêtes de somme, et d’animaux abattus plus jeunes pour la boucherie. Le porc, abattu autour de 2 ans, est l’animal typique pour la boucherie. Les caprinés sont tués jeunes pour la qualité de leur viande ou conservés jusqu’à un âge avancé pour leur lait et leur laine.

 

         Les chiens et les équidés consommés adultes ne représentent qu’un faible pourcentage de la consommation, mais qui se maintient tout au long des quatre siècles : les chiens ont plusieurs  rôles – garde, chasse ; les  chevaux servent pour la traction, la selle et le bât.  

 

         Des pathologies ont été relevées sur 62 os, représentant 0,1% du corpus dont la majorité apparaît chez le bœuf (55%), alors que les proportions sont de 21 % chez les caprinés, 19 % chez le porc et 5% chez le cheval. C’est avant tout l’arthrose qui touche le bas des pattes, liée à l’usure et à l’âge ; on constate aussi des fractures : celles du porc ont été causées par des entraves. Les caprinés jeunes souffrent surtout d’affections dentaires ; des trois pathologies équines l’une paraît due à une surcharge ou mauvaise charge sur le dos de l’animal.

 

Partie IV : Consommation carnée et utilisation des matières animales, p. 139-185  

 

         Les traces laissées sur les os de bœuf permettent de suivre les étapes de la découpe au couteau et quelquefois celles de la cuisson à la flamme. Les os et les cornes de boeuf semblent rarement utilisées. On peut identifier aussi les beaux et bas morceaux qui sont signes de la qualité de la viande consommée. Ainsi le Britzgyberg se distingue particulièrement dans ce domaine. Le porc est un autre pilier de l’élevage et on le consomme presque en entier. La conservation par salaison peut être envisagée grâce l’importance des os des cuisses. Les caprinés (autour de 25 à 30 %) sont une ressource carnée secondaire et/ou complémentaire. L’hippophagie se situe rarement au-dessus de 4%, le cheval est élevé surtout pour son travail tandis que la cynophagie, constatée sur presque sur tous les sites, ne dépasse cependant jamais 2,5 %.

 

         Les mammifères sauvages se situent autour de 1,3 % seulement, mais sont récurrents : le cerf est consommé et ses bois sont utilisés, le lièvre est apprécié et le sanglier est rare. Une partie des autres animaux pourrait avoir été chassée pour sa fourrure.

 

         La faune aviaire est restreinte mais diversifiée : le coq domestique est fréquent, ainsi que le canard, l’oie et la perdrix ; la pêche (quelques brochets) est sous-représentée compte tenu de la fragilité des restes. Il faut signaler également quelques mollusques.

 

Partie V : synthèse : chasse et élevage dans les habitats du Premier âge du Fer, p. 187-193

 

         La zone étudiée ne correspond qu’à l’extrémité ouest du complexe nord-alpin hallstattien qui s’étend à l’est jusqu’à l’Autriche et la Tchéquie ; les mammifères domestiques constituent l’essentiel de l’alimentation carnée constituée pour l’essentiel de la triade bœuf/porc/caprinés avec un apport très limité du cheval et du chien, autour de 1 à 2 %. La morphologie de ces animaux continue à diminuer depuis le Néolithique. Quelques grands chevaux sur les sites de hauteur pourraient provenir de cadeaux provenant de lointains partenaires.

 

         Les résultats des sites étudiés se ressemblent globalement, mais avec des différences quelquefois non négligeables dont les origines peuvent être diverses, certaines traduisant de véritables orientations ou conduites de l’élevage (comme entre les sites fortifiés et ouverts) alors que d’autres seraient dues à des biais archéologiques (fouilles à des emplacements particuliers, à la base de remparts par exemple, n’ayant qu’une valeur limitée).

 

Bibliographie de 20 p., p.194-204 

11 annexes présentent les tableaux de tous les résultats utilisés dans cet ouvrage, p. 205-263.  

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