Gimatzidis, Stefanos - Pieniazek, Magda - Mangaloglu-Votruba, Sila (Eds.): Archaeology across Frontiers and Borderlands. Fragmentation and Connectivity in the North Aegean and the Central Balkans from the Bronze Age to the Iron Age, (OREA - Oriental and European Archaeology , 9), ISBN13: 978-3-7001-8029-6, 109 €
(Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, Wien 2018)
 
Compte rendu par Marion Muller-Dufeu, Université de Lille
 
Nombre de mots : 1367 mots
Publié en ligne le 2018-12-18
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3487
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          Ce 9e volume de la série Oriental and European Archaeology éditée par l’Académie des sciences autrichienne constitue la publication d’un colloque tenu à Istanbul du 10 au 14 septembre 2014 et propose ainsi vingt articles qui concernent l’Égée du Nord, les Balkans et l’Anatolie, rédigés par des auteurs issus des différents pays concernés.

 

         L’introduction des éditeurs indique le propos du colloque : l’archéologie a été longtemps exercée dans ces pays (comme ailleurs) à l’intérieur des frontières modernes, sans tenir compte du fait que les populations antiques ne connaissaient pas forcément ces frontières. En outre, les divers états de la région ont utilisé l’archéologie dans des buts nationalistes, pour tenter d’établir des filiations avec des populations antiques, afin de conforter le sentiment national de leurs ressortissants. Enfin, l’absence de sources écrites primaires dues aux populations étudiées obligeait de recourir aux auteurs des régions voisines (Grecs pour la plupart), qui donnaient de ces régions une vision filtrée par leur propre interprétation des choses. Pour compléter l’introduction, deux articles de portée générale reviennent sur l’histoire de la discipline dans cette région de l’Europe et de la Turquie, et sur les tentations nationalistes auxquelles elle a donné corps. Le premier, dû à St. Gimatzidis, s’efforce de montrer comment, encore aujourd’hui, l’État grec s’accorde avec sa population pour chercher dans le passé de bonnes raisons pour conforter son sentiment nationaliste. Le deuxième, écrit par S. Mangaloğlu-Votruba, examine en ce sens l’histoire de l’éducation en Turquie, en s’appuyant sur l’étude de l’archéologie du Bronze récent et de l’Âge du Fer dans ce pays.

 

         La suite de l’ouvrage présente les articles dans un ordre à peu près géographique. Les réflexions présentent le plus souvent des études de cas, qui montrent comment les biais anciens peuvent être corrigés pour donner des résultats nouveaux et parfois plus intéressants que les études anciennes. On y trouvera des considérations de méthode : l’article de R. Vaessen revient sur l’historiographie de la recherche archéologique en Turquie depuis le milieu du xixe s. et sur les différents « récits » qui en ont été tirés. Celui de P. W. Stockhammer, B. Athanassov réfléchit sur la désignation des zones fréquentées par différentes populations, afin de souligner leur caractère dynamique. L’ouvrage est aussi l’occasion de présenter des découvertes récentes, vues sous l’angle des considérations exprimées plus haut. Parmi celles-ci, on peut citer les sceaux et les bijoux de l’Âge du bronze dans l’Égée du Nord qui témoignent de processus complexes d’appropriation d’objets étrangers (M. Pienażek) ; le site de Maydos-Kilisitepe, qui servit sans doute de port aux vaisseaux croisant entre Égée et Mer noire pendant le IIe millénaire (G. Sazcı, M. Başaran Mutlu) ; les pratiques funéraires dans le Golfe thermaïque, plus précisément dans la nécropole de l’Âge du fer ancien de Toumba à Thessalonique (K. Chavela) ; les importations de céramique protocorinthienne et corinthienne en Macédoine (E. Manakidou) ; deux graffiti de soldats étrangers à Thermi, qui montrent l’usage d’une langue inconnue et d’une écriture mêlant des éléments issus de différentes écritures connues, et qui pourraient témoigner du passage de l’armée de Xerxès dans la région (E. Kefalidou, I. Xydopulos) ; les rapports entre Grecs et Thraces dans l’Égée du Nord, depuis l’époque mycénienne jusqu’à l’époque classique en passant par la période de la colonisation (D. Tsiafaki) et sur les côtes occidentales de la Mer Noire, où l’arrivée des Grecs semble avoir été suivie de cohabitation, voire d’une certaine coopération (M. Damyanov).

 

         D’autres études débouchent sur des vues plus générales, comme l’étude paléobotanique comparée de la Grèce et de la Bulgarie (S. M. Valamoti, E. Gkatzogia, I. Hristova, E. Marinova Wolff), celle des changements survenus dans le sud-est des Balkans à la fin du IIe millénaire (D. Nenova) ou la constitution des cultures archéologiques en Bugarie (T. Dzhanfezova) ; l’étude du site minier d’Ada Tepe montre l’ancienneté de la métallurgie de l’or en Thrace et permet une étude approfondie de la population qui l’exerçait sur le site (H. Popov, K. Nikov).

 

         Les derniers articles s’intéressent à la réception des résultats archéologiques pour l’écriture de l’histoire des pays : ainsi E. Bozhinova remet en cause l’interprétation des sites des IIe et Ier millénaire en Bulgarie ; M. Gori montre comment l’interprétation des traces de l’Âge du Bronze renvoie à la question macédonienne contemporaine ; T. Krapf étudie la transition Âge du Bronze/Âge du Fer dans le bassin de Korça et la culture illyrienne en s’efforçant d’ignorer les frontières modernes. Enfin, M. Gavranović révèle que les traces archéologiques ne permettent pas d’établir l’existence de groupes ethniques dans les Balkans occidentaux à la fin de l’Âge du Bronze.

 

         La variété des titres reflète celle des thèmes abordés et valide pleinement le propos du colloque ainsi que de l’ouvrage : interroger les traces archéologiques non pas en fonction d’une délimitation étroite calquée sur les frontières actuelles, mais en essayant de retrouver les relations établies aux époques du Bronze et du Fer entre les différentes populations de ces régions permet d’ouvrir des perspectives plus riches et plus intéressantes. Les réflexions menées par ces chercheurs apportent une nouvelle lumière sur des thèmes longtemps présentés comme définitivement étudiés. C’est le cas par exemple pour le site minier d’Ada Tepe, où les auteurs montrent que la connaissance de la technique de l’extraction et de la transformation de l’or remonte beaucoup plus loin dans le temps que ce que l’on imaginait encore récemment. C’est le cas aussi pour la circulation des céramiques, dont les réseaux diffèrent sensiblement de ceux qui étaient décrits il y a encore peu. Ou encore pour les sites archéologiques bulgares, longtemps interprétés systématiquement comme des sanctuaires de sommet, alors qu’il semble bien qu’il s’agisse le plus souvent d’habitats.

 

         Chaque article est accompagné d’une bibliographie importante et d’illustrations en nombre variable. La présentation est aérée et soignée, malgré quelques coquilles inévitables. Ce volume est donc une réussite complète, qui ouvre un champ de réflexion nouveau et passionnant pour tous les archéologues qui voudront travailler « à cheval sur les frontières » et reconsidérer l’impact de la géographie sur les populations successives de telle ou telle région.

 

 

Sommaire

 

* B. Horejs, Préface, p. 7

* St. Gimatzidis, M. Pieniạžek, « Archaeology across Frontiers and Borderlands: An Introduction », p. 9-26

* St. Gimatzidis, « Claiming the Past, Conquering the Future: Archaeological Narratives in Northern Greece and the Central Balkans », p. 27-54

* S. Mangaloğlu-Votruba, « Conquering the Past, Claiming the Future: Historical and Archaeological Narratives in Western Anatolia », p. 55-70

* R. Vaessen, « Working in the Margins: Some Reflections on Past, Present and Future Research in Western Anatolia », p. 71-92

* P. W. Stockhammer, B Athanassov, « Conceptualizing Contact Zones and Contact Spaces : An Archaeological Perspective », p. 93-112

* M. Pienia̓žek, « Foreign Influences and indigenous Transformations: The case of the Seals and Jewellery from the Late Bronze Age North Aegean », p. 113-138

* G. Sakcı, M. Başaran Mutlu, « Maydos-Kilisitepe: A Bronze Age Settlement on the Border between Asia and Europe », p. 139-158

* K. Chavela, « Tranformations and Formations around the Thermaic Gulf in the Late Bronze and Early Iron Age: The Evidence of Burial Practices », p. 159-186

* E. Manakidou, « Protocorinthian and Corinthian Ceramic Imports in Macedonia: Different People, Different Tastes ? », p. 187-202

* E. Kefalidou, I. Xydopoulos, « Strangers in a Strange Land: Two Soldiers’ Graffiti from Ancient Thermi », p. 203-218

* D. Tsiafaki, « Thracian and Greeks in Northern Aegean », p. 219-242

* M. Damyanov, « First Encounters and Further Developments: Greeks meeting Thracians on the Western Pontic Coast », p. 243-268

* S. M. Valamoti, E. Glatzogia, I. Hristova, E. Marinova Wolff, « Iron Age Cultural Interactions, Plant Subsistence and Land Use in Southeastern Europe Inferred from Archaeobotanical Evidence of Greece and Bulgaria », p. 269-290

* D. Nenova, « The Edge of an Era: Changing Aspects in the Southeast Balkans towards the End of the 2nd Millennium BC Sites in Bulgaria », p. 291-306

* T. Dzhanfezova, « The Making of Late Bronze Age Archaeological Cultures in Bulgaria », p. 307-332

* E. Bozhinova, « Settelements or Sanctuaries ? Interpretational Dilemma Concerning 2nd-1st Millenium BC Sites in Bulgaria, p.  333-358

* H. Popov, K. Nikov, « ʻAda Tepe Late Bronze Age Gold Mine’ Project: Between Borders », p. 359-390

* M. Gori, « Bronze Age and Embedded Macedonia Question », p. 391-410

* T. Krapf, « The Late Bronze Age/Early Iron Age Transition in the Korçë Basin (S-E Albania) and the Modern Perception of the Emergence of Illyrian Culture », p. 411-426

* M. Gavranović, « No Group, no People ? Archaeological Record and Creation of Groups in the Western Balkans », p. 427-446

* Index, p. 447-455.